Le temps se réchauffait et se prêtait davantage aux promenades dans le village qu’au travail. En effet, qui voudrait suer comme un bœuf sous ce soleil estival ? Personne, pas lui du moins. Enfin, on n’échappait pas à ses obligations juste parce qu’on n’avait pas envie de travailler, particulièrement les gens de la même condition qu’Ashrand.
Qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il vente, rien n’autorisait les Soumis à esquiver leur devoir. C’était donc sans grande motivation que le Cydien partit en début d’après-midi afin de besogner aux chantiers, comme toujours en fait.

Ah elle était belle l’époque où on lui avait offert quelques jours de repos après la grande bataille qui s’était tenue devant Erathia mais si c’était pour le faire trimer deux fois plus ensuite, ça ne servait à rien. La journée fut longue, oui : la chaleur était telle qu’il n’eut d’autre choix que d’ôter sa chemise pour ne pas calciner sous ce soleil accablant.
Il faisait rarement aussi chaud à Muria, en particulier lorsque l’été était si peu avancé mais il fallait croire qu’aujourd’hui rien ne marchait comme d’habitude.
A la fin de la journée, tous les ouvriers étaient littéralement en nage, ayant transpiré tellement que ne pas avoir succombé à la déshydratation semblait relever du miracle. Vidant gourdes et outres de leur précieux contenant, le Soumis se désaltéra longuement après cette journée de dur labeur. Enfin fini, il était temps ! Dix minutes de plus et il se serait écroulé de fatigue.
Ah, elles étaient bien belles les Sentinelles à dire qu’elles travaillaient plus qu’eux. En tenant uniquement compte du nombre d’heures d’accord, mais depuis quand faire des rondes dans la forêt à l’ombre des feuillages ou dans l’enceinte de Muria était fatigant ?
Soit, c’était l’âpreté du travail qui lui faisait penser des choses pareilles, ça le rendait de mauvaise humeur et il le savait mais ça passerait avec un peu de repos.

Rentrant chez lui, il ne prit même pas la peine de s’allonger cinq minutes pour récupérer et se dépêcha à faire un brin de toilette. Avoir transpiré toute la journée donnait l’impression d’être à côté d’un animal en décomposition, peu ragoûtant, n’est-ce pas ? Ce n’est d’ailleurs qu’en se lavant qu’Ashrand remarqua les deux coups de soleil qui commençaient à rougir ses avant-bras. Cependant il ne s’attarda pas sur ce détail insignifiant, préférant se changer et se dépêcher d’engloutir une petite tranche de pain beurrée avec parcimonie avant de reprendre la route.
Le gladiateur marchait rapidement, il se savait en retard alors autant ne pas traîner pour espérer se faire pardonner, quoiqu’il avait une bonne excuse avec lui : ce n’était pas lui qui décidait de ses horaires de travail après tout ! Pressant encore le pas, Ashrand atteignit une toute petite place, perdue dans le dédale de rues et ruelles de Muria où n’étaient disposés que deux larges bancs de pierres sans dossier. En réalité l’un d’eux était occupé par la personne que le Soumis avait cherché rejoindre le plus vite possible.

Kiera.

Elle était là, assise à faire il-ne-savait-quoi mais dans tous les cas, elle l’attendait. Depuis combien de temps se retrouvaient-ils ainsi ? Un mois, peut-être deux. Cela avait commencé après être revenus victorieux de la bataille des rois, à croire que combattre côte à côté les avait rapprochés d’une certaine manière. Trop, au goût de certaines mais qui s’en souciait ? Depuis quand était-il interdit à un Soumis et à une Amazone d’entretenir des relations amicales ? Aux dernières nouvelles ça ne l’était pas et c’était tant mieux car Ashrand s’entendait à merveille avec la Chef des Sentinelles et ça ne lui aurait pas vraiment plu de ne plus pouvoir s’adresser à elle.
En réalité le Cydien l’appréciait bien plus qu’il ne voulait bien l’admettre, beaucoup plus. Mais il ne s’était jamais autorisé à aller plus loin que cette bonne entente qu’il y avait entre eux. Par peur de se faire rejeter peut-être ou simplement parce qu’il la respectait et l’admirait beaucoup trop pour oser la toucher ? S’il était spontané et naturel avec les gens en général, il devait bien avouer qu’il n’était plus bon à rien dans la situation actuelle. D’un autre côté, c’était la première fois qu’il se sentait aussi attiré par quelqu’un du sexe opposé et il ne savait pas vraiment comment réagir face à cela. Même si l’âge adulte arrivait à grand pas pour lui il possédait encore l’innocence et la pureté d’un enfant, sans compter sur cette relative naïveté dont il avait si souvent fait preuve.

Le Soumis s’approcha silencieusement de l’archère et posa une main sur son épaule avant de s’asseoir à ses côtés.

« Tu pourrais au moins faire semblant d’être surprise » la taquina-t-il gentiment, « Tu savais que j’étais là ? »

La voir ainsi lui permettait en quelque sorte de décompresser des dures journées qu’il vivait. C’était un vrai plaisir de la retrouver lorsque leurs horaires le leur permettaient.

« Sinon comment vas-tu ? Ca doit bien faire trois jours que je ne t’ai pas vue, trop de travail ? »

Relevant la tête pour fixer le ciel, Ashrand put s’apercevoir que d’épais nuages s’amoncelaient là-haut et à en juger par l’atmosphère lourde et étouffante qui régnait, l’orage éclaterait d’ici quelques heures. Mauvais présage ? Peut-être mais au moins le temps se rafraîchirait un peu par la même occasion.
Temps pourri, c’est tout ce qu’il y avait à en dire : une fois il faisait chaud comme dans un four et la fois d’après les pluies diluviennes manquaient de transpercer le toits des maisonnettes en bois.

« Kiera … tu sais, tu n’es pas obligée de venir dès que tu as du temps libre. Cela me fait extrêmement plaisir de pouvoir te parler si souvent mais je sais que ton poste est éprouvant. Aussi, je comprendrais que tu prennes une soirée pour te consacrer à tes petits plaisirs. Tu vois, j’ai l’impression de faire preuve d’égoïsme en te gardant pour moi seul ainsi »

Bien entendu, il ne souhaitait pas que l’Amazone le laisse en plan mais de son point de vue, les journées de sa chère amie manquaient cruellement de distractions et il n’était pas sûr que les quelques soirées qu’elle passait avec lui constituaient l’activité la plus divertissante qui soit. Le bien-être de la Sentinelle avait aussi une grande valeur aux yeux du Cydien.

Croisant ses yeux bleus, il lui offrit un grand sourire en retour avant de lui poser une dernière question

« Alors, que fait-on ce soir ? On reste ici et on discute ou on va faire un tour ? Au pire, si tu n’as pas encore dîné, on peut aller chez moi et je te préparerai quelque chose, histoire que je puisse te montrer mes talents de cuisinier. »

Il avait conclu sa proposition sur une note légère, se voulant expressément risible. Il savait cuisiner mais pas au point de pouvoir s’en vanter et le Soumis avait joué sur ce fait pour donner un dimension cocasse à l’invitation. Après tout, lui non plus n’avait presque rien avalé alors plutôt que de manger à des heures plus que tardives une fois qu’il rentrerait, autant faire d’une pierre deux coups.


[C'est pas terrible terrible. =x]

Lorsque j'étais devenue chef des Sentinelles, jamais je ne m'étais dit que ce serait un travail si éreintant. Pour moi, Sentinelle ou chef ne changeait pas grand chose mais je me trompais. Philéa avait besoin de quelqu'un de sur sur laquelle elle pourrait se reposer les yeux fermés, et j'avais eut le privilège d'être cette personne. Lorsqu'il fallait faire taire un noble un peu trop ambitieux ou prétentieux, j'étais celle qu'on choisissait, lorsqu'il fallait mettre sur pied l'armée, j'étais celle qui commandait au nom de notre Reine, lorsqu'il fallait m'occuper de missions de tout genre, je répondais toujours présente mais au fond de moi, je me demandais combien de temps mon corps supporterait tout cela. Philéa n'était pas du genre à me surmener, elle prenait gare à ne pas m'envoyer en mission trop souvent à moins d'y être obligée tout comme elle faisait attention de ne pas me tuer à la tâche mais parfois, les choses ne pouvaient en être autrement. Si notre Reine veillait à superviser beaucoup de choses, elle se devait aussi de préserver sa vie familiale tout comme sa santé. J'acceptais parfaitement l'idée qu'elle me délègue certaines activités pour se trouver du temps pour elle, en sachant que le temps ne me manquait pas vu le peu de fréquentations que j'avais ou d'activités extra-Sentinelle que j'entretenais. Et puis, le dernier poste que l'on m'avait offert, à savoir veiller sur les trois nouveaux nés de la famille royale à mes heures perdues si je le souhaitais était intéressant, sans parler de l'entrainement de la petite Jelenna qui ne tarderait pas à débuter. De toutes les Amazones, en dehors de la famille royale bien entendu, j'étais surement celle à qui la petite princesse avait le plus manqué. Cette enfant, bien trop mature à mon goût pour son âge, tenait des propos qui ne laissaient pas indifférente, même la plus obtus des femmes, et forçait le respect comme la réflexion. C'était grâce à elle que j'avais commencé à songer au sort des Soumis et peut-être était-ce grâce à elle aussi que j'en étais venue à me lier d'amitié, peut-être plus même, avec Ashrand.

Cela devait faire un mois ou deux que je discutais avec le Soumis. Notre première rencontre, bien des mois avant la dernière bataille qui failli nous couter la vie, était un lointain souvenir agréable certes, mais trop lointain pour vraiment me rappeler ce qu'il en était. Je me souvenais simplement avoir passé un moment étrange avec lui, entre l'agréable et le désagréable car beaucoup de questions en avaient découlé, et pour finir, je me rappelais parfaitement également qu'elle m'avait poussé à le choisir à mes côtés pour la dernière bataille. Du reste, ce n'était que bribes de conversations et autres trucs du genre qu'il me restait. Quoi qu'il en soit, depuis notre retour d'Erathia, j'avais début une relation amicale avec lui. Je passais mon temps libre en sa compagnie la plupart du temps et c'était appréciable. Notre relation était parfois mal vu mais cela ne m'effleurait pas l'esprit, je me disais que rien n'interdisait les relations amicales et que si les choses devaient aller plus loin un jour, rien ne m'en empêchait non plus. Je ne comptais pas refaire les mêmes erreurs qu'avec Maximus. Nous avions convenu de nous retrouver au même endroit à chaque fois et aujourd'hui, chose rare, j'étais la première sur place. Je me disais que le jeune homme avait du être retenu par une quelconque dernière mesure à faire sur un bâtiment ou un autre travail du même ordre aussi, je décidais de patienter un peu en réfléchissant à notre situation, tout simplement. Il était évident qu'il devenait un peu plus à mes yeux qu'une simple connaissance, sinon, je ne lui aurais pas sauvé la vie sur le champs de bataille et n'aurait pas tenu à ce qu'il se batte à mes côtés. Il était également plus qu'un simple ami sinon pourquoi insister pour se voir si souvent ? Mais était-il pour autant plus ? Je n'étais pas persuadée de l'accepter, pas encore. Je m'étais promis de préserver mon cœur et mes sentiments pour ne les offrir qu'à Muria, l'histoire avec Maximus m'ayant servi de leçon et pourtant, je ne pouvais qu'admettre qu'Ashrand commençait à prendre une place importante dans ma vie. Tandis que je réfléchissais, j'entendis des pas non loin de moi et, amusée, je compris qu'il s'agissait du Cydien. J'avais au fil du temps réussit à le cerner et j'aimais ce côté taquin tout comme j'étais parvenu à le sentir plus qu'autre chose quand il arrivait. Il posa sa main sur mon épaule et je réprimais un frisson, d'ordinaire, je n'aimais pas spécialement qu'on ose me toucher de la sorte.

« Je m'en doutais » lui répondis-je sur le même ton taquin, arborant un sourire timide.

Il semblait fatigué par sa journée de travail, sans doutes tout autant que je l'étais des trois derniers jours. J'avais essentiellement du m'occuper d'affaires urgentes, notamment préparer avec Eléa son arrivée au Tribunat tout comme son plan d'attaque. Il était évident que la princesse comme sa mère n'avait pas besoin de moi mais elles avaient tenu à avoir mon avis ainsi que celui du Conseil sur la position à tenir à Erathia. J'avais ensuite eut la lourde tâche de veiller sur les trois nouveaux-nés de la cité tout en aidant Philéa à faire le point sur les Soumis. Il m'était évident qu'elle préparait quelque chose mais j'ignorais encore quoi. Elle avait fait le tour des quartiers Soumis en ma présence, avait relevé deux trois détails et une chose une autre, cela faisait trois jours que je ne m'étais pas rendue au lieu de rendez-vous, qui au final, n'en était pas vraiment un.

« Je vais bien, en revanche, tu as l'air plutôt fatigué je me trompe ? », je l'observais un instant avant de reprendre, d'une voix calme et posée, « j'ai eut pas mal de choses à faire en effet, notamment superviser la formation de notre petite princesse »

Jelenna serait une excellente Sentinelle si elle en avait le souhait pourtant, je me doutais qu'elle ne choisirait pas cette voie, et que sans doutes, elle ne tarderait pas à demander à quitter la cité pour le Temple, définitivement. En même temps, la princesse était bien loin d'Eléa question combativité, du moins à mes yeux, et je ne la voyais pas sur un champs de bataille à pourfendre les ennemis de ses flèches. Si elle était bonne archère, elle n'avait pas le mental d'une guerrière, bien loin de là. Pour autant, s'occuper d'elle était un plaisir intellectuel et bien que nos entrainements soient rares, j'appréciais sa compagnie en espérant que ce soit réciproque.

« Ne te trompe pas, je viens ici par plaisir et non par obligation ! » rétorquais-je, vexée qu'il puisse penser qu'il avait un quelconque pouvoir d'attraction sur moi.

« Depuis que Gäelle est partie, je dois avouer que je n'ai rien de mieux à faire que de venir partager quelques heures avec toi pour refaire le monde » me moquais-je.

En réalité, mon temps libre était divisé entre les entrainements quotidiens à l'arc comme au reste, et mes heures passées au Bar Bu mais depuis que l'Amazone qui le tenait était partie, grâce à mon aide même si personne ne le savait, je n'y allais guère plus, ayant seulement appris que le bar avait été repris. Ashrand constituait donc ma seule distraction.

L'invitation me tentait tout autant que d'aller faire un tour mais vu le ton amusé qu'il avait prit, l'idée de diner avec lui ne manqua pas de me piquer dans ma curiosité. J'ignorais s'il était bon ou mauvais cuisinier mais j'avais particulièrement envie de me détendre et quelque chose me soufflais que ce serait le cas. Le seul problème étant que je ne voulais pas que cela dérape et que certaines rumeurs naitraient si je mangeais chez lui. A bien y réfléchir, nous avions tous les deux besoins d'un repas vu nos visages fatigués et je n'étais pas assez en forme pour faire un tour. En réalité, j'étais surtout attirée par ses fameux talents de cuisinier.

« Mieux vaudrait pour toi que ce soit aussi bon qu'au palais sinon je regretterais surement d'avoir accepté ton invitation et y réfléchirais à deux fois pour la prochaine ! » lançais-je avec un sourire amusé.

Elle avait bien deviné qu’il arrivait, par hasard ou le connaissait-elle suffisamment pour l’identifier avec si peu d’éléments ? Ca aurait tout aussi bien pu être un badaud qui passait par là mais elle avait quand même compris qu’il s’agissait de lui. Ashrand en conclut que puisqu’il était si prévisible, il varierait les plaisirs la prochaine fois.

« Je t’avoue que la journée n’a pas été de tout repos. Bien content d’avoir fini ! » lui répondit-il

Le Soumis savait que Kiera était chargée de la formation de la petite Princesse Jelenna et la Sentinelle avait l’air de prendre plaisir à l’instruire.

« Je me demande comment tu fais pour être en forme avec tout ça. Gérer les Sentinelles, aider la Reine, former la Princesse, … et tu arrives encore à trouver du temps libre ? Au moins je suis sûr que si c’est toi qui te charges de l’apprentissage de la Princesse, elle deviendra une bonne guerrière. »

Il lui avait souri en finissant sa phrase. Ce n’était pas des compliments en l’air qu’il lui faisait au contraire, il savait à quel à point Kiera était le meilleur maître d’armes que l’on puisse avoir. Même s’il ne connaissait pas personnellement la petite Princesse, il savait que c’était une enfant qui se préoccupait beaucoup du sort des Soumis et juste pour cela, il l’appréciait d’une certaine façon et était content pour elle qu’elle puisse avoir aussi bonne instructrice que la chef des Sentinelles.
Ashrand ne réagit pas à la remarque suivante mais fut tout de même soulagé que l’Amazone prenait plaisir à venir ici. Aussi se contenta-t-il de lui sourire. Il avait certes vexé la Sentinelle mais loin de lui était l’idée de le faire.

« Je joue le rôle de bouche-trou en somme ? » la taquina-t-il gentiment, « Enfin, je n’aurais jamais pensé que refaire le monde soit si peu fatigant et si agréable »

Lui n’avait pas grand-chose à faire de ses journées : travailler sinon, plus occasionnellement, livrer un duel dans l’arène et c’était tout. Il n’avait pas vraiment de temps à consacrer pour des distractions mais il faisait tout de même une exception pour aller voir Kiera qui constituait pour ainsi dire sa seule source d’activité extra-professionnelle.

La belle blonde accepta l’invitation, au plus grand plaisir du petit Soumis. Il savait qu’autour de lui, ça jasait quant à la nature exacte de leur relation. Ils n’entretenaient pourtant qu’une relation amicale mais on n’arrête pas les rumeurs aussi facilement. Bah, si ça les amusait de se faire des idées pareilles … Il s’en fichait un peu à vrai dire.
Cependant le Soumis savait aussi que leur amitié était mal vue par certaines personnes, d’autres Amazones principalement : qu’un homme soit aussi proche de leur admirable et respectée Chef ne leur plaisait pas trop mais il n’avait pas l’intention d’arrêter de voir Kiera sous prétexte qu’il y avait des jalouses.

« C’est un défi que tu me lances, là ? Et bien je ferai tout mon possible pour que tu n’aies pas à te plaindre du repas »

Il avait adopté un ton tout aussi taquin qu’elle. Il savait très bien qu’il n’arrivait pas au niveau des cuisiniers du palais et l’Amazone devait bien s’en douter. Seulement à force de cuisiner chaque jours, il avait bien fini par avoir quelques compétences dans le domaine, sans pour autant pouvoir prétendre qu’il était très bon là-dedans.

« On y va alors, j’habite à deux pas d’ici ! »

Le Cydien se leva et, suivit de la Sentinelle, se dirigèrent tout deux vers le domicile du Soumis. Tout au plus y avait-il dix minutes de route s’ils marchaient à leur aise –et il n’était pas spécialement tenté de se presser. En fait, de là où ils se donnaient rendez-vous, il y avait moins de chemin à faire pour aller jusque chez lui plutôt que jusque chez Kiera et même s’il s’était demandé pourquoi se rencontrer aussi loin de chez elle, le jeune homme avait tu sa question car, d’une certaine façon, cela l’arrangeait.

« Au fait » commença-t-il, « tu parlais de Gaëlle à l’instant et de son départ et je me demandais si tu savais ce qui avait motivé sa décision. Enfin vous étiez de bonnes amies donc je pensais que tu le saurais peut-être. C’est surtout que je ne comprends pas pourquoi elle a fait ça, enfin je veux dire par là qu’ici vous, les femmes, ne manquent de rien … »

Pourquoi se mettait-il à parler d’une Amazone qu’il n’avait jamais vue ? Et bien, ils avaient l’habitude de discuter de tout et n’importe quoi, de la pluie et du beau temps. Aussi loin qu’il se souvenait, il n’avait jamais questionné Kiera à ce sujet cependant il comprendrait parfaitement qu’elle ne veuille pas en parler, la perte d’une amie étant toujours difficile.

Tout en discutant, ils continuèrent de marcher sans se rendre vraiment compte du ciel se faisant de plus en plus menaçant …

La journée avait été longue à mes yeux et j'étais presque soulagée de constater que c'était également le cas pour le Soumis. Je souriais bien malgré moi à sa réflexion, il était vrai que nous ne faisions pas vraiment d'efforts pour préserver la santé de nos Soumis. Disons plutôt que nous n'agissions que lorsqu'ils étaient trop fatigués pour travailler ou déjà malades. Je ne pouvais m'empêcher de penser en voyant Ashrand que nous devrions peut-être faire en sorte d'adapter les travaux au gabarit des Soumis … quoi que cela avait au moins l'avantage de leur forger un corps finement musclé et fort agréable à regarder ! La remarque du jeune Cydien me fit sourire.

« Je ne suis qu'un faible soutient pour la reine tu sais, avec le Conseil, mon rôle principal est d'assumer l'organisation de notre armée et de superviser l'entrainement de la petite Jelenna. Crois-moi, cette gamine n'aura pas besoin de moi pour devenir une bonne archère quant à être une bonne guerrière, je ne crois pas que ce soit dans son caractère ou dans ses priorités. »

Jelenna était une princesse aux antipodes de ce qu'était sa sœur ainée à mes yeux. Je n'avais que peu côtoyée Eléa certes, mais je la voyais comme l'image même de la guerrière Amazone, prête à tout pour sa cité comme sa famille, tête brulée et avec une âme foncièrement guerrière, sa cadette était quant à elle plus douce, plus réfléchie sans doutes mais s'il m'était difficile de comparer les deux filles et en tout cas, bien loin d'être capable de tuer facilement quelqu'un. Ce n'était facile pour personne mais il me semblait évident que Jelenna n'en serait jamais capable à moins d'y être forcée. Non, à mes yeux, elle ne serait pas une guerrière.

Je souris à sa remarque, visiblement, il avait pris ma petite pique très à cœur. Pour ma part, j'avais surtout hâte de voir ce que me réservais un de ses repas. Je mangeais peu par habitude peut-être ou tout simplement parce que je n'y parvenais pas mais il était vrai que j'appréciais tout de même de manger de bonnes choses. Je n'étais pas pour autant difficile à contenter, simplement tout ce qui ressemblait de près ou de loin à de la graisse ou à du brûlé ne me faisait pas envie. Lorsque j'avais l'occasion de manger au palais, je louais le ciel qu'il ait de si bons cuisiniers moi qui n'était qu'à peine capable de casser un œuf pour le faire cuire ! La viande demeurait un mystère pour moi qui était incapable de différencier une poule d'une caille. Si j'avais des qualités, elles ne résidaient pas dans mes talents de cuisinière !

Je suivis le Soumis jusque chez lui. Je crois que je n'étais jamais allée chez lui et que je n'avais pas remis les pieds dans le quartier des Soumis depuis le départ de Maximus. A vrai dire, je préférais bien souvent que ce soit lui qui vienne me rendre visite que l'inverse. A l'époque, j'avais trouvé cela plus simple, plus discret et aujourd'hui, je me demandais si j'avais eut raison de tenir un tel raisonnement. La voix d'Ashrand me tira de mes pensées. Gaëlle était ma meilleure amie, pas une simple connaissance de passage, mais celle qui avait partagé mes joies et mes peines durant des années. Si j'avais plus ou moins compris sa décision de quitter notre cité, je ne pouvais que me sentir encore trahie par sa désertion, par son manque de confiance envers moi qui l'avait poussée à me cacher la vérité. Ma gorge se serra malgré moi mais je décidais de répondre à mon ami :

« Cette cité offre tout aux femmes blessées mais qu'en est-il des autres ? De celles qui sont nées sans jamais quitter ces murs ? Gaëlle rêvait d'aventures, elle rêvait de princes et de chimères. »

Je marquais une pause, tentant de cacher mon trouble comme mon émotion. La jeune femme était partie depuis quelques semaines déjà, même quelques mois et pourtant, la plaie était toujours là, purulente et prête à saigner de nouveau si on la pressait un peu trop fort.

« Lorsque sa mère est morte, elle a comprit que malgré tous ses efforts, rien de tout cela ne serait réalité tant qu'elle n'essayerait pas de prendre les choses en main. »

Je me rendis compte à quel point je parlais presque par énigme, mon ressentiment m'empêchant de vraiment être objective. L'Amazone était triste d'être à Muria, toute sa vie, elle avait rêvé d'autre chose, elle avait cru qu'en faisant de son mieux, les choses s'arrangeraient et évolueraient dans un sens plus favorable mais cela n'avait jamais été le cas. La faucheuse avait pris sa mère et la barmaid s'en était allée.

« Alors elle est partie en abandonnant tout derrière elle. » lâchais-je sans méchanceté, d'une voix pourtant chargée de reproches et de peine.

Je tournais mon regard vers Ashrand avant d'ajouter :

« Elle était libre de faire son choix désormais, et nos chemins se sont à jamais éloignés. »

Ce n'était là encore pas méchant, mais une simple constatation de ma part. Gaëlle avait choisi un chemin différent du mien et de par ma fonction de Chef des Sentinelles, je devrais l'arrêter si nos routes venaient un jour à se recroiser aussi, je priais pour que ce ne soit jamais le cas. Elle était malgré tout ma plus précieuse amie … Alors que je ressassais cela, je sentis une goutte tomber sur mon épaule. L'orage était proche, j'espérais qu'il en était tout autant de la demeure d'Ashrand !

« Certaines choses ne sont pas faites pour durer, tu n'as pas à être désolé des choix qu'elle a fait. »

Certes la désertion de Gaëlle était une trahison à mes yeux mais je ne voyais pas l'intérêt que le jeune Cydien s'en veuille pour quelque chose dont il n'était pas responsable. La curiosité n'était un vilain défaut que lorsque l'on admettait pas ses erreurs et le fait de parler de mon ancienne meilleure amie éveillait certes en moi des sentiments douloureux mais me permettait également d'avancer, de partager ce si lourd fardeau que j'avais supporté seule jusqu'à présent. Le comportement attentif d'Ashrand me faisait plaisir et je ne voulais pas qu'il s'en fasse pour des fadaises de ce genre.

« Cela dépends si le repas est bon n'est-ce-pas ? » répondis-je avec le sourire, entrant délibérément dans son jeu.

« Je suis née dans cette cité et je suis de celles qui ne trouvent pas cela normal comme tu dis. Les générations changent, sans doutes est-ce différent pour celles qui viennent trouver refuge dans la cité mais pour ma part, je trouve que Muria offre la sécurité et la paix. J'ai beaucoup voyagé et je comprends les femmes qui viennent chercher entre ces murs le réconfort de leur soeurs. Je pense que Gaëlle cherchait simplement autre chose, une chose que Muria n'était pas en mesure de lui offrir. »

La créancière du Bar Bu avait fait son choix, certaines femmes le partageaient, d'autres non. Pour ma part, je ne condamnais pas la désertion de la jeune Almer, ni même la jugeais simplement, je ne comprenais pas pourquoi elle avait pris le parti de me la cacher. Si je n'avais pas été dans cette forêt ce jour-là, Gaëlle serait partie sans un mot, sans un aurevoir. Je comprenais plus ou moins ses motivations et je savais que Mouchka l'avait inquiété au point de l'enchainer à cette cité mais ce que je ne pouvais pas accepter était le fait qu'elle soit parvenue sans un regret à détruire notre amitié … Et encore, j'avais menti pour couvrir sa fuite, c'était donc que je lui pardonnais. Je ne savais plus ce que je devais penser de la barmaid et je préférais la laisser de côté dans ma vie pour le moment. La pluie commençait à tomber et le Cydien ne manqua pas de s'en apercevoir.
Je partageais l'opinion d'Ashrand, espérant qu'il ne s'agirait que d'une petite pluie plutôt que d'un orage. La saison ne se prêtait que trop aux orages et je n'étais pas de celles qui appréciaient le plus que les éléments se déchainent au dehors. Mon compagnon accéléra le pas sous une pluie qui se faisait plus drue et anéantissait mes espoirs qu'elle ne soit que passagère. La pluie se fit battante et il ne fallut pas bien longtemps à mes vêtements pour être détrempé, le froid s'insinuant sous ma peau comme l'aiguille d'un médecin. En l'espace de quelques minutes, le temps estival s'était mué un un véritable temps d'automne. Je suivis le Soumis en courant, espérant que nous ne mettrions pas trop de temps à nous mettre à l'abri sans quoi, nous risquions d'attraper une pneumonie ou quelque chose du même type !

Un éclair zébra le ciel, exactement ce qu'il fallait pour me mettre en confiance moi qui avait horreur des orages. Je ne les craignais pas, mais je n'étais pas non plus sujette à vouloir rester dehors un soir où les éléments se déchainaient au dessus de ma tête. Je n'aimais pas en général tout ce que j'étais incapable de contrôler aussi, je ne me fis pas prier pour entrer dans la demeure. Je n'avais pas osé esquisser un mouvement de peur de détremper tout le sol et la pénombre régnant dans les lieux m'empêchait de distinguer quoi que ce soit. Ashrand alluma fort heureusement quelques chandelles, me permettant ainsi de constater à quel point la maisonnette était bien tenue bien que quasiment vide. Je me demandais si le jeune homme avait fait ce choix ou si les circonstances l'y avaient contraint.
Le jeune homme revint quelques secondes plus tard, avec deux serviettes, l'une en main et l'autre sur les épaules. Il me tendit le linge immaculé tandis que je tentais de sécher ma longue chevelure. Je ne devais pas ressembler à grand chose ainsi trempée ! Ce qui se passa ensuite devait répondre aux attentes de bon nombre de personne au dehors, sans doutes même cela devait-il correspondre aux attentes du jeune homme et aux miennes. Je restais l'espace d'un instant interdite, ne sachant quoi faire ou quoi répondre. Je ne pouvais pas m'empêcher de connaître les tenants et les aboutissants de ce qui venait de se produire, en réalité, je ne pouvais que constater que tous les évènements nous avaient menés à cette suite logique mais étais-je seulement prête à l'assumer ? Je plongeais mon regard bleuté dans celui d'Ashrand, le coeur battant comme jamais sans oser me l'avouer, et y cherchait la réponse que j'attendais. Le jeune homme semblait sincère, son regard ne trahissait aucune mauvaise pensée songeais-je comme pour m'auto-persuader. Je n'étais pas encore tout à fait prête sans doutes … Ce fut toutefois en lui prenant la main délicatement, sans vraiment y réfléchir, que je lui demandais :

« Ne m'aurais-tu pas promis un diner ? »

Un sourire entendu et timide se dessina sur mes traits tandis que j'ajoutais, perplexe :

« Je risque de ne pas t'être d'une grande aide trempée comme cela, aurais-tu une chemise ou quelque chose à me prêter avant que je n'attrape froid ? »

Je détournais manifestement la conversation le temps de faire le point sur ce qui venait de se passer. Après la trahison de Maximus, je m'étais promis de ne plus jamais retomber amoureuse mais aujourd'hui, je venais clairement de rompre mes propres engagements, j'étais cependant encore incapable de faire le point dans mes pensées et de savoir ce que je voulais vraiment.

J'ignorais encore ce que mon cœur réclamait et sans doutes était-ce pour cela que j'avais eut du mal à lui répondre bien que je sois consciente de sa déception. Pour l'heure, il me fallait du temps pour remettre mes sentiments en ordre et pour éviter de prendre les mauvaises décisions. L'ironie du jeune Cydien ne m'empêcha pas de comprendre que je l'avais blessé mais pourtant, je préférais rester stoïque bien que sa réaction me serre le cœur. Je fus soulagée qu'il lâche ma main et qu'il disparaisse, ne serait-ce que quelques secondes, de mon champs de vision. J'avais besoin de calme et de réfléchir et la situation ne s'y prêtait pas vraiment. Ashrand ne mit pas longtemps à redescendre et je fus bien obligée d'affronter à nouveau son regard comme sa gentillesse à mon égard. Je fus néanmoins soulagée de constater que je pouvais me changer à l'étage et je ne me fis pas prier pour monter.

« Merci. » ajoutais-je tandis que j'avais déjà gravi les premières marches de l'escalier.

Une fois en haut, j'enlevais rapidement vêtements et sous vêtements trempés, me sentant gelée jusqu'aux os. Mes cheveux, devenus longs par habitude, regorgeaient d'eau et la sensation de cette dernière ruisselant dans mon dos n'était pas agréable. Je prenais donc la serviette qu'il m'avait gentiment prêté et j'y mettais mes cheveux de telle sorte qu'ils ne me gênent plus. Ensuite, j'enfilais la chemise un peu trop grande mais bien plus chaude que mes vêtements trempés et le pantalon tout en y ajoutant ma ceinture. Obéissante, j'avais laissé mes vêtements mouillés sur le sol mais, craignant d'abîmer quelque chose, j'avais ôté la serviette de mes cheveux pour les envelopper dedans. J'avais l'avantage de ne pas avoir les cheveux trop longs et surtout, qu'ils sèchent relativement rapidement. Mon regard passa par la fenêtre tandis qu'un déluge se déchainait au dehors.

« Il pleut à verse ! » lançais-je sur le ton badin de la conversation tout en descendant pour le rejoindre.

Un feu commençait à danser tranquillement dans la pièce, réchauffant l'atmosphère bien mieux qu'elle n'y était parvenue jusque là. J'hésitais à descendre un peu plus, me demandant comment je devais réagir envers le jeune homme tandis que mon cœur semblait décider à exploser. Bien évidemment, croiser le torse nu du Cydien n'avait en rien aidé mes sentiments à se taire. Son sourire me mit mal à l'aise, non pas parce qu'il me déplaisait, bien loin de moi cette idée, mais parce que je ne savais pas comment le prendre et encore moins, comment y faire face. Devais-je me montrer sure de moi là où je ne l'étais pas du tout ?

« Je m'en occuperais, file te changer avant d'attraper froid ! Je ne tiens pas à manger seule ... »

Je tentais d'être agréable bien que je me doutes que ma précédente réaction avait du le laisser pantois. Il devait surement m'en vouloir mais pour autant, j'étais incapable de me décider. Prendre ce genre de décisions ne m'avaient pas réussi par le passé et je craignais qu'il en soit de même maintenant. Tandis que le Soumis montait, je m'attelais à ne pas faire mourir le feu. Je devais bien avouer qu'il y avait bien longtemps que je n'avais pas eut à maintenir en vie un feu à l'intérieur d'une maison, d'ordinaire, ce genre de missions m'étaient données en pleine nature, et pas toujours sous un plein soleil …

« Veux-tu que je prépare quelque chose en attendant ? » demandais-je tandis que j'entendais le parquet craquer de temps à autre au rythme des mouvements d'Ashrand.

A bien y réfléchir, je me sentais certes mal à l'aise mais tout aussi étrangement, bien. Cela faisait bien longtemps désormais que je n'avais pas autant apprécié les discussions avec un homme et que je n'avais pas partagé un repas amical. Depuis le départ de Gaëlle, mes journées étaient devenues sombres et tristes, dénuées d'intérêts et lorsque j'avais commencé à me lier d'amitié avec lui, petit à petit, j'avais repris goût à beaucoup de choses. Ashrand n'avait jamais cherché à profiter de moi ou de ma position et sans doutes était-ce pour cela qu'aujourd'hui, je me sentais prête à sauter le pas là où, quelques mois plutôt, j'avais juré de ne plus jamais devenir la proie d'un homme. La différence était peut-être en ce que Ashrand ne semblait pas voir en moi une proie mais belle et bien une femme qui lui plaisait.

« Il pleut tellement que je crains que cela ne s'arrête pas avant demain matin, cela te poserait-il un problème si je dormais ici ? Je t'avoue que l'idée de sortir sous la pluie battante ne me tente pas vraiment … »

Le temps n'était pas à l'accalmie, pire que tout, il faisait de plus en plus sombre et cela ne donnait nullement envie de mettre le nez dehors. Je n'avais donc pas d'autre choix que de rester dormir chez le Cydien, en espérant qu'il ne me mettrait pas à la porte ... Etrangement, cette éventualité m'inquiétait bien plus que les rumeurs qui pourraient éventuellement naitre d'une nuit passée chez un Soumis par la Chef des Sentinelles. Je souris à la remarque du jeune homme, consciente que s'il ne s'agissait là que d'une simple constatation, je tenais peut-être ma réponse pour rester dormir chez lui. Traverser la cité endormie sous un temps de chien ne faisait pas partie de mes attributions ...

La pluie se fit plus forte sur les carreaux et je ne pouvais pas réprimer un frisson. Même près du feu, je ressentais le froid du dehors et malgré mes origines Astorgs, je n'avais pas hérité spécialement du don de mes ancêtres à être immunisée du froid. Certes je le craignais moins que mes soeurs Amazones, mais je n'étais cependant pas prête à sortir toute nue pour me rouler dans la neige en plein hiver ! Un éclair zébra le ciel tandis qu'il me tirait un nouveau frisson. Je n'aimais pas spécialement ce genre de spectacles, je devais même avouer que je n'appréciais que peu les orages. Le bruit assourdissant de ces derniers sans parler des éclairs qui s'invitaient bien trop souvent au bal, le tout faisait que je ne me sentais pas forcément à l'aise lors d'un orage. Je souris à la remarque d'Ashrand, soudain consciente de ce qui m'entourait. Ou plutôt aurais-je du dire, de celui qui m'entourait.

Je souriais en entendant Ashrand me dire qu'il allait s'occuper de tout. A vrai dire, je préférais qu'il se charge du repas, si je n'étais pas une mauvaise cuisinière, je n'étais pas non plus la meilleure qui soit et ce, bien loin de là. La plupart du temps, je me contentais de cuire quelques petits plats rapides à base de viande et de légumes. Les fruits n'étaient pas ma tasse de thé mais j'aimais en prendre quand même pour garder un équilibre nécessaire à cause de mes entrainements.

« Je pense qu'un repas suffira à satisfaire mes besoins ! » le taquinais-je du bas de l'escalier, attendant qu'il redescende.

Je vis redescendre le jeune homme, un paquet de linge sale dans les mains et je ne put m'empêcher de me sentir gênée en voyant qu'il y avait parmi le fameux linge sale mes propres affaires. Il était étrange de me sentir gênée pour si peu de choses, à vrai dire, j'avais l'habitude de confier mes vêtements à d'autres femmes pour qu'elles les lavent ... La réponse d'Ashrand à ma question quelque peu déplacée me rassura et me fit étrangement bien plus plaisir que ce que j'aurais pu penser de prime abord.

« Merci ! »

Je n'osais pas relever le fait qu'il me laissait son lit, à vrai dire, j'avais un peu peur que ce soit déplacé vis à vis de la situation et quelque part, je trouvais presque normal qu'il me laisse son lit non pas en tant que Soumis mais en tant qu'homme. J'avais toujours eut des doutes sur nos principes envers les Soumis mais au delà de cela, j'avais toujours été convaincue que les hommes étaient censés agir comme Ashrand venait de le faire. A vrai dire, j'étais peut-être bien loin de l'idée des hommes normaux. La remarque de mon interlocuteur me tira de mes pensées et ne manqua pas de me faire à nouveau réfléchir. D'ordinaire, jamais je n'aurais accepté une telle proposition alors de là à la proposer moi-même ... Je profitais du changement de sujet opportun qu'il m'offrait en déclinant la proposition avec humour :

« J'ai vu bien assez d'eau pour aujourd'hui, en revanche, si tu as quelque chose de chaud, je ne suis pas contre ... Je suis gelée ! »

Encore une fois, je m'étonnais d'être aussi franche et d'avouer si facilement mes faiblesses. J'appréciais Ashrand mais même mes amies féminines ne connaissaient pas mes faiblesses alors pourquoi les lui confier à lui ? La nouvelle remarque du Cydien me fit à nouveau réfléchir. Cela me dérangeait-il seulement que l'on pense que j'avais dormi ici et que j'avais fait plus que dormir ? A vrai dire, avant qu'il ne soulève l'idée, je n'y avais pas pensé ! Je me rendis compte à cet instant à quel point je me moquais de ce que l'on pouvait penser de nous, et c'était justement parce que je pensais qu'il y avait un "nous" que cela était étonnant. Je finis par comprendre pourquoi ce baiser m'avait chamboullée, peut-être parce que je ne voulais pas encore accepter le fait que de l'amitié à l'amour, il n'y avait qu'un pas.

« Je suppose que chaque rumeur comporte une part de vérité. »

J'avais répondu sans réfléchir et en m'entendant parler, j'avais senti mes joues rougir. Détournant le regard, je me mis à contempler le feu sans oser rien faire d'autre. Qu'avais-je avoué ? N'importe quoi, je n'étais même pas sure de ce que je ressentais ! Sans parler que je n'étais pas forcément prête à me lancer dans une nouvelle aventure ... je m'étais fait la promesse de ne plus tomber dans le piège des hommes. Je n'avais pas venu venir le coup du Cydien qui, sans le faire exprès, m'avait visiblement séduite. Ne sachant que faire ou que dire de plus, j'ajoutais simplement d'un ton que je voulais détaché :

« Je suis censée superviser les séances de tir à l'arc de Jelenna, en plus de mon propre entrainement, la boue ajoutera un peu de piment ! »

[ J'ai pas le temps de relire, désolé! ]

J'ignorais quoi penser de la situation. Pour tout avouer, j'ignorais quoi penser en général, sans doutes aurait-il mieux valu que je rentre dans mes quartiers plutôt que de laisser la situation évoluer dans ce sens mais j'ignorais totalement quoi choisir entre ma raison et ce qui semblait être motivé par mon cœur. Je répondais avec un sourire discret à sa proposition :

« Cela ira, merci ! »

J'étais incapable de dire quoi que ce soit de plus, en réalité, je commençais sincèrement à me demander si la pluie n'était pas qu'un prétexte pour rester en compagnie du Cydien. Impossible, je m'étais promis par le passé, il n'y avait pas si longtemps de cela, de ne plus jamais chercher plus que de l'amitié chez un homme. Trahie comme je l'avais été par Maximus, je ne pensais pas une seconde pouvoir me permettre de remettre à nu mon cœur et mon corps devant quelqu'un et pourtant, n'était-ce pas ce que j'étais en train de faire ? En acceptant l'invitation d'Ashrand, n'étais-je pas en train de mettre à mal toutes mes résolutions ? Je sentais ma volonté vaciller et pencher dangereusement dans un sens qui me hantait et me terrifiait. Je savais pertinemment ce que je ressentais pour le Soumis mais j'étais incapable de me faire une raison. Pour moi, il n'était pas encore envisageable que ce fut-ce plus que de l'amitié. Un frisson parcourut mon échine et me fit quelque part revenir sur terre.
D'un mouvement du menton, je refusais poliment mais froidement la proposition. Mes origines Astorgs étaient certes enfouies profondément dans ma mémoire mais mon corps devait forcément s'en souvenir. La mémoire corporelle existait-elle seulement ? J'en étais persuadée étant donné l'aversion que me procurait une main d'homme ne serait-ce que posée sur la mienne. Peu importait, je ne comptais pas paraître plus faible que je ne l'étais déjà, ainsi tourmentée par mes sentiments. Sans mot dire, je prenais une chaise, toujours perdue dans mes propres pensées et obéissais en allant m'assoir devant le feu. Ce dernier brulait joyeusement dans un bruit sourd de crépitements. Cherchant un réconfort futile, je plaçais mes mains non loin de l'âtre pour les réchauffer, profitant non sans un plaisir évident de la chaleur qui émanait du poêle. Consciente soudain que je profitais de la gentillesse de mon hôte, j'ajoutais d'un ton étrangement timide :

« Merci »

En entendant ma voix, tel un écho, je me demandais encore si c'était réellement moi qui avait parlé mais au fond, peu importait. Le principal était de me rassurer je crois, je n'étais restée chez lui que parce qu'il pleuvait à trombe dehors et que je ne pouvais donc pas rentrer chez moi. Oubliant les battements incessants et désordonnés de mon cœur, délaissant les pensées qui me perturbaient, je préférais me pencher sur ce qu'il faisait. Ce ne fut que lorsqu'il reprit la parole que je me rendis compte à quel point j'avais pu être stupide. Lui offrant les moyens de me prendre à mon propre piège, je venais de perdre ridiculement la face en comprenant mon erreur. Certes je n'avais pas choisi les mots au hasard mais en réalité, je n'étais pas certaine d'être totalement consciente de ce que je disais. La preuve en était que je fus incapable de lui répondre. Je détournais quelque peu le regard de telle sorte que mon trouble lui échappe. Sa remarque eut l'effet escompté, je me mis à rire sans pouvoir me retenir avant d'ajouter, amusée :

« Quel privilège ? Celui de supporter quelques heures encore une Amazone là où tu pourrais en être débarrassé jusqu'à demain ? »

Je n'avais jamais pris part aux colportages tout comme je me moquais en général des rumeurs. J'espérais simplement que celle-là ne soit pas fondée mais, à bien y réfléchir et à bien observer Ashrand, je me doutais que jamais il ne s'était servi de moi. Il avait obtenu les faveurs de Philéa sans moi et je ne l'avais jamais entendu me demander quoi que ce soit de plus qu'une invitation à manger. En d'autres termes, il m'apparaissait évident que s'il avait du profiter de moi, il l'aurait fait depuis longtemps. Le ton hésitant qu'il employa me fit relever le nez dans sa direction, inquiète comme curieuse de la suite.

La suite me terrorisa. Je ne m'y attendais qu'à moitié, en réalité, j'avais bien voulu écarter l'éventualité qu'il partage les mêmes sentiments naissants chez moi pour me protéger. Maintenant qu'il parlait, qu'il avouait l'inavouable, j'étais incapable de répondre ou de réfléchir. J'aurais voulu hurler pour qu'il se taise mais rien n'en fut, force était de constater que j'attendais la suite. Que je voulais l'entendre tout autant que je me refusais à l'écouter. Le murmure n'en était pas un, j'avais l'impression qu'il avait hurlé ces quelques mots à mes oreilles, et que, douloureuses, elles s'étaient fermées au monde.

Les secondes qui suivirent me parurent être des heures, des semaines voire mêmes des années. J'avais senti mon cœur faire un raté aussi surement que je le sentais désormais battre à tout rompre. J'avais appréhendé ses dires aussi surement que je me prêtais à les chérir désormais. C'était à n'y rien comprendre, plus je cherchais la réponse, plus elle sombrait dans les limbes de mon inconscience. Je l'aimais, c'était évident, mais j'avais été tellement blessée par le passé que je me refusais à le croire, à le comprendre. Maintenant que la vérité éclatait, il était évident que je ne pouvais plus faire fi de mes propres sentiments. J'avais été trahie certes, mais à bien y réfléchir, Ashrand était le seul à ne jamais avoir cherché quoi que ce soit d'autre que mon amitié et ce, malgré les racontars et les rumeurs qui couraient sur lui … Plus je réfléchissais et plus je me perdais, jusqu'au moment où je compris. Il était des moments où la tête ne servait à rien, où le cœur prenait le pas malgré les appréhensions, malgré les risques. L'amour ressemblait à la guerre pour cela, il ne fallait pas réfléchir, il fallait foncer et advienne que pourra. Si je devais tomber, cela était peut-être mon destin. Je me levais doucement, incertaine et totalement déboussolée, incapable de me convaincre que je faisais le bon ou le mauvais choix. Ma tête était étrangement vide, trop vide même au point que je ne parvenais pas à savoir si j'animais mes propres mouvements. Lorsqu'il fut à quelques pas seulement de moi, j'ajoutais d'un ton étrangement calme et pourtant si apeuré qu'il eut pu appartenir à une fillette de dix ans :

« Je n'ai plus confiance » cela sonnait comme une excuse au fond, « mais je sais que tu ne me trahiras pas »

La dernière phrase ne sonnait pas comme un avertissement mais plutôt comme une prière. J'avais vraiment de la suite, j'étais sincèrement perdue et pourtant, je savais que mes pas me conduisaient inlassablement à lui. Que risquais-je après tout ? Non sans hésitation, je déposais un baiser sur ses lèvres. Sans le savoir, je venais de passer le point de non retour mais au fond, je crois que cela faisait un moment que j'attendais de le franchir.

[ Désolé du temps de réponse! Désengagée à moins que tu n'ai quelque chose à rajouter? ]