[151][FP] Je dois partir et vivre ou rester et mourir (Aerin) (fini)

La petite fille sortit de la tente pour échapper à l'humeur générale qui y régnait. Si elle était heureuse de la naissance des ses frères et sœurs, Jelenna ne pouvait se résoudre à la partager, la voix de ceux étant morts trottant encore dans sa tête. De sa prison, elle avait senti les armées approcher, se regrouper pour ne former plus qu'un seul étendard et elle savait que cette armée était à l'origine la création de sa mère pour la sauver. Elle. Jelenna observa le champs de bataille. Tandis que certains chercher leurs frères, leurs pères, leurs sœurs tombés au combat, d'autres pleuraient en silence, de joie ou de tristesse. Un calme relatif avait balayé la rumeur de joie lorsque l'armée adverse avait disparu. Une brise légère faisait jouer les brins d'herbes autour de la petite amazone qui ne pouvait s'empêcher de pleurer. Il ne restait rien du dieu maléfique qui l'avait emprisonné ainsi que de son armée, pas plus qu'il ne restait de la formidable cohésion des cités venues se battre côte à côte pour leur liberté. Chaque régiment comptait ses morts, ses blessés et ceux qui tenaient encore debout vaillamment loin des autres, comme s'ils avaient peur que les cités en profitent pour les attaquer dans ce moment de faiblesse.

Jelenna parcourut avec tristesse ce qui avait été le champs de bataille et en silence, elle chercha du regard les Templiers. Son père était trop occupé à contempler les visages des nouveaux nés dans un sourire béat pour qu'elle ose le déranger. Baie attendait non loin, délaissée par le jeune Aerin qui ne savait que peu monter à cheval. C'était justement ce dernier que la jeune fille cherchait des yeux, se demandant où il avait pu se faufiler lors de l'accouchement de la reine Amazone. La petite dernière Ryran, qui ne l'était plus en réalité depuis quelques heures maintenant, n'eut aucun mal à trouver le maitre Templier et ce fut avec un certain soulagement qu'elle remarqua que son fils était à ses côtés, en retrait. Jiven avait du être déçu par le comportement du jeune garçon et sans doutes avait-il craint pour sa vie … Jelenna saisit la bride de la jument et se dirigea vers le petit groupe.

Un instant, la petite fille hésita à briser le groupe qui s'était fait autour du Directeur du Temple mais en croisant son regard, elle sut que ce dernier ne lui en voudrait pas. A sa simple vue, Aerin détourna les yeux, posant son regard sur le sol sans oser esquisser un mouvement. Jelenna ne manqua pas de s'en amuser mais ce ne fut pas à lui qu'elle s'adressa mais bel et bien à son père.

« Maitre Jiven, je crois que cette magnifique monture vous appartient. » dit-elle doucement en lui tendant la bride que ce dernier attrapa.

Jelenna hésita un instant avant de reprendre, se demandant si sa requête était suffisamment légitime pour que le directeur l'accepte. En réalité, elle craignait que Jiven ne refuse de lui confier son fils mais d'un autre côté, elle espérait que ses arguments sauraient le convaincre.

« Maitre Jiven » commença-t-elle alors que le silence et le vide se faisait autour d'eux, ne laissant qu'Aerin, Jiven et Jelenna, les Templiers s'étaient faufilés ailleurs pour vaquer à leurs occupations, « Je pense que le moment est mal venu pour vous demander cela mais je souhaiterais vous poser une question au sujet d'Aerin. »

Il était venu la sauver, elle l'avait sauvé en rêve.
Jelenna avait senti le lien qui les unissait, elle avait senti sa détresse et une envie irrépressible de vouloir le sauver l'avait saisi. Elle était incapable de le laisser s'enfoncer dans sa tourmente sans tenter quoi que ce soit pour l'en sauver. Prenant son courage à deux mains, Jelenna demanda alors, hésitante au possible :

« Je sais qu'il ne parle plus Cydien, qu'il ne s'exprime plus qu'en elfique, et je sais aussi que je l'ai clairement entendu parler notre langue en rêve. »

Plus elle parlait, plus sa voix s'affirmait bien qu'il lui soit étrange de parler devant l'intéressé qui lui, n'osait pas ouvrir la bouche pour prendre sa défense ou l'empêcher de continuer. Jelenna sourit avant d'ajouter, comprenant que le Templier devait être surpris qu'elle sache autant de choses sur son fils et qu'elle lui en révèle certaines qu'il ignorait sans doutes.

« Je veux l'aider. » affirma-t-elle avec conviction.

Elle plongea son regard d'enfant dans celui de Jiven avant d'ajouter :

« Laissez-moi l'emmener à Muria. »

[ … ]

Jelenna connaissait la loi de son peuple, elle savait que sa demande était passé pour un caprice d'enfant et ignorait encore pourquoi Jiven et sa propre famille avait accepté de prendre le petit Aerin avec eux sur le chemin du retour mais peu lui importait tant que le garçon était là. Jelenna savait qu'elle pouvait l'aider. Elle en était sure. Aerin avait les yeux bandés et sa main dans la sienne indiquait qu'il n'était pas rassuré pour un sous mais bientôt, il serait libre. Jelenna allait lui offrir la liberté et la sécurité, tout ce qu'il lui fallait pour être libre dans sa tête et avancer. La louve du jeune homme avait également les yeux bandés et dormait la tête posée sur les genoux de son maitre. Alors que les murailles étaient visibles, Jelenna s'amusa à lui dire :

« Tu sais ... il va falloir que tu te déguises en fille. »

La réaction du jeune homme ne manqua pas de faire sourire la petite fille.

Aerin ne se souvenait plus exactement comment la petite fille avait fait son coup. De la bataille, le métisse se souvenait plus ou moins de sa cavalcade avec la Templière du nom d'Asora ainsi qu'avec Jelenna. Il n'était pas doué pour monter à cheval et avait failli tomber de nombreuses fois de la monture … sans doutes aurait-il fini pourfendu quelque part sur le champs de bataille si la princesse Amazone ne l'avait pas aidé à tenir en scelle. Ce qui s'était passé ensuite était trop flou dans la mémoire du petit garçon. Il se souvenait avoir vu une enfant de leur âge embrasser sur le front Asora. A partir de là, l'armée ennemie s'était disloquée, balayée par les vents et avait disparu, comme si tous les soldats présents avaient été victimes de la même illusion.
Comme si tout n'avait été qu'un rêve.
Et il avait rêvé.
Aerin avait vu la belle Ilith, la sœur cadette de son père dont il ignorait tout. Le fils des Templiers se souvenait parfaitement des conseils comme de l'amour qu'elle lui avait prodigué. Il se souvenait également de la beauté de la jeune fille, de l'intelligence et de la fierté qui brillaient dans ses yeux ainsi que de sa tristesse. Il l'avait sommé de vivre mais il s'en sentait incapable seul, toutefois, en s'éveillant, Aerin avait compris qu'il n'avait jamais été seul. Que ce soit sa mère ou sa tante qui veillaient sur lui de là-haut, que ce soit son père qui pestait comme un beau diable contre lui pour le sommer de se réveiller ou encore, Jelenna qui était venue le chercher en rêve comme en réalité, peu importait, beaucoup de gens se souciaient de lui. Bien sur il en était conscient mais le petit garçon avait encore peur de se lier à qui que ce soit. Perdu, il ignorait s'il était capable d'offrir un peu de lui à quelqu'un sans risquer de le perdre un jour. Tout le monde mourrait un jour non ?

« Papa ? » avait-il murmuré, angoissé, à son réveil.

Son père avait été surpris car, pour la première fois, l'enfant l'avait appelé « papa » et non « père », de plus, il semblait soulagé de voir que son fils s'éveille enfin. La suite était toute aussi floue, Aerin se rappelait vaguement de Jelenna ramenant la précieuse jument de son père à son propriétaire tout comme il se souvenait qu'elle avait évoqué son prénom mais il n'avait pas bien saisi l'ensemble de la conversation. L'enfant se souvenait que son père avait réagi posément mais avec la voix qui tremblait de peur pour ceux qui savaient la décrypter. Jelenna était une jeune fille fabuleuse qui rendaient possible les miracles se disait l'Elfe mais celui-ci était perdu d'avance. Jamais son père ne le laisserait partir loin de lui et encore moins dans une cité où les hommes n'avaient que le droit de vivre.
Et pourtant.
Pourtant …
Jiven était un homme ouvert d'esprit et plutôt tolérant toutefois, l'Almer craignait que son père ne lui laisse que peu de choix. Il fut donc surpris de voir que son père était aussi confiant, à moins qu'en réalité, il ne cherche à se séparer de lui ? L'idée figea le cœur du jeune garçon dans sa poitrine mais il se força à soutenir le regard de ce dernier. Jiven était un homme bon, à n'en pas douter, et Aerin avait découvert une facette de sa personnalité qu'il ne soupçonnait même pas. Le Templier l'aimait de toute son âme, comme il avait surement aimé sa mère, et ce qu'il lui demandait lui coutait beaucoup, le déchirait même et pourtant, il faisait passer son bonheur après le bien-être de son fils. Il lui laissait le choix.

Du discours de Jiven, aussi touchant soit-il, Aerin ne retint que peu de choses. L'émotion qui faisait vibrer la voix de son père, ou encore, celle qu'il lisait dans les yeux de l'homme. Un amour filiale dont il n'avait pas vraiment pris conscience jusque là ou encore trop de choses pour les lister. Ce fut avec déchirement que le jeune Almer prit sa décision, acceptant l'aide proposée par la petite princesse amazone pour le remettre sur pied. Pas seulement pour lui, peut-être même pas du tout, mais surtout pour son père, pour lire à nouveau la fierté dans ses yeux, celle qui avait transplané l'espace des quelques secondes dans ceux de sa sœur. Aerin ne reviendrait que lorsqu'il aurait trouvé la force de continuer à avancer et à ce moment-là, ils pourraient parler.
De Celyween, de Ilith.
Ils parleraient, Aerin le savait.

[ … ]

Combien de temps avait duré le voyage ? Depuis combien de jour étaient-ils partis ? Par où étaient-ils seulement passés ? Aerin n'en savait fichtrement rien tout comme Nyméria qui, les premières heures passées à râler, s'était résolue à dormir sur ses genoux, sa tête ballottée par les mouvements de la charrette dans laquelle on leur avait dit de monter. Le petit bonhomme ne sachant que peu monter à cheval, il aurait été dangereux de le faire chevaucher les yeux bandés. Totalement déboussolé depuis que ses pieds avaient quitté le sol et qu'il ne voyait plus que le linge immaculé qui obstruait son regard, le gamin était tombé dans le mutisme, se raccrochant à la main de la petite princesse comme à une bouée de sauvetage. Il n'osait esquisser un mouvement de peur de tomber sur le sol alors qu'en réalité il était au fond de la charrette et ne risquait rien, et il n'osait parler de peur de … ben il ne savait pas exactement en fait. Alors quand Jelenna brisa le silence pour se moquer de lui, le gamin se sentit vexé, piqué au vif. Il baragouina quelque chose en elfique qui ressemblait vaguement à des remontrances sans en être vraiment, conscient qu'il s'adressait à une princesse avant de s'adresser à une amie.
Amie ? Vraiment ?
Il n'en était même pas sur. Il ne savait même pas ce qu'ils étaient l'un pour l'autre au delà du fait qu'elle l'avait sauvé et qu'il semblait lui avoir rendu la pareille. Il se calma, tentant de trouver un repère quelconque et ne sentit que le bois de leur véhicule et la main douce et chaude de l'Amazone. Il se résigna et appuya sa tête contre le battant de la charrue.

« Tu n'es pas sérieuse n'est-ce-pas ? » demanda-t-il piteusement.

L'idée lui déplaisait mais il se plierait aux ordres dans tous les cas. S'il fallait se montrer ridicule à se faire passer pour une fille pour guérir, il était prêt à prendre le risque et puis … si ça pouvait signifier qu'il allait rester plus facilement avec Jelenna, il n'était pas contre non plus, bien loin d'être insensible à son charme. Mais bon, quand bien même, l'idée ne l'enchantait pas … Se faire passer pour une fille … déjà qu'il avait du mal à établir dans sa tête qu'il devait continuer à vivre alors si cela en plus consistait en une humiliation … il préférait peut-être arrêter tout de suite ! Nyméria grogna à ses côtés et il comprit qu'elle avait raison. Jelenna ne faisait cela que pour lui et le reste importait peu. Le lien étrange qui existait entre eux lui suffirait à surmonter les épreuves et Nym' serait là au cas où en renfort. Le reste n'était que futilité et se déguiser en fille pourrait se révéler amusant !

« Je respecterais votre loi, s'il me faut me déguiser en fille, je le ferais, mais promets-moi que tu resteras avec moi et que je n'aurais pas à le faire tout le temps … Je vais être tellement ridicule ... »se lamenta-t-il, plus amusé qu'autre chose par l'idée à bien y songer.

Si le stratagème fonctionnait, il gagnerait en tout cas à savoir se faire passer pour quelqu'un d'autre facilement, mais qu'en était-il si on le repérait ? Si l'on apprenait qu'il était un garçon ? Le jeune homme s'angoissa soudain, beaucoup moins amusé à l'idée que quelqu'un découvre la supercherie et ne se fâche. Certaines Amazones étaient réputées pour ne pas apprécier les moqueries de cette espèce et son statut d'invité, qu'il n'avait peut-être même pas, ne le protègerait pas de ses propres erreurs.

« Dis … je ne … enfin, je ne risque rien hein ? » murmura-t-il, peu sur de lui.

Un tourment de sensations, d'émotions et de sentiments lui prenaient la tête sans qu'il ne parvienne à faire le point. Finalement, il était mitigé quant à cette idée de vivre à Muria quelques temps. Que son père ne parvienne pas à lui rendre le sourire et la joie de vivre qui jadis l'habitait ne le gênait pas et il prenait quelque peu peur de l'envergure que prenait sa décision maintenant qu'il croyait en avoir les tenants et les aboutissants. Il avait répondu sans réfléchir, se disant que si Jelenna avait réussi le miracle une fois, elle pourrait le réitérer. Il était persuadé qu'elle était le guide qui le mènerait vers sa guérison mais pour autant, il n'avait pas pensé à la différence de culture entre elle et lui. Il avait désormais peur.

« Sommes nous bientôt arrivés princesse ? » demanda-t-il comme pour se redonner courage.

Plus paumé que lui, c'était difficile !

[ Ah ah !!!! Finie la maintenance je peux ENFIN poster XD ]

La réponse du jeune homme plut énormément à la jeune fille, elle qui espérait tant le faire sourire ou tout du moins, calmer ses appréhensions. Jelenna comprenait que le gamin soit stressé de partir à l'aventure d'autant qu'il n'était plus capable de parler autre chose qu'une langue des plus désuettes sur Azthia à savoir l'elfique. La petite princesse l'avait déjà entendu parler Cydien en rêve et sur le champs de bataille mais cet exploit ne s'était pas reproduit depuis un petit moment déjà et la petite fille le regrettait, c'était d'ailleurs pour cela qu'elle avait insisté pour emmener son nouvel ami dans sa cité natale. Aerin répondit avant même qu'elle n'ait pu reprendre la parole. Sa blague n'en était pas vraiment une, les hommes n'étant que peu tolérés, libres du moins, dans la cité des femmes libres et ce, même avec la naissance du dernier-né de sa mère. Lùkha était un symbole d'espoir pour les Soumis mais supposait également un vent de changements qui soufflerait bientôt sur la cité. Pour l'heure, Jelenna ne tenait pas à offusquer ses sœurs aussi avait-elle décidé de cacher l'identité de son compagnon. Se faire passer en fille serait quelque peu gênant pour le métisse Almer mais peu importait, elle sera là pour le soutenir et tout ceci n'était qu'une précaution qu'il aurait sans doutes à abandonner bientôt. Et puis … peut-être se prendrait-il au jeu ?

« Ce sera amusant et puis ce ne sera pas plus ridicule qu'autre chose ! »

La petite princesse amazone sourit à son interlocuteur pour le rassurer, bien qu'il ne puisse pas voir son visage. Elle serra un peu plus sa main dans la sienne pour lui insuffler du courage, sachant que les portes de la cité se rapprochaient à grand pas. Beaucoup de choses allaient changer pour le petit garçon, du moins l'espérait-elle, car Jelenna savait que le fils du directeur du Temple avait besoin d'évoluer, de se confronter au décès de sa mère de telle sorte qu'il puisse enfin avancer. S'il persistait sur ce chemin, la petite fille savait qu'il serait perdu à jamais.

« Tu ne risques rien, je serais à tes côtés. » murmura-t-elle en douceur à son oreille.

Sa dernière question était légitime, il ne pouvait voir la cité qui se rapprochait à grand pas et Jelenna savait que ne touchant pas le sol de ses pieds, le jeune homme ne pouvait pas s'orienter et savoir à peu près combien ils avaient marché. Elle observa un instant le paysage avant d'ajouter, pleine d'espoirs comme emplie de doutes qu'elle tentait de faire taire :

« Nous serons au palais dans moins de dix minutes. » promit-elle.

Dix minutes après, le convoi avait passé les portes de la cité Amazone et rejoint la salle du trône. L'entrevue avec Philéa s'était déroulée en l'absence des deux enfants et Jelenna en profita pour faire visiter à son ami le palais. Il était surement sans prétention par rapport à celui de la cité des neiges mais la petite fille l'aimait tout particulièrement et le connaissait par cœur. Une fois la visite des salles principales terminée, la reine Amazone leur fit l'honneur de sa présence et l'entretien dura quelques minutes. Elle assura à Aerin sa bonne humeur de le savoir parmi et l'assura de son bon traitement durant tout son séjour. Une fois que la souveraine eut donné quelques consignes au garçon sur son comportement et ses sorties, elle quitta les lieux non sans déposer un baiser sur le front de la princesse.
Le soir était relativement vite tombé, ayant voyagés depuis l'après-midi de la veille, Jelenna sentait la fatigue s'insinuer dans chacun de ses mouvements, dans chacun de ses muscles et le plaisir de se retrouver enfin chez et d'en profiter la gagnait à chaque minute qui passait. Faire visiter le palais à Aerin lui avait montré à quel point les lieux lui avaient manqué ces derniers mois. La petite fille sembla perdue dans ses pensées quelques minutes, si elle tenait à Muria en temps ordinaires pour y avoir gradit et vécu toute sa jeune vie, elle se rendait compte aujourd'hui qu'elle foulait de nouveau ses terres natales que la cité lui avait manqué. Chaque recoin du palais, l'odeur ambiante, les Amazones qui passaient de temps à autre dans les couloirs, les cuisines où elle pouvait obtenir les faveurs de la Chef cuistot … tout lui avait cruellement manqué tant et si bien qu'une larme roula sur sa joue et qu'elle se sentit obligée de prendre la main de son compagnon. Jelenna n'avait pas pour habitude de pleurer pour un rien, même enfant, elle était loin d'être une pleurnicheuse même si elle était consciente d'être moins forte psychologiquement que sa mère ou sa sœur ainée. Elle sourit avec douceur pour ne pas inquiéter le garçon et l'obligea à la suivre. Les couloirs se ressemblaient pour l'œil in-habitué et c'était là le but mais la petite princesse bis, héritière de l'âme de Diane, connaissait les lieux comme sa poche pour n'en être que rarement sortie.

Une fois arrivée devant sa chambre, qu'elle n'avait pas retrouvé depuis son enlèvement, la petite fille sentit son cœur s'emballer et, de peur de paraître stupide aux yeux de l'Elfe, Jelenna lâcha sa main en douceur pour ne pas non plus le vexer. La demoiselle plongea son regard dans les yeux de son interlocuteur et ajouta :

« Ta chambre est juste à côté de la mienne, maman a fait le nécessaire. Demain, je t'emmènerais visiter les jardins et la cité ! Tu n'auras qu'à frapper à ma porte une fois réveillé. »

La petite fille déposa un baiser sur la joue du métisse avant d'ajouter :

« Bonne nuit ! »

Sans attendre sa réaction, elle poussa la porte de sa chambre et y entra, refermant derrière elle la porte dans un même mouvement. Sans s'en rendre compte, la petite avait fermé les yeux et hésitait maintenant à les ouvrir. Lorsqu'elle trouva le courage de le faire, Jelenna remarqua que rien n'avait changé dans sa chambre, ses affaires avaient été laissées telles qu'elles, sans doutes par caprice de la part d'Eléa ou de sa mère, les deux femmes se refusant à croire qu'elles ne la reverraient pas. A nouveau, les larmes embuèrent la vue de la petite fille tandis qu'elle avançait dans la pièce. Son reflet dans le miroir avait changé et pourtant, elle était toujours la même, Jelenna la petite princesse bis … tant et si bien qu'après avoir fait le tour des lieux, après avoir senti chacun des draps qui portaient tant l'odeur fruitée de sa mère que celle de son ainée, la jeune Ryran sortit de la chambre et frappa à celle d'en face. Eléa ouvrit la porte d'un air entendu. Il y avait bien longtemps que la petite fille n'avait pas dormi avec sa sœur.

Aerin n'était pas parvenu à trouver le sommeil.
Il avait beau y réfléchir, tout ce qu'il venait de vivre lui semblait étrange et paradoxalement impossible. Le jeune homme était quelqu'un de perdu et seule Jelenna avait su le remettre sur le droit chemin et s'il se sentait encore incapable de le arpenter seul, le petit garçon se doutait que la jeune princesse amazone serait toujours à ses côtés. Ilith était là elle aussi, Aerin sentait la déesse autour de lui chaque fois qu'il faisait un pas vers la rédemption. Il n'était pas sur de comprendre, pas sur non plus que ce soit la déesse mais il sentait une présence, quelque chose qui le poussait à avancer pour se sauver lui-même. Sa torpeur lui faisait peut-être perdre la tête au fond ...
Ilith.
Enfant, Aerin avait été influencé par la religion de son père. Curieux de nature, il avait questionné son père et sa mère sur leur religion et les dieux de leurs races. Il avait appris par exemple que l'histoire faisait en sorte que Elfes et Almers ne se portent pas dans leur coeur. D'ailleurs, l'enfant ne pouvait s'empêcher de se demander comment cela était possible parce qu'au fond, il ne trouvait pas ses parents si différents l'un de l'autre ... les templiers étaient au delà même des problèmes de races, ne luttant que pour le maintient d'une paix pourtant si fragile. Le petit métisse ne s'était pas posé plus de questions quant à sa naissance, il savait que ses parents l'aimaient même si son père n'était qu'un lointain souvenir à cette époque étant donné qu'il le voyait peu.
Ilith.
Ce jour là, Aerin n'était qu'un bambin de cinq ans tout au plus quand Jiven lui avait parlé de son enfance baignée par les dieux Almers. Certes son père avait-il omis le détail de la mort de sa cadette, portant le même nom que la jumelle du Benù, mais Aerin avait été subjugué du haut de ses cinq petites années par le récit du Templier. Il avait demandé à Celyween des détails sur les dieux Elfes mais la jeune femme n'était pas du genre croyante, elle laissait la religion aux faibles et aux prêtres ... C'est ainsi que le petit garçon s'était mis en tête de protéger Ilith, la déesse jumelle ayant trahi son frère. Il était attiré par l'âme triste de la belle Almer et ne pensait pas, de son âme d'enfant, qu'elle puisse être mauvaise, juste perdue. A l'époque, le gamin s'était mis en tête de tout faire pour la protéger et la faire revenir sur le droit chemin, celui de la lumière.
L'ironie était flagrante. Aujourd'hui, c'était la réincarnation d'une autre déesse qui lui venait en aide et pourtant, l'enfant ne pouvait s'empêcher de penser que Jelenna avait été mise sur sa route par la déesse de l'ombre. Il était pieux, pas assez pour délaisser les armes, mais suffisamment pour croire que la belle Ilith lui était apparu sous les traits de sa jeune tante décédée, qu'elle l'avait poussé à vivre et à avancer en lui tendant les bras par le biais de Jelenna.

Aerin avait passé la nuit à réfléchir. Il n'était qu'un enfant et pourtant, force était de constater qu'il agissait le plus souvent en adulte. Il avait suivi Jelenna parce qu'il avait senti qu'elle seule pouvait l'aider là où Jiven et le Temple avait échoué. Un signe du destin ? Le petit garçon n'osait pas y croire. Nyméria l'avait suivi dans la chambre et avait certainement du trouver le lit moelleux car il s'y était lovée et dormait à point fermé. Le métisse la regarda dormir quelques secondes avant de reporter son attention sur le ciel étoilé. Une brise légère parcourait la chambre et rafraichissait les lieux, permettant au gamin de faire le point. Il était à Muria, devait se faire passer pour un garçon ... que de choses humiliantes en perspective et pourtant, son cœur se serrait lorsqu'il se mettait à penser qu'il devait partir. Il n'abandonnerait pas Jelenna, il en était incapable.
Il l'aimait.
Peut-être pas comme son père avait aimé sa mère, comme lui-même aimait sa déesse mais Aerin le sentait, il existait un lien fort entre eux que seule la mort saurait briser. Du moins l'espérait-il.

La nuit fila à toute allure et sans doutes s'était il endormi car lorsque Jelenna frappa à sa porte, un filet de lumière illuminait la chambre, preuve qu'il était tard. Le gamin se leva rapidement, conscient qu'il n'avait que trop tardé et ouvrit la porte. Jelenna était de toute beauté dans les rayons matinaux et le petit en resta bouche bée. Pourtant, elle n'était pas mieux habillée ou autre ...

" Désolé " murmura-t-il dans sa langue maternelle.

La petite fille entra dans la pièce et referma la porte derrière elle, un sourire aux lèvres.
Ilith l'avait mise sur son chemin, plus aucun doutes là dessus, seulement, Aerin se sentait tout de même coupable de ressentir un lien fort entre elle et lui là où celui qu'il partageait avec sa déesse n'était qu'à sens unique.

" Jelenna ... penses-tu que les dieux seraient contre notre amitié ? " ne put-il s'empêcher de murmurer.

Il posa sur la princesse un regard désolé, ne sachant quoi dire de plus. Il avait peur, il ne savait pas quel chemin emprunter et surtout, il craignait d'être seul. C'était sans compter sur Jelenna. Encore et toujours, la petite fille le sauvait de ses regards doux et calmes. Sa voix se fit entendre, délicate :

" Le cœur pur n'a rien à craindre des dieux. "

Etait-il réellement un cœur pur ? Dans les yeux de sa douce, il trouva la réponse à sa question. Alors l'enfant se tut, s'il était toujours en proie au doutes, il savait qu'elle serait là. Toujours.

[ Désengagés ]

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