[D-E] De retour d'une lointaine contrée (libre)(fini)

La meilleure saison de l'année. Sans aucun doute le printemps, jusqu'au début de l'été. Vous savez, cet exotique moment où les bourgeons renaissent et embellissent de mille couleurs la nature dénudée par l'hiver. Cette période tant attendue où le soleil dégèle les terres, où les animaux batifolent, et où la vie semble reprendre son cours après une longue hibernation. Bon, tout le monde n'hiberne pas, je vous l'accorde. Mais les Bobbits, si !
Ah ah ! Je suis sûr que vous ne le saviez pas. Mais qu'est-ce qu'un Bobbit me direz-vous ? La grande question. Vous n'en croiserez pas tous les jours, croyez-moi... Je ne dirai pas que vous seriez chanceux de croiser Smyrgoll le Bobbit, mais disons que.... Enfin bref. Il... Hum... Et puis de toute façon, je ne sais pas ce qu'est un Bobbit. Je sais juste qu'ils hibernent...

Mais voici venir le principal intéressé. Si, si, là-bas ! Il descend la colline. Enfin je crois que c'est lui. Voyons.... Un mètre vingt, rabougri, bon pas, une canne, deux guenilles, trois cheveux... Oui, oui, c'est lui. N'a-t-il pas fière allure, ce jeune premier aux pantoufles rapiécées ? J'entends d'ici ses multiples potions s'entrechoquer dans sa besace plus grande que lui. Elle traîne à deux centimètres du sol et je m'étonne de la solidité des flacons sous les chocs répétés. Croyez-moi, Smyrgoll connait son métier. Il le connait à sa façon, certes, mais il le connait.

Il sifflote et poursuit gaiement sa route. Enfin gaiement... Tout est relatif. Mais s'il sifflote au lieu d'injurier, je crois que cela manifeste assez bien sa bonne humeur. Une ficelle autour de son cou tient un vieux chapeau, qui brinqueballe dans son dos, sans que cela ne semble le gêner. Le vent caresse son... heu... ses rides. Oui, il y en a tellement que je suis au regret d'affirmer que son visage disparait littéralement derrière. Mais ça non plus, ça ne le gêne pas tellement. Il a l'habitude. Un vieux débris comme lui, aussi susceptible qu'il soit, accepte facilement son grand âge.

- Potion de rajeunissement... Grrbrbrb... J't'en ficherai de la poudre de mouflon périmée... Retrouvez la jeunesse de vos vingt ans envolés... Sale petit escroc... J'te ferai manger ta moustache...

Bon... Disons qu'il n'accepte pas toujours la dure réalité de son âge très très avancé. Mais il faut le comprendre. Sa vie n'a jamais été facile et le temps n'a pas arrangé les choses. Smyrgoll se remet à siffloter, signe que tout n'est pas si grave. Ou alors c'est une feinte pour oublier sa mauvaise humeur ? Allez comprendre les Bobbits. Il descend la pente d'un pas alerte, sur ses jambes flageolantes, et file droit devant lui. Ses quatre cheveux - tiens, je n'en avais compté que trois tout à l'heure. Curieux. - ornent sa tête dans le vent, comme une couronne qui rappelle davantage une toile d'araignée que de véritables cheveux. Son corps maigre attire les mouches environnantes - la mauvaise odeur, à n'en pas douter. Son dernier bain remonte au mois dernier. Heu... Non, plutôt à l'année dernière. Enfin je ne sais plus...

- Beau matin et soleil gris, petit papillon deviendra chenille, chantonne-t-il. Heu.... Ou petite chenille deviendra papillon ? Gris matin et beau soleil ou... Bah...

Il secoue la main devant lui d'un air irrité, préférant abandonner là le massacre de ce vieux chant qu'il tient de son enfance. Soudain, à l'horizon, des silhouettes se découpent. Il y a des chevaux aussi. Sous les silhouettes j'entends. Des cavaliers en somme. La figure hideuse de Smyrgoll se fend d'un grand sourire. Son air réjoui fait plaisir à voir. Il se met à trottiner en remontant les lambeaux de ses frusques au-dessus de ses genoux calleux afin de faciliter sa course. Ses potions se heurtent les unes aux autres et le voilà qui continue sur sa lancée, en direction de ses futurs potentiels clients...

- Hé oh !! crie-t-il à tue-tête. Approchez ! Smyrgoll a quelque chose pour vous...

Le voyage était si long que j'en oubliais parfois d'où je venais et surtout, où je me rendais. La présence toute proche - trop proche - de messire Croque-en-Jambe et de ses talents de misère en matière d'art me désespéraient. Sa voix éraillée me brisaient les tympans tandis qu'il grattait les huit cordes de sa mandoline de malheur, et je n'en pouvais plus de l'entendre massacrer les chants victorieux que clamèrent jadis les nôtres. Mon cheval lui-même semblait totalement abattu par ce fastidieux compagnon que nous n'avions pas convié à nous rejoindre. Je me retournai vers celle qui partageait mon calvaire depuis que nous avions hérité de ce jovial fardeau, et nous échangeâmes un regard sombre, gardant le silence l'un comme l'autre. Nous amorçâmes une lente descente dans les vertes prairies qui nous entouraient, savourant la caresse du soleil naissant sur notre peau à travers les dernières rigueurs de l'hiver.

Soudain, une maigre silhouette se découpa devant nous, à une centaine de mètres plus loin. Elle trottinait d'un bon pas, mais je ne distinguais pas grand chose de l'étrange bonhomme. Sa voix, cependant, nous parvint rapidement et je tirai sur les rênes de ma monture jusqu'à ce qu'elle s'immobilise. J'étais méfiant par nature, et je ne comptais pas tomber dans n'importe quel piège. J'entendis son nom. Smyrgoll... Du moins supposai-je qu'il s'agissait du sien. Curieuse façon qu'il avait de s'exprimer, mais assurément, je n'avais encore rien vu de ce personnage atypique. Lorsqu'il fut suffisamment proche, Croque-en-Jambe cessa sa poétique tirade musicale qui ne ressemblait à rien d'autre qu'à une indescriptible cacophonie, et j'eus une grimace malgré moi. L'inconnu, petit et rabougri, avait une face hideuse. La peau sombre, tant de rides qu'on peinait à reconnaître l'humain qu'il avait dû être autrefois, Smyrgoll m'inquiétait autant qu'il m'intriguait à ce premier abord.

- Que pouvons-nous faire pour toi, vieillard ?

A dire la vérité, je ne savais pas si c'était nous qui pouvions faire quelque chose pour lui, ou l'inverse. Je jetai un oeil étonné à la jeune femme qui me suivait en dépit de son humeur maussade. Je savais que notre mission ne l'enchantait pas, et pour cause... Mais nous devions faire avec si nous voulions la récompense que l'on nous faisait miroiter. Et négligeable, elle ne l'était pas. Je reportai mon attention sur Smyrgoll, personnage inconnu dont je ne savais pas si je devais rire ou trembler.

- Tu dis que tu as quelque chose pour nous ?

J'hésitai à en rajouter. La prudence était de mise, si bien que j'estimais préférable d'attendre qu'il nous annonce la couleur avant de trop en dire. Je n'aimais guère les surprises, même si je ne disais jamais nom à une soirée bien arrosée agrémentée de quelques jeux ou paris destinés à délester un peu autrui de son argent...

C’était le pire voyage qu’elle avait fait jusqu’à présent. Si c’était possible, elle clouerait le bec à ce barde indésirable, qui lui martyrisait les oreilles avec ses chansons nasillardes… Comment pouvait-on jouer et chanter aussi mal ? Et niveau discrétion, tout était à revoir... Un véritable bouffon... Quelle faute avait-elle commise pour endurer ce supplice ? En tout cas, son deuxième compagnon de voyage était du même avis qu’elle vu le regard qu’il lui lança. Arzhel était d'humeur massacrante, du moins elle affichait un air peu engageant. Elle poussa un profond soupir alors que la musique continuait de retentir dans la campagne.

Leur route suivait la colline. Une mission lui avait été confié juste avant son départ pour rejoindre Feanaro, mission qui nécessitait de faire équipe avec d’autres gens de sa profession. Cela ne lui plaisait pas forcément mais la récompense valait quelques concessions. Voilà pourquoi elle se trouvait à suivre son compagnon de route, le tout en musique. D'ailleurs, ce dernier était plutôt... Séduisant... Comparé au barde, ce qui apportait un point positif à la chevauchée. En tout cas, sa mission ne contrecarrait pas ses plans puisqu'elle devait de toute manière se rendre à Tamawa.

Et voilà qu'une silhouette se profilait à l'horizon et les interpellait. Et quel bonheur... Ce silence bienfaisant après le vacarme qui les accompagnait depuis la ville. Bref, Arzhel observa, d'un air méfiant, le singulier personnage qui se présenta à eux. Il fallait avouer que son physique ne jouait pas en sa faveur, Arzhel ne pouvait déterminer l'âge de l'individu, ni son appartenance au genre humain. Il avait une peau tellement fripée qu'on le prenait pour un monstre sorti d'un livre de contes. Et puis il portait un drôle de nom... Smyrgoll... En tout cas, Maddox fut le premier à parler suivi de peu par la jeune femme.

« Serais-tu un marchand ambulant?... » demanda-t-elle d'une voix un peu lasse. Son visage restait fermé mais elle sourit légèrement.« Tu voyages seul? »

Une chance ! Une chance inespérée ! C'était du moins la première pensée qui traversa l'esprit quelque peu calculateur de notre ami Smyrgoll. Car devant lui, se dressaient de potentiels clients. Après tout, cela faisait bien près de trente jours qu'il n'avait pas croisé un humain - ni même un elfe ! - dans ces contrées. Le Bobbit, surtout après son réveil hivernal, avait cru mourir d'ennui... Non qu'il prisât particulièrement la compagnie de son prochain - si toutefois l'on pouvait assimiler Smyrgoll au genre humain - mais la solitude lui pesait rapidement et surtout, ce n'était pas cela qui nourrissait son homme ! Et Smyrgoll avait l'estomac vide. Il lui fallait vendre quelques potions.

Il alla donc droit à la rencontre de ces inconnus, aventuriers de grands chemins dont la silhouette des chevaux se découpait à la faveur du matin, tout là-bas, à l'horizon. Smyrgoll continua à trottiner gaiment, faisant preuve d'une vélocité étonnante pour quelqu'un de son âge et de son gabarit. Lorsqu'il arriva à la hauteur de ces curieux personnages, il s'empressa de considérer à qui il avait affaire : une jolie femme - voilà qui était fort intéressant, l'idée faisait déjà sourire d'un air vicieux notre ami - un homme de belle constitution, fort beau de surcroit (mais cela n'intéressait pas outre mesure le Bobbit, puisqu'il ne ressentait aucune attirance envers les mâles. Quoique... Tout était discutable car l'habit ne faisant pas le moine, il y avait fort à parier que Smyrgoll cachait encore de nombreux secrets.), et un autre homme, gringalet et élégant, qui transportait un instrument de musique.

- Par les trois yeux du grand Schlazamalkar !!! s'exclama-t-il, en admiration devant l'objet d'art. Quelle magnificence ! Sont-ce les dieux qui vous l'ont donc confiée ?

Il n'eut cependant pas à loisir d'entendre la réponse car au moment où il parla, l'homme - le mâle, le vrai - prit la parole également, bientôt imité par la ravissante femelle. Smyrgoll les écouta d'une oreille attentive, sans pour autant quitter du regard la mandoline que transportait le second mâle.

- Oulà oulà, mes seigneurs !! Point trop n'en faut pour m'avoir à votre botte !! Ne posez pas tant de questions d'un coup, vous risqueriez de vous noyer sous la vague de vos interrogations ! Je suis...

Il prit une profonde inspiration et s'inclina subitement, si bas qu'il parût embrasser la terre. Son nez frôlait l'herbe, ce qui le chatouilla. Néanmoins, il ne put se redresser immédiatement : un sinistre craquement venait de résonner et Smyrgoll eut une grimace de douleur.

- Nom d'une barrique vérolée de troll des marais... grommela-t-il en amenant ses mains contre ses reins.

Lentement, avec moultes précautions, il tenta de se redresser. Son dos, comme ses reins, avaient pris un coup de vieux ces derniers temps. Il devait bien reconnaître ne plus être aussi solide qu'auparavant.

- Pardonnez-moi, mais ma prime jeunesse semble m'avoir quitté pour de bon. Vous disiez ?

Un silence perplexe lui répondit mais bien vite, le Bobbit retrouva la mémoire et se dépêcha de reprendre. Il faillit s'incliner une nouvelle fois mais se reprit de justesse, épargnant ainsi ses vieux os.

- Je suis Smyrgoll ! Smyrgoll le Bobbit, potionneur de son état. J'ai ici grand nombre de potions qui vous raviront, pour des prix modestes. Leur efficacité est garantie. Vous ne regretterez pas de faire affaire avec moi.

Tout en parlant, il farfouilla dans son immense sac puis se mit à grommeler. Soudain, il s'arrêta et releva la tête. Il chercha des yeux la jeune femme, et son sourire s'accentua.

- Voyager seul ? Si je voyage seul ? Si vous trouvez la réponse à cette question, je vous offre la potion de votre choix. Mais si vous ne trouvez pas la bonne réponse, vous serez forcée et contrainte de m'acheter... au moins trois potions de votre choix !!

Il éclata d'un rire absolument ridicule et farfelu.

- Et ce n'est pas négociable ! s'empressa-t-il d'ajouter. Mais remettons-nous en route ! Je ne voudrais surtout pas vous ralentir ! Je vous suivrai donc dans votre périple, qui me semble bien harassant. Une chance que votre chemin ait croisé le mien... Si, si... L'esprit du grand Schlazamalkar est avec moi et veillera sur nous. Cela nous évitera de tomber dans des trous et de se faire attaquer par les branches d'arbre. Par ailleurs, j'ajoute que nous n'aurons pas à craindre des attaques d'asticots cornus, de ver poilus ou de mille-pattes feuillus. Je vous en donne ma parole.

Smyrgoll en avait oublié la magnifique mandoline et son propriétaire, barde de son état. Tout en étudiant le fond de son sac afin de trouver la potion qui ravirait ses clients, il invita le groupe à poursuivre sa route, bien décidé à les suivre, quoi que cela puisse lui coûter. Sans compter qu'il y avait une dame à séduire ici ! Une belle dame... Smyrgoll ne ferait qu'une bouchée de ses rivaux. Il y avait bien longtemps qu'il était seul. Trop longtemps. Et il y avait tant à faire sur ces terres, dans ce monde...

Si l'on m'avait dit un jour que mon chemin croiserait celui d'un bonhomme aussi farfelu que ce vieillard atypique, je n'en aurais sans doute pas cru un mot. Il était aussi bavard qu'énigmatique, ce qui m'inquiétait et m'intriguait tout à la fois. Je haussai les sourcils d'étonnement lorsqu'il s'invita de lui-même en notre compagnie et prit les devants pour poursuivre notre voyage. Pourtant, comme s'il avait eu le pouvoir de nous plier à sa volonté, nous nous remîmes en route sans protester. Il avait un parler pour le moins curieux, entre cette divinité inconnue du nom de Shlamarazk quelque chose qui revint plusieurs fois dans sa bouche, et ses jurons incompréhensibles. Quant à sa dernière réplique au sujet de créatures dont je n'avais jamais entendu parler, j'ignorais s'il fallait en rire ou en pleurer.

- Dis-moi donc, étrange petit gnome, comment t'es-tu retrouvé là ?

J'avais dans l'idée qu'il ne me répondrait pas de suite tant il semblait préoccupé par ses potions. Il avait mis Arzhel au défi de trouver la bonne réponse quant à savoir s'il voyageait seul ou non et j'avoue que je trouvais le problème épineux, la réponse étant trop évidente. Ou ce Smyrgoll était idiot, ou il était bien plus futé qu'il n'y paraissait et cachait bien son jeu. Le barbe, Croque-en-Jambe, profita de cet instant pour combler le silence de ses notes criardes. Je grinçai des dents en rentrant la tête dans les épaules, me retenant à grand peine de lui coller une baffe. Pour autant, la torture sonore se faisant insistante, je me retournai vivement vers l'inopportun :

- Si tu ne t'arrêtes pas immédiatement, je te promets bien des tourments qui te feront oublier jusqu'à ton nom ! aboyai-je furieusement.

- Ce n'est pas de ma faute si vous ne savez pas apprécier l'art dont le don me fut octroyé à ma naissance, répliqua Croque-en-Jambe d'un air hautain.

J'échangeai un regard sombre avec l'Assassine qui chevauchait à mes côtés. J'étais prêt à parier qu'elle mourrait d'envie de lui régler son compte autant que moi en cet instant. D'ailleurs, pourquoi nous encombrions-nous de ce personnage de malheur ? Il serait si simple de l'éliminer... Je tentai de focaliser mon attention sur la silhouette rabougrie de Smyrgoll, qui nous précédait d'un bon pas, chose étonnante considérant son âge. Au loin, la chaîne des montagnes se découpait dans la brume. Nous en approchions plus vite que je ne l'avais pensé. Trop concentré sur notre chevauchée, je ne pris pas garde au semblant de voix qui résonnait quelque part loin dans mon esprit, comme un appel au secours qui me laissait dans le doute : était-ce la réalité ou l'illusion ? Plutôt que de m'attarder sur le mystère, je m'intéressais davantage à ma ravissante compagne de voyage, lui décochant un sourire que j'espérais ravageur.

- Eh bien Arzhel ? Que réponds-tu à ce brave gnome des montagnes ? Penses-tu qu'il voyage seul ou non ?

Cet inconnu se montra plutôt bavard et amusant. Alors qu'il se présentait, un fin sourire étira les lèvres d'Arzhel, ce petit homme avait une singulière façon de se comporter et de parler. En tout cas, après avoir manqué se briser les reins dans une courbette plutôt comique, il répondit à la question de Maddox. Ainsi il se prénommait Smyrgoll, voilà un nom aux consonances étranges mais qui collait bien au personnage, du moins le peu qu'elle en voyait.

Arzhel attendait qu'il réponde à sa question or le vieillard décida d'en faire un défi. La jeune femme haussa un sourcil devant la tournure que prenait la conversation, ce petit énergumène voulait lui refiler des potions alors qu'elle n'en avait aucun besoin... Cela montrait qu'il avait de la suite dans les idées, retournant la situation à son profit. Arzhel considérait la réponse comme évidente, mais Smyrgoll ne lui laissa pas le temps de répondre car il décida de se joindre à eux, prenant la tête de l'expédition d'un pas alerte contrastant avec son âge. Et les trois cavaliers le suivirent docilement. Elle se demandait pourquoi ce potionneur ambulant tenait tant à les accompagner, mais ne put approfondir la question car le barde profita d'un instant de silence pour reprendre sa mélodie... pardon, sa cacophonie. Elle se raidit sur sa selle et tourna la tête quand Maddox haussa le ton. Ce dernier semblait à bout, et sur le point de régler le compte à ce compagnon encombrant.

Devant l'air hautain affiché par le musicien, elle ne put s'empêcher de faire un petit commentaire d'une voix glaciale.

« Les bonnes fées ont du se tromper de berceau... Ou alors elles ont été aveuglées par votre suffisance ou votre incompétence et se sont mélangées les pinceaux en vous octroyant ce don... Il vous reste un sacré chemin pour arriver ne serait-ce qu'à la cheville des vrais artistes... Et je vous conseille de vous taire si vous tenez à votre mandoline ou à votre vie... Mais si vous souhaitez poursuivre votre... musique... trouvez d'autres voyageurs et laissez nous poursuivre notre route tranquillement... C'est un conseil d'amie... »

Puis elle se détourna. Elle se sentait un peu mieux après avoir dit ses quatre vérités à ce barde de malheur. Quand son compagnon assassin lui adressa la parole, elle lui rendit son sourire. Elle voyait que Maddox jouait de son charme pour l'atteindre, ce qui accentua son sourire, certes il était bel homme mais elle préférait que leur relation resta du domaine professionnel.

« Et bien, à première vue, il voyage seul, n'est-ce pas Smyrgoll? dit-elle en se portant à hauteur de l'intéressé. Si tu avais eu des compagnons tu les aurais attendus avant de te remettre en marche. Mais qui dit que tu ne vas pas trouver une explication pour me prouver le contraire? »

Elle semblait d'humeur plus joyeuse, affichant un petit sourire espiègle. Elle avait occulté de son esprit le barde et sa musique, espérant qu'il finirait par s'en aller. Elle s'était penchée légèrement en direction de Smyrgoll attendant impatiemment la réponse du petit gnome des montagnes, comme l'avait surnommé Maddox, et qui continuait de cavaler forçant l'admiration d'Arzhel quant à ses capacités physiques.

La belle était futée. Smyrgoll n'en avait d'ailleurs jamais douté. Il se réjouissait d'entendre sa réponse car malin, il l'était aussi. Un roublard de première, que les longues et nombreuses années d'expérience avaient hissé dans les hauteurs vertigineuses de l'escroquerie. Le Bobbit trottinait toujours d'un pas gai, au milieu des trois chevaux qui progressaient tranquillement. Le vent les accompagnait en de longues plaintes d'une tristesse poignante et le soleil faisait de régulières percées dans les nuées d'un blanc laiteux. La chaleur n'était pas à proprement parler étouffante, mais elle était présente sous le souffle tiède du zéphyr montagneux. Smyrgoll ricana lorsqu'il entendit le barde Croque-en-Jambe rétorquer à la première tirade de l'Assassine, d'un ton offusqué :

- Dame, votre venin ne m'atteint pas le moins du monde, et je ne frémirai pas d'un poil sous les menaces que vous proférez à mon encontre ! Les dieux seuls savent entendre la beauté de mon art, car sa noblesse vous aveugle et vous rend idiots, tous autant que vous êtes ! Enfin je ne m'adresse point à vous, messire Smyrgoll. Vous êtes forcément d'ascendance divine pour entendre la beauté là où les simples mortels restent sourds !

- Sans doute, se moqua le Bobbit en redressant fièrement le menton.

Il prit l'air hautain et adressa une œillade sournoise à ses deux autres compagnons de route. Puis il sembla soudain revenir sur terre en se remémorant la réponse de la belle Arzhel à son défi. Voyageait-il seul ? Assurément, n'importe quel idiot verrait qu'il n'y avait nulle âme assez désespérée pour l'accompagner sur les routes de la destinée mais peut-être les apparences étaient-elles trompeuses... Le petit bonhomme, courbé par l'âge mais fermement agrippé à sa canne, fit un clin d'oeil malicieux et son sourire édenté s'étira :

- Ah, très cher gazelle d'or et de bronze, votre réponse m'émeut. Ou m'émut ?

Il se racla la gorge et secoua la main devant lui.

- Passons... Donc...

Il prit une profonde inspiration.

- Comme vous l'avez si bien compris, qu'est-ce qui m'empêcherait de vous prouver le contraire ? Mais à dire la vérité, quel besoin aurais-je de vous prouver le contraire si vous avez raison ? Hélas, belle enfant, ce n'est pas le cas. Je vais donc devoir révéler à vos yeux impatients la présence de mon précieux compagnon... BEEGLEAAAAAAAAARGH !!

Sur un ample mouvement très théâtral, Smyrgoll le Bobbit se redressa vivement en écartant les bras et un sinistre craquement vint ponctuer sa présentation. L'ami invisible dont le nom se termina sur un cri de douleur et de colère ne se manifesta pas pour autant. Bloqué par son faux mouvement, le Bobbit retint son souffle, les joues gonflées, et cligna des yeux sans rien ajouter.

- Excusez-moi... réussit-il à lâcher dans un souffle à peine audible. Petit souci de vieillesse... Cela m'arrive de plus en plus souvent...

Ayant dit, il tira précautionneusement sa besace et fouilla dedans. Il en sortit une première potion et la porta à hauteur de son regard globuleux.

- Faire pousser les cheveux... Non...

Il la reposa et en tira une autre, puis une autre, et une autre, jusqu'à trouver celle qui l'intéressait...

- Courir pendant une heure.... Danser sur les braises... Vomir des bulles.... Mais nom d'une carapace de limace bleue ambulante, où est-elle ? Aaaah.... Par les poils de Zalmachadorak, la voici. Annuler le dernier mouvement...

Et il s'empressa de boire le contenu pétillant et lumineux de la fiole. Aussitôt, un nouveau craquement emplit le silence et Smyrgoll se courba, reprenant sa position originale. Il renifla bruyamment, s'ébroua comme un chien, puis son regard alla d'un étranger à l'autre. Tous s'étaient arrêtés et le contemplaient à mi-chemin entre stupéfaction et irritation.

- Dame... Beegle est mon compagnon et ne vous apparaître que lorsque vous acceptez de croire en son existence. C'est un... un.... Voyons...

Il mit un doigt sur son menton et se mit à réfléchir à toute vitesse.

- Oui enfin... bref... c'est une bestiole capricieuse qui a la fâcheuse habitude de se tenir invisible. Je suis le seul à la voir. Et maintenant, parlons affaires. Nous disions donc... quatre potions si ma mémoire est bonne. Alors... Puis-je vous proposer celle-ci ?

Il sortit une des fioles restantes et la tendit gracieusement à la jeune femme, ses yeux rivés sur les longues jambes nues qui tombaient malheureusement à hauteur de son visage hideux.

- C'est pour rallonger encore vos jambes. Ou j'ai aussi celle-ci, qui gèle instantanément l'eau autour de vous. Ou bien encore celle-là, qui a la faculté magnifique de vous faire danser jusqu'au coucher du soleil ! Si vous préférez, il y a du plus classique avec l'apparition d'un bon feu pour vous réchauffer. Quoique par cette période de chaleur, je doute que vous en ayez besoin. Mais songez aux animaux sauvages qui rôdent la nuit ! Le feu pourrait les tenir à distance....

Il y avait encore bien des potions dans la besace du Bobbit mais il ne voulait pas faire perdre patience à la jeune demoiselle. Aussi préféra-t-il attendre ses premières réactions...

Arzhel était à l'évidence aussi agacée - encore que le terme était inadapté à ce que nous ressentions vraiment - que moi par les chants criards et insupportables de Croque-en-Jambes. Le discours qu'elle lui tint l'instant d'après me fit presque venir les larmes tant j'étais émue de la voir partager mon sentiment. Je me retins donc de lui sauter dessus. Nous aurions tout le temps pour ce genre d'ébats lorsque nous entrerions sur mon terrain de jeu : une bonne vieille taverne. Je devais encore mettre au point ma nouvelle stratégie de séduction mais avec un barde sans talent et un vieux rabougri dans les pattes, cela allait mettre du piment dans la partie. Mais je n'aimais pas les défis trop faciles. Alors vivre un challenge à ma hauteur me réjouissait plus que je n'aurais su le dire.

La voix d'Arzhel me tira de mes pensées et je jetai un oeil dans sa direction. A nouveau, je me sentis perdre pied en observant son appétissante silhouette et sa beauté froide. Elle avait un caractère bien à elle, mais celui d'un Assassin avant tout. Nous partagions au moins cela. Je l'entendis affirmer que notre ami Smyrgoll voyageait seul. Je furetai rapidement à droite et à gauche pour vérifier qu'aucun être bizarre susceptible de démentir son affirmation ne se trouvait dans les parages. Mais je ne vis rien ni personne. Aussi ma surprise fut-elle grande lorsque je l'entendis nier l'évidence : il prétendit être accompagné d'un certain Beegle, qui, bien entendu, ne nous apparaissait pas. Tout se passa très vite ensuite. Il nous débita ses potions et je n'en crus pas mes oreilles. D'où sortait ce vieillard escroc ?

- Dis donc, petit gnome des montagnes ! Tu nous prends pour des attrape-nigauds ou quoi ? Il n'y a pas plus de Beegle que de Shlamazark je ne sais pas trop quoi !

J'étais furieux qu'il oblige ainsi Arzhel à lui acheter ses fichues potions, qui ne m'inspiraient pas la moindre confiance. Bien sûr, j'étais conscient que si elles fonctionnaient réellement, certaines auraient pu avoir leur utilité. Mais tout le problème était là : fonctionnaient-elles correctement ?

- Et puis d'abord, qu'est-ce qui nous prouve que tu n'essaies pas de nous arnaquer ?

J'adressai un regard grave à Arzhel et levai les mains devant moi, rênes toujours en mains :

- Oui, je sais, ce ne sont pas mes affaires au final. Je te laisse gérer ça mais tâche de ne pas faire de bêtise...

Je ne voulais pas la traiter en enfant mais je m'inquiétais aussi bien pour elle que pour moi et mon avenir proche. Je n'aimais guère les mauvaises surprises. Soudain, une voix cria dans ma tête, si brève et si violent que j'en tressaillis. J'en étais encore à me demander si j'avais rêvé ou pas. Le coeur battant, j'attendis : en vain. Si la voix m'avait paru familière sur l'instant, je n'en étais plus tout à fait sûr à présent. Mais j'avais la conviction que quelque chose de grave se tramait dans les environs, quelque part dans les montagnes toutes proches. La chaîne se découpait nettement devant nous. Avant la tombée de la nuit, nous commencerions à gravir les pentes escarpées de ces géantes de pierre. Quant à savoir ce qui nous attendait, je n'en avais aucune idée mais je ne craignais pas de le découvrir à mes dépens.

- Allons, petit gnome des montagnes. Ne nous arrêtons pas. Arzhel peut bien choisir tes maudites potions tout en restant sur son cheval. La nuit tombe vite par ici et les températures aussi. Inutile de perdre du temps en d'inutiles discussions.

La jeune femme écouta à peine la réplique du barde. Ce qu'il pensait l'indifférait au plus haut point et tant qu'il restait silencieux, il n'y aurait pas de problème. Son attention était tournée vers Smyrgoll car il lui fournit une réponse inattendue. Du moins qui prêtait à suspicion. Elle sourit quand il resta bloqué, en dépit du sérieux de la situation, mais cela lui donna un premier aperçu des potions concoctées par ce petit bonhomme. Elles semblaient pour la plupart inutiles. Elle espérait qu'il aurait d'autres flacons plus intéressants.

Ainsi, il avait un ami invisible... Elle lança au vieillard un regard chargé de doute quand il déclara que ce Beegle était un invisible capricieux, n'apparaissant qu'aux yeux convaincus de son existence. Arzhel se demanda s'il ne la menait pas en bateau pour l'obliger à lui acheter des potions. Cela ne l'étonnerait pas venant d'un marchand ambulant. Et quand il mentionna le chiffre quatre elle faillit rigoler. Ah... le petit coquin. Elle allait répliquer quand la voix de Maddox s'immisça dans la conversation. Il semblait furieux des manigances du gnome des montagnes. Arzhel haussa un sourcil à son attention, comme pour lui signifier qu'elle n'avait pas besoin de son aide dans cette affaire. L'homme comprit le message puisqu'il la laissa retourner à ses négociations, cependant Arzhel le gratifia d'un regard plus froid suite à son conseil final.

« Eh bien Smyrgoll... Tout d'abord c'était trois potions. Ensuite, vu que votre ami Beegle est invisible, d'après vos dires, je considère que cela modifie les données et réduit le nombre à deux potions. »

Elle lui adressa un sourire angélique. Elle négociera d'arrache-pieds avec le vieillard, elle pouvait parfois se montrer dure en affaires.

« Si vous souhaitez absolument m'en donner trois, la troisième sera gratuite. Quel est votre prix? Et que me proposez-vous comme potions? »

Elle avait également l'intention de discuter le prix... Les voyageurs s'étaient arrêtés quelques secondes. Tout en marchandant, Arzhel repartit au pas, en direction des montagnes. Ces dernières n'étaient plus très loin, on commençait à les distinguer nettement. Maddox avait raison, les températures allaient chuter. D'ailleurs, le vent se faisait plus frais sur les jambes nues de la cavalière. D'après ses estimations, ils atteindraient les géants d'ici une heure ou deux.

Le regard de Smyrgoll le Bobbit étincela d'un éclat mystérieux et son sourire édenté s'accentua. Pourtant, sous ce masque sournois, l'énigmatique personnage dégageait une aura indescriptible qui brouillait habilement les pistes quant à ses origines véritables. Le silence qui enveloppa les quatre compagnons - cinq si l'on comptait le fameux Beegle - s'étira jusqu'à devenir pesant. Le vieillard considérait ses clients d'un air étrange et si quelqu'un avait pu lire dans ses pensées, nul doute qu'il y aurait vu l'ombre d'un plan, accompagné d'une phrase lourde de sens : que les choses sérieuses commencent... Smyrgoll frétillait d'impatience devant les jeux que lui amenait le destin. Ce faisant, il ne faisait pas grand cas du karma terriblement noir qui l'atteignait, de provenance inconnue. Quelque part dans les montagnes... Voilà tout ce qu'il aurait pu estimer. Mais la menace n'entama pas sa bonne humeur et il adressa un clin d'oeil goguenard à la ravissante demoiselle :

- Dame, peut-être vous ai-je menti au sujet de mon compagnon Beegle, mais peut-être pas de la façon dont vous l'entendez... Admettons que vous ayez raison et qu'il n'existe pas, je vous remets gratuitement une potion de votre choix. Mais si je vous prouve qu'il existe et que vous le reconnaissez de votre plein gré, vous vous engagez à m'acheter... trois potions ! Et pour une quatrième achetée, la cinquième vous est offerte. De votre choix naturellement...

Au même instant, les nuages masquèrent le soleil et l'ombre couvrit les terres enneigées qui embrassaient le pied des montagnes toutes proches. Smyrgoll ne s'en préoccupa guère, heureux qu'il était de se livrer à ce jeu où il se savait gagnant d'avance. Car comme tout Bobbit qui se respecte, celui-là ne dérogeait pas à la règle : il avait toujours un coup d'avance... Alors qu'ils poursuivaient tranquillement leur chemin, Smyrgoll jeta un oeil méfiant sur Maddox, qu'il savait être un fameux rival pour conquérir Arzhel. Quant au barde, peut-être pourrait-il lui servir en temps voulu. Le vieillard reporta son attention sur Arzhel, qui devait sans doute méditer quant à sa proposition. Il aurait été peu honorable de sa part de la refuser, surtout pour un Assassin comme elle.

- Dépêchez-vous de prendre une décision ou je me ferais des cheveux blancs avant de vous entendre relever le défi !

Notez qu'il arborait déjà fièrement quelques cheveux d'un blanc crayeux... Mais tout de même. Smyrgoll trottina joyeusement entre les chevaux progressant au pas, puis se frotta les mains d'un air réjoui. Soudain, un courant d'air particulier, comme si quelqu'un venait de passer en flèche, soulevant la neige sur ses pas. Le calme retomba et Smyrgoll se demanda si quelqu'un avait noté l'étrange phénomène. Un battement d'ailes, lourd, et le silence, de nouveau. Le Bobbit se racla discrètement la gorge en lançant un regard meurtrier autour du petit groupe. Si cet idiot de Beegle ne faisait pas plus attention, il allait flanquer par terre tous leurs beaux plans !

Je perçus sans grande peine les changements étranges qui s'opéraient sous le masque grincheux de ce vieillard aux allures de gnome rabougri. J'avais à présent la certitude que ses origines nous échappaient à tous mais pour autant, j'étais parfaitement incapable de le percer. Smyrgoll revint très vite sur son fameux marché, dont il modifia plus ou moins les termes. Il était plus malin qu'il ne voulait bien le laisser et croire et je commençais à croire qu'Arzhel n'aurait pas le dernier mot sur cette affaire. Cela risquait de la mettre de mauvaise humeur, plus encore que d'ordinaire, et même si cela la rendait plus désirable, je n'avais pas non plus envie de finir en dés de viande sur un feu de bois. Je savais que j'aurais pu l'affronter et la vaincre sans difficulté, mais j'aimais trop les femmes pour les sacrifier sans une excellente raison. Par ailleurs, Arzhel était mon défi actuel et je ne tenais pas à tout gâcher alors qu'elle était sur le point de me tomber dans les bras. Enfin presque... Mon plan n'en était qu'à son début mais cela n'était qu'une question de jours...

Je l'observai à la dérobée pendant que Smyrgoll la pressait de prendre une décision quant à leur petite affaire marchande. Cela m'arracha un sourire mais je m'abstins de tout commentaire. Inutile d'envenimer l'humeur de la belle, si je ne voulais pas qu'elle me claque la future porte de notre chambre au nez. D'aucun prétendraient que je suis trop sûr de moi, et ils auraient très probablement raison. Mais c'était dans ma nature d'agir et de penser ainsi. Je n'allais pas renoncer à trois décennies d'instinct mâle.

- Moi je vous parie une potion que Beegle est un tour de passe passe inventif et très malin de ta part, petit gnome des montagnes, lançai-je à l'adresse de Smyrgoll. A toi de me convaincre que j'ai tort et je t'achèterai aussi une potion. Dans le cas contraire, si je ne suis pas convaincue, c'est une potion gratuite pour moi. De mon choix bien sûr...

J'espérais le prendre à son propre jeu, sans trop savoir si j'allais y parvenir ou non. A moins que ce ne fût simplement l'envie de participer à leurs petits débats et de prendre part à la partie. Chaque coup semblait permis, et je ne comptais pas m'en priver. D'un geste adroit, je rapprochai mon cheval de celui d'Arzhel, effleurant sa cuisse de mon genou. A ce jour encore, je ne saurais dire si c'était volontaire ou non... Au loin, les montagnes grossissaient et un halo maléfique me parvenait, effrayant et fascinant à la fois. Nous nous engagions sur le sentier de la guerre, au contact même du plus terrible danger que l'on pouvait imaginer. Et pourtant, cette perspective me réjouissait.

Smyrgoll prit son temps pour répondre à Arzhel, et les impressions se dégageant du petit homme semblaient bien trop machiavéliques au goût de la jeune femme. Cela lui donnait presque une autre dimension. Elle se demandait s'il ne lui préparait pas un coup fourré, mais elle n'hésita pas à le suivre sur son terrain de jeu. D'ailleurs, lui aussi modifia en partie les termes de leur marchandage. Arzhel resta songeuse quelques instants, le sourire aux lèvres. Sourire qui se transforma en rire, quand Smyrgoll la pressa de donner sa réponse. Ce dernier était un petit comique, cela occultait le côté barbant de ce voyage, c'est-à-dire le barde et sa musique grinçante, et ramena un peu de bonne humeur dans l'atmosphère. De plus, Maddox se joignit à eux pour le pari, misant une potion pour l'une ou l'autre des possibilités.

Arzhel se tourna vers l'assassin. Se sentait-il un peu à l'écart?... Elle lui adressa un petit sourire avant de se tourner vers le petit homme qui cherchait encore à marchander.

« Eh bien, Smyrgoll... Pourquoi autant d'empressement? Est-ce pour me prouver le plus rapidement possible l'existence de votre ami Beegle? demanda-t-elle avec un grand sourire. En tout cas, je relève votre défi : une potion gratuite s'il n'existe pas ou dans le cas contraire l'achat de trois potions de mon choix. »

Tout en lui donnant son accord, Arzhel se demandait comment il allait s'y prendre pour lui prouver la présence et l'existence de cet être invisible. Elle s'attendait à tout de la part de ce vieillard farfelu. Tandis qu'ils poursuivaient leur chemin, Arzhel sentit la présence de Maddox quand il lui frola la jambe. D'ailleurs, Beren en profita pour se rapprocher de la jument, coinçant plus fortement la jambe de sa cavalière contre celle de son compagnon de route. Cependant, Arzhel, d'un geste adroit, écarta Beren pour reprendre une distance convenable par rapport au bel homme d'à côté. Elle lui lança un regard en coin, sous-entendant qu'il avait fait exprès de rapprocher les deux chevaux. Dans le calme environnant de la campagne, elle crut percevoir un drôle de bruit mais en écoutant plus attentivement elle fit accueillie par le silence.

« Et bien, Smyrgoll, j'attends la preuve de l'existence de votre ami... Sinon, je propose un petit arrêt avant de s'aventurer dans la montagne, le temps que les chevaux se reposent un peu... »

Et le humains aussi par la même occasion...

Le temps passe et jamais ne s'arrête.

Le changement de saison s'annonce et bientôt, les feuilles aux couleurs d'or remplaceront la verdure des champs, le chant joyeux des oiseaux cédera sa place au silence et le monde s'endormira petit à petit. Dans ce décor en mouvement, il est temps de s'éclipser, de laisser la nature reprendre ses droits et le cours des choses se faire.

Désengagés : Smyrgoll, Arzhel, Maddox.

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