La pierre tombale lui semblait terriblement froide.
Vide.
Lointaine.
Celyween était-elle vraiment là-dessous ?
Lui avaient-ils offert comme dernière demeure qu'une pierre dans un cimetière délabré et sur peuplé à son goût ?

Le gamin se sentait terriblement vide. Froid. Un peu comme cette pierre que ses yeux ne pouvaient pas quitter, qu'il se bornait à regarder sans trouver quoi dire. Plus d'un an depuis sa dernière visite et tout ce qu'il trouvait à faire, c'était de rester planté là, devant un caveau certainement vidé de son occupante depuis le temps qu'elle avait été enterrée là … « Pars » hurlait une voix dans sa tête mais c'était comme si son corps refusait de bouger.

La vérité ?
Il lui en voulait toujours.
Quatre ans après, le petit en voulait toujours à sa mère d'avoir donné sa vie pour une cité qui, sans la rejeter, ne l'avait pas pleurée pour autant. Son sacrifice ? Rien de plus qu'un sacrifice. Les Elfes oubliaient vite, ils passaient bien vite des larmes à la fête, oubliant le nom de ceux qui offraient jusqu'à leur vie pour sauver la leur. Et elle … Sa propre mère les avait choisi. Eux. Et pourquoi pas lui ? Ilith lui avait dit en rêve que sa mère avait offert sa vie contre la sienne de peur que Mort ne s'en prenne à lui dont l'âme était paradoxalement guerre et paix. Comme si un gamin pouvait prendre une arme et se battre !

Il lui en voulait. Encore. Toujours.
Mais il s'en voulait surtout à lui. Aujourd'hui, les choses seraient-elles différentes ? Serait-il en mesure de la protéger ou la regarderait-il à nouveau s'éteindre sous ses yeux, impuissant ? La réponse était si évidente qu'il ne pouvait la tolérer. Faible, il n'était encore qu'un adolescent certes doué dans certains domaines mais pitoyablement faible. Sans Jelenna, sans Eloween, sans Thémis, sans Jiven, sans Jacen, sans Nyméria que serait-il ? Rien. Seul, il n'existerait plus. Il était un lâche, un pleutre qui se cachait derrière un sourire, un menteur qui prétendait pardonner là où il gardait rancœur … La vérité était là, en quatre ans, rien n'avait changé, il n'avait pas grandi, il n'avait que peu muri, et surtout, il était incapable de se pardonner son impuissance. Alors voilà, il regardait cette tombe qui n'existerait sans doutes pas sans lui. Il regardait ce qu'il restait de sa mère, tout aussi impuissant que ce jour-là.

Nul doutes que Celyween devait lui en vouloir.
Aurait-elle donné sa vie pour sauver la sienne si elle savait ce qu'il était devenu ? Surement que non. Il ne méritait pas cette chance. Elle ne méritait pas de mourir … Les pensées s'emmêlaient dans la tête de l'Almer jusqu'à qu'une voix le ramène sur terre.

« Ta mère est là tu sais. »

A nouveau la colère. Il lâcha sa main d'un geste brusque.
Il avait envie de lui hurler qu'elle l'avait abandonné, qu'elle l'avait laissé tout seul mais il se rendit compte qu'il avait tord. Il avait peur, tout simplement, et la peur parlait à la place de sa tête. Eloween reprit délicatement sa main dans la sienne comme si de rien n'était et ce fut alors qu'il comprit.
Il était vivant.
C'était la chance que lui avait offert Celyween : la vie. Peu importe ce qu'il en ferait tant qu'il la préservait. Il avait des amis, une famille. En fait, il n'était pas seul …

« Je ne sais pas quoi lui dire » souffla-t-il finalement, les larmes lui montant aux yeux, « Toi … qu'est-ce-que tu dirais à ta mère ? »

La réaction de l'adolescent ne la surprit que très peu, en réalité, elle s'attendait à quelque chose de plus violent, un peu comme la première fois qu'il était venu ici selon certains mais bien au contraire, Aerin se retenait et en cela, la petite louait Silmaria que sa colère n'explose pas devant elle. Jelenna savait comment la contenir mais ce n'était pas son cas. Peu importait, le jeune homme comptait suffisamment pour elle pour qu'elle se décide à l'aider mais de là à se mettre en danger, Eloween n'y avait que peu réfléchi jusqu'à maintenant.

La question la pris au dépourvu tant et si bien que de prime abord, elle ne sut pas quoi lui répondre. Il avait repris sa main dans la sienne, preuve de la confiance qu'il lui témoignait ainsi que, quelque part, le « pardon » qu'il tentait de lui transmettre par ce geste. Lui non plus n'était pas bien doué pour les contacts humains visiblement ne put-elle s'empêcher de penser. Quoi qu'il en soit, elle n'avait aucune idée de la façon dont lui répondre tout simplement parce que si sa famille lui manquait, elle n'avait pas vécu suffisamment de temps avec eux pour qu'ils en deviennent aussi indispensable que Celyween semblait l'être à ses yeux. Aussi Eloween prit-elle un peu de temps pour lui répondre de sorte qu'à côté d'eux, Nyméria bailla bruyamment, comme pour la taquiner. La jeune fille ne s'en préoccupa pas et, après quelques minutes de silence, elle finit par répondre enfin :

« Je lui dirais ce que je suis devenue, je la rassurerais sur ma santé »

En parlant, la jeune Elfe se rendit compte à quel point ce qu'elle disait là était banal. Aerin cherchait une réponse, pas quelque chose d'aussi bête qu'il aurait lui même put trouver seul. Ses joues rougirent tandis qu'elle tentait de reprendre contenance. Difficilement en fait parce que ses émotions avaient toujours tendance à lui jouer de mauvais tours. Finalement, elle se racla la gorge et reprit, plongeant cette fois son regard sur la pierre tombale :

« Je lui dirais que je me suis fait des amis sincères, sur qui je peux compter. Que je les aime beaucoup et que chaque jour, j'espère qu'ils vont bien. Je lui dirais ensuite que j'ai peur de ne pas réussir, de ne pas être à la hauteur de la tâche qu'on m'a confiée. Peut-être aussi que je lui dirais qu'elle me manque, que j'aimerais qu'elle soit avec moi pour me rassurer et me tenir la main comme autrefois … Qu'elle n'a pas à s'inquiéter pour autant parce que je compte bien tout faire pour arriver à défendre notre cité et notre peuple. Je crois que je lui dirais aussi que je suis un peu jalouse de vous qui avez quelqu'un avec qui partager vos peines et je lui demanderais des nouvelles de mes frères. », elle pivota de sorte à se retrouver entre la pierre tombale et lui et plongea son regard dans le sien tout en poursuivant, « Je lui dirais que j'espère qu'elle est fière de moi et qu'elle veille sur moi. Je lui dirais que j'ai très peur quand Thingol part longtemps sans revenir ou encore, quand Arwen me gronde. Je lui parlerais de Nalween, de mes rêves et je lui demanderais ce qu'elle en pense. Je lui dirais qu'elle me manque beaucoup, que je voudrais la revoir et que j'attends avec impatience le jour où le Destin me mènera à elle et qu'en attendant, je ferais de mon mieux pour qu'elle n'ai pas à s'inquiéter. »

Avec un sourire, essoufflée par son monologue, la petite conclut :

« Je lui dirais que je l'aime, tout simplement, sans réfléchir. »

Elle avait parlé sans réfléchir, avec son cœur plus qu'avec sa tête. Sa mère lui manquait, nul doutes là dessus, mais pas de la même façon que pour son interlocuteur. En réalité, Eloween regrettait de ne pas avoir pu passer plus de temps avec elle. Elle regrettait sa douceur, sa tendresse et leur moments à elle mais la jeune fille avait également comprit que le temps lui offrirait leur retrouvailles et que, dans ce monde, elle ne pourrait rien faire de plus que pleurer sa disparition et se remémorer les bons souvenirs. La petite se dressa sur la pointe des pieds et déposa un baiser sur la joue de son compagnon avant de murmurer à son oreille :

« Ta maman t'aimait Aerin, elle continuera de t'aimer quoi que tu dises, quoi que tu fasses alors n'ai pas peur. »

Aerin ne réagit pas tout de suite.
Il écouta d'une oreille d'abord distraite ce que la jeune fille lui répondait. Perdu, il se demandait ce qu'elle pouvait bien répondre à une question aussi stupide que celle qu'il venait de poser. A vrai dire, il ne savait même pas pourquoi il avait posé cette question, incapable qu'il était d'y répondre lui-même. Il plongea son regard dans celui de sa compagne sans savoir ce qu'il y cherchait exactement. Que cherchait-il exactement ?
Il n'en savait rien.
Depuis si longtemps, il ne savait même pas ce qu'il voulait.
Une mère ? Il n'en aurait jamais plus mais sans doutes Thémis remplirait-elle ce rôle à merveille des années durant encore pour peu qu'il se décide à rester à Cydonia comme semblait le souhaiter son père. Une amie ? Il en avait plusieurs qui pouvaient remplir ce rôle non, en fait, il en avait essentiellement deux certes mais les plus fidèles qui soit. Une amante ? Il était trop jeune pour y penser d'autant qu'en prime, il avait Jelenna. La petite princesse Amazone occupait ses pensées lorsqu'il se laissait aller et ce n'était pas pour lui déplaire au fond. Un père ? Jiven n'était certes pas l'exemple du père parfait mais il ne manquait pas pour autant d'affection pour lui. Alors … que voulait-il ? Que cherchait-il ou même … que fuyait-il avec autant d'ardeur ?

La première réponse le fit rire. Sournoisement, mais involontairement. Il ne souhaitait pas la blesser et la remerciait même de sa présence mais pour autant, elle incarnait exactement ce qu'il craignait. Lui. Et si Celyween se dressait devant lui à nouveau ? Que pourrait-il bien lui dire ? Il n'en savait rien. Foutrement rien ! Il était énervé, agacé et pire que tout, il se sentait mal. Comme si au fond, il n'était qu'une mauvaise personne, pire, qu'il était un fils ingrat et indigne.

« Désolé » murmura-t-il une nouvelle fois, piteux.

Décidément, il était vraiment idiot. Mais la jeune fille n'en tint pas compte … au contraire, elle chercha sa réponse, comme si la question qu'il venait de lui poser était vitale. Et elle répondit, fixant la pierre tombale d'un air triste tout en parlant tandis que ses mains tremblaient légèrement sous la pression qu'il lui imposait. Lorsqu'elle pivota pour plonger son regard dans le sien, il ne sut quoi dire alors il écouta.
Il écouta Eloween dire tout ce qu'il aurait tant souhaité lui dire. Il écouta la jeune Elfe parler et prononcer tout haut les phrases qu'il souhaitait du plus profond de son cœur avouer à sa mère, quand bien même fut-elle loin de lui. L'adolescent l'écouta. Encore et encore.

Et il se mit à pleurer.
Sans savoir pourquoi, il sentit les larmes rouler sur ses joues sans pouvoir en arrêter ne serait-ce qu'une seule. Aerin détourna le regard et le plongea sur la pierre tombale …

« Maman ... » murmura-t-il à nouveau.

Il sentit la main d'Eloween sur la sienne.

La jeune fille avait parlé sans réfléchir, ignorant ce que penserait son compagnon de ce qu'elle disait, à vrai dire, elle laissait simplement parler son cœur. Meurtri, Aerin avait besoin que l'on dise les choses à sa place, il avait besoin que quelqu'un le rassure et veille sur lui, juste un instant. Juste un instant encore, Eloween se demanda si elle n'aurait pas mieux fait de se taire mais au fond, elle se dit que non.
Lorsqu'elle vit les larmes rouler sur les joues de son ami, le seul ami masculin qu'elle n'eut jamais eut en dehors de Thingol, quoi qu'il fut plus un père pour elle selon ses critères qu'autre chose, elle se rendit compte que ce qu'elle venait de dire avait brisé quelque chose en lui. Avec tendresse, la petite fille retira sa main de l'étreinte du jeune homme avant de se tourner totalement vers lui, faisant rempart de son corps entre la pierre tombale et l'adolescent. Elle sourit avec tendresse, posant ses mains sur les joues du métisse avant d'ajouter calmement, l'obligeant à le fixer :

« Je crois que je devrais te laisser seul avec ta mère, tu en as besoin »

Elle ne l'abandonnait pas, elle cherchait simplement à le protéger et à l'aider. Il était évident que la petite Prêtresse adorait son jeune ami et qu'elle était consciente de ce qu'il se passait. Tout comme il était évident que Aerin avait caché profondément ses blessures pour ne pas réveiller ses anciens démons, de peur qu'ils ne le tuent cette fois ci. Mais il avait tord. Ce qu'il pensait être ses démons n'étaient en réalité que de la peur pure et dure d'exprimer ce qu'il ressentait. Cette peur ? Eloween ne la connaissait que trop bien.
Aerin avait tout simplement peur qu'en prononçant ces mots à voix haute, quelque chose ne se brise. Sa mère n'existait que dans sa tristesse et s'il se permettait ne serait-ce que de la faire ressortir, alors elle disparaîtrait sans doutes pour toujours. Perdre un être cher, oui, voilà de quoi le métisse avait peur.

« N'ai pas peur » murmura-t-elle à son attention.

Elle sourit une nouvelle fois avant d'ajouter une petite bourrade sur les épaules de son interlocuteur. Sur ce, elle déposa sur sa joue un baiser non sans une certaine timidité et s'éloigna en silence. Un dernier regard dans sa direction et la petite Elfe s'éloigna pour de bon, consciente que ce moment n'appartenait qu'à lui.

[ Désengagée ]

Il regarda Eloween s'éloigner sans un mot, conscient qu'elle ne faisait cela que pour lui.
Ses yeux emplit de larmes témoignaient de son trouble mais pour autant, elle avait tout compris. Sans savoir comment elle avait pu faire cela, Eloween avait décortiqué son cœur et réussit à comprendre les sentiments qui l'animait.
Il était seul. Perdu.
Et elle avait tout compris.
Celyween était une mère hors paire, jamais il n'en avait douté. Il l'aimait, il l'adorait, pire encore, il souffrait chaque jour un peu plus de son absence. Il ne voulait pas se l'avouer, bien au contraire, il avait enfoui ces sentiments au fond de son cœur de peur qu'il ne le détruise et finalement, ces mêmes sentiments venaient le tuer à petit feu. Depuis sa disparition, Celyween avait laissé un grand vide en lui que jamais personne, pas même Jiven, Thémis, Eloween ou Jelenna n'avaient su combler …

Là était la vérité.
Aerin avait peur de détruire le faible lien qui l'unissait encore à sa mère de là où elle était. Aussi faible soit-il, ce lien lui permettait d'avancer, de ne pas avoir peur de mettre un pas devant l'autre. Car depuis sa mort, Aerin avait peur de ne pas prendre le bon chemin, pire que tout, il avait peur de décevoir sa mère qui n'était plus là désormais pour lui dire ce qui était bien ou mal. Alors il avait créé ce lien étrange basé sur sa tristesse et sa tourmente, se disant qu'il était plus simple de détester sa mère ou encore, de tenter de l'oublier. Mais voilà, aujourd'hui, force était de constater que sa mère était belle et bien morte et que le lien qui les unissait n'allait pas disparaître pour si peu.
Il devait passer à autre chose. Eloween le lui avait précisé. Elle avait compris, elle avait tout compris et l'avait rassuré. Plus que tout, elle lui avait fait comprendre que Celyween l'avait aimé et qu'elle l'aimait toujours. Dans un songe, Aerin se souvenait que ce qui semblait être sa tante lui avait dit quelque chose de ce genre et ce jour-là, cela lui avait fait le plus grand bien. Aujourd'hui encore, la Grande Prêtresse avait mis le doigt sur ce qui l'habitait. Ce profond regret qui l'habitait … le rongeait et le tuait à petit feu.

« Maman ... » murmura-t-il avec hésitation.

Et il commença à lui parler, à lui raconter ce qu'il avait vécu ces derniers temps, à lui avouer toutes sortes de choses qu'il n'avait jamais osé lui dire avant et surtout, il avait fini par avouer difficilement qu'il l'aimait. « Je te pardonne », voilà ce qu'il lui avait dit et il avait ajouté « Et toi ? » sans remord. A cet instant, Nyméria vint frotter sa truffe contre sa jambe. Il ne l'avait pas entendu arriver et encore moins sentie mais peu importait, elle venait de répondre à la question silencieuse qu'il avait murmuré.

Finalement, rien ne s'était brisé … bien au contraire.
Celyween serait toujours là pour lui, toujours. Et finalement, ce n'était pas la tristesse qui le liait à elle mais l'amour et il l'avait oublié depuis tellement de temps qu'il aurait du s'en sentir honteux mais bien au contraire, il se sentait soulagé. Il devait remercier Eloween à présent … car c'était grâce à elle que tout cela était possible. Aujourd'hui, il devait à la Prêtresse bien plus qu'il ne pourrait jamais le lui avouer.

[ Désengagé ]