[154 D-H]Une nouvelle arme, mais pas que.... (pv Keziah) (fini)

La cité de Storghein était resplendissante en hiver, recouverte d'une neige d'un blanc éclatante. Rien que pour ce spectacle de toute une ville ensevelis sous plusieurs dizaines de centimètre de cristaux blanc, Talphan était près à faire le déplacement depuis la cité d'Erathia. Cependant, aujourd'hui, ce n'était pas que pour ce plaisir qu'il était si loin du récent centre nerveux de la guilde des voleurs qu'il dirigeait depuis peu. S'il était ici, c'était pour trois raisons, la première ayant été déjà cité plus tôt, passons directement à la seconde. Cet endroit avait une grande signification pour lui, c'était ici qu'il avait intégré la guilde, presque quatre ans plus tôt, dans l'un des bars du port il vagabondait, emmitouflé dans sa cape hivernale. L'almer se sentait nostalgique. La troisième et dernière raison de sa venu ici, était qu'il avait besoin d'une nouvelle arme. Non pas que la dague qu'il avait n'était plus utilisable, elle l'avait servi un long moment ! Non pas pour trancher des gorges, mais pour éplucher des fruits, couper des légumes et tailler des morceaux de bois lors de ses nombreux voyages. Cependant, un de ces amis lui avait conseillé de se faire forger une nouvelle arme reflétant plus sa position hiérarchique.

Talphan se demandait encore comment Daniel Cade avait pu l'en convaincre, pire encore, comment il était encore en vie. Daniel était un personnage exécrable et pourtant, le bras droit du Loup Solitaire l'aimait bien. Leur vision du monde était radicalement différente, c'est sans doute pourquoi il l'écoutait... Avoir un point de vue aux antipodes du vôtre permet de voir parfois les lacunes qu'il comporte. C'était aussi Daniel qui lui avait conseillé de s'adresser à la forge du "Hall de fer". Le travail était bien fait et les tarifs loin d'être prohibitif contrairement à certains charlatans cydiens. On aurait pu croire qu'acheté une arme mettrait mal à l'aise l'almer, n'ayant jamais ôté la vie d'un être humain et méprisant la violence en général. Cependant, il était totalement conscient qu'elle ne servirait sans doute jamais pour autre chose qu'une noble cause. C'était ce genre d'idéologie qui faisait bien rire Daniel, lui qui raffolait des bagarres dans les bars, mais Talphan n'avait que faire de ce que l'on pouvait penser de lui. Il croyait dur comme fer à ses idées.

En parlant de fer, le voleur avait fini de flâner sur les quais de la cité, le froid lui donnant une motivation supplémentaire à rentrer dans un endroit chaud. Il se décida de partir en direction de la forge. En arrivant devant il remarqua de la fumée s'échappant de la cheminée, signifiant qu'en ce moment la forge devait être en activité. Planté devant la porte, il s'arrêta un instant, observant la fissure en son centre, s'interrogeant quelques secondes sur la nature de cette trace. Un client mécontent ? C'est donc bien loin de la vérité qu'il entra à l'intérieur. Le choc thermique fut son effet, il passa du vent glaciale à la chaleur étouffante de la forge en deux secondes. Il retira sa cape de voyage. Le statut dans la guilde n'était pas la seule chose à avoir évolué depuis tout ce temps, son apparence physique aussi avait évolué, du moins d'un point de vue vestimentaire. Ses vêtements étaient plus raffiné, il portait une chemise en lin blanc ainsi qu'un ravissant veston or et noir à motif. Son nouveau look de dandy lui donnait une couverture, qui aurait pu croire qu'il était un voleur dans un tel accoutrement ? Surement pas le jeune garçon qui l'accueillit. Talphan ne lui donnait pas plus de quinze ans, c'était l'apprenti du forgeron, qui en ce moment même travaillé. Cela donna donc largement le temps au voleur de faire le tour du propriétaire des yeux. La pièce était simple, une forge, une enclume, un tonneau remplis d'eau et des armes de toute part. Une forge tout ce qu'il y a de plus normal. Reportant son attention sur le jeune freluquet blond, il lui indiqua d'une voix assez forte pour que le forgeron, qu'il n'arrivait toujours pas à distinguer, l'entende aussi:

« Mon jeune ami, j'aimerais m'entretenir avec le forgeron afin de passer une commande. Serait-il disponible ? »

S'il avait su que ce n'était pas « il », mais « elle » et que le « elle » en question ne lui était pas inconnu, il n'aurait pas dit ça. Mais que voulez-vous, le destin à encore des tours à joué au voleur, bien que celui-ci est sans doute loin d'être désagréable.

La journée était à moitié écoulée, lorsque la forgeronne était revenue sur les lieux. Fidèle au poste Gared l'avait attendu devant la porte. Cela faisait maintenant trois ans, que ce fils de soldat avait rejoint la forge. Une bénédiction pour Keziah , tiraillée entre ses deux métiers, la jeune femme avait de plus en plus de commande, et de moins en moins de temps. Aussi lorsque Gared avait timidement toqué à sa porte pour lui demander de lui enseigner son art, Kez ne s'était pas faite prier. Au début sceptique quant aux capacité du garçon-il n'avait alors que 12ans-,elle ne le quittait pas des yeux et le reprenait sans cesse. Mais très vite-plus qu'elle ne l'aurait cru-, les maladresses de l'apprenti s'étaient considérablement réduites en nombre et en taille, au point que le jour de ses 15 ans, Gared s'était vu confier sa première petite vraie commande. Il faut dire que Gared avait la qualité rare mais précieuse, d'être à la fois attentif et travailleur. Ajouter à cela qu'il mettait du coeur à l'ouvrage, il ne pouvait que plaire à la forgeronne. De fait, une certaine entente respectueuse régnait entre maître et élève. Cependant, aussi doué fut-il, il avait encore du chemin à parcourir, et Keziah faisait encore la majorité du travail. Elle était d'ailleurs, en train d'effectuer un sertissage délicat sur une épée d'apparat, lorsque la porte s'ouvrit. Cependant elle ne leva même pas la tête.

Concentrée sur son travail, consciente que Gared ferait au mieux pour accueillir le nouveau venu, Keziah ne s'était pas interrompue. Peu à peu, attentive au réaction du métal doré, elle lui intima du bout des doigts, de se refermer délicatement sur la pierre rouge. Il ne fallait pas brusquer le mouvement au risque de rompre le fil mêlé d'or, mais il ne fallait pas être trop tendre où il refuserait de se plier. Une étincelle fine, brillante entre ses cinq doigts, la forgeronne caressa le métal. Il résista un temps, mais céda finalement sous la douceur, acceptant de se lier définitivement à la pierre. La fusion réussie, la flamme s'éteignit. La forgeronne jeta un coup d'oeil avisé au résultat final . Satisfaite, elle releva enfin la tête. La première chose qu'elle vit, fut le visage de Gared. Après avoir demandé au client d'attendre un instant tandis qu'il allait LA prévenir, le jeune garçon l'avait rejointe sans un mot. Ses grands yeux bleus la fixer maintenant avec un air perplexe.

« Y a un client qui demande vous voir.. »

Keziah, ne voyant pas ce qu'il y avait d'étrange à cela, fronça légèrement les sourcils. Dans un murmure, Gared répondit à sa question muette :

« C'est un étranger...il a demandé le forgeron...»

Keziah lui adressa un sourire amusé devant sa moue un peu boudeuse.

« Que puis-je faire pour vous ? » demanda-t-elle avant de se redresser tout à fait.

Puis ses yeux se posèrent sur le nouveau client. La première chose qui la frappa, ce fut les vêtements qu'il portait. Ils semblaient assez riches- nobles en tout cas-, le genre qui appartient au client qui vient rarement mais qui paye bien. La seconde, fut la couleur de sa peau -mate-, rare dans une cité comme Storghein. La dernière et pas des moindres fut son visage. Elle plissa légèrement les yeux...il lui disait quelque chose. Ses mains qu'elle essuyait machinalement sur un chiffon s'arrêtèrent soudain. Elle s'avança vers l'étranger comme mut par une étrange certitude. Là, face à lui, ses yeux parcoururent rapidement ce visage . Elle le reconnut presque immédiatement : Talphan. Le voleur du Bal. Un instant, son coeur manqua un battement. Elle se demanda s'il l'avait reconnue : sous son tablier de forgeron, les cheveux réunis dans sa tresse habituelle et le visage couvert d'une fine couche de sueur, il était sans doute difficile de revoir, la jeune femme presque délicate en robe bleue et à la chevelure libéré. Quoiqu'il en fut mieux valait ne pas mêler Gared à cette histoire.

« Gared, fit-elle le plus tranquillement possible, tu peux rentrer chez toi... »

Le jeune homme allait protester mais voyant, l'étrange attitude de son maître envers l'inconnu l'en dissuada. Il récupéra donc ses quelques affaires, et , avec un dernier regard dépité à l'almer, quitta la pièce.

Lorsque la porte se referma sur la rue, la forgeronne ,retourna à ses réflexions c'est à dire, de fait, à Talphan. Il avait quelque peu changer depuis leur rencontre, mais son regard restait toujours le même. Stupide réflexion. Il était là pour affaire, pas pour autre chose. Elle ferma les yeux une seconde,rabroua les battements de son propre coeur, et reprit d'un ton posé .

« Excusez-moi pour l'attente, j' étais sur une arme délicate... qu'est-ce qu'il vous faut ?»

S'il ne l'avait pas reconnue, il était inutile qu'elle se rappelle à son bon souvenir. Cela faisait trois ans...De l'eau avait couler sous les ponts,il avait du oublier.

Le jeune apprenti partit faire sa besogne, tandis que le garçon parlait au forgeron, Talphan en profita pour observer avec plus d'attention la collection d'arme qui s'offrait à lui. Il se mit à réfléchir sur l'arme qui lui irait le mieux, esthétiquement parlant bien entendu. Une épée ? Longue ou courte ? A moins d'opter pour un sabre, ou un cimeterre à la lame incurvé. Après tout, il pouvait très bien choisir une arme peu conventionnel, ce n'est pas comme s'il allait s'amuser à montrer ses passes d'arme. Pour l'instant, la balance penchait en la faveur du cimeterre, même s'il n'arrivait pas à en discerner dans le flot d'arme que ses rétines lui envoyaient. Peut-être n'y en avait-il pas d'exposer, ce n'était pas une arme que l'on voyait souvent à la ceinture des soldats astorgs. Ces derniers étaient plus adeptes de la force brute, hache ou épée longue. L'almer n'allait pas leur lancer la première pierre, il recevrait un rocher en retour...
La voix du forgeron retentit dans la forge, ce qui mit totalement fin aux réflexions du voleur. Cette voix, elle lui était à la fois tellement familière et trop irréel pour être vrai. Lorsque son regard se posa sur Keziah, il sut que son esprit ne lui jouait pas de tour, c'était bien elle. Trois ans s'était écoulé depuis leur rencontre. Au début, il avait eu l'espoir de la revoir, puis le temps passa et ses espoir s'éteignirent et il se fit une raison. Plus jamais il ne reverrait cette fille qu'il avait fait danser lors de cette soirée unique, à Tamawa. Pourtant, elle était là, devant lui. Certes, le changement était radical, sa belle coiffure et sa belle robe avait laissé place à un tablier de forgeron qui vient juste de finir un travail. Pourtant, le bleu de ses yeux restait inaltérable et le souvenir de son visage était à jamais gravé dans sa mémoire.. C'est lorsque l'apprenti Gared fut congédier par la jeune femme que Talphan se souvint qu'il devait respirer. La surprise lui avait coupé le souffle, mais savoir qu'elle se souvenait de lui aussi après autant de temps le ramena à la réalité. Il referma sa bouche qui s'était ouverte de stupéfaction et se décala pour laisser le chemin de la sortie libre à Gared. Les yeux du voleur n'arrivait pas à se détacher du visage de Keziah, comme s'il détournait les yeux, elle s'en irait pour toujours. Au bout d'un moment, il se força à regarder ailleurs, conscient qu'il pourrait la mettre mal à l'aise à cause de cela. Le silence fut de nouveau brisé par la voix de l'astorg, qui s'excusait de l'attente et voulait savoir ce qu'il voulait. Ce qu'il voulait en ce moment...

«Pas la peine de s'excuser, ce n'est rien... Cela va faire trois ans, je pense que nous ne sommes pas à une minute près maintenant. »

Un rire nerveux lui échappa. Il n'était pas vraiment à l'aise, encore sur le coup de cette rencontre fortuite... Fortuite ? Vraiment ? Maintenant qu'il y pensait, c'était Daniel qui lui avait conseillé de venir ici. Etait-ce vraiment une coïncidence que celle qu'il avait rencontré trois ans plus tôt soit ce forgeron tant réputé ? L'almer ne savait pas s'il devait remercier son camarade de l'avoir aidé à retrouver sa promise ou bien le maudire de ne pas l'avoir prévenu. Pour l'instant, il se contenterait de noms d'oiseaux. Se défouler mentalement sur son ami réussi, bizarrement, à calmer un peu sa nervosité. Il reprit d'un ton moins crispé :

« C'est une véritable surprise de vous voir ici, une agréable surprise qui plus est. »

Un mince sourire se dessina sur son visage. Talphan s'avança un peu dans la forge.

« Je suis ici sur les conseil d'un ami, il a laissé entendre qu'il me faudrait une arme d'apparat symbolisant mon statut social... Accepteriez vous de forger cette arme ? »

La question n'était pas vraiment celle qui paraissait, ce qu'il voulait vraiment savoir, ce n'était pas si Keziah pouvait forger cette arme. Ce qu'il voulait savoir, c'est si elle voulait la forger, en sachant que son statut social signifiait : voler des gens. Après tout, en plus d'être forgeron, l'astorg était soldat, peut être que ses valeurs morales lui intimeraient de refuser sa demande... Talphan espérait que ce n'était pas le cas.

Trois ans...Oui c'était bien cela. Cela faisait trois ans qu'ils s'étaient séparés. Ils ne s'étaient rencontrés qu'une seule fois, au Bal de la Victoire, et cette soirée- non plus précisément cette rencontre- avait laissé en eux une empreinte indélébile. Un souvenir qui ne devait plus les quitter. C'était pourtant pas faute d'avoir essayé... La forgeronne avait de nombreuse fois maudit cette rencontre, car depuis le visage de l'almer ne cessait de s'inviter dans son esprit dès qu'elle relâchait ses pensées. Elle avait accueillit l'effet du temps avec un certain soulagement: ils ne se verraient plus, s'était elle convaincue et son trouble disparaîtrait de lui même... Ce qu'il avait fait bien sûr , mais pas totalement. Il avait feinté le bougre. Il s'était tapis dans l'ombre, pour mieux ressurgir au moment opportun. Et ce moment, s'était présenté aujourd'hui dans un lieu où la jeune femme pensait être la plus tranquille au monde: sa propre forge. Visiblement Keziah, n'avait pas été la seule à être victime de cette sournoiserie, Talphan semblait aussi surpris qu'elle. Selon ses dires, c'était un de ses propres amis, qui l'avait mené ici... Sous le coup de la surprise, la gêne s'était également invitée dans la ronde des émotions. Le petit rire nerveux du jeune homme, en témoignait gracieusement. Keziah n'avait pas répondu, son regard c'était détourné sur ses outils. Elle s'efforçait de rester le plus impassible possible. Non elle ne perdrait pas la lutte contre son trouble. Les battements de son coeur se tairaient .Ils s'inclineraient face à ses pensées pragmatiques. Lorsque Talphan arriva au sujet de sa venue, la commande d'une arme d'apparat, la jeune femme le dévisagea presque froidement.

"Bien sur je vous forgerai cette arme...mais entendons nous bien, si vous ne voulez qu'une arme d'apparat, je ne pourrais pas vous garantir de sa solidité si vous croisez le fer avec... Si vous voulez vous battre avec, cela vous coûtera plus cher..."

Elle avait déjà du mal à maitriser le ton de sa voix, mais cela ne s'arrangea pas lorsque, plantant son regard dans celui de Talphan, elle ajouta:

« Quel type d'arme préférez-vous?Une épée?Une dague? Il me semble que la dague est plutôt en vogue chez les voleurs, en ce moment...Je me trompe? »

Elle se mordit presque immédiatement les lèvres et détourna le regard. Malgré elle, la colère avait percé dans sa voix. Ce n'était pourtant qu'un client,se força-t-elle à penser. Pourquoi réagissait-elle si vivement? Parce qu'elle connaissait sa profession?... Techniquement,le fait qu'il était voleur ne changeait rien...Après tout combien de malfrat servait-elle sans le savoir? Elle n'avait pas à se mêler de la vie de ses clients, c'était son créneau en tant que forgeron. Elle devait se contenter d'exécuter les commandes rien de plus. Si elle avait un soucis avec un commanditaire, ce soucis se répercutait sur la fabrication de l'arme,mais elle ne refusait pas de la concevoir. Cela arrivait parfois, lorsque le client était particulièrement agaçant ou qu'il exigeait des critères tout bonnement impossible à réaliser pour une arme.Mais Talphan ne poserait pas ce genre de problème, elle le sentait. Du reste, il était voleur, certes, mais c'était son choix, qu'il fasse ce qu'il voulait de sa vie cela ne la regardait pas...

Cela ne la regardait pas?...Aussi étrange que cela puisse paraître ce n'était pas si sûr que ça. Talphan comptait pour elle...un lien qu'elle ne contrôlait pas l'unissait à lui et ce qu'il faisait, était à l'encontre de ses propres valeurs. Voler pour survivre était une chose- elle en avait fait elle-même l'expérience- mais voler par pure envie était au mieux méprisable. Vu l'allure qu'avait aujourd'hui Talphan, il était évident que voler n'était pas pour lui une question de survie. Elle aurait du le mépriser ou du moins agir avec une simple froideur...Mais quelque chose l'en empêchait. Et elle n'arrivait pas à la contrôler...Elle se sentait dans une situation qu'elle détestait particulièrement, même en tant que forgeron: prise entre deux feux. Elle ferma les yeux un instant et ajouta beaucoup plus calmement cette fois:

"Excusez-moi, fit -elle au bout d'un moment, l'air penaud et une teinte de regret dans la voix...La fatigue...»

Comme pour confirmer ses mots, elle se massa machinalement la nuque de sa main droite, et se cala contre le comptoir. Elle n'avait sincèrement pas voulut le blesser. Son ton se fit donc beaucoup plus doux, lorsqu'elle reprit calmement :

« Je te forgerai ton arme...précise moi, juste ce que tu veux.... »

Elle avait employé le tutoiement, sans s'en rendre compte, mais cela d'une certaine manière la soulageait. C'était sûrement plus approprié à la situation.
Sa main n'avait pas quittée sa nuque mais semblait maintenant, témoigner d'avantage d'embarras que de véritable fatigue... Lentement, ses yeux clairs s'était reposé sur lui avec douceur mais franchise. Secrètement, elle espérait que cet échange, ne fasse pas fuir Talphan à toutes jambes, car dans ce cas là,elle n'en doutait pas vu son métier il serait bien difficile à rattraper.

La douleur qu'éprouve un être humain peut s'expliquer par tout un tas de réaction chimique et organique de notre corps. Ainsi, personne ne s'étonne d'avoir mal lorsque l'on reçoit un coup, tombe au sol ou que l'on se brûle avec une allumette. Pourtant, la douleur que ressent en ce moment Talphan n'a rien à voir avec un quelconque choc. Les mots qu'avait prononcé Keziah ne lui avait pas moins fait mal que si on lui avait planté un couteau dans le coeur. Cette souffrance était sans doute la plus dur à supporter, ce n'était pas la souffrance du corps, mais celle de l'âme. En temps normal, il n'avait que faire de l'opinion des autres sur ses choix, que ce soit de carrière ou personnel. Alors pourquoi la colère qui perçait dans la voix de la jeune femme le blessait tant ? Pourquoi le ressentiment de l'astorg lui faisait si mal ? Bien que la raison soit évidente, elle ne sauta pas au visage de Talphan qui baissa les yeux, envahi par la tristesse. Malgré tout ça, à aucun moment il n'en voulait à Keziah. Il n'y arrivait pas. Personne n'aimait les voleurs, à pars les autres voleurs... Et encore, ce n'était pas le cas de tous. Mais c'est une autre histoire. La jeune femme regretta ses paroles dès qu'elle les prononça. L'almer l'aurait su s'il l'avait vu qu'elle se mordit les lèvres, au lieu de cela il regarda ses pieds et ses mocassins très bien ouvragé qui lui avait valu un bras.

Durant cet instant de silence, Talphan médita sur quelque chose dont il n'avait jamais douté un seul instant. Devenir voleur lui avait paru logique, naturel. Jamais il n'avait vu un autre chemin s'offrir à lui, jamais il n'avait voulu en emprunter un autre. Aujourd'hui, il était le bras droit du Loup Solitaire lui-même, ce qui lui donnait beaucoup d'autorité et de moyen. Qu'en avait-il fait ? Il s'était déguisé en noble afin d'intégrer plus facilement la haute société, la dévalisant souvent de leur richesse superflue. Ses réseaux lui permettait aussi de glaner des informations concernant son père dans cette société « underground » à laquelle il appartenait maintenant. Tout ceci était-il encore aussi logique et naturel qu'une dizaine d'année plus tôt ? Trois ans plus tôt, son interlocutrice lui avait soufflé l'idée qu'il pouvait devenir autre chose. Utiliser son talent pour la musique et la danse, enseigner sa passion aux autres, la faire partager. Cette idée saugrenue lui paraissait maintenant plus qu'alléchante. Peut être dans une autre vie. Il savait ne pas pouvoir tout abandonner maintenant, pas tant qu'il n'aura pas retrouvé son père. S'il devait affronter la colère des autres pour cela, alors c'était décidé, il l'affronterait sans courber l'échine. La confiance en lui retrouver, la douleur de voir celle dont il était épris le méprisé ignoré, mais pas envolé, il releva la tête en inspirant doucement. C'est le même moment que choisis Keziah pour s'excuser. Talphan hocha la tête et lui répondit :

« Ce n'est rien, même si cela m'attriste, je ne peux pas vous en vouloir de mépriser ce que je fais. »

Elle accepta donc de lui forger son arme, restait encore à savoir ce qu'il voulait exactement comme arme ainsi que son utilité. Une chose était sûre, il ne voulait pas en faire une arme de mort. Déjà qu'il n'aimait pas la sensation de sa dague accrochée dans sa ceinture, alors avec une arme plus imposante, pas question. Après il lui fallait encore faire un choix. Comme il savait déjà ne pas vouloir d'une simple épée, son esprit fit le tour de ce qu'il lui restait comme possibilité. Soudain, son choix s'arrêta sur l'arme qui lui sembla dès lors la seule qu'il pouvait choisir.

« Je voudrais un sabre à lame courbe, comme ceux possédé par les soldats de la cavalerie de Ptot Tàh. Je n'ai aucune intention de me battre avec ni de me battre tout cours d'ailleurs. La qualité et la solidité de la lame n'a donc aucune importance. »

C'était à ses yeux l'arme la plus représentative de ce qu'il était, un almer survivant du fléau de Ptot Tàh. Ses origines lui importaient, alors avoir quelque chose les lui rappelant était important à ses yeux. Même si tous ses nombreux souvenirs étaient sans doute suffisant, un bien matériel a un côté rassurant. Keziah ne pouvait saisir pas une nuance tellement personnel, cependant cela faisait plaisir à Talphan qu'elle y participe. De plus, la tension entre eux s'était bien calmé, ils en étaient même arriver au stade du tutoiement. Elle osait maintenant le regarder, ce qui fit sourire le voleur. Tout cela l'amena à une réflexion qu'il ne garda pas que pour lui :

« Lorsque tu m'as regardé tout à l'heure, tu n'as vu qu'un voleur. Ce n'est plus le cas maintenant, n'est-ce pas ? Que vois-tu maintenant ? »

Au ton de sa voix, on décelait sa curiosité, ceci accentué par le fait qu'il pencha légèrement la tête en demandant ça, comme il en avait l'habitude lorsqu'il réfléchissait à quelque chose dont il ne trouvait pas la réponse. Et c'était bien le cas ici présent. L'almer n'arrivait pas à comprendre ce que la jeune femme voyait maintenant. Elle seule avait la réponse à cette question.

Le temps passe et jamais ne s'arrête.

Le changement de saison s'annonce et bientôt, le blanc manteau de l'hiver qui recouvrait ce monde laissera place à l'herbe grasse et aux timides rayons du soleil. Le silence cédera sa place au chant des oiseaux et le monde s'éveillera petit à petit, sortant lentement de son cocon de glace. Dans ce décor que le temps semblait avoir figé, le moment est venu de s'éclipser, de laisser la nature reprendre ses droits et le cours des choses se faire.

[Désengagés : Keziah, Talphan ]

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