[151][FP] Dansez sur moi, Dansez sur moi, le soir de mes funérailles [Spectacle Troupe][Fini]

« Avez-vous déjà assisté à une fête paysanne, Capitaine ?
- Non, ou bien il y a longtemps.
- Alors ceci devrait être très édifiant pour vous. Suivez moi. »

Scène libre.

Pas de thème pour le spectacle de ce soir. Venez comme vous êtes, Saltimbanques, faites ce qui vous passe par la tête, car il n'y a qu'un seul mot d'ordre ce soir : s'amuser. Prenez possession des planches, épatez le public de vos pitreries et acrobaties, éblouissez-les avec vos costumes colorés et maquillage surfait. Il n'y a qu'un seul mot d'ordre ce soir : s'amuser.

Pour la première fois, sous vos yeux ébahis, tout Azthia est réuni. Pour la première fois, le vrai spectacle se déroulera parmi le public et non sur scène. Quoi de plus extraordinaire que de voir Astorgs, Almers, Cydiens, Elfes, Nùas et Amazones côte à côte ? N'est-ce pas là un numéro sensationnel que nous a offert Azael ? Un numéro que Jillian s'efforce de mettre en place depuis la création de la Troupe, mais si des Saltimbanques de tout Azthia traversent les planches durant les spectacles, la Meneuse n'a encore jamais réussi à rassembler autant de peuples. Comme quoi, en voulant semer la discorde, le chaos et la destruction parmi les cités, Azael n'a réussi qu'à les unifier. Et ce miracle tiendra bon. Au moins le temps d'une soirée.

Allez Saltimbanques ! A vous de jouer ! Vous qui avez su tolérer chaque peuple d'Azthia dans vos rangs, montrez à tous ces gens ce que c'est que de partager. Vous qui avez perdu grand nombre de vos membres aux portes d'Erathia, rendez leur hommage. Vous qui êtes devenus soldats le temps d'une bataille, reprenez ce rôle qui est le vôtre. Dansez, chantez, jonglez. Il n'y a qu'un seul mot d'ordre ce soir : s'amuser.

« Venez chanter,
Paysans et tisserands,
Prenez tous la clef des champs.
Venez danser,
Fermez églises et écoles,
Entrez dans la farandole,
Venez à la fête d'Az... thia ! »

[L'ordre de passage : Vyse, Eléa, Jillian, Coralynn, Cassandra, Thingol.
Rappel : les joueurs peuvent jouer des spectateurs et poster durant le spectacle.]

Il y avait foule sur la place, tous était là pour fêter la victoire, on attendait plus qu'une chose et tout le monde s'impatientait. Puis dans le brouhaha, on pouvait entendre en tendant bien l'oreille un bruit régulier qui battait la mesure :

*Tape ! Tape ! Tape ! Tape !... *

Jusqu'à que tout le monde se rend compte, le chahut diminua et une ombre foula les planches de la petite estrade. Un étrange jeune homme habillé en noir se tenais devant le public en les fixant tout en battant du pied. Il avait les cheveux noirs et portait un maquillage blanc appuyé par des traits noirs qui accentuaient ses traits de caractère très fin et ses yeux était cerné d'un contour noir et un autre rouge plus vif que la couleur de ses rétine écarlate. En ce qui concerne son origine, ses oreilles en pointe qui dépassaient de sa chevelure ne pouvait tromper personne.
Quand tout le monde se tue l'elfe arrêta de battre la mesure et s'exprima.

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs ! Astorgs, Almers, Cydiens, Elfes, Nùas et Amazones ! Comme vous pouvez le constater nous sommes tous la dans la joie et la bonne humeur pour fêter notre grande victoire contre Azael !

A ces mots la foule s'esclaffa dans un grand crie de joie qui dura un court instant dès que l'elfe leva haut la main et comme pour arrêter un orchestre, il serra son poing avec insistance.

Aussi avant de réellement commencé cette nuit. Vous pouvais apercevoir à la couleur de mes vêtement, que fête célébrera aussi le deuil de tout ceux qui sont tombé au combat. Donc avant de faire la fête je vous prierez de bien vouloir respecter une minute de silence pour honorer ceux qui on vaillamment combattu et qui on perdu la vie en héros lors la bataille.

A ce moment-là, il n'y avait plus un seul bruit, autre que le vent qui se leva en même temps que la commémoration. Cette brise apaisa le temps de cette longue minute tout le monde présent et on pouvait distinguer dans le public ainsi que sur celui du jeune homme des sourire paisible qui apparaissant sur leur visage.

Puis la mesure reprit : *Tape ! Tape ! Tape ! Tape !... *

Mon nom est Zelf, enchanté de vous connaître et je vais vous ouvrir les portes du spectacle !

Zelf mis un pied hors de la scène et claqua des doigts et quand son second pied posa lui aussi le sol de la place. La musique se mit en scène puis l'elfe bondit dans la foule.

*Prend la main d'une femme* Et oui ce soir... * Se glisse derrière un homme * … c'est votre soirée !

Tout en jonglant dans la foule l'elfe fit des acrobaties empattant toutes la galerie. Entre des bonds, des chandelles, des saltos, des flips, des vrilles et autre roulade, il jouait avec le public et traversais la foule avec une facilité déconcertante.

L’ambiance était donnée Zelf regagna la scène et il s'exprima : Je déclare le spectacle ouvert !!

Puis il s'approcha d'une jeune fille et il lui donna une bourse remplie de pièce et une poignée de bijou dans les mains et lui chuchota :

Tiens Shayou fais en ce que tu veux, amusons nous !

A peine qu'il eut finit sa phrase, qu'il repartit dans la foule laissant le numéro suivant entrer en scène.

[ Compétences : chant, manipulation du feu, connaissance des langues ]

Shayou était une enfant, quatorze ans la séparaient désormais de sa naissance mais il n'en restait pas moins qu'elle était une enfant. De son histoire personnelle, peu de choses étaient à retenir, une enfance saine parmi les siens bien que sa sœur ainée ait été rejetée par la famille, mais cela, la petite fille l'ignorait, des amis fidèles malgré sa timidité et enfin et surtout, l'entrée dans la Troupe. L'Astorg qu'était Shayou n'était jamais parvenue à se faire une place parmi les grands de Storghein. L'école avait été un calvaire car, loin d'être idiote, la petite demoiselle comprenait tout avant tout le monde et laissait son esprit voguer au rythme de ses pensées tandis que le professeur se plaignait de son manque de concentration. Les cours l'ennuyaient, trop lents, trop théoriques, et la petite fille avait fini par abandonner les lieux, désertant les couloirs et les salles de classe, leur préférant le calme et la tranquillité de la nature.
Des années de son enfance, il ne restaient que peu de choses. Une chanson qu'elle aimait fredonner, sa voix portant les cœurs vers d'autres horizons comme se prêtait à le dire certains, un ami pour le moins étrange en la personne de son chien, et pour finir, un étrange pouvoir qui avait fait fuir les mauvaises langues et l'avait laissé pour le moins seule. Shayou avait fini par se lasser de la solitude, ses parents également. Ils décidèrent de l'envoyer au loin, honteux qu'une telle enfant ne soit utile pour personne et qu'elle se refuse à leur obéir en fuyant de toutes ses forces l'école. La timide petite Astorg avait été envoyée en campagne dans de la famille qui ne se préoccupait que peu d'elle mais alors que tout semblait morose, les soirs étoilés, la petite fille chantait. Encore. Toujours. Ce fut son chant qui attira un jour la belle Jillian dans sa chaumière.

La femme la plus impressionnante de sa vie. Charismatique au possible, extravagante, belle et tellement envoutante, Shayou avait tout de suite eut envie de la suivre mais son caractère timide au possible et sa volonté farouche de ne jamais entrer en conflit avec qui que ce soit avait eut raison de sa motivation. Fort heureusement, la Cydienne s'était battue pour elle. Force était de constater qu'elle avait envie de l'avoir à ses côtés et, pour la première fois de sa vie, Shayou s'était sentie utile à quelqu'un. Quelque chose de nouveau naquit ce soir là, aux côtés de la Meneuse de la Troupe. Quelque chose de fort, de discret mais de puissant. Un respect profond ainsi qu'une grande admiration naquirent chez la petite fille et pourtant, elle savait que cela ne durerait pas.
Pendant plus d'un an, la Troupe fut son refuge, son âme et son âtre. Elle y trouva la force, l'envie et l'amitié. Shayou se sentit enfin chez elle. Avec l'aide des saltimbanques, elle se construit une famille et apprit à réellement maitriser ses dons alors ce soir mesdames et messieurs, ce n'était pas en son nom propre que la petite avançait, tremblante, sur les planches, mais pour remercier ceux que bientôt elle quitterait.

Une petite ombre pas plus haute qu'une enfant d'une dizaine d'années entra sur la scène. Ses yeux couleur rubis en effrayaient plus d'un mais cela ne la perturbait plus. Shayou posa ses pieds nus sur le sol frais tandis qu'une vague de doutes l'étreignait. Elle la repoussa, songeant à son objectif. S'arrêtant au milieu de la scène, la petite fille fit signe à son « orchestre » de se mettre en œuvre et seul un violon solitaire prit la parole. La musique, douce, s'éleva dans le silence régnant autour d'elle. Vêtue d'une robe de satin immaculée, l'enfant ferma les yeux, ses cheveux rattachés en une complexe coiffure rabattue sur le bas de son crâne. La petite Astorg plaça ses mains jointes devant son corps, comme si elle priait, et sa voix se fit entendre. Douce, mélodieuse, si juste qu'elle aurait pu faire fondre le plus dur des cœurs d'adultes. Un chant aux sonorités mélodieuses s'éleva, brutal dans ses paroles mais si doux dans la tonalité. La brutalité et la douceur réunis dans le cadre d'une chanson, une seule.
Une dernière.

La petite fille reprenait son souffle avec difficulté sans rien laisser paraître tandis qu'au rythme de sa chanson, la scène s'embrasait ici et là. Les flammes n'étaient guère impressionnante mais grandissaient et vivaient au rythme de ce qu'elle chantait. Une scène miniature de flammes se déroulait sous les yeux des spectateurs.

Une enfant, reconnaissable à sa taille comme à son absence d'armure, se tenait au milieu d'un champs de bataille. Les détails étaient si troublants qu'on aurait pu croire que la petite fille était belle et bien vivante et non faite de feu et de flammes. La bataille autour d'elle faisait rage. Chacun se battait pour sa vie sans qu'il ne soit possible de reconnaître les bons des mauvais. Et au milieu, toujours cette enfant, intouchable, dont le halo de lumière exprimait la pureté. Le chant s'intensifia tandis que la silhouette de la petite fille de flammes semblait hurler quelque chose …

Une explosion de lumière se fit alors percevoir tandis que le chant atteignait son paroxysme. La petite fille de flammes pleurait des larmes de feu tandis que le monde semblait l'avoir abandonné.

Tout autour d'elle n'était que feu. La vie avait quitté le monde.

L'enfant était seule.

Le chant se fit alors plus doux, et la mélodie changea.
Les soldats furent bientôt remplacés par des membres étranges, aux vêtements que l'on pouvait deviner colorés, à l'allure délurée et au sourire charmeur. La petite fille se tourna vers eux, craintive. Tant d'expressions passaient sur son visage qu'on aurait pu croire qu'elle était belle et bien vivante, de chair et de sang.

Une main se tendit dans sa direction.

La petite hésita avant de saisir la main et l'armée disparu jusque là reprit vie.
Nul ne se faisait plus la guerre désormais, tous s'observaient, laissant tomber leurs armes au sol. Lentement, tous autant qu'ils étaient reprirent en cœur le même geste comme si la même folie les attiraient tous vers une même fin.

Lentement, des mains se tendirent.

Lentement, des mains se serrèrent.

Les anciens ennemis étaient devenus amis.
Le chant disparu, aussi mélodieusement qu'il était né. La petite souffla un grand coup tandis que le tableau de flammes continuait de vivre devant elle. Elle souffla sur les flammes avec douceur et surtout, avec un amour palpable et fébrile et petit à petit, la manifestation de son don disparu. Seule subsista quelques secondes encore l'image de la petite fille de flammes, les yeux emplis de bonheur. Pour tout ceux qui avaient partagé son rêve, Shayou ne pouvait que leur dire :

« Merci »

Bientôt, l'enfant ne serait plus. La maladie qui rongeait son corps aurait tôt fait de la faire disparaître, à l'image de la petite fille de flammes mais l'enfant espérait que ce spectacle avait su rappeler à chacun à quel point le pardon était important. Elle espérait également avoir rendu hommage à la Troupe car bien entendu, à ses yeux, les petits corps étranges et joyeux qu'elle avait fait naitre n'étaient autres que les saltimbanques.
Sa famille.
Ils l'avaient sauvé tout comme ils avaient sauvé cette petite fille dans le théâtre qu'elle leur avait proposé. Ils étaient un tout.
La Troupe lui avait pardonné et lui avait ouvert un monde qu'elle ne soupçonnait même pas. Dans sa tête d'enfant, Shayou espérait avoir ouvert le cœur des spectateurs de la même façon.

Car il existait un rêve …

[ Musique chantée : Zombie, The Cranberries ]

Après sa journée passée au temple, elle retourna à sa chambre pour se changer. Floralys enfila une tenue propre et accrocha une cape à son cou. La soirée était légèrement fraîche mais les rues encore bondées voire plus en ce jour de fête. Elle se faufila parmi les gens en regardant les décorations volantes, petites âmes rejoignant les étoiles. Elle déboucha sur une place, lieu du rassemblement et attendit le début des festivités.
Quelqu’un s’était faufilé sur scène, le silence suivi avant qu’il prenne la parole saluant les peuples attroupés devant lui qui firent partager leur joie d’être en ce lieu puis demanda de rendre hommage aux héros qui ont permis de gagner la guerre. Il brisa le silence en tapotant la scène de son pied, se présenta avant de rejoindre les spectateurs. Floralys se mit sur la pointe des pieds pour essayer de suivre la présentation, imitée par ses voisins. Une fois elle entraperçu des jambes, des balles de couleurs flotter dans les airs à tour de rôle, d’autres pieds puis l’elfe retourna sur scène en saluant la foule sous les acclamations pour passer la main à une petite fille. Elle sembla timide, prête à se sauver dans les coulisses bien que son regard transmit un frisson à l’assistance, elle ne bougea pas et le son d’un violon rompit le silence. La petite fille joignant ses mains en une prière fit entendre son chant cristallin. Floralys senti sa peau frémir en écoutant les paroles et voyant la scène s’embraser. La templier se demanda un instant si c’était dans le spectacle, craignant un incident mais la petite fille continua de porter sa mélodie plus haut, imperturbable et personne dans les coulisses ne sembla bouger. La femme était fascinée, même hypnotisée par les flammes et la scène qui se jouait guidait par la chanson. Elle eut la chair de poule quand le chant s’intensifia, son cœur tressailli et quelque chose d’humide coula sur ses joues. Elle applaudit vivement comme ses voisins et se rendit compte quelques minutes après la fin de cette douce mélopée ses joues humides, se dépêchant de camoufler son émotion et reprendre contenance pour savourer la suite du spectacle.

Le numéro de la Petite, comme elle aimait l'appeler, avait laissé dans l'assemblée une drôle d'impression. Tant de maturité de la part de ce qui ne semblait n'être qu'une gamine, tant de magie dans ses flammes conteuses, tant d'émotion dans sa voix parfaite. De quoi en bouleverser plus d'un.

Et Jillian pleurait.

Elle vit Shayou descendre de scène comme on voit un souvenir s'éloigner à regrets. Si fragile, si jeune. Ce cadeau qu'elle venait de lui offrir, ce soir était de loin le plus beau qu'on ne lui avait jamais fait. Rien à voir avec les colliers de pâtes devant lesquels les mères peuvent s'émouvoir. Ces derniers montrent la joie de vivre, l'effort de vouloir plaire, de faire plaisir. Ce que Shayou avait donné à sa famille adoptive, elle, était un cadeau d'adieu. Elle était si forte, si digne. Si fragile, si jeune...

« Jillian, tout est en place. »

Voyant le trouble de la Meneuse, le Saltimbanque balbutia quelques excuses avant de s'éloigner, faisant mine de n'avoir rien vu. Elle essaya d'un revers de main ses larmes, inspira un bon coup. Et quand Shayou passa à ses côtés, elle était prête.

« Eh Petite ! T'as failli nous foutre le feu à la scène ! Et t'as fait chialer toutes les mères dans l'assemblée ! »

Elle accompagna néanmoins ses mots brusques d'un sourire ému, caressa avec tendresse sa joue et se pencha pour lui murmurer à l'oreille... « merci à toi Petite... »

Sans plus de cérémonie, elle monta sur les planches dans un bruissement de tissus. Et arrivée au milieu, face à la foule, elle se sentit comme nue. Oh elle portait bien une robe, une très longue robe même, dont la traîne suivait loin derrière elle. Un tourbillon de couleurs montait, du sol jusqu'à sa poitrine, où la robe s'arrêtait, sans se soucier de ternir sans bretelles, véritable spirale multicolore qui allait du vermeil au prune, en passant par l'azur, le doré, le brun ou encore le vert. Assortie à sa tenue, Paco, le ara rouge, accompagnait Jillian, perché sur son avant-bras. Un long gant plus épais qu'il ne paraissait protégeait la Meneuse des serres du perroquet et finissait à merveille son costume. Pourtant la Saltimbanque se sentait nue, là, au milieu de l'estrade. Sans Sam à ses côtés. Voilà le premier spectacle qu'elle ferait sans la tigresse. Ils n'auraient pas arrêté de se bouffer le nez Paco et elle, chacun défendant bec et griffes sa part de Jillian.

Néanmoins un jet de lumière blanche vint mettre en valeur la Meneuse, l'obligeant à sourire et oublier un instant les crises de jalousie que lui servaient ses compagnons de route. Les murmures se turent. Il n'en fallut pas plus à Jillian pour se fondre dans la peau de la Saltimbanque qu'elle était. Leur offrant son sourire carnassier, elle cria, comme elle savait si bien faire, pour être entendue de tous.

« Peuples d'Azthia ! Je vous remercie d'être si nombreux ce soir ! »

Plusieurs crièrent leur approbation et applaudirent. Les Cydiens certainement, et ceux qui comprenaient cette langue. Mais Jillian ne comptait pas faire un numéro avec seulement une poignée de Cydiens. C'est pourquoi, elle répéta, cette fois-ci en astorg...

« Peuples d'Azthia ! Je vous remercie d'être si nombreux ce soir ! »

D'autres applaudissements accueillirent son effort pour traduire, et lorsqu'elle prononça les mêmes mots en elfique, à nouveau la foule répondit. Les Almers parlaient mieux cydien que l'almer ancien, c'est pourquoi elle se contenta de ces trois langues, répétant scrupuleusement ce qu'elle s'entraînait à dire depuis plusieurs jours.

« Peuples d'Azthia, reprit-elle dans sa langue maternelle. Je vous félicite pour votre courage et votre ténacité ! Peuples d'Azthia, laissez-moi vous rendre hommage ! »

Elle traduisit de nouveau et savoura les éclats de joie qui s'élevaient des tribunes.

Une bise caressa le public avec délice avant de revenir à sa créatrice, soulevant ses jupons colorés et ses longs cheveux prune. Jillian tendit le bras et le courant d’air suivit son ordre en se dirigeant vers le tas informe qu’elle désignait à l’extrême droite de la scène. Une lumière tamisée révéla ce dans quoi le vent s’était faufilé : un immense amas de pétales de fleurs jaunes. Narcisses, mimosa, jonquilles, primevères, sans distinction, tous volèrent, tourbillonnèrent, malmenés par le pouvoir de la Meneuse. Le nuage de fleurs s’éleva au dessus de Jillian, au dessus de la foule interdite et sous leurs yeux ébahis, il commença à prendre une forme connue. Etait-ce le fruit de leur imagination, comme lorsque l’on croit surprendre un lapin derrière un buisson parmi le coton des nuages ? Cette fois-ci l’animal qui prenait vie peu à peu et remplaçait le nuage n’avait rien de la mignonne petite bête. Et même si la représentation restait grossière, les pourtours étaient assez éloquents pour que l’on devine de quoi il s’agissait. Pinces en guise de pattes avant, deux rangées de quatre pattes fidèle à ses frères insectes, tandis que sa queue remontait au dessus de lui, se terminant sur un dard menaçant. Petit et dangereux. le scorpion du désert. Hommage à la cité perdue. Ptot Tàh.

Malheureusement, les Almers étaient peu nombreux ce soir. Foutue Maladie. Ils applaudirent cependant, enorgueillis par le symbole du redoutable scorpion que leur offrait Jillian.

Paco quitta le bras de sa maîtresse pour fondre sur le scorpion de fleurs. Et comme on tourne une page, l’insecte du désert disparut, répandant ses pétales dorés sur l’assemblée. A peine évanoui, voilà qu’un autre nuage prenait forme. Jillian avait titillé un nouveau monceau de fleurs, dirigeant ses vents avec une précision époustouflante. L’or laissa place au blanc. Le sable à la brume. Les pétales blanches d’anémone, marguerite, chèvrefeuille ou nivéole se serraient à la base du dessin avant de s’élever et se diviser en d’innombrables branches tortueuses que des siècles et des siècles n’avaient su faire flancher. La Meneuse luttait contre les vents pour maintenir son œuvre approximative. Un arbre monumental, l’arbre ancestral des Elfes (le fameux, Ô Seigneur des Ténèbres !), représentant des générations de dévotion à la nature. Les cris des habitants de Silmarie accueillirent son nouveau tableau, tout aussi flou que le précédent, plus suggéré que réellement ressemblant.

Un nouveau vol du perroquet et de ses couleurs vives au milieu du blanc de la brume elfique et l’arbre s’écroula. Jillian commençait à fatiguer. Les brises qu’elle manipulait étaient légères et ne demandaient en soi, pas tant d’énergie, mais la précision de son travail rendait la tâche épuisante. Elle abandonna donc les pétales immaculés qui retombèrent paresseusement sur la foule, laissant croire une seconde que la neige s’était trompée de saison.

Quand on parle du loup… Des pétales de roses écarlates volèrent parmi ceux de coquelicots, amaryllis et azalées pour former un puissant marteau. Symbole de la force d'un peuple, de sa réussite par la sueur de son front, de sa connaissance des armes et du combat. Les Astorgs levèrent le poing et acclamèrent cet hommage à grand force de cris de joie.

Un battement d'ailes colorées et le rouge sang de Storghein fit place au bleu océan. Le vent gonfla les voiles du bateau fait de bleuets, de pensées, d'hortensias et de raiponces, qui apparaissait grossièrement et les Cydiens, prirent leur revanche et ne purent s'empêcher de faire plus de bruit que leurs voisins des montagnes. Incorrigibles, décidément. Le navire ne tint pas longtemps, Jillian n'en pouvait plus. Le bâtiment disparut, avec lui le port immense de Cydonia, ses pêcheurs et ses artistes. Il s'agissait aussi d'un clin d'oeil à la redoutable Cassandra, Cydienne et pirate recherchée à travers tout Azthia, mais ça, la Meneuse se garda bien de le préciser.

Le bleu cydien fit place au violet des bougainvilliers, chrysanthèmes, crocus et un iris particulièrement sombre. Cette fois-ci, le dessin était plus que incertain et si on reconnaissait plus ou moins les contours d'un animal, impossible de savoir duquel il s'agissait. Pourtant c'est en pensant à Elly la panthère que Jillian rendait hommage au peuple nua. Les applaudissements furent polis mais personne ne comprit réellement cette allusion à un peuple mis de côté par les grands d'Azthia. Avec un cri de rage, la Saltimbanque passa au dessin suivant.

Un océan de verdure vint remplacer le violet de la bête, suite à l'habituel intermède du perroquet. Trèfles, boules de neige, nénuphars et hellébores s'entortillèrent pour former un vague triangle. Un arc à y regarder de plus près. Mais ses contours étaient bien trop flous, le dessin bien trop vague pour qu'on puisse vraiment penser à l'arme des Amazones. Ces dernières applaudirent cependant, saluant l'endurance de Jillian. En espérant que les légendaires Sentinelles ne soient pas offensées de cet échec... La Meneuse lâcha prise et les fleurs saupoudrèrent les spectateurs de leur vert inhabituel. En voyant les pétales se mêlaient aux autres qui juchaient le sol, elle eut une pensée pour les fleuristes de Tamawa qui s'étaient démâtes pour que ce spectacle puisse voir le jour. Pourquoi avoir choisi des fleurs alors que des morceaux de papier colorés auraient fait l'affaire, avait demandé l'un d'eux, à juste titre. Un nouvel hommage. Les fleurs qui parsèment les tombes de ceux qui ont succombé, les fleurs qui naissent après un hiver rude. Le lien entre ce qui s'est passé et ce qu'il va advenir de cette alliance...

Fiers d'avoir tour à tour été remercié par la Saltimbanque, une ovation s'éleva des tribunes, unanime, chacun se disant secrètement que sa propre cité valait mieux que l'autre, que le marteau viendrait à bout du bateau, le scorpion de l'arbre ancestral... Cependant Jillian n'en avait pas fini avec eux. Le front perlé de sueur elle respirait avec difficulté mais dévisageait l'assemblée, continuant de l'écraser de son charisme implacable.

« Pour finir, j'aimerais remercier un peuple, que vous, cités d'Azthia n'égaliseraient jamais. »

Elle était épuisée et les quelques mots qu'elle balbutia en Astorg furent certainement dénués de sens car personne ne réagit. Un Saltimbanque vint alors à son secours. Un homme d'une quarantaine d'année la rejoignit, vêtu d'une tunique et d'un pantalon tout aussi colorés que ceux de Jillian. Son intervention devait être en dernier recours, et elle le remercia du regard lorsqu'il prit le relais pour répéter ce qu'elle venait d'annoncer en astorg puis en elfique.

Un silence de plomb répondit à sa remarque étrange. Qui restait-il ? Si même les Nuas avaient eu leur place dans ses dessins de fleurs, de qui parlait-elle ? Et alors qu'elle se lançait dans un nouveau discours passionné, la réponse devint évidente...

« Peuple d'Azthia ! Je te félicite pour ta tolérance et ta diversité ! C'est ce qui fait ta force qui te rend invincible. Même les combattants des temps anciens n'ont pu te résister ! Peuple d'Azthia ! Exhibe tes différences plutôt que d'en avoir honte ! Tires-en les meilleurs avantages parce qu'un peuple uni vaut bien plus que vos cités déchirées. Sois fier de ta victoire peuple d'Azthia, car elle vient de toi, et de toi seul ! »

Jillian marqua des pauses régulières afin de laisser le temps à Yoerg de traduire. Et sans attendre que le public réagisse, elle échangea un regard avec son compagnon de scène et d'un hochement de tête, ils entreprirent de clôturer le numéro. Manipulateur du vent comme elle, il l'aida à soulever dans un dernier effort les pétales de fleurs qui gisaient au sol. Blanc, bleu, vert, violet, rouge et jaune se mélangèrent, tourbillonnant au grès du vent et de l'euphorie qui s'emparait de Jillian tandis que la foule applaudissait. Blanc, bleu, vert, violet, rouge et jaune s'unirent et virevoltèrent ensemble.

Pour ne former qu'un. Un magnifique bouquet final.

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