[152 - DP] Près de l'eau, loin de la guerre (PV Iréa)[fini]

Le crépuscule était presque tombé sur Erathia et deux jeunes femmes marchaient en direction du fleuve d'un pas à la fois alourdi par la fatigue d'un entrainement long et intensif, mais aussi léger grâce à la récompense qui les attendait toutes deux dans l'eau fraiche du cours d'eau. Elyncia ne rêvait que du moment où elle allait pouvoir plonger son corps pour se rafraichir et se débarrasser de cette odeur de transpiration infecte. Et Iréa semblait elle aussi toute enjouée, comme ce fut le cas alors qu'elle lui avait fait cette proposition.
Durant, leur marche, elles discutèrent de tout et de rien, ce qui était d'ailleurs très bizarre pour Elyncia qui n'avait pas l'habitude de se dévoiler autant à une inconnue. Sa timidité naturelle aurait normalement dû la rendre moins loquace et pourtant, c'est comme si elle pouvait s'en dégager à cause de ce qu'elles avaient vécu il y a un an de cela. C'était peut-être prétentieux de sa part, mais elle pensait que le combat qu'elles avaient mené côte à côte leur avait permis de se connaitre au-delà des mots et que par ses actes, Iréa était devenue en quelque sorte une amie plus qu'une simple connaissance. Enfin c'était sans doute dû au fait qu'elle avait pu venger son frère grâce à elle.

Une fois arrivées au cours d'eau, Elyncia retira ses chaussons de cuir avant d’y tremper ses pieds. La fraicheur du fleuve lui fit afficher un sourire de bonheur et un frisson de plaisir parcourut son corps qui ne tarderait plus à céder à l'appel de l'eau. D'ailleurs l'endroit qu'elles avaient trouvé était parfait. Elles allaient pouvoir se baigner à l'abri des regards indiscrets, quelques rochers cachant la vue sur cette partie du fleuve. Aucun voyeur ne pourra en profiter. Ça aurait été bête qu’un pervers les aient suivit jusque-là et c’est pourquoi Elyncia lança quelques regards à droite et à gauche pour s’assurer qu’Iréa était la seule personne présente ici avec elle.
Apparemment, c’était le cas. Elyncia n’hésita alors pas une seconde et hotta ses vêtement en commençant pas sa chemise en tissu, révélant ses frêles épaules et son tatouage, ainsi que quelque cicatrice, la plus voyante était celle qu’elle avait en dessous de l’épaule gauche, obtenu lors de la bataille contre les erathiens. Après l’avoir massé, elle ôta le reste de ses vêtements avant de plonger dans le fleuve, se mouillant la nuque juste avant.
Une fois la tête hors de l’eau, elle écarta ses cheveux de son visage, jetant un coup d’œil vers Iréa avant de se retourner dos à elle en rougissant. Le templière était en train de se déshabiller et même si Elyncia était fidèle à sa Gabrielle, elle avait encore des yeux et la notion de beauté. Et Iréa était plutôt jolie.
Elle ne devait pas se douter de l’attirance qu’avait Elyncia pour les femmes mais elle finirait sans doute par s’en rendre compte maintenant que la lancière la considérait autrement que comme une partenaire au combat ou à l’entrainement. Ce n’était plus la militaire qui agissait mais la femme. Elyncia espérait pouvoir aller au-delà de sa gêne et elle comptait sur Iréa pour l’y aider.

Le trajet jusqu’au fleuve se déroula sans encombre, en discutant de tout et de rien avec Elyncia, et elles trouvèrent sans trop de mal un endroit parfait pour leur baignade. Après avoir vérifié qu’elles étaient seules et trempé un pied dans l’eau pour en tester la température, la Cydienne se défit de ses vêtements et plongea sans plus attendre. Iréa eut tout de même le temps d’apercevoir le tatouage sur son épaule, et surtout les cicatrices qui marquaient son corps en plusieurs endroits.

*Je ne suis pas beaucoup mieux, songea-t-elle en se déshabillant à son tour.*

Ce n’était pas tout à fait exact ; en tant que Templière, elle combattait tout de même moins qu’Elyncia qui était soldate de métier et elle avait été moins souvent blessée. A vrai dire, quasiment toutes les marques que portait son corps dataient de l’année 150, l’année de la guerre contre Azael. L’Almer trempa ses mains dans l’eau fraîche, se frictionna la nuque et la poitrine, et se glissa tout entière dans l’eau. C’était un peu froid sur le coup, mais c’était délicieux !
Sa compagne se retourna après l’avoir entendue s’immerger mais Iréa s’accorda encore de plonger la tête sous l’eau avant de reprendre leur discussion. Elle adorait ça, sentir l’eau tout autour d’elle. Là d’où elle venait, l’eau était une denrée rare et précieuse qu’il fallait économiser et préserver. Les bains étaient un luxe que même ses parents ne s’accordaient pas souvent. Quant à la baignade dans le Riel ou les oasis, ils estimaient que ce n’était pas pour leur fille, même si Nélia l’y avaient emmenée quelques fois. Iréa avait appris nager seulement après avoir intégré le Temple, et elle avait su nager sous l’eau avant de savoir nager à la surface.
La Templière ressortit dégoulinante et elle chassa d’une main ses cheveux qui, collés à son visage, lui masquaient la vue.

« Ça fait un bien fou, sourit-elle à Elyncia. »

La lancière lui sourit timidement et une fois de plus, Iréa fut surprise de voir à quel point le combat la transformait. Elle était autant dure et forte sur un champ de bataille qu’elle était douce et gentille depuis qu’elles avaient quitté la salle d’entraînement. Et cela ramenait l’Almer à la question qu’elle avait envie de poser tout en hésitant à le faire. Elle avait un peu peur de ramener sur elles l’ombre de la guerre qui les avait jusque là laissées en paix. Mais son regard accrocha à nouveau une cicatrice sur l’épaule d’Elyncia et elle se décida.

« Pourquoi combats-tu, Elyncia? Tu aurais pu reprendre l’auberge de ta mère ou choisir un autre travail, te trouver un mari. Pourquoi avoir choisi de devenir soldat ? »

Il n’y avait aucun reproche dans la voix de la Templière – cela aurait été bien hypocrite de sa part ! Seulement de la curiosité, l’envie de savoir, de la comprendre.

Apparemment, la lancière n'était pas la seule à trouver ce moment fort agréable. Iréa avait plongé elle aussi dans l'eau avant d'en ressortir en lui souriant. Elle lui retourna un sourire timide avant de remarquer que la templière semblait quelque peu perplexe avant de regarder son épaule. La raison lui arriva bien vite car elle lui demanda :

- Pourquoi combats-tu, Elyncia? Tu aurais pu reprendre l’auberge de ta mère ou choisir un autre travail, te trouver un mari. Pourquoi avoir choisi de devenir soldat ?

La cydienne fut légèrement surprise par cette question d'autant plus qu'elle portait l'unique marque de la curiosité. Elyncia sentait dans sa voix l'étonnement qu'elle connaissait bien dans la bouche de ceux qui apprenaient à la connaitre et qui découvrait quel était son métier. Seulement cette fois, c'était un peu différent car Iréa savait déjà de quoi elle était capable sur un champ de bataille. Toujours avec un petit sourire, elle se laissa flotter sur le dos, le regard tourné vers le ciel, cherchant les premières étoiles avant de lui répondre.

- Quand j'étais petite, mon père m'emmenait souvent avec lui. Il était le Capitaine de tout un bataillon et il se chargeait de l'entrainement de ses officiers l'après midi quand ils n'avaient rien à faire. Du coup j'assistais aux entrainement et en les voyant manier une lance, j'ai su tout de suite que ça me plairait. Puis j'ai commencé mon entrainement avec mon père et peu à peu, le désir de devenir militaire me prenait.
Je voulais protéger les personnes que j'aime et je voulais aussi devenir un bonne Capitaine comme mon père.

Elle se redressa, adressant un nouveau sourire à Iréa. Elle se demandait comment étais la vie de Templier. A cause de Lymion, Cydonia n'avait pas vraiment eu de contact sympathique envers les Templiers. Encore une des choses qui peinait Elyncia qui ne les avait jamais vu comme des ennemis. C'est aussi pour cette raison que la lancière voudrait gravir les échelon de la hiérarchie. Elle voulait désormais avoir une influence sur la politique militaire de Cydonia.

- Et puis tenir une auberge, c'est pas mon genre. Je suis pas très doué pour gérer quelque chose. Je suis tellement tête en l'air. Quant à un mari... disons que j'ai quelqu'un dans mon coeur mais ça ne fait qu'un an qu'on est ensemble. Et puis c'est pas vraiment une relation... normale... disons que... je n'ai pas les mêmes préférences que les filles en générale... enfin tu vois ce que je veux dire ?

Elyncia était rouge comme une tomate. Elle hésitait franchement à lui dire directement qu'elle était lesbienne, non seulement parce que l'almer aurait pu croire qu'elle ne restait avec elle que parce qu'elle lui plaisait mais surtout parce qu'elles étaient nues toutes deux.
Elyncia n'avait pourtant aucune arrières pensées mais Iréa pouvait très bien s'offusquer. Elle ne tarderait pas à le comprendre de toute façon et Elyncia avait peur de sa réaction.

Elyncia se laissa flotter sur le dos et dériver légèrement à cause du faible courant avant de lui expliquer d’où lui était venue sa passion pour la lance et l’envie de devenir militaire. Elle avait grandi entourée de soldats. La jeune fille reprit une position verticale et lui sourit ; Iréa perçut sa curiosité à son égard avant qu’elle ne poursuive :

« Et puis tenir une auberge, c'est pas mon genre. Je suis pas très doué pour gérer quelque chose. Je suis tellement tête en l'air. Quant à un mari... disons que j'ai quelqu'un dans mon coeur mais ça ne fait qu'un an qu'on est ensemble. Et puis c'est pas vraiment une relation... normale... disons que... je n'ai pas les mêmes préférences que les filles en générale... enfin tu vois ce que je veux dire ? »

Sur la fin de sa tirade, la lancière vira à l’écarlate et il émanait d’elle un mélange de gêne et de peur.
« Pas vraiment une relation normale », « pas les mêmes préférences que les filles en général »…
Oui, la Templière voyait ce qu’elle voulait dire ! Ce genre de relation était assez courant à Ptot Tàh, puisqu’après tout, le prédécesseur de Tutnési lui-même était homosexuel.
Cela ne la dérangeait pas, mais Elyncia était visiblement embarrassée par la situation et elle la comprenait. Elle avait proposé la baignade dans le fleuve sans y penser, Iréa en était persuadée – si elle avait voulu profiter de la situation, pourquoi s’être tournée lorsque sa compagne s’était glissée dans l’eau ? – mais la conversation avait pris un tour inattendu et elle se sentait coincée.
A l’Almer maintenant de trouver les mots justes pour la rassurer. Comme quoi, l’art de la diplomatie enseigné au Temple était toujours utile !

« Je vois ce que tu veux dire, oui, fit-elle avec un léger sourire. J’ai l’habitude, tu sais, continua-t-elle en haussant les épaules. A Ptot Tàh, c’est plutôt courant puisque même un P’yra a eu une relation avec un homme, et à Tamawa, qui est une cité assez libre, ce n’est pas rare non plus. »

Iréa perçut nettement le soulagement de son amie et, espérant la mettre un peu plus à l’aise, reprit le sujet précédent sans qu’elle lui ait rien demandé.

« Tu sais…Quand on rentre au Temple, on le fait rarement parce qu’on veut se battre pour quelque chose. On le fait avant tout pour…comprendre ce qui nous arrive et…reprendre le contrôle. »

La Templière évoquait rarement cette période de sa vie, surtout avec quelqu’un qui n’était pas Sensible. Pour elle, c’étaient de mauvais souvenirs ; pendant des mois, tout avait semblé se détraquer et s’effondrer sous ses pieds. Jusqu’à ce que maître Wellan vienne la sortir de là.

« Après, ça dépend de chacun. Entrer au Temple veut souvent dire vivre loin de sa famille et les élèves arrivent assez jeunes, ce n’est pas facile pour tout le monde. En ce qui me concerne, je suis reconnaissante aux Templiers de m’avoir aidée à devenir ce que je suis. Ensuite, j’ai choisi de combattre parce que c’était la voie qui semblait me convenir le mieux ; c’était pour ça que je semblais le plus douée. Mais, ça n’a pas le même sens que pour toi, je suppose, continua-t-elle en jetant un regard à Elyncia. Nous ne sommes pas souvent sur le champ de bataille, seulement lorsqu’il est impossible de faire autrement. Nous préférons la voie de la diplomatie à celle des armes…Et ça aussi, c’est tout un art. Mais c’est utile tous les jours, de savoir trouver les mots justes, même si ce n’est pas toujours simple. Pouvoir ressentir les émotions des autres est un atout indéniable pour ça...ajouta doucement la jeune femme après un instant de silence.»

La templière l'avait comprise et s'était empressée de la rassurer un peu. Elle apprit à la lancière que l'homosexualité était une chose plutôt courante à Ptot-Tàh ainsi qu'à Tamawa, et qu'elle avait l'habitude d'une telle chose. La cydienne se détendit alors, soupirant de soulagement. Elle avait toujours peur de la réaction des autres quand elle annonçait qu'elle avait une relation avec une autre femme. Elyncia avait essayé à tout prix et vainement de cacher l'amour qu'elle portait à Gabrielle à ses proches ou du moins à sa mère. Savoir qu'Iréa ne réagirai pas négativement lui enlevait une sacrée épine du pied.
D'ailleurs, elle continua sur cette lancée, lui racontant un peu sa vie au Temple et de la raison qui l'y avait amenée comme beaucoup d'autres apprentis. Puis elle lui raconta comment et pourquoi elle avait choisi d'être combattante. Elyncia ne s'était pas trompée sur ses impression. Iréa semblait être d'une infini douceur et elle comprenait parfaitement la place que la diplomatie habitait dans son coeur. Après tout, elle partageait la même vision des choses, mais si l'almer ne semblait pas l'avoir compris ainsi. Elle tenta alors de s'expliquer une fois qu'elle eut fini :

- Tu sais, si je peux éviter de m'engager dans un combat, je le fais. Si je me bats, c'est uniquement pour défendre des valeurs, et défendre ceux que j'aime. Du moins, c'était comme ça au début. Maintenant que je suis lieutenant, je me bat de moins en moins.... sauf contre la paperasse, dit-elle en riant. Enfin peut-être qu'en montant dans la hiérarchie je serais capable de prendre des décisions importantes pour Cydonia en cas de conflits. La vie des hommes est bien trop précieuse pour qu'on la gâche avec des combats sans importance.

Elle ne put s'empêcher de repenser à Niyam et ses compagnons d'arme disparut dans l'embuscade dans la forêt. Autant, elle ne les connaissait que très peu, mais leurs morts avaient été un déchirement pour la lancière, d'autant plus que Niyam était le fils de son capitaine. Elle se souvenait parfaitement du mal qu'elle avait eu à lui dire ce qu'il s'était passé cette nuit-là et que seule la malchance avait été responsable de sa mort.
Elle eut aussi une pensé pour son frère qui était mort durant la bataille. Elle se souvint alors qu'elle n'avait pu tuer son meurtrier que grâce à l'aide de la Templière.

- Au fait... j'ai oublié de te remercier pour le jour de la bataille. C'est uniquement grâce à toi si j'ai pu tuer l'Erathiens qui avait tué mon frère. Je, je...

Elle ne put finir sa phrase que l'image de la tête de Guy roulant sur le sol lui arracha un sanglot douloureux, rouvrant les plaies de son coeur. Ca faisait un an déjà et elle n'avait pas encore pu faire son deuil complètement. Ses petites mains couvrirent son visage tendit qu'elle pleurait devant l'almer avant de s'excuser. Mais elle n'arrivait pas à s'arrêter de pleurer.

« Tu sais, si je peux éviter de m'engager dans un combat, je le fais. Si je me bats, c'est uniquement pour défendre des valeurs, et défendre ceux que j'aime. Du moins, c'était comme ça au début. Maintenant que je suis lieutenant, je me bat de moins en moins.... sauf contre la paperasse. Enfin peut-être qu'en montant dans la hiérarchie je serais capable de prendre des décisions importantes pour Cydonia en cas de conflits. La vie des hommes est bien trop précieuse pour qu'on la gâche avec des combats sans importance.

-Ah…Ce n’est pas ce que je voulais dire. Simplement, tu dois être confrontée au combat plus souvent que moi. »

La remarque sur la paperasse fit sourire Iréa. Elle-même n’y était pas trop confrontée mais il n’était pas rare d’entendre un maître s’en plaindre. Serait-elle dans le même cas lorsqu’elle aurait un élève à son tour ? Elle n’avait pas reparlé de cela avec maître Jiven depuis la fameuse nuit où elle avait découvert ses nouveaux dons, mais elle sentait qu’il n’avait pas oublié. Le jour où elle recevrait le rang de maître n’était sans doute pas si lointain. Ses pensées étaient sur le point de dériver lorsque la Templière fut ramenée à la réalité par la tristesse qui enflait dans le cœur d’Elyncia.

« Au fait... j'ai oublié de te remercier pour le jour de la bataille. C'est uniquement grâce à toi si j'ai pu tuer l'Erathien qui avait tué mon frère. Je, je... »

La lancière fondit en larmes en s’excusant entre deux sanglots.
Ces deux phrases ramenèrent l’Almer un an en arrière. Un jeune Erathien aux cheveux blancs avance sur le champ de bataille, faisant rouler au sol les têtes azthiennes. Il la charge, elle, alors qu’elle fait son possible pour couvrir Thémis qui rapatrie le blessé vers l’arrière. Et Elyncia, pleine de rage et de tristesse, se jette entre eux.
Ainsi, c’était son frère qui était mort sous sa lame. Iréa comprenait mal quel lien avait pu les unir, elle qui n’avait ni frère ni sœur mais elle connaissait la douleur de perdre ceux à qui l’on tient.

« Je ne pouvais quand même pas le laisser nous tuer sans rien faire, fit-elle un peu amusée. Mais tu ne me dois rien, continua-t-elle plus sérieusement. Toi, tu t’es jetée entre nous quand il m’a chargée. »

Il y eut un instant de silence, entrecoupé par les pleurs de la jeune fille. La Templière cherchait désespérément quelque chose à lui dire. Elle avait bien réussi à sortir un peu Aerin de son apathie ! A adoucir la si acerbe Jillian ! Pour commencer, elle respira profondément et éloigna les pensées parasites, de sorte à dégager une paix qui, par le biais de l’Esprit, atteindrait Elyncia, à moins qu’elle ne fut trop enfoncée dans sa tristesse.

« Elyncia…Ce jour-là, à Erathia…Je ne sais pas si ça t’est arrivé à toi aussi mais je sais que je ne suis pas la seule à qui c’est arrivé. Je…Quand les Erathiens ont disparu, j’ai vu…une personne décédée…un…fantôme. Le fantôme de quelqu’un que j’aimais. Je lui ai parlé. Tu sais, les gens ne changent pas dans la mort. Alors, je suis sûre que ton frère…de là où il est…ne veut pas te voir dans cet état. Mais, je comprends. Ce n’est pas facile…d’accepter. »

Elle espérait que ses paroles aideraient la lancière. Bien sûr, elle pouvait toujours lui injecter un peu de sérénité, mais ce ne serait que temporaire.

Iréa essayait de la rassurer comme elle pouvait. Elyncia lui avait sauvé la vie, mais ce n'était pas cette raison qui l'avait poussé à le faire. Elle n'avait interrompu l'Erathien uniquement dans un désir de vengeance. C'est pourquoi elle se sentait si honteuse. Mais finalement, si son frère n'avait pas succombé, Elyncia était convaincu qu'elle aurait agis de la même manière.

- Elyncia…Ce jour-là, à Erathia…Je ne sais pas si ça t’est arrivé à toi aussi mais je sais que je ne suis pas la seule à qui c’est arrivé. Je…Quand les Erathiens ont disparu, j’ai vu…une personne décédée…un…fantôme. Le fantôme de quelqu’un que j’aimais. Je lui ai parlé. Tu sais, les gens ne changent pas dans la mort. Alors, je suis sûre que ton frère…de là où il est…ne veut pas te voir dans cet état. Mais, je comprends. Ce n’est pas facile…d’accepter.

Elyncia n'avait pas eu la chance de voir un de ses proches disparus à ce moment-là. Adrëan lui avait déjà parlé de ça. Il avait pu voir la mère biologique de Kashya. Il ne lui avait pas raconté toute l'histoire dans les détails, ni la raison pour laquelle cette personne était venue le voir alors qu'ils ne se connaissaient pas du tout. La lancière, elle, s'était évanouie à la fin de la bataille. Elle n'avait pu qu'apercevoir les lueurs dans le ciel ainsi que la disparition soudaine des erathiens.
Elle n'avait donc pas eu la chance de voir qui que ce soit et au final, c'était peut-être mieux ainsi. Elle n'aurait sans doute pas supporter de revoir son frère une dernière fois en sachant que ce n'était que pour quelques minutes. Elle aurait trouvé ça extrêmement cruel tandis que d'autres verraient ça comme un cadeau des Dieux.
En réalité, ce n'était pas tant la présence de son frère qui lui manquait. Certes Guy avait toujours été proche de la petite Elyncia, mais elle était déjà habituée à ne plus le voir quand il a pris la décision de devenir mercenaire. Quelques années s'étaient écoulé alors, sans qu'ils ne puissent se voir. En fait, ce qui l'attristait, c'était cette brève réapparition dans son quotidien avant qu'on ne lui arrache. Et comme le disait Iréa, l'accepter était difficile. Elle savait qu'il ne reviendrait pas d'entre les morts mais pourtant, chaque matin en se réveillant, elle le cherchait des yeux avec l'espoir de le voir surgir de nul part. Sa seule consolation, c'était les paroles de la templière qui disait que les morts ne changeaient pas. Rien que cette idée lui desserrait son noeud à l'estomac et avec son bras, elle sécha ses larmes avec un sourire pour l'almer.

Iréa semblait aussi avoir souffert de la disparition de quelqu'un d'important pour elle. Elle décida de ne pas continuer sur ce sujet pour éviter de rouvrir une blessure profonde même si la curiosité la démangeait un peu. Et puis elle ne voulait pas entrainer cette discussion dans des aspects morbides. Aussi, elle essaya de trouver une autre sujet. Pourquoi pas l'entrainement ? Après tout, il y avait surement une raison à sa présence pour ce cours.

- Dis-moi... qu'est-ce qui t'a poussé à suivre une entrainement pour le combat à mains nues ? Comme moi, tu n'as pas vraiment un carrure imposante du coup je me demande comment t'ait venue cette idée.
Moi c'est à cause d'un pari stupide. J'étais ivre et un ami m'a lancé le défis de le battre sans arme. Le problème, c'est que si je perds contre lui, ce qui est totalement improbable maintenant, je devrai ma marier avec lui... il faut vraiment que j'arrête de boire au bout du quatrième verre... ça me réussit pas.

Iréa fut heureuse de voir les larmes d’Elyncia se tarir doucement. Elle essuya les dernières avec son bras et lui renvoya un faible sourire. Elle sentit la tristesse de la Cydienne refluer et elle-même respira un peu mieux.
La dernière phrase de la lancière tira un petit rire à Iréa. Elle comprenait assez ce que sa compagne voulait dire : de par sa petite taille et sa corpulence, elle tenait moyennement bien l’alcool. Cela dit, elle avait toujours su s’arrêter avant l’ivresse. Mais faire dans l’extrême ne lui ressemblait pas, elle qui était une adepte du compromis.
Parier avec un ami de l’épouser s’il parvenait à la vaincre à mains nues alors que l’on n’avait pas de notions en matière de combat sans arme, c’était une raison plutôt inhabituelle de s’inscrire à un cours ! La Templière ne pouvait pas rivaliser avec ça, mais elle livra quand même à Elyncia les motivations qui l’avaient poussée à rejoindre Erathia aujourd’hui pour suivre l’enseignement de Miki.

« D’abord, je m’intéresse beaucoup aux Jinmens depuis que l’on a appris leur existence. A la bibliothèque du Temple, je rafle tous les livres que je peux trouver sur eux. J’ai commencé à apprendre leur langue, aussi, enfin j’essaye. Ce n’est pas évident mais je suis plutôt douée en langues, alors je me suis dit que j’avais des chances d’y arriver. Donc quand j’ai vu les affiches qui proposaient d’apprendre un art jinmen, je me suis dit que c’était une occasion en or. Quant à savoir pourquoi j’ai choisi le combat à mains nues…Pas très longtemps avant la bataille d’Erathia, j’ai été envoyée en mission d’infiltration. Je ne savais pas me battre sans mon épée et même si l’invocation n’est pas réservée aux Templiers, en voyant quelqu’un sortir une arme runique, les gens pensent tout de suite au Temple. Alors quand tu es censée taire ton métier le plus longtemps possible, c’est un peu embêtant. Le premier danger venu peut ruiner ta couverture. Et puis ça permet de se défendre dans n’importe quelle situation, même si on n’a pas d’arme sous la main. »

Le vent se leva et la jeune Almer frissonna, serrant ses bras autour d’elle ; l’air commençait à fraîchir.

« On sort ? Je commence à avoir froid, et puis il va nous falloir encore un peu de temps pour nous sécher… »

Comme Elyncia acquiesçait, elle se hissa rapidement hors de l’eau et s’emballa dans une grande pièce de tissu épais. Le ciel s’assombrissait mais il était dégagé et l’on pouvait déjà distinguer la lune, presque pleine, ce que la lancière lui fit remarquer.

« Quand j’étais petite et que je n’arrivais pas à dormir, commença-t-elle avec une pointe de nostalgie dans la voix dès qu’elle eut réussi à empêcher ses dents de claquer, exceptionnellement, ma mère ouvrait les rideaux pour que je voie la lune. Au-dessus des dunes, elle a l’air énorme. Tout allait toujours mieux quand la lune était là. Il ne faut pas grand-chose pour être réconforté quand on est enfant, ajouta-t-elle avec un sourire qu’Elyncia ne vit probablement pas mais entendit peut-être dans sa voix. »

Elyncia comprenait bien ce que voulais dire Iréa. Les missions d'infiltration étaient toujours délicates et il ne fallait qu'un tout petit rien vienne à dévoiler votre véritable identité pour que vous passiez de vie à trépas, et en ce qui concernait la templière, il était vrai qu'un sabre runique dégainé ne ferai aucun doute sur son appartenance.

- Et puis ça permet de se défendre dans n’importe quelle situation, même si on n’a pas d’arme sous la main.

Elyncia compris encore une fois cette position. Avant elle ne combattait qu'avec sa lance, mais elle avait toujours eu peur d'être désarmée et c'était l'une des raisons qui l'avait conforté dans son choix de faire forger des couteaux de lancer. Maintenant, elle avait une nouvelle option de combat vraiment séduisante. Dans sa tête, elle commençait déjà à imaginer les synergies possible avec le combat à la lance qu'elle avait déjà rendu quelque peu acrobatique grâce à son agilité naturelle. Rien que d'y penser fit apparaitre un large sourire sur ses lèvres. Elle avait vraiment envie de rentrer à Cydonia et tester tout ça sur ses nouvelles recrues.
Pendant qu'elles parlaient, une petite brise s'était levée, les faisant frissonner toutes deux. L'almer lui proposa alors de sortir. Elyncia acquiesça dans un hochement de tête avant de se retourner, le temps qu'Iréa s'enroule dans une serviette. Une fois que ce fut fait, Elyncia se rendit sur la berge, fouillant dans son sac pour sortir la sienne le plus vite possible pour ne pas attraper un rhume. Une fois emmitouflée, la cydienne leva son regard vers le ciel étoilé.

- Je ne savais pas que la lune était pleine ce soir.

- Quand j’étais petite et que je n’arrivais pas à dormir, exceptionnellement, ma mère ouvrait les rideaux pour que je voie la lune. Au-dessus des dunes, elle a l’air énorme. Tout allait toujours mieux quand la lune était là. Il ne faut pas grand-chose pour être réconforté quand on est enfant.

Même si elle ne la voyait pas, Elyncia aurait juré que la templière souriait. C'était souvent l'effet que lui faisait ses propres souvenirs d'enfance. Ses jeux avec ses frères et Kashya, l'entrainement avec son père, les ballade nocturne avec Guy et Eléonore, les spectacle dans l'auberge. Tout cela lui paraissait si loin et pourtant si accessible. Elle avait juste à fouiller dans sa mémoire pour retrouver les joies de son enfance, espérant que l'avenir lui en réservera d'aussi beaux. Elle n'avait au final qu'un regret. Elle savait qu'elle n'aurait jamais la possibilité d'avoir une descendance. Ces derniers temps, son instinct de femme la poussait à s'émerveiller devant les enfants, lui rappelant une part d'innocence qu'elle avait perdu depuis la guerre et depuis qu'elle était avec Gabrielle.

- Pour ma part je n'avais pas énormément de mal à dormir. Le soir, je m'endormais quand le crépuscule tombait. Et quand le ciel était découvert, ma soeur et mon frère venaient me réveiller pour qu'on sorte voir les étoile dehors. On s'allongeait dans l'herbe et on passait notre temps à discuter tous les trois, le regard tourné vers le ciel. Et je finissais par me rendormir. Une vraie marmotte. A vrai dire ça n'a pas vraiment changé. Quand j'obtiens une permission, il m'arrive souvent de feindre d'être malade pour rester au lit pour que ma mère ne me demande pas d'aide pour tenir l'auberge. Je crois qu'elle n'a pas vraiment compris que j'avais un métier épuisant, surtout que mon supérieur a une légère tendance à faire sauter mes permissions pour traiter de la paperasse.

Elyncia soupira rien que de penser à la tonne de rapport qu'elle devrait éplucher en rentrant à Cydonia. C'était à croire que le cinquième bataillon était le plus actif avec la XIIIème des Zélote. Bref, un véritable calvaire toute cette administration.

- C'est à croire que l'art de la torture est administratif, ajouta-t-elle en riant.

Iréa se sentit à son tour envahie de tristesse quand Elyncia lui fit part elle aussi d’un de ses souvenirs d’enfance et lui raconta comment, parfois, elle feignait la maladie pour que sa mère la laisse tranquille.
L’Almer n’avait jamais connu ça, une fratrie, une famille soudée. Si, se reprit-elle intérieurement, elle avait ses amis au Temple et elle avait eu, avant, ses amis à Ptot Tàh. Une famille de cœur. Mais ni frère ni sœur de sang.
Pour les étoiles aussi, elle avait du attendre son arrivée à Tamawa. Bien peu de gens s’aventuraient dans le désert à la nuit tombée ; mieux valait rester au chaud chez soi. Même regarder par la fenêtre était rare, elles étaient fermées par des volets et des rideaux, pour garder la chaleur des maisons.
Quant à feindre d’être malade pour que sa mère la laisse se reposer, cela n’était pas arrivé et n’arriverait jamais.

« Mais, au moins, ta mère est là…Elle te soutient. Tu sais que tu peux compter sur elle…Non ? »

La jeune femme avait parlé bas, presque à contrecoeur mais les mots s’étaient échappés de ses lèvres sans qu’elle arrive à les retenir. Si ses parents l’aimaient, elle savait qu’elle n’avait jamais été ce qu’ils attendaient, et tout spécialement pour sa mère. Certes, elle avait renoué avec son père et leur relation commençait presque à ressembler à une relation père-fille normale, mais pendant longtemps, tout cela avait été si compliqué et contradictoire, un mélange étrange d’amour et de déception, une opposition forte de convictions qui, si elle ne les séparait pas, les éloignait pourtant. En tout cas, ses parents ne l’avaient jamais soutenue que de loin, ils avaient été présents épisodiquement – les quelques fois où elle faisait le voyage jusqu’à Ptot Tàh.
C’étaient les Templiers et les Templières qui avaient accompagné ses premiers pas dans la vie adulte. La première fois qu’elle était tombée amoureuse, qu’elle s’était essayée à l’alcool, mais aussi la première fois qu’elle avait tué, c’étaient des hommes et des femmes d’Ankdor qui étaient là pour elle quand elle avait besoin de parler.
Bien sûr, la plupart de ses robes venait de sa mère, y compris la tenue violette qu’elle portait au bal il y a un an – la seule robe qui n’était pas à la mode almer, cadeau pour ses dix-neuf ans. Le kôhl était également d’elle, de même que la technique pour le mettre et l’enlever.
Mais ils ignoraient bien trop de choses de sa vie pour pouvoir vraiment l’aider. D’ailleurs, ils n’avaient jamais su pour Elio. Savoir leur fille si liée à un simple fleuriste, même almer, aurait sans doute été une déception supplémentaire pour eux, même si elle ne suivait plus depuis longtemps les projets qu’ils avaient pour elle.
Iréa prit soudain conscience qu’Elyncia l’observait avec un mélange d’étonnement et de compassion. En fait, elle avait juste cessé de faire attention à ce qui l’entourait. Elle avait du avoir l’air si loin ! Se tournant vers la lancière, elle esquissa un sourire mais elle se doutait que même dans la pénombre du soir tombant, la tristesse se lirait sur son visage.
Elles avaient toutes deux préféré éviter d’aborder ouvertement la guerre et les blessures qu’elle avait ouvertes dans leurs cœurs mais finalement, c’était toujours là que la conversation les ramenaient.

Elyncia pensait qu'Iréa était une jeune femme équilibrée sans trop de problèmes. Il lui fallait bien ça pour avoir un tel sourire et elle fut surprise de se rendre compte qu'elle se trompait. Iréa avait l'air si lointaine après avoir dit ces mots. Elle se perdait dans ses souvenirs surement, comme elle avait tendance à le faire elle-même. Elles se ressemblaient plus qu'elles ne semblaient le croire apparemment. Elyncia tenta alors de lui sourire. Seulement c'était un sourire plutôt triste.

- Tu sais, parfois je n'ai pas pu compter sur ma mère. Elle a toujours voulu écrire ma vie à ma place. Pour elle, j'aurai pu devenir une couturière, marié au fils d'un des amis de mon père. Je te laisse imaginer sa tête quand je suis entrée dans l'armée. Elle m'a vraiment mené la vie dure à cette époque. Quand je rentrais de l'école militaire après un entrainement éprouvant, je devais faire le service à l'auberge. J'aurais pu mourir de fatigue qu'elle n'aurait rien lâché. Et puis ça s'est tassé mais je n'ai jamais vraiment eu son soutient. Mais le pire, c'est quand elle a découvert que j'étais lesbienne. Gabrielle s'était rendue à l'auberge pour venir voir sa mère qui travail pour nous depuis un moment déjà. Elle n'était pas au courant que cette auberge appartenait à mes parents. Le soir, ma mère m'a demandé comment je l'avais rencontrée et... je lui ai dit que nous étions ensemble et que je l'aimais. Elle m'a foutue à la porte. J'ai dû attendre un mois entier avant de pouvoir remettre les pieds chez moi, le temps qu'elle se calme.

Elyncia se souvint de cette période pas franchement amusante de sa vie. Heureusement pour elle, son père avait réussit à convaincre sa mère qu'elle était en train de faire la pire erreur de sa vie en reniant sa fille. Nicolaë avait essayé de faire fonctionner son autorité pour permettre à sa fille de revenir, d'avoir un toit au dessus de la tête. Les choses avaient été difficiles pour la jeune femme, surtout qu’elle venait de perdre un frère. Heureusement qu’elle avait pu compter sur un autre et aussi sur l’appuie de la mère de Gabrielle et d’Ealya. Eléonore et Edouard était un peu loin de tout ça, mais ils avaient compris les sentiments d’Elyncia. Elle avait au moins une famille et des amis sur qui compter.

Mais j'avais des personnes sur qui compter. On est toujours moins seul qu'on ne le pense...

Elle sourit alors encore une fois à la templière qui l'écoutait. Elle ne connaissait pas grand chose d'elle au final, mais elle voyait en elle une nouvelle amie. Elle espérait sincèrement pouvoir la revoir mais son métier allait surement lui poser quelques problèmes. Difficile d'être officier de l'armée de Cydonia et entretenir une relation amicale avec l'ennemi que les Zélotes s'étaient trouvé. Elyncia avait toujours pensé que les Templiers n'étaient pas comme Lymion les avait décrits. Mais quand la machine est lancé il est parfois difficile de l'arrêter. Pourtant Elyncia avait bon espoir qu'un jour, les mesures de Lymion seraient oubliées. Après tout, Kyle était devenu l'ami de l'ex-Princeps, ce qui relevait déjà presque du miracle.
La petite brise nocturne lui rappela qu'elle n'avait pas encore fini de se sécher, ce qu'elle fit en frissonnant avant de commencer à se ré-habiller.

- Je pense qu'il vaudrait mieux finir notre soirée dans une taverne... ce serait bête de mourir d'une pneumonie après avoir survécus à l'entraînement que nous avons subit tout à l'heure, lui proposa-t-elle en riant.

Et puis elle ne devait pas se coucher trop tard non plus. Elle avait l'intention de retourner à la salle d'entrainement pour se perfectionner. Il fallait qu'elle en apprenne le plus possible avant de repartir à Cydonia, histoire de reprendre sa petite routine et de profiter de sa dernière semaine de permission avec Gabrielle... mais aussi mettre la patté à Jarod.

Ce fut au tour d’Iréa d’être surprise quand Elyncia se mit à lui parler de sa mère. Jusque là, elle était persuadée que la lancière avait grandi dans une famille aimante, qui la soutenait. C’était l’image qu’elle avait perçu à travers ses mots chaque fois qu’elle évoquait les siens.
Pourtant, la Cydienne lui dressait là le portrait d’une femme guère différente de sa propre mère, qui s’aperçoit que sa fille n’empruntera pas le chemin qu’elle a tracé pour elle en rêve, et s’obstine à essayer de la modeler selon ses désirs. Eléana Halin, elle aussi, avait imaginé sa fille en épouse digne d’un jeune homme de la bonne société almer, raffinée et cultivée, pieuse et respectueuse des traditions, jusqu’à ce qu’un beau jour, la réalité vienne frapper à sa porte en la personne de maître Wellan.
Non, Iréa ne serait jamais comme elle, une jeune fille bien sage qui suivrait la route que ses parents avaient tracée pour elle. Sa fille était Sensible, elle voulait apprendre à maîtriser ce don si étrange, dut-elle quitter Ptot Tàh. Jamais elle n’accepterait d’obéir aveuglément à un mari que l’on aurait choisi à sa place, pas plus qu’elle n’était prête à détourner les yeux alors que son peuple en asservissait un autre.
Et sa mère non plus n’avait jamais vraiment accepté qu’elle ne suive pas la voie qu’elle lui avait choisie.

« Je comprends ce que tu veux dire, dit-elle doucement quand la jeune fille aux cheveux verts eut fini. Ma mère était exactement pareille. »

Douloureux imparfait, pourtant. Il barrait le chemin à toute réconciliation, à tout changement de cap, figeait les choses dans une éternité révoltante.

« Mais j’avais des personnes sur qui compter. On est toujours moins seul qu’on ne le pense… »

La Maladie, pourtant, lui avait aussi arraché Nélia et Elio.
Elio…La brise soufflait toujours doucement à ses oreilles et elle eut l’impression d’y entendre sa voix. « Tu n’es pas seule, Iréa. Tous ces gens qui ont combattu à tes côtés, ils ne te laisseront pas tomber. »
Il avait raison, encore une fois. Les liens que l’on nouait sur le champ de bataille étaient bien souvent les prémices de liens plus forts, elle en avait eu de multiples preuves.
Les Templiers étaient toujours à ses côtés, et elle savait qu’elle pouvait compter sur ceux qui avaient croisé sa route ce jour mémorable devant les remparts d’Erathia.
Des gens comme Elyncia, qui d’ailleurs lui proposa de regagner la cité, ajoutant en riant qu’il serait dommage de mourir d’une pneumonie après tout ce qu’elles avaient enduré.
Pas faux.

« Tu as raison, lança-t-elle avec un sourire qu’elle espérait à peu près convainquant. »

L’Almer se rhabilla rapidement tandis que sa compagne en faisait de même en lui tournant le dos. Avant de partir, elle regarda une dernière fois le fleuve et le ciel qui s’étoilait en prenant une profonde inspiration pour calmer la tristesse et les sanglots qu’elle sentait s’agiter dans sa poitrine.
Aller de l’avant.
Tenir droite.
Elle se tourna vers Elyncia et lui sourit franchement cette fois.

« On y va ? »

Elles empruntèrent en sens inverse le chemin qu’elles avaient pris en arrivant, continuant à discuter, mais de sujets plus légers.
Entre deux éclats de rire, le vent vint caresser la joue d’Iréa.
« Tu trouveras d’autres gens à aimer »…

[Désengagées]

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