[DE-flashback] Un arbre, une danse et une touche d'innocence [Seliand] (Fini)

Cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas séjourné à Storghein. Siobhan avait quitté la cité très jeune, laissant derrière elle famille et amis. Elle n'avait rien regretté par le passé, parce que ça n'avait pas spécialement d'importance. Enfant non-désiré, son départ avait été un soulagement pour ses géniteurs qui avaient déjà bien trop de bouches à nourrir. Aujourd'hui pourtant, elle était là, hésitant à franchir le pas de la porte de l'Auberge familiale. Elle s'était dit que si on ne la reconnaissait pas, elle ne dirait pas son identité et séjournerais ici entant qu'étrangère qu'elle était devenue au fil des années. Ils ne la reconnurent pas.

Ses parents avaient bien vieilli, Sio s'en rendait compte. Usés par le travaille et sa fratrie, ils avaient le dos courbé et le regard las. C'était étrange de les revoir après tant de temps et ne pas être capable de les appeler « Père » et « Mère ». La jeune fille leur sourit et demanda aimablement une chambre. C'était autre chose que quand elle était gamine, insolente et rebelle. Aujourd'hui Sio pouvait prétendre être une jeune fille plus ou moins bien élevée. Tout du moins, moins revêche, moins révoltée.

Siobhan était venue a Storghein pour quelques jours, un peu nostalgique de son passé. La cité des glaces lui avait un peu manquée. La température, surtout. C'était autre choses que la chaleur estivale de Cydonia. Ici, la jeune fille pouvait respirer et savourer à pleins poumons l'air pur et frais ; ne plus craindre de fondre sous un soleil de plomb. Le bonheur.
Les premiers jours, la jeune fille les passa à flâner dans les rues de la cité, essayant de se remémorer les quartiers qu'elle avait parcouru étant jeune. C'était une sentiment bien étrange, de jouer les touristes dans sa ville natale. C'était limite si elle ne connaissait pas mieux Cydonia que Storghien.

La jeune apprentie était certes en repos, mais elle n'en oubliait pas moins son entrainement matinal. Siobhan se levait généralement avant l'aube, n'ayant jamais était une grande dormeuse, et filait dans la forêt. Un endroit calme et frais, où elle pouvait faire ses exercices sans être dérangée. Une habitude qu'elle avait gardé, même après avoir quitté Kyle. Le nombre de fois où son ancien Maître l'avait levée à quatre heures du matin pour aller faire le tour de Cydonia au pas de course...
C'est donc en courant que la jeune fille quitta la cité pour rejoindre la forêt avoisinante. Les gardes la regardèrent passer sans poser de questions. Ça fait trois jours que l'apprentie leur faisait le même coup.

C'est le souffle court qu'elle s'arrêta dans une clairière, pas très loin de l'orée du bois. L'endroit été agréable, protégé du vent et du soleil. Sio aimait bien passer du temps ici, se rappelant son enfance et les parties de cache-cache qu'elle effectuait avec elle même – oui, oui !
Une main appuyée contre le tronc d'un arbre et l'autre tenant sa cheville, la demoiselle entreprit de s'étirer, tout en essayant de calmer sa respiration affolée.

Normalement, le matin, Seliand dormait. Ses activités préférées avaient plutôt lieu en fin de journée et durant toute la nuit, ce qui l'obligeait à décaler ses heures de sommeil. C'était comme ça depuis des mois, et les manquement à cette habitude nécessitaient toujours une bonne raison. Ce jour là, c'est un chat, entré par l'unique fenêtres de la cabane abandonnée où le magicien s'était établi, qui l'avait brutalement arraché de l'emprise du sommeil. L'animal, attiré par l'odeur de sang encore assez frais qui s'étalait en taches sombres sur le manteau de l'endormi, avait cru bon de lancer un miaulement perplexe. Se redressant en sursaut, le nua eu tout juste le temps de voir le chat déguerpir de la pièce. Sans manquer de lui voler le reste de saucisse sèche qu'il s'était acheté la veille.

Quelques instants plus tard, les Astorg les plus lève-tôt purent apercevoir un homme au regard luisant d'une divine colère et un jeune chat terrifié lancés dans une course-poursuite effrénée au travers des rues de Storghein. Cette escapade dura un moment, et le magicien manqua plus d'une fois de mettre la main sur le criminel velu et son appétissant butin. Et puis, au détours d'une rue, un évènement inattendu offrit sa chance au petit voleur.

C'est déjà arrivé à tout le monde, je pense. Quand les yeux se posent sur un objet, un mot, quelque chose, et toute notre attention se retrouve d'un coup focalisée pendant un instant. Au point que le reste du corps perd quelque peu la notion de ce qu'il se passe autour de lui. Eh bien, c'est ainsi que la vue de Seliand se porta sur la jeune femme qu'il croisa. Il pivota la tête dans sa direction pour la suivre du regard et ne manqua pas de perdre l'équilibre et de tomber. Un retour à la réalité brutal, et qui offrit du même coup l'opportunité au chat de fuir avec sa pitance.

Une profonde perplexité envahit le magicien, chassant toute pensée envers le vil animal. Là, maintenant, tout de suite, il voulait suivre cette fille. Pourquoi faire? Il l'ignorait. Une envie irrépressible de simplement aller vers cette inconnue avait chassé tout les autres objectifs de la journée. Alors c'est ce qu'il fit. Mais elle courrait vite, et semblait avoir plus de souffle que lui. Heureusement, le point qu'elle était devenue au bout du chemin semblait s'être immobilisé au pied d'un arbre. Seliand se rapprocha peu à peu, à bout de souffle, et finit par s’arrêter à quelque mètres de la jeune fille, haletant, le front trempé de sueur. Ce qui ne l’empêcha nullement d'offrir son plus beau sourire à la demoiselle.

"Sa... *pouh, pouh*...lut!"

Il recommença à s'approcher d'elle lentement, savourant le plaisir de simplement marcher pour la première fois de la journée.

"Je... *pouh*..m'appelle...*pouh*..Seliand."

Une forte respiration se fit entendre non loin de la demoiselle. Siobhan tourna la tête, clairement surprise, pour y découvrir un homme, essayant de reprendre son souffle. Hé zut ! Comment avait-elle fait pour ne pas le sentir arriver plutôt ? C'est pour cette inconscience que l'Astorg n'était encore qu'apprentie et qu'elle avait peu de chance de passer Maître l'année prochaine. Kyle et Iréa ne lui avaient répété que trop souvent de rester sur ses gardes, de ne jamais perdre de vue qu'un assaillant quelconque n'était jamais loin, mais non.. La jeune fille avait beaucoup de mal à ouvrir son Esprit, de peur de se laisser déborder pas les émotions des autres. L'empathie avait toujours été son point faible. Elle considérait ce don comme un violation de l'espace personnel des gens qui l'entouraient, sans compter qu'elle en avait beaucoup souffert étant jeune.

La jeune fille fronça les sourcils, ne comprenant pas pourquoi il lui souriait ? Etait-il possible qu'il l'avait suivi, elle ? Peut être que l'inconnu voulait suivre son entrainement ? Erf, la présence de ce gars en ces lieux soulevait trop d'interrogations. C'était fatigant de réfléchir à tout. Valait mieux lui poser directement les questions.
Siobhan relâcha sa cheville et s'approcha de l'homme dans l'intention de l'interroger sur les éventuelles raisons de son arrivée ici, mais il ne lui laissa pas le temps, ouvrant la bouche avant elle – chose rare, d'ailleurs, quand on connaissait le bagout de la demoiselle. Et c'est dans un éclat de rire que Sio accueillit les salutations et le prénom du garçon. Il ne semblait pas s'être encore remit de sa course, mais essayait tout de même de parler. L'effet était des plus comiques. La jeune Templière en oublia même toute méfiance. En même temps, les instincts de survie de Siobhan planaient entre zéro et un. La jeune fille était trop optimiste, trop positive pour imaginer qu'on puisse lui vouloir du mal.

« Respire mon gars ! Va pas t'étouffer ! »

La demoiselle tapota doucement l'épaule du garçon tout en le fixant de son regard rieur et le gratifiant d'un sourire éclatant. Ce n'est pas souvent qu'elle rencontrait des gens qui venaient engager la conversation d'eux même. Sio n'avait que peu d'amis et, en naïve petite fille, se dit que celui-là voulait en faire partie. Youhou !

« Moi, c'est Siobhan ! Qu'est-ce qui t'amène par ici ? Tu veux qu'on devienne potes ? »

Bon, comme ça, c'était dit. En même temps, la jeune femme n'avait pas pour habitude de passer par quatre chemins. Elle était plus du genre à parler – ou agir – et réfléchir ensuite. Cette situation ne faisait pas exception. En même temps, avec un sourire si chaleureux et gentil, l'inconnu ne pouvait être un mauvais bougre.
Les yeux de la demoiselle glissèrent sur le garçon, en une observation rapide. Un peu plus grand qu'elle, peau mate, manteau sombre sur lequel on pouvait distinguer des taches de sang, cheveux châtains et... Attendez ! Des tâches de sang ? La panique s'empara dans la jeune femme, tandis qu'elle s'emparait des pans de son vêtement pour les écarter.

« T'es blessé quelque part ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ? »

Le regard clair de Siobhan glissa sur le torse couvert de l'homme, mais ne vit rien qui indiquait que celui-ci avait un trou quelque part dans le corps. C'est en soupirant, soulagée, qu'elle le lâcha.

« Hey gars, pense à laver et changer tes fringues de temps en temps. Tu m'as foutu une de ces trouilles ! Tu t'es bagarré récemment ou quoi ? »

Malgré l'étrange sourire qu'il affichait presque malgré lui, Seliand n'était pas vraiment en situation confortable. Autant la course l'avait fortement essoufflé, autant maintenant qu'il était à l'arrêt, cette jeune fille en face de lui, il peinait bizarrement à reprendre sa respiration. Surtout que le rire de son interlocutrice, quant il s'était présenté, l'avait étonnamment déstabilisé. Ce genre de sentiment de gêne lui étant en temps normal totalement inconnu, il ne parvint pas à articuler le moindre mot de plus. Du moins, jusqu'à-ce qu'elle se mette à lui parler.

"Respire mon gars ! Va pas t'étouffer !"

La suggestion lui paraissant tout à fait appropriée, Seliand entreprit donc de tenter de maîtriser son souffle. Ce n'était pas facile, d'autant qu'il avait chaud. Non pas que la température des environs soit particulièrement élevée, mais entre l'effort de la course, sa gêne, la gêne d'être gêné et la tenue légère de la demoiselle (il venait à peine de réaliser que la quantité de tissus que l'inconnue portait n'équivalait qu'à environ un dixième de celle de ses vêtements), il commençait à se sentir un poil oppressé. Heureusement, elle recommença à parler.

"Moi, c'est Siobhan ! Qu'est-ce qui t'amène par ici ? Tu veux qu'on devienne potes ?"

Parfait. Une information parfaitement claire accompagnée de questions simples. Elles détourneraient les pensées du nua de son propre inconfort. Effectivement, au moment où il se mit à parler, la chape de plomb qui s'était écrasée sur ses épaules avait diminué d'un coup. Les yeux de Seliand remontèrent rapidement vers ceux de Siobhan.

"Heu, je t'ai vue et..."

Petit problème pour Seliand: il n'avait lui-même pas la moindre idée de pourquoi il l'avait suivie. Et puis après tout, pourquoi mentir? Quel intérêt?

"Ben, je t'ai vue quand tu quittais la ville, et je ne sais pas trop pourquoi, mais j'ai eu vachement envie de te suivre. Donc, ben, je t'ai suivie, quoi. Enfin, heu, je te veux pas de mal, hein, mais t'avais l'air..."

L'air inquiet de Siobhan coupa net sa phrase. Elle se tendit et commença à écarter les pans de son manteau et à examiner son corps. Cette fouille inopinée surpris le magicien, tout de même, et ses doigts enserrèrent brièvement le pommeau de sa dague, dans sa manche. Un mauvais réflexe, il se corrigea immédiatement lorsque la demoiselle reprit la parole.

"T'es blessé quelque part ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ?"

"Hein? Heu, non, non, pas du tout. Je vais bien, je crois."

"Hey gars, pense à laver et changer tes fringues de temps en temps. Tu m'as foutu une de ces trouilles ! Tu t'es bagarré récemment ou quoi ?"

C'était donc ça! Elle avait vu du sang, ça l'avait effrayé. Seliand éclata de rire et tapotta à son tour l'épaule de son interlocutrice. Il oublia même d'enlever sa main après coup, d'ailleurs. La gêne avait disparu, son souffle était revenu à la normale, et à cette distance, il disposait d'un angle de vue extrêmement avantageux sur la demoiselle. Le nua était satisfait.

"Ne t'inquiète pas, mademoiselle Siobhan, c'est pas mon sang. Et j'ai qu'un manteau, je peux pas en changer!"

A vrai dire, le sang en question venait d'un homme un peu ivre qui avait mal choisis sa victime pour sa malheureuse tentative de racket. Au moins, il n’embêterait plus jamais Seliand.

"Au fait, pourquoi tu courrais comme ça? Tu fuyais quelque chose?"

Il était assez aisé de discuter avec le garçon. Il était d'une franchise surprenante, ne cherchant pas d'excuses pour justifier sa présence, semblant dire ce qu'il pensait. Siobhan avait l'impression qu'il lui ressemblait un peu. Dans sa façon de dire les choses, disons. Enfin, ce n'était peut être qu'une impression, mais ça n'avait pas d'importance. La demoiselle se sentait à l'aise en sa présence. Le sourire de l'inconnu était plutôt rassurant. Ce n'était pas toujours le cas avec les gens que Sio rencontrait. Comme elle se refusait à utiliser son esprit – sauf en cas d'exception – elle avait prit l'habitude de se fier à ce qu'elle voyait. A tord sûrement, mais la jeune fille avait envie de croire en la bonté des gens. Tous ne devaient pas être de froids assassins, n'est-ce pas ?
C'est ce côté optimiste qui l'avait un jour perdue, mais Siobhan ne semblait pas vouloir apprendre de ses erreurs. Enfin maintenant, elle était devenue plus forte grâce à Iréa. Elle ne se laissait plus blesser aussi facilement, s'étant endurcie en deux ans.

« Juste Siobhan. Pas besoin de mademoiselle. »

Ce n'était donc pas son sang ? La jeune femme se demanda un instant dans quoi Seliand avait bien pu se fourrer pour en avoir sur lui, sans que ce soit le sien. Une bagarre de taverne, peut être. Elle en avait vu quelques unes et dans certains cas, ça giclait de partout. Peut être qu'un gars, le nez explosé, lui était tombé dessus tachant son habit ou peut être qu'il avait voulu en soigner un ou alors, étant plutôt fort, il avait mit un ivrogne au tapis et celui-ci s'était écroulé sur lui. Tant de possibilités, mais Siobhan n'osait demander le pourquoi du comment. Après tout, ça ne la regardait pas. Elle avait déjà commis assez de bourdes comme ça. Une de plus, et Iréa lui ferait vivre un calvaire, obligé. Mettre son Maître en colère, c'est limite être suicidaire et la Templière tenait bien trop à sa pauvre vie. Elle était encore trop jeune pour mourir.

« Tu devrais faire attention et éviter les ennuis. La violence n'est pas quelque chose que j'apprécie. Il ne faut en avoir recours que si on a pas le choix. Chaque vie est précieuse, tu ne crois pas ? »

La jeune apprentie lui sourit, oubliant la main posée sur son épaule. Ça ne la dérangeait pas spécialement, considérant ce geste comme un pas en avant vers une relation amicale. C'était étrange de sympathiser aussi vite avec quelqu'un, mais pas désagréable en soi.

« Pense à laver ton manteau, quand même. Le sang dessus pourrait t'attirer des ennuis. »

Bah oui ! Si la milice venait à le croiser et voyait ces taches rouges dessus, on pourrait le prendre pour autre chose qu'un malchanceux qui s'était retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Il serait bête que le jeune homme se fasse arrêter pour une simple méprise.
Les questions du jeune homme surprirent un peu la demoiselle. Il n'était pas dans ses habitudes de fuir quand des ennuis se présentaient. C'était même le contraire. Foncer tête baissée d'abord et réfléchir après. Et puis, ce n'est pas comme si Siobhan était une pauvre demoiselle démunie. Le manche de son arme pendouillait le long de sa hanche, prévenant les éventuels agresseurs. Siobhan secoua donc la tête, négative.

« Non, non. Je ne fuyais rien du tout. Je cours tous les matins. Faut bien se maintenir en forme, tu ne crois pas ? »

Bien dans son corps, bien dans sa tête, comme on dit. Sio tapota la main de Seliand posée sur son épaule en un geste complice, toujours aussi souriante.

« Et donc tu m'as suivie sans aucune raison ? T'es étrange comme gars. Une autre que moi aurait pu prendre peur. Évite de faire ça trop souvent, hein ! »

Siobhan accompagna la dernière phrase par un clin d'œil taquin. Mais dans le fond, la jeune femme n'avait pas tord. C'était assez flippant comme comportement, mais ayant un instinct de survie quasi nul, la jeune apprentie ne s'était même pas posée de questions. Et puis Seliand lui avait dit qu'il ne lui voulait aucun mal, non ?!

Il se passait des évènements particuliers dans la tête de Seliand. Enfin, ils étaient encore plus particuliers que d'habitude, c'est dire. Même s'il n'avait plus ce trouble violent qui l'avait secoué tout à l'heure, il avait de la peine à penser de manière rationnelle. De sa manière rationnelle bien à lui, pas de celle qui hante les esprits plus communs. Il n'y avait aucune méfiance ni aucun doute, pas d'envie de sang ou de danse effrénée. La seule chose qu'il avait envie de faire, c'était lui parler, la connaître, et rester là, à la regarder, pour, disons, les dix ou quinze prochains mois. Et peut-être l'embrasser. Oui, le magicien en était convaincu: il fallait l'embrasser, c'est comme ça que ça devait logiquement se passer. Et puis ensuite...

« Juste Siobhan. Pas besoin de mademoiselle. »

Bien que ses pensées vagabondaient en des terres inconnues aux collines accueillantes, le nua parvenait à rester dans la conversation. Il faut dire que même la voix de son interlocutrice lui plaisait beaucoup.

« Tu devrais faire attention et éviter les ennuis. La violence n'est pas quelque chose que j'apprécie. Il ne faut en avoir recours que si on a pas le choix. Chaque vie est précieuse, tu ne crois pas ? »

Ceci, par contre, décontenança Seliand. La phrase même lui paraissait irréelle, tant la question abordée n'avait jamais eu sa place dans son existence. Autant le fait qu'elle n'apprécie pas la violence, il pouvait le comprendre. Il n'appréciait pas la cuisine elfique pour sa part. C'était des questions de goût: chacun les siens. Par contre, la vie, précieuse? La présence d'un proche peut être précieuse. Mais le malabar qu'il avait égorgé la veille méritait-il une quelconque valeur à ses yeux? Bah, foutaise. A ce que le magicien savait, les hommes puissants aimaient les choses précieuses. Mais ils passaient plus de temps à amasser de l'or et des bijoux qu'à sauver des vies.

"Ben, non, pas vraiment. Et puis, moi j'aime bien la violence. Mais bon, c'est un passe-temps comme un autre, hein. Faut dire que la danse est vachement excitante, quand même. Et papa m'a toujours dis que c'était amusant, quand je danse."

Elle souriait. Seliand trouvait de plus en plus pénible de garder ses idées dans sa tête plutôt que de les faire sortir. Il la regardait fixement, avec un sourire joyeux. Mais il lui donnait un air nettement moins inquiétant que d'habitude. Il avait l'air content, mais un peu benêt, avec cette expression collée sur le visage. Elle n'avait pas l'air d'être embêtée par la main du magicien, qui du coup décida de la laisser là. C'était un bon endroit.

« Pense à laver ton manteau, quand même. Le sang dessus pourrait t'attirer des ennuis. »

Elle n'avait pas tort. Surtout que ça avait tendance à attirer les gêneurs. Comme des chats qui chercheraient de la nourriture, par exemple. Seliand acquiesça d'un signe de tête.

"C'est vrai que je devrais le laver. Enfin, papa trouve que le rouge me va bien, et je pense comme lui. Je devrais peut-être trouver un manteau rouge... Tu penses que ça m'irait?"

Et puis, elle répondit à sa question. Elle ne fuyait donc pas: elle s'entraînait. Garder le corps en forme. Mais pourquoi faire, si elle ne dansait pas? Parce qu'elle avait l'air d'une de ces artistes des armes en devenir, et Seliand s'imaginait déjà, une future nuit, la prendre comme partenaire et valser avec elle jusqu'au petit matin contre de valeureux adversaires. En fait, globalement, il s'imaginait déjà la prendre comme partenaire. Quel que soit le sens que l'on veuille donner à cette phrase.

« Et donc tu m'as suivie sans aucune raison ? T'es étrange comme gars. Une autre que moi aurait pu prendre peur. Évite de faire ça trop souvent, hein ! »

Elle termina sa phrase par un clin d'oeil. Et Seliand se rapprocha vivement de son visage, la fixant droit dans les yeux. Elle avait dit qu'il n'avait aucune raison. Il lui répondit sur un ton d'une grande gravité et d'un extrême sérieux, perdant momentanément son sourire jovial.

"Y a une raison."

Puis il s'écarta d'elle tout aussi vivement et fit quelque pas jusqu'à aller s'adosser à un arbre. Ses bras se croisèrent sur sa poitrine et il posa son regard sur le sol. Toujours aussi sérieux, le magicien continua à haute voix mais presque plus pour lui-même que pour Siobhan.

"Mais j'ai beaucoup du mal à la définir."

Seliand marqua une pause, quelques secondes, puis redressa la tête, son sourire retrouvé. Il se rapprocha de la templière à toute allure, plongea son regard dans ses yeux, lui prit la main et lui annonça comme une idée de génie:

"Je suis pas sûr du tout que ça me donne la réponse, mais... est-ce que je peux t'embrasser, pour voir?"

Siobhan fronça légèrement les sourcils. Elle avait du mal à suivre le jeune homme. Quel rapport il y avait entre la danse et la violence ? Est-ce qu'un combat pouvait être comparé à un art ? Peut être bien. Les fins bretteurs avaient des mouvements fluides et des déplacements assurés, alors peut être que ce genre de combat pouvait être comparé à de la danse... Ou alors, la jeune fille était totalement à côté de la plaque. Elle ne se risqua pas à demander des précisions, sachant qu'elle n'était pas d'accord avec la vision des choses du jeune homme à la base et ne voulait pas foutre en l'air son début de sympatisation – ça n'existe pas, et alors ? Bref, ce genre de choses n'arrivait pas souvent à la jeune femme, alors il fallait éviter de tout gâcher en faisant une remarque désobligeante. Effort surhumain pour garder sa grande bouche close et offrir un sourire magnifique. N'abordons pas le thème de la violence, les amis, cela nous évitera une migraine. Le monde il était beau, le monde il était gentil ! Vive l'amour et l'amitié ! Et surtout, on évitait de contredire une personne fraichement rencontrée qui semblait vouloir créer une relation amicale. Une fois les bases de cette nouvelle expérience posées, Sio pourrait enfin donner son avis, mais pas là. Il fallait qu'elle retienne ce fichu discours sur les passe-temps plus intéressants et constructifs que les bagarres qui lui brulait les lèvres. Bref, Siobhan était sympathie et mignonnerie.

« Ouai, je pense que ça t'irait. Ce sera déjà mieux qu'un manteau que tu laisses poisseux. Là, ça fait pas très joli et pas rassurant du tout. »

N'importe qui d'autre que Siobhan se serait méfié. Un gars couvert de sang qui aime la violence, ça donne plus envie de prendre ses jambes à son cou que de discuter avec lui, mais la jeune Templière se montrait, par certains côtés, très naïve. De même, pour le fait qu'il la suivre ainsi dans la forêt. Enfin, la jeune fille voulait croire en la bonté des gens. C'était trop triste, cette perpétuelle méfiance. Pourquoi ne pouvait-on pas, juste une fois, faire confiance à quelqu'un sans le connaître ?
Kyle ou Iréa auraient déjà sondé le gars avec l'Esprit depuis longtemps, pour essayer de connaître la raison de sa présence ici et savoir si ses intentions étaient bonnes, mais pas elle. Non seulement, Sio n'avait jamais été douée avec l'empathie, mais en plus, ça enlevait tout le piquant de cette étrange rencontre.

Siobhan posa un regard très surpris sur le garçon, lorsque celui-ci s'approcha de son visage. Pourquoi est-ce qu'il avait besoin de venir si près d'elle ? Avait-il des soucis de vue et voulait, en s'approchant, la voir un peu mieux ? Et pourquoi ce visage si grave ? La question de la jeune fille le perturbait tant que ça ? Décidément, la jeune apprentie avait beaucoup de mal à comprendre Seliand. Il disait avoir une raison, mais ne la connaissait pas lui-même. La demoiselle laissa échapper un petit rire, face à tant de sérieux qui ne menait à aucune réponse. Ce gars était marrant dans sa façon d'être. Il changeait d'humeur très rapidement, disait des trucs que Sio ne comprenait pas et était totalement honnête.

« Heu... »

La réaction de la jeune fille en disait long sur ce qu'il se passait dans son cerveau. C'est pas tous les jours qu'on lui prenait les mains et demandait la permission de l'embrasser. Ses yeux surpris plantés dans ceux de Seliand, Sio réfléchissait à la réponse à donner. Ça la dérangeait pas vraiment. Après tout, dès qu'elle le pouvait, la jeune Templière essayait de bisouiller Jelenna, alors elle pouvait comprendre qu'on puisse être tenté de déposer ses lèvres sur les joues de la personne appréciée. Ou alors, c'était peut être une coutume, chez le garçon.
Siobhan finit par rendre son sourire à l'inconnu et hocha la tête, contente de faire bonne impression sur le garçon.

« Fais donc ! »

« Fais donc ! »

Le magicien tira doucement sur la main de Siobhan pour la rapprocher de lui, tout en s'avançant également. L'autre main fila derrière la demoiselle, ses doigts se glissant doucement entre ses cheveux et sa nuque. En même temps, il approcha sa bouche de celle de Siobhan. Il y colla ses lèvres, partant pour un baiser au dénouement hasardeux.

Il y a des évènements, dans une vie, qui prennent une importance bien plus grande que ce qu'on aurait pu croire en premier lieu. On ne s'en rend vraiment compte qu'après coup, quand la mémoire s'attarde sur le passé. Mais c'était le cas. Ce moment là, cet instant précis, allait déclencher une série d'évènements qui participeraient à forger le Seliand futur. Dès l'instant où il posa ses lèvres contre celles de Siobhan, il comprit. Bien sûr, pour vous, pour moi, c'est évident. Mais quand on a vécu presque toute sa vie enfermé, quand on a appris à n'accorder de valeur qu'à une seule personne, arriver à la conclusion qu'on est tombé amoureux fait tout de même un choc.

Oui, pour ceux qui ne suivent pas, le nua était amoureux. Pas bêtement attiré, pas juste avide de satisfaire ses envies. Non, il était amoureux. Il savait ce que c'était: il avait lu des livres, quand il était plus jeune, et ils expliquaient ce sentiment assez bien pour qu'il l'ait compris sans mal. L'histoire était toujours comme ça, en plus. Le héros avait le coup de foudre pour sa belle au premier regard, ou au premier baiser. C'était souvent de jolies histoires, et elles finissaient bien. Enfin, normalement elles se terminaient avec une phrase expliquant qu' "ils vécurent heureux et...". Évidemment, ce n'est pas le destin de Seliand. Mais rien ne l’empêchait de tenter sa chance.

Il eu comme un court-circuit dans ta tête de Siobhan, alors que le garçon déposait ses lèvres sur les siennes. Un vide total. Le trou noir. Plus aucune pensée pendant quelques instants, alors que la pression sur sa bouche se faisait un peu plus forte. Puis se fut le réveil. La demoiselle ne comprenait pas ce qui était entrain de se passer. Comment en étaient-ils arrivés au stade, de bisou sur la joue à celui, sur les lèvres ? Ses mains se posèrent d'un coup sur le torse de Seliand et elle le repoussa, avec plus de force qu'elle ne l'aurait voulu. Ses yeux, posés sur le jeune homme, n'exprimaient qu'incompréhension et gène, alors que ses joues se teintaient délicatement de rouge.

Cette situation était vraiment très étrange. L'ambiance naïve et joviale de tout à l'heure prenait d'un coup une tournure différente et ça ne plaisait pas vraiment à Siobhan. Elle n'avait jamais eu d'expérience de ce genre, à part une fois et c'était avec une femme. La jeune fille n'arrivait pas à savoir si ça l'avait dégoutée, laissée indifférente ou si ça lui avait plu. Elle n'avait jamais eu à se poser ce genre de questions jusqu'à là et c'était dérangeant de devoir avoir une telle réflexion. Sio s'était déjà imaginée super copains avec Seliand. Elle voyait une relation amicale, des discussions et tout ça, quoi et là, d'un coup, on venait tout casser. La jeune fille n'était pas d'accord ! Ça voulait dire quoi, en plus, ce baiser ?

Siobhan restait silencieuse, ne sachant quoi faire. Qu'est-ce qu'on pouvait dire, dans ce genre de situations. Pourquoi est-ce que Siobhan avait si peu d'expérience dans les relations sociales, hein ? C'était la faute de Kyle, obligé ! Son ancien Maître était Le asocial d'Azthia et puis, il l'avait fait vivre à Cydonia, ce qui avait obligé la Templière de se cacher la plus part du temps. Vive la sociabilisation, j'vous le dis. Enfin tout ça n'aidait pas Sio à ouvrir la bouche.

Allez, Siobhan, réfléchis ! Ce gars n'avait pas fait ça comme ça, sans raison. Il devait forcément y avoir une explication, qu'elle aurait obtenu, si elle avait prit la peine de poser la question, mais non... Cette option ne lui était pas du tout venue à l'esprit. La jeune apprentie préférait se torturer le cerveau, c'est tellement plus drôle.
Bon, Seliand l'avait embrassée sur la bouche. En soi, c'était pas la mort. Un peu gênant, certes, mais si désagréable. Il avait aussi l'air d'être un garçon gentil donc ce n'était pas pour l'embêter qu'il avait fait ça. Ses intentions ne pouvaient être que louables, n'est-ce pas ? Et d'un coup, l'illumination se fit dans la tête de la miss. Ça devait être une coutume ! Peut être que dans sa famille, ils faisaient tous ça ! C'était surement ça, il n'y avait pas d'autre explication possible. Sio finit pas étirer ses lèvres en un sourire.

« C'est un peu étrange, ta façon de dire bonjour, mais je m'y habituerais. »

Et pour montrer sa bonne volonté et qu'elle acceptait sa particularité, Siobhan s'avança vers lui pour déposer sur ses lèvres un rapide et léger baiser. Bouarf, une façon comme une autre de se saluer, enfin de compte. Ce n'était pas si horrible et il n'y avait pas de quoi paraître choquée. La jeune fille était contente de découvrir petit à petit son nouvel ami.

« Et donc vous faites tous ça, dans ta famille ? »

Sio posa sur le garçon, un regard curieux et attentif, toujours souriante.

« D'ailleurs, t'as trouvé la raison pour laquelle tu m'as suivie ? »

C'était beaucoup trop court, de l'avis de Seliand. Il aurait voulu pouvoir faire durer son baiser pendant quelques heures au moins. Rester en contact avec les douces lèvres de Siobhan, et se rapprocher, encore et encore. Mais non, l'évènement avait pris fin aussi vite qu'il avait commencé. La demoiselle l'avait repoussé, et le nua s'était écarté. Un sourire joyeux s'étalait à nouveau au travers de son visage. Il était maintenant certain de la raison qui l'avait poussé à la suivre.

Siobhan semblait un peu perdue et gènée. Mais le magicien n'en avait pas grand chose à faire, sur le moment. Il était heureux mais n'arrivait pas vraiment à concevoir la suite. Embrasser des filles, voire aller un peu plus loin que ça, il l'avait déjà fait de nombreuses fois. Mais là, ce n'était pas pareil. Là, il n'avait pas "juste" envie de satisfaire un petit désir physique. C'était carrément un ouragan émotionnel qui grondait dans sa poitrine depuis qu'il l'avait vue courir dans une rue de Storghein, et il n'avait fait que gagner en puissance à partir de ce moment là.

Les yeux de Seliand étaient fixés sur le visage de la templière avec une grande attention. Il attendait une réaction, un mot, quelque chose. Un sourire vint déchirer son expression troublée.

« C'est un peu étrange, ta façon de dire bonjour, mais je m'y habituerais. »

Et là, c'est elle qui vint l'embrasser. Bam, comme ça. Mine de rien, le jeune nua n'était pas du genre à se faire surprendre facilement. Mais là, il fut complètement pris au dépourvu. Bon, l'acte lui plu énormément. Mais reste qu'il ne s'attendait pas du tout à ce que ça arrive. Au moins, c'était clair dans son esprit. Elle partageait ses sentiments.

« Et donc vous faites tous ça, dans ta famille ? »

"Hein? Heu, je sais pas. Papa m'embrassait sur le front, des fois, mais c'était rare. Et je connais pas le reste de la famille. Je crois même pas qu'il y en ai... Papa m'en aurait parlé, je pense."

« D'ailleurs, t'as trouvé la raison pour laquelle tu m'as suivie ? »

"Ah, oui, c'est vrai! Ben, je t'aime, c'est pour ça!"

La jeune fille avait pour le coup beaucoup de mal à suivre. Pourquoi est-ce qu'il l'avait embrassée sur la bouche, si c'était pas une coutume de sa famille. Cette situation était décidément bien trop compliquée pour la pauvre Siobhan. Elle comprenait rien aux relations humaines, ses parents ne s'étant jamais vraiment montrés très affectueux avec elle, et elle parlait même pas de Kyle. Imaginer le Templier la serrer ne serait-ce que dans ses bras, c'était provoquer la fin du monde, alors embrasser... Elle n'en parlait même pas. Non, vraiment, la jeune apprentie ne suivait plus rien et la situation lui échappait totalement. Elle avait beau faire des efforts – elle était même allée jusqu'à embrasser le garçon – chaque nouvelle réponse de la part de Seliand la plongeait dans le brouillard total. Il la suivait sans raison, semblait l'apprécier sans la connaître, lui faisait des bisous et lui disait qu'il l'aime !
…

Est-ce qu'elle venait bien d'entendre ? Siobhan écarquilla les yeux. C'est la première fois qu'on lui disait une telle chose. Elle en oublia même l'histoire du bisou. Il l'aimait, c'était fou. La jeune fille n'en croyait pas ses oreilles. Un homme qui, en la connaissant à peine, lui affirmait qu'il l'appréciait. Jamais dans sa vie Sio avait eu autant de facilité à ses faire un camarade. Elle se retint de sautiller de joie et l'embrasser de nouveau. C'était génial et tellement inattendu. Quelqu'un qui acceptait son caractère de cochon, son blondinisme maladif et tout ce qui s'en suit. 'fin... En même temps, il n'en avait pas encore fait l'expérience. La jeune apprentie se jura de faire des effort. Il serait bien dommage de faire fuir son seul ami, n'est-ce pas ?

Tout cela pouvait même expliquer le baiser. C'était surement sa façon à lui de montrer qu'il l'appréciait et la considérait maintenant comme son amie. Le rêve ! Quand elle allait l'annoncer à Iréa ! Parce qu'elle racontait tout à son Maître, ou presque... Sio avait juste tendance à occulter certaines boulettes qu'elle avait pu commettre lors de ses missions ou autre. Par exemple sa rencontre avec Joris avait été étrangement oubliée. D'ailleurs en venant à Storghein, la demoiselle avait prit le soin de ne pas trop approcher du Palais des Glaces, se faisant la plus discrète possible quand elle passait à côté des gardes – sauf ceux de la porte. Il aurait été malheureux qu'elle se fasse envoyer au trou pendant sa semaine de congé. Bref.

« Moi aussi, je t'aime ! »

Grand sourire innocent et radieux généreusement offert à son nouvel ami. Siobhan n'avait même plus envie de s’entraîner. Elle avait tous les autres matins pour cela. Pour l'heure, elle voulait passer un peu de temps avec Seliand.
Que pourraient-ils faire tous les deux ? Qu'est-ce que ça faisait généralement les amis quand ils étaient ensemble ? Ça devait surement discuter au tour d'un verre ou quelque chose dans le genre. Ça devait aussi se balader, non ? Sio avait décidément encore beaucoup de trucs à apprendre, mais elle allait y arriver. Le tout était de ne pas se montrer trop bête devant le garçon.

« A la taverne où je loge, ils font d'excellents petit déjeuners, est-ce que tu veux qu'on mange un truc ensemble ? »

La jeune apprentie soutit gentiment, prête à lui offrir ce repas. Ce n'était pas tous les jours qu'elle avait l'occasion d'inviter quelqu'un à partager sa table.

« Alors comme ça, tu n'as été élevé que par ton père ? Il devait beaucoup t'aimer, hein. »

Sio s'avança sur le chemin menant à la cité, tendant la main vers lui pour l'inviter à la suivre.

Encore un de ces moments étranges, où une touche de comédie s'invite dans la réalité. Le quiproquo était amusant, l'une parlant amitié quand l'autre ne pensait qu'amour. Reste que ce qu'avait compris Siobhan se plaçait aux antipodes de ce que Seliand croyait. Il la voyait devant lui, radieuse et pleine de joie, incapable d'envisager qu'elle ne puisse pas vouloir exprimer les mêmes sentiments que lui lorsque la demoiselle lui avait rendu sa déclaration. D'ailleurs, si elle avait accueilli la nouvelle avec un entrain particulièrement réjouissant, ce n'était qu'une vague étincelle à côté du brasier qui s'était ravivé dans le cœur du nua. Il ne s'aperçut même pas des quelques secondes qui séparèrent l'amicale déclaration de la templière de son invitation à déjeuner. Il la fixait d'un air béat, sans piper mot.

« A la taverne où je loge, ils font d'excellents petit déjeuners, est-ce que tu veux qu'on mange un truc ensemble ? »

Encore une fois, les mots de Siobhan tirèrent le magicien de sa fascination visuelle pour la demoiselle. C'est vrai que l'idée d'un repas lui paraissait subitement très intéressante, son estomac n'hésitant pas à lui rappeler à l'écoute de cette phrase l'épisode du début de la matinée. Moment fâcheux qui avait privé Seliand de sa pitance matinale. Un estomac grognant d'envie se sentit obligé d'accompagner son acquiescement d'un gargouillis sonore.

"J'adorerais ça. Ils ont du lard grillé? J'aime beaucoup le lard grillé, avec du pain."

Bien entendu, l'idée de signaler à la demoiselle qu'il n'avait pas un sous en poche ne vint pas un instant à l'esprit du nua. La pauvreté était une situation si routinière pour Seliand qu'il ne lui paru pas nécessaire de partager cette information, estimant que si quelqu'un proposait un repas, c'est bien qu'il avait les moyens de le fournir.

« Alors comme ça, tu n'as été élevé que par ton père ? Il devait beaucoup t'aimer, hein. »

"Ah ben, oui, papa m'aimait beaucoup! Il m'a appris plein de chose, lire, écrire, danser, et même à pas pleurer quand on se prend un coup de dague pendant une danse! Il a pensé à tout, mon papa. Mais il a disparu y a un moment, c'est les pirates qui l'ont il parait. Mais c'est normal qu'un papa aime son fils, je pense. Enfin, son enfant, quoi. Par exemple, ton papa, il t'aime, non?"

La jolie templière lui prit la main alors qu'il parlait et l'entraîna à sa suite. Ils continuèrent à bavarder sur le chemin de Storghein, main dans la main, quand subitement...

L'histoire de la dague ne choqua pas vraiment la demoiselle, elle même ayant commencé à s'entrainer dès son jeune âge à l'art du maniement d'une arme. Par contre, le fait que son père ait été enlevé par des pirates lui arracha un petit pincement au cœur. La demoiselle ne comprenait pas que des gens pouvaient faire preuve d'une telle cruauté gratuite. Priver un enfant de son unique parent, c'était inacceptable. Sio haïssait leur façon d'être. Il y avait tant de choses à découvrir et à accomplir dans ce monde, alors pourquoi choisir la voix des hors-la-loi ? Pourquoi préférer la violence à la paix ? La jeune apprentie n'aimait pas les pirates pour cette raison. Ils entachaient sa vision d'un monde tout beau et tout rose. C'était inadmissible et contre-nature. La demoiselle serra un peu plus la main du garçon dans la sienne, compatissante.

« Ton père va un jour revenir et les pirates mis en prison, j'en suis certaine. Garde espoir ! »

Son papa l'aimait-il ? La jeune fille avait des doutes. Il ne l'avait même pas reconnue lorsqu'elle s'était présentée à l'Auberge familiale. La petite dernière, la non désirée avait vite été oubliée. En même temps, c'était plus simple. Sio avait quitté le nid depuis bien longtemps et ne s'était jamais manifestée depuis, alors...

« Je ne l'ai pas vu depuis bien longtemps. C'est mon Maître qui m'avait fait office de père et même s'il ne le disait pas, je suis sûre qu'il m'aimait. »

Siobhan mentait un peu. Son géniteur, elle l'avait vu pas plus tard que ce matin, mais le garçon n'avait pas besoin de le savoir. Ce n'était pas un détail important, de toute façon. La Templière était devenue une étrangère pour sa famille et était, de toute façon, trop lâche pour se manifester devant eux après tant de temps. Sio ne voulait pas être blessée, c'était légitime.

Les deux jeunes gens continuèrent à avancer vers la cité d'un pas tranquille. Le soleil s'était complétement levé, le temps passant plus vite qu'ils ne l'auraient cru et l'estomac de la demoiselle commençait à réclamer à manger. Elle pressa d'ailleurs le pas, impatiente de goûter à la nourriture de sa mère, quand d'un coup...

« Siobhan ? »

Une voix masculine interpella la jeune fille. Celle-ci tourna la tête à gauche puis à droite, se demandant qui cela pouvait bien être, ne reconnaissant pas le timbre. Une tête rousse apparut enfin devant son champ de vision. Un jeune homme un peu plus âgé qu'elle, à l'expression avenante, sur laquelle on pouvait lire de la surprise.

« Sio, c'est bien toi ? Tu me reconnais ? C'est moi, Benj ! »

Le cerveau de la jeune apprentie peinait à se mettre en route. Elle n'arrivait pas à se souvenir de l'inconnu. C'était qui, lui ? Comment est-ce qu'il la connaissait ?
Tandis qu'elle réfléchissait, Benj s'approcha des deux jeunes hommes, les yeux rivés sur leur main scellée. Il ne tarda d'ailleurs pas à arracher la mimine de la jeune fille de celle de Seliand pour la serrer fort, un sourire aux lèvres.

« Je suis tellement heureux de te revoir. Ça fait si longtemps que je pensais ne jamais pouvoir t'approcher une nouvelle fois ! Tu te souviens quand on était jeune, on jouait toujours ensemble. Tu étais la ma maman et moi le papa. Tu étais mon amoureuse ! »

Ah !!! Benj ! Le pot de colle qui la suivait partout et qui lui récitait des poèmes d'amour !

« On s'était même juré de se marier un jour. Regarde, j'ai encore la bague que tu m'avais faite ! Alors ? Es-tu toujours d'accord pour t'unir à moi ? Tu avais promis ! Je t'aime Siobhan ! »

Cet épisode lui disait vaguement quelque chose. Bon bah, est-ce qu'elle avait vraiment le choix ?

« On m'a apprit à toujours tenir mes promesses, donc d'accord. Marions nous quand j'aurais fini mon apprentissage ! »

Et BIM !

Un vague agacement avait envahi la tête de Seliand dès que la voix du trouble-fête avait résonné à ses oreilles. Une voix désagréable, annonciatrice de catastrophe et de tourments. Une voix convenant parfaitement à ce jeune gredin qui venait déchirer cette belle idylle naissante comme une dague acérée aurait ouvert une gorge. Ce sentiment put rapidement croître et se développer à mesure que la situation avançait, pour éclater en une sourde colère lorsque le vil félon vint dérober la main de Siobhan à celle du magicien. Qu'il ait toléré la présence du malotru était déjà un effort. Supporter qu'il vienne parler à sa demoiselle tenait de l'épreuve. Alors que ce Benj, cet insipide ver de terre, ose lui prendre sa compagne des mains, et tenter de la demander en mariage sous ses yeux? Seliand n'émit qu'un petit rire discret, tout juste audible.

Et BIM...

L'action ne prit qu'une seconde, mais sembla pourtant durer bien plus longtemps. D'une rapide pirouette Seliand s'était placé juste à côté des deux -presque- fiancés. Il avait posé une main sur l'épaule de Siobhan. Son long couteau avait quitté sa manche pour se retrouver enserré entre les doigts de sa main droite, et la lame tranchante avait voyagé jusque sous le menton du rouquin. La pointe avait perforé cet espace de chair tendre, sous la mâchoire, et avait glissé vers le haut, centimètres après centimètres, l'acier séparant les muscles fins, découpant facilement les nombreuses petites veines et artères, traversant brutalement le cartilage. Elle était passé au travers de sa langue, la clouant à son palais, qu'elle avait immédiatement défoncé. Finalement, le métal avait rejoint la boite crânienne et atteint la cervelle du jeune homme. Aussi sèchement qu'elle était entrée, l'arme ressortit, accompagnée d'un flot écarlate du plus bel effet.

Et Bim.

Ricanant toujours derrière le large sourire qui barrait son visage, Seliand recula. Il secoua légèrement sa dague pour en faire tomber les morceaux d'Astorg qui étaient restés collés à la lame, puis celle-ci sembla disparaître aussi vite qu'elle était apparue.

"Faut pas toucher à ma petite amie, voyons!"

Du rouge. Du rouge partout.
Sio venait de se retrouver transportée quatre ans en arrière. Le sang s'écoulait de la blessure de Benj, formant autour de sa tête une sanglante auréole. La jeune fille n'arrivait pas à détacher son regard du corps inanimé de son ami d'enfance. Il était mort, elle n'arrêtait pas de se le répéter. Ce n'était pas possible. Pourquoi ? Pourquoi ça lui arrivait à elle. Les membres de la demoiselles étaient comme paralysés, incapable de faire ne serait-ce qu'un mouvement, tandis que la vision morbide de cet homme sans vie emplissait sa tête. Il lui fallait agir, faire quelque chose, mais Siobhan n'en était pas capable pour le moment. Elle prenait enfin conscience se sa faiblesse. Comment avait-elle pu survivre à la bataille, comment avait-elle pu tuer des gens ?

Son cœur battait à tout rompre, tandis qu'elle s'éloignait d'un pas, tout en glissant son regard vers l'assassin. Elle avait fait confiance, elle avait cru que Seliand était quelqu'un de bien. Elle lui avait offert son amitié et au final... Siobhan s'était trompée sur toute la ligne. Le nombre de fois où on lui avait dit de ne pas se fier aux apparences, mais elle, naïve, voulait encore croire à la bonté des hommes et aux rencontres fortuites. Une bonne leçon venait lui être donnée. Petite conne, elle aurait dû faire plus attention.

Sa colère avait jaillit en même temps que ses larmes. La jeune fille attrapa son katana et le pointa en direction du garçon. Ses mains tremblaient de rage. Il fallait mettre ce monstre hors d'état de nuire. Les gardes, où étaient les gardes ? Les portes de la cité étaient-elles encore loin. Il lui fallait emmener Seliand là-bas, le faire emprisonner. Et le corps de Benj ? La jeune fille ne pouvait pas le laisser là, au milieu de la route. Comment allait-elle l'annoncer à sa famille. Tout était de sa faute. Siobhan s'en voulait tellement.

« Pourquoi ? Pourquoi t'as fait ça ? Il n'avait rien fait ! Pourquoi ? Je te hais !! »

Siobhan lui hurlait toute sa rage à la figure, tandis que sa main effectuait un mouvement pour mettre Seliand hors d'état de nuire, mais un flash l'aveugla pour quelques secondes et lorsque Sio rouvrit les yeux, le garçon n'était plus là. Alors la jeune apprentie se laissa tomber sur les genoux, près du corps inerte de son ami, pleurant à chaudes larmes.

« Pardon ! Pardon, je voulais pas ! Pardon, c'est ma faute ! »

[Seliand et Siobhan désengagés]

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