La chambre était petite, étroite et mansardée, comme les trous de souris qui se mettent là où ils le peuvent. Sans décoration aucune, les murs étaient blancs, sales, décrépits ; une odeur de moisissure flottait dans l’air, à cause de l’humidité peut-être. Le mobilier était restreint : une petite table sur laquelle des bandes de gaze, des seringues et une petite bassine attendaient patiemment, tout à côté il y avait une chaise branlante, en vieux bois craquant. Une petite lucarne par laquelle le ciel grisâtre apparaissait éclairait faiblement un lit étonnamment beau et propre.
Des montagnes de couvertures bigarrées y étaient amoncelées : du rouge, du rayé, du bleu, du gris, du violet, de l’arc-en-ciel même ; c’était une spirale infernalement colorée, dans laquelle, quasi noyée, Elly Sora se trouvait. Ca sentait bon la lessive, le parfum, l’attention. Un véritable cocon protecteur et hermétique.
La Nùa était embobelinée, allongée sur le ventre. La tête penchée sur le côté, on apercevait son petit nez, ses lèvres roses, ses yeux clos. Elle paraissait si tranquille, si fragile...
Quelqu’un entra, faisant bruyamment grincer la porte. Il retira ses chausses, s’installa sur la chaise. La jeune femme assoupie ne broncha pas. Ses sourcils ne cillèrent pas, de même pour sa lèvre qui ne frémit.
Le visiteur était un homme d’une bonne taille, accoutré d’un drôle d’habit jaune criard. Il se frotta les mains en marmonnant quelque chose comme « ai-je bien fermé ? » car il se releva, rapidement, et vérifia deux, trois, dix fois que le loquet était mis. Il le tournait dans les deux sens, bruyamment, frénétiquement, comme si ça vie en dépendait. La jeune femme, elle, ne bougeait pas, engloutie dans de profonds abysses.
**Comment va-t-on ma belle ?**
L’homme n’avait pas émis le moindre son, mais son esprit se dirigea vers celui d’Elly.
**Je vais faire comme d’habitude, ne t’en fais pas. Comment te sens-tu ?**
Pas de réponse de la belle endormie, peut-être même ne l’entendait-elle pas.
Le télépathe esquissa une grimace, qui lui creusa la bouche de part et d’autre et le fit paraître bien vieux. Ca n’allait pas vraiment mieux. Il se pencha vers Elly, et souleva délicatement les couettes qui la recouvraient, découvrant ainsi une chose inattendue : des bandages.
Elly Sora était nue, et son buste tout entier était entouré de bandelettes, ont eût dit une momie. Précautionneusement, Sfriedwick commença à les défaire, un à un, découvrant peu à peu une blessure énorme.
Tout le dos était touché : la peau brûlée avait pris une tête rose et sanguinolente, et s’étendait du cou jusqu’aux fesses.
L’opération dura dix longues minutes, dix longues minutes durant lesquelles, à intervalles réguliers, l’homme portait sa main à la bouche, et toussait puissamment, puis se raclait la gorge. *Satanée toux, quand cessera-t-elle ?* pensait-il alors qu’il essuyait négligemment le sang sortit de sa bouche sur un chiffon qui traînait là. Lui aussi était malade.
**Ta blessure a merveilleuse allure, tu sais ?** fanfaronnait-il intérieurement. **Tu es aussi belle qu’avant, ne t’inquiète pas.**
Mais Elly Sora ne répondait pas, son esprit était bien loin de cette chambre miteuse dans laquelle son corps lentement se ressaisissait. Elle percevait la voix haut-perché de Sfriedwick comme un écho lointain. Mais elle, elle était perdue dans des dédales obscurs, remplis de mort, de sang, de peur.
Depuis la Bataille, elle n’était pas sortie de cette léthargie. C’était assez étonnant qu’elle ne succombât pas à ses blessures, vu la gravité de celles-ci. Après que les alliés aient remporté la victoire, Elly Sora avait été prise en charge par Sfriedwick, le vieux clown de La Troupe. A regrets, Jillian avait consentie à laisser Elly en sa compagnie, dans une petite chambre de bonne, le temps que cette dernière se remette sur pied. Cela faisait deux ou trois mois maintenant que la Nùa croupissait dans le coma, entre les bonnes mains du vieux clown.
La pluie se mit à tomber sur la vitre, en faisant comme un petit bruit d’explosion. Alors Sfriedwick remonta ses manches jusqu’aux coudes, expira, puis inspira, expira, puis inspira ; par trois fois il accomplit ce petit manège. Ensuite il plaça ses mains sur le dos abîmé de la jeune femme, dont les yeux et les cils cillèrent.
**Du calme, du calme**
Les doigts bien écartés, il entreprit ce qui s’apparentait à du Soin. Il puisait dans ses réserves énergétiques pour guérir l’assassin. Seules les gouttes d’eau troublaient l’intimité de cet instant. Au bout de quelques minutes, les mains de Sfriedwick se mirent à faiblir, son visage peu à peu se crispa, ses sourcils se fronçaient déjà avant que de la sueur vînt lui mouiller le front. Immobile, il continuait pourtant l’opération, et ses doigts guérisseurs ne rompaient pas le contact qu’il avait avec Elly.
Pour elle, le cauchemar permanent qu’elle vivait s’interrompait momentanément. Le monde chaotique dans lequel elle errait s’éclairait et en levant la tête elle voyait même un morceau de Soleil, quelque part.
**Merci** pensait-elle
**De rien, Belly** lui répondait-on **Reviens vite**
**Vite, oui, vite** murmurait-elle.
Déjà le cauchemar reprenait le dessus dans l’esprit d’Elly. D’épais nuages vinrent obscurcirent l’immensité bleutée, des murs de fer et de pics se dressaient devant elle. Il fallait reprendre la route. Elle regardait dans le lointain une faible lueur rouge qui scintillait. Il fallait qu’elle se hâte et qu’elle l’atteigne, il fallait qu’elle sorte de cet état et qu’elle puisse serrer dans ses bras Sfriedfick. Elle lui dirait alors : je ne m’appelle pas Belly ; et il lui répondrait, l’éclair dans l’oeil : si ma Belle Elly.
Dans la chambre, Sfriedwick, le buste et la tête posés sur le lit, haletait. Les quintes de toux ne s’arrêtaient pas et il lui fallut boire une grande lampée d’eau avant de pouvoir à nouveau se tenir droit et de dire à voix haute cette fois : Reviens vite, je partirai bientôt.