Une ombre se profilait dans la nuit, fière du crime qu'elle venait de commettre. Corrompre les âmes perdues était le passe temps favoris des seigneurs des cieux et la jeune fille qui fuyait, aussi légère qu'une plume et aussi rapide que l'onde, n'échappait pas à la règle. Il existait en cette cité un secret aux odeurs de trahison et la jeune femme avait été trahie. Cruellement, implacablement, celle qui était jadis son double n'avait pas hésité à trahir les siens pour les hommes alors Travia avait décidé de se venger, semant mort, désolation et pagaille quand l'occasion lui en était donné et que l'envie l'en prenait.

Le lendemain, la reine en personne te convoqua au palais aux aurores, tandis que le soleil peinait à pointer le bout de son nez à l'horizon. Sans même attendre quoi que ce soit de ta part, Philéa te fit part d'un vol. Jusque là, ce n'était pas bien intéressant mais le vol en question était plutôt dérangeant pour la souveraine comme pour la cité. En effet, le document qu'on était parvenu à voler n'était autre que la liste complète des Capitaines et Vices-capitaines de la cité. Liste qui indiquait leur noms, âge, cité d'origine et qui offrait une description fidèle de ces dernières. Au sein de Muria, elle ne risquait rien et était même nécessaire, notamment pour permettre un suivi au sein de l'armée ou encore, pour Kiera et Eléa. La Chef des Sentinelles était d'ailleurs absente et la reine avait vu en toi quelque suffisamment digne de sa confiance pour t'envoyer à la recherche de ce précieux document. Parce que le problème vois-tu, c'est que personne ne savait qui avait volé le document et sans doutes la reine se demandait-elle si ce n'était pas l'œuvre d'un Soumis, ce qui expliquait là son choix. Mais toi, tu avais une petite idée n'est-ce-pas ?

[ Comme prévu, j'ai repris ton idée pour acquérir ta compétence ^^
Par contre, cette mission sera courte étant donné le nombre de sujets que j'ai à gérer et le fait qu'elle n'a de but que de te permettre d'obtenir ta compétence >.< Pour ce qui est de la réponse, comme tu m'as dit avoir une excuse pour te douter de l'auteur de l'acte, je te laisse carte blanche. Tu es libre d'avancer jusqu'où tu veux mais arrête toi tout de même avant qu'elle ne prenne la parole ]

[Pas de soucis, je te remercie déjà d'avoir accepté de me MJter pour ça !]

Les rayons du soleil parvenaient à peine à caresser le visage de Méléane, encore trop timides pour chasser la fraîcheur de l'aube. Il était encore tôt et pourtant, La Cydienne s'était déjà mise en marche pour la journée. Enfin, en étant convoquée par la Reine, elle n'avait guère eu le choix que de se remuer jusqu'au Palais où elle saurait enfin pourquoi on l'avait demandée. Les Soumis ? Non, c'était peu probable : Philéa s'était déjà entretenue à ce sujet avec elle il n'y a pas si longtemps que cela, aucune chance qu'elle veuille le faire une nouvelle fois, d'autant que les hommes de la Cité se tenaient tranquilles ces derniers temps.

Les courbettes devant la Souveraine exécutées, la brune put enfin savoir de quoi il en retournait, et autant dire que cela la surprit beaucoup, même si son masque de contenance ne tomba pas une seule seconde. D'autre part, elle ne comprit pas en quoi un vol la concernait elle, du moins jusqu'à ce que Philéa soulève l'hypothèse qu'un Soumis soit derrière ce larcin.

« Impossible » répondit calmement la Louve, « L'endroit où étaient conservés ces documents se trouve à l'opposé du Chantier. Je doute qu'un Soumis ait pu parvenir jusque là, entrer et revenir jusque chez lui sans qu'aucune Sentinelle ne l'ai repéré »

Une fois l'heure du couvre-feu arrivée, fou était l'homme qui oserait s'aventurer en dehors de son logement. Leur présence n'était plus tolérée passé ce moment, le simple fait de transgresser cette règle était bien souvent synonyme d'un projet douteux qui avait germé dans une de leur petite tête. D'autre part, il y avait des Sentinelles patrouillant et dans la ville, et dans le Chantier, suffisamment pour qu'un Soumis soit arrêté avant qu'il n'ait pu aller bien loin. La simple menace de ce qui les attendait s'il jamais ils étaient pris à fureter dissuadait la plupart des hommes de sortir dehors.
Fallait-il encore souligner que de la sortie du Chantier à l'endroit où se trouvaient les documents, il y avait encore d'autres Sentinelles qui auraient pris les mesures nécessaires en croisant un mâle ? Non, pour les mêmes raisons qu'il ne fallait pas mentionner qu'on ne pénétrait pas dans l'endroit comme on passait les portes de Cydonia...

« Cela en vaudrait la peine pour peu que le voleur puisse s'enfuir de la ville avec la liste. Seulement, les portes sont gardées vingt-quatre heures sur vingt-quatre, aucune chance qu'il ait pu sortir sans qu'on ne le remarque. Certains Soumis ne sont pas des lumières mais je ne pense pas qu'il y en ait un assez bête pour se lancer dans une entreprise aussi risquée et qui ne le mènera à rien. Je serais plutôt d'avis que la personne qui l'a volé pouvait quitter Muria »

Le jeu n'en valait pas la chandelle autrement. À quoi bon voler des documents tels que ceux-là si l'on devait les conserver sur soi par la suite ? Si un homme se risquait à les dérober pour ensuite courir le risque de se faire prendre avec, il ne devait guère avoir un QI plus élevé que celui d'une huître !

« Une de nos Sœurs... »

Ce ne pouvait être que cela. Si les Soumis n'avaient aucun intérêt à dérober la liste des Capitaines et Vices-Capitaines de l'armée, la lancière concevait qu'une Amazone pouvait à la limite en tirer quelque chose. Une telle liste avait son importance à Muria, tout simplement d'un point de vue administratif mais en dehors, les choses prenaient une autre dimension... Oui, en tombant entre des mains extérieures, cette note n'apportait plus juste les noms des deux femmes dirigeant chaque régiment : Des tonnes de détails y étaient aussi et il valait mieux pour tout le monde qu'ils ne quittent jamais la Cité Forestière.

Méléane avait conscience que c'étaient là de graves accusations qu'elle portait envers une sœur. De plus, elle n'avait aucune preuve pour ce qu'elle avançait, juste des hypothèses, des suppositions. Si elle avait soulevé l'idée – qui sonnait davantage comme une conclusion – qu'une Amazone soit derrière le méfait, elle avait bien une petite de qui cela pouvait être. Ses soupçons s'étaient tout de suite tournés vers une personne en particulier : Rikke.

« Vous souvenez-vous de la femme que j'ai mentionnée dans mon dernier rapport ? Il n'est pas impossible que ce soit elle. Rikke a proféré des menaces à plusieurs reprises envers Muria, après le décès de sa fille unique »

La Louve l'en savait capable mais ne pensait pas qu'elle en viendrait vraiment à nuire aux Amazones. Elle était bouleversée et l'émotion avait parlé à sa place, pensait alors la lancière, mais si c'était bien elle qui avait commis ce vol, elle était de loin la pire idiote de la ville !
La mort – le meurtre, selon certains – de sa fille avait sans aucun doute été l'élément déclencheur de tout cela. Il suffisait de les regarder pour savoir qu'elles étaient aussi proches qu'une mère et une fille pouvaient l'être, aussi le trépas de cette dernière l'avait brisée. Sa colère contre le système Amazone, elle, venait de la cause de cette mort, un meurtre légalisé selon la mère blessée.
Sa descendante aimait à passer le temps dans l'arène, à croiser le fer avec des Soumis et à l'occasion, avec d'autres Amazones, mais bien qu'elle maîtrisait l'épée de manière redoutable, elle n'avait pas été protégée de la lame d'un homme, qui abrégea sa vie en lui enfonçant son arme dans l'abdomen. De toute évidence le geste n'avait pas eu pour but de la tuer, seulement des accidents arrivaient et les lois de l'arène étant ce qu'elles sont, le gladiateur n'avait récolté aucune punition, si ce n'est d'être mal vu par certaines femmes à partir de ce moment.

Rikke avait toujours eu une santé mentale très fragile : sautes d'humeur, dépressions, ... et autant dire que la perte de sa fille l'avait brisée au plus profond d'elle-même. Elle réclamait justice pour cet homme qu'elle qualifiait d'assassin. Aurait-elle pu choisir le châtiment que ce Soumis se serait vu la tête posée sur le billot. Or, cela s'était passé dans l'arène et l'acte n'avait vraisemblablement pas eu pour objectif d'ôter la vie à son adversaire... Il n'y aurait pas de cette justice qu'elle voulait tant.
« J'ai perdu ma fille à cause de ce système laxiste à la con » avait-elle scandé avec des tas de mences suite à ça, mais les lois étaient établies pour être respectées, que cela plaise ou non. Elle ne semblait pas le comprendre et s'attendait à être prise en pitié pour obtenir vengeance mais personne ne se leva contre les lois établies par la Souveraine ; si chacune se mettait à faire ce qui lui plaisait, l'anarchie ne tarderait pas à s'emparer de la Cité Cachée.
Toutes étaient fidèles à la Reine, sauf une qui commençait à douter... Une âme égarée qui avait finit par aller trop loin. Avait-elle été influencée ou avait-elle agit ainsi après réflexion ? La lancière n'en savait rien mais ce n'était pas l plus important pour l'instant. Rikke était une femme blessée mais peut-être que les pleurs et sa détresse auraient dû être pris plus au sérieux. Enfin, son implication dans cette affaire relevait plus de la supposition que de la certitude, encore que la Cydienne était quasiment persuadée de sa culpabilité.

« Si vous êtes d'accord, laissez-moi me lancer à sa poursuite, en admettant que j'aie raison »

Philéa n'était pas bête, loin de là. Si jamais l'idée qu'avait soulevée Méléane s'avérait être plus qu'une hypothèse, il était grand temps de se lancer aux trousses de Rikke sans attendre ; elle devait déjà être loin d'ici, comme le vol avait été commis cette nuit. Qui plus est, elles perdraient encore du temps à mobiliser telle ou telle Amazone... La priorité était de l'arrêter, avant qu'elle ne fasse une connerie qui leur coûterait cher, tant à elle qu'à Muria.

[J'ai perdu l'idée que j'avais lorsque je t'avais envoyé le MP, ça m'apprendra à pas noter mes idées, ça >_< Donc j'ai trouvé ça, j'espère que ça ira sinon ben, je me doute que tu ne manqueras pas de me le faire savoir. J'espère ne pas avoir été trop loin ! =)]

Philéa était d'après certains une reine avisée là où d'autres voyaient en elle une abominable adversaire politique mais si ses qualités comme ses défauts étaient loués ou maudits par certains, force était de constater qu'elle avait au moins le mérite d'écouter attentivement ce que ses sœurs pouvaient lui dire. Aussi, lorsque tu émis l'hypothèse qu'un Soumis ne pouvait pas être derrière cela, elle t'écouta sans dire mot jusqu'à finalement en convenir, au vu des arguments avancés, que tu avais sans doutes raison. Cependant, si ce n'était visiblement pas l’œuvre d'un Soumis, la question demeurait entière, qui avait bien pu commettre ce crime ?

En silence toujours, la reine écouta ce que tu avais à dire. Visiblement, elle semblait convaincue par tes arguments du fait qu'aucun Soumis n'aurait osé s'en prendre à un document si précieux et que, si tel avait pu être le cas car, après tout, l'erreur était humaine, il aurait forcément croisé la route d'une Amazone. Les Sentinelles veillaient sur la cité plus particulièrement la nuit que jamais aussi, il était évident qu'un Soumis n'aurait pas pris de tels risques à bien y réfléchir. Une Amazone avait-elle pu commettre ce crime ?
Les plus chauvins auraient dit que non, mais si Philéa avait d'abord exclu cette possibilité, elle n'hésita pas une seule seconde à revenir dessus.

« Je me souviens de chaque sœur endeuillée. Un bien triste accident ... »

La souveraine semblait pensive aussi laissa-t-elle sa phrase en suspend. Rikke était sans doutes la coupable la plus probable mais si l'hypothèse était séduisante, se devait-elle pour autant d'exclure les autres ? Si Méléane se trompait, pouvait-elle prendre le risque de laisser ce précieux document quitter la cité au risque d'être dévoilé à des personnes mal intentionnées ? Hors de question.

« En admettant que tu ai raison ... » se contenta de répondre Philéa avant d'ajouter d'un ton calme et posé, « Je ne peux prendre le risque que ces informations soient dévoilées, aussi, j'enverrais les Louves questionner les Soumis et une dizaine de Sentinelles fouiller la forêt. En attendant, trouve-la et s'il s'avère que tu ai eu raison, ramène-la vivante. »

Et voilà, tu n'avais plus qu'à suivre ton idée désormais …

[ Tu es libre quant à la façon dont tu la retrouves et au lieu où tu la retrouves. Arrête-toi juste après l'avoir retrouvée ^^ ]

Si les doutes de la Louve étaient fondés, dommages qu'elle n'ait aucune preuves pour ce qu'elle avançait, à savoir qu'une Amazone serait derrière ce larcin. D'autre part, il pouvait difficilement en être autrement, comme elle l'avait expliqué à Philéa. À moins que les patrouilles ne soient aveugles et les gardiennes des portes suffisamment bêtes pour laisser passer un homme, un Soumis ne pouvait être l'auteur de cet acte. Ainsi, un brin de réflexion l'amena à cette conclusion évidente : l'auteur du crime n'était personne d'autre qu'une femme et la raison, un accident ayant coûté la vie à une fille.

« A vos ordres » répondit-elle tout simplement.

Bien, au moins son hypothèse n'avait pas été rejetée par la Souveraine, ce qui aurait pu être le cas car accuser une Amazone d'un crime généralement associé aux homme était en quelque sorte tabou.
La Vice-Capitaine elle-même aurait préféré que le coupable soit un Soumis et non une Sœur mais il fallait croire que la perfection n'existait nulle part. Les dieux soient loués, Philéa avait assez de jugeote pour se rendre compte que ce qu'avançait Méléane n'était pas à exclure. Une dernière révérence et elle quitta la salle du trône, laissant derrière elle la Reine qui, sans aucun doute, avait bien du travail maintenant. Comme elle l'avait souligné, elle devait à présent s'assurer que les Soumis n'avaient rien à voir dans cette histoire et pour cela, elle s'aiderait des autres Louves.

Le pas gymnastique, la brune se hâta à travers les rues de la ville. Elle n'avait guère de temps à perdre : le vol avait été commis en pleine nuit mais l'obscurité dure et cela aurait pu se passer il y a deux heures tout autant qu'il y en a huit. Si le larcin datait du début de la nuit, il n'était pas impossible que Rikke ait une grosse avance sur elle et soit déjà loin. Plus le temps s'écoulait et plus l'Amazone s'éloignait de Muria avec le fruit de son méfait, voilà pourquoi elle ne traînait pas.
Ceci dit, peu importe combien elle se dépêchait, elle se trouvait être sacrément en retard par rapport celle qu'on lui avait demandé de poursuivre. D'autant que l'endroit où Rikke se dirigerait relevait davantage de la supposition que de la certitude. D'après ce qu'elle lu et vu après cet « accident » à l'arène, elle vivait à Silmarie avant de rejoindre Muria pour des raisons qui n'intéressaient nullement la Chargée des Soumis. Il semblait donc couler de source que la première escale de cette femme serait Silmarie, avant qu'elle n'essaie de vendre la précieuse liste au plus offrant – du moins supposait-elle que les choses se passeraient ainsi.
Avant tout, Méléane repassa chez elle : son arme lui serait peut-être nécessaire, sait-on jamais ce qui adviendrait de même que des provisions pourraient s'avérer utile car si Rikke avait assez d'avance pour atteindre Silmarie, cela faisait une trop longue route pour rester à jeun.
Elle pénétra enfin chez elle après quelques minutes de marche rapide.

« Alors ? »

La Louve sursauta presque quand elle vit une silhouette se lever du fauteuil et venir vers elle. C'était Lana, lui demandant comment les choses c'étaient passées et pourquoi elle avait été appelée dès l'aube. Avec tout ce qui s'était passé depuis ce matin, la Cydienne en avait presque oublié que sa loyale assistante avait passé la nuit ici et s'attendait plutôt à la voir endormie.

« Quelques problèmes mais je n'ai pas le temps de tout t'expliquer en détail » répondit-elle, « J'allais te réveiller, Philéa va questionner les Soumis avec les Louves et elle risque d'avoir besoin de toi. Je vais devoir quitter Muria et tu vas me remplacer jusqu'à ce que je revienne »

Elle avait confiance en Lana et savait qu'elle serait capable de gérer la situation. Voilà longtemps qu'elle l'assistait dans son travail et à quelques exceptions près, elle n'avait jamais rien eu à lui reprocher. Ce n'était pas d'ailleurs pas la première fois que Méléane lui laissait les rênes ; en effet, elle occupait aussi un poste dans l'armée et il lui arrivait de s'absenter plusieurs jours de Muria pour diverses raisons, et Lana s'occupait des Soumis à sa place durant ce temps.
Une femme intelligente et diplomate, elle irait loin dans la vie, pensa-t-elle, sans doute hériterait-elle de son poste quand le temps sera venu de le quitter.

« Tant que tu y es, passe chez Lyudmila, elle habite au coin de cette rue, en allant vers la fontaine. Dis-lui de se préparer à partir et qu'elle me rejoigne aux écuries. Sans traîner. »

La jeune femme acquiesça et partit sans poser plus de questions. Elle devinait que sa supérieure n'avait vraiment pas le temps de lui raconter toute l'histoire et ses doutes quant à la coupable. Certes, avec le retard qu'elle avait, elle n'en était plus à deux minutes près mais autant éviter de creuser davantage l'écart qui la séparait de Rikke. La présence de Lana ce matin constituait à elle seule un gain de temps considérable. Dans un cas contraire, la Louve se serait vue obligée de passer elle-même chez sa subordonnée, puis chez Lyudmila.
Dès qu'elle fut seule, la Cydienne s'empressa de fourrer dan un sac de quoi se nourrir et se désaltérer pour la journée – dans l'hypothèse où Rikke aurait atteint Silmarie, cela faisait plusieurs heures de route. Elle laça ensuite ses bottes de cuir épais, adaptées à pareille chevauchée et s'habilla également de manière conséquente, sans toutefois revêtir son armure : cela prendrait trop de temps à mettre. Enfin, elle enfila sa cape et se saisit de sa lance, une arme aussi belle que meurtrière, avant de quitter son domicile pour rejoindre les écuries de la vile.

Elle ne mit guère longtemps à seller Kalane, son cheval. La bête trépignait d'impatience à l'idée de sortir pour se dégourdir les jambes. C'est vrai que cela devait faire deux bonnes semaines que la lancière ne l'avait pas montée ni même sortie de son box. Elle avait certes demandé aux palefrenières de sortir sa jument régulièrement – ce qu'elles faisaient, elle n'en doutait pas – mais il fallait croire que l'animal préférait de loin aller gambader avec sa maîtresse.
Tandis qu'elle préparait sa propre monture, Méléane envoya la gérante de l'écurie prépare celle de Lyudmila, histoire de pouvoir se mettre en route dès qu'elle serait là. Heureusement, la femme attendue en question n'arriva qu'une petite dizaine de minutes plus tard, le souffle court de s'être ainsi dépêchée.

« Tu m'as demandée ? »

« Oui. Tu es prête ? Parfait, on y va alors, j'ai fait seller ton cheval »

La Louve plaça les vivres dans le sac de selle et dans le fourreau de celle-ci, y glissa sa lance. L'arme serait bien plus facile à transporter ainsi attachée plutôt qu'en main car si la lance était une arme redoutable, son transport était souvent malaisé et moins facile que celui d'une hache ou d'une épée mais avait cependant des avantages que ces deux dernières ne possédaient pas.

« Qu'est-ce qu'il s'est passé ? On part pour longtemps ? »

« Tu poses trop de questions » répliqua la Cydienne, « Je t'expliquerai en chemin, on a une fuyarde à attraper »

« Comment ça « une » ? »

La lancière soupira. Évidemment, la chasseresse n'avait pas pu s'empêcher de renchérir avec une nouvelle question, quoique la dernière était compréhensible de même que la surprise inscrite sur la figure de la jeune femme. Lorsqu'on évoquait quelqu'un qui s'enfuyait de la cité, l'on pensait en premier à un Soumis ayant échappé à la vigilance des femmes et non à une Amazone puisque, après tout, elles n'avaient aucune raison de s'enfuir d'un endroit où elles étaient protégées du monde extérieur.
Sans donner plus d'indication, elle grimpa à califourchon sur Kalane et invita Lyudmila à la suivre d'un geste de la main avant de pousser son destrier à se mettre en route en le contrôlant grâce à ses jambes. Les deux femmes sortirent des écuries et se dirigèrent sans tarder vers les portes de la Cité Forestière.
Alors qu'elles étaient dans la large rues qui menait à la sortie de la ville, Méléane se mit à lui raconter toute l'histoire et la raison pour laquelle elle avait demandé à la jeune chasseresse de venir. Elle lui expliqua que la Reine l'avait convoquée à l'aube pour lui faire part du vol de la liste des Capitaines et des Vice-Capitaines de l'armée Amazone ainsi que ses doutes quant à la culpabilité d'un Soumis dans cette histoire. Enfin, elle lui fit part de son hypothèse que d'aucuns jugeraient farfelues et pourtant qui semblait si plausible lorsqu'on entendait les suppositions de la Louve. Elle termina le résumé des faits en disant que Philéa avait finalement décidé de la laisser poursuivre son idée et, dans le cas où elle aurait raison, qu'elle ramène Rikke vivante.

« C'est pour suivre sa trace que tu m'as fait venir alors ? »

En gros, oui, c'était pour cela. La Louve, même si elle ne l'admettrait jamais, était à peine capable de suivre une trace et étant donné la gravité de la situation, elle se devait de mettre sa fierté de côté afin d’œuvrer pour le bien de Muria. Elle n'avait pas besoin d'avouer sa faiblesse, prendre une chasseresse avisée suffirait. Elle ne pouvait se permettre de se fier à sa chance pour suivre la piste de la fugitive car si jamais elle se trompait, c'étaient une tonne d'informations secrètes aux personnes extérieures à Muria qui se verraient révélées à tous. Cela créerait une faille dans la sécurité de la ville. Une petite faille mais une faille tout de même.

« Et parce que je savais que tu allais me suivre avant de poser des questions »

D'autres que Lyudmila auraient tenu à savoir de quoi il en retournait avant de partir en forêt. Certes, elle avait bien posé plusieurs questions mais jamais elle ne l'avait menacé de ne pas y aller si Méléane ne lui donnait pas de réponse. Depuis le temps que les deux femmes se connaissaient, la chasseresse savait fort bien qu'elle ne serait pas tirée de sont lit et priée de se dépêcher si ce n'était pas de la plus haute importance. C'était là la deuxième raison pour laquelle elle avait été choisir plutôt qu'une autre.

Ainsi elle répondit à d'autres questions à mesure que les chevaux avançaient jusqu'à ce qu'elles arrivent aux portes de la ville. Là se trouvaient deux Sentinelles de gardes et à en juger par leurs yeux fatigués et l'heure encore très matinale, il s'agissait probablement des deux personnes ayant veillé et gardé l'entrée toute la nuit. La Vice-Capitaine les salua brièvement d'un mouvement de tête avant de s'adresser à elles :

« Vous avez été de garde toute la nuit, n'est-ce pas ? Combien de personne ont quitté la ville durant ce temps ? »

Les deux Sentinelles se regardèrent, un peu surprises, avant de réfléchir au nombre de femme qui étaient sortie pendant la nuit.

« Celles qui patrouillent à l'extérieur sont parties au milieu de la nuit »

« A part les patrouilles, j'entends »

« Une de nos Sœur » répondit l'autre, « Elle nous a juste dit agir sur ordre de la Reine mais je ne la connaîs pas »

« Quand est-elle sortie ? »

« Je ne saurais le dire exactement. Deux heures, un peu plus peut-être »

Voilà une nouvelle intéressante. À présent, elles étaient assurées que Rikke n'avait qu'une très petite avance sur elles. La personne ayant découvert le vol n'avait probablement dû rater la criminelle que de peu. C'était une bonne chose que la réaction ne se soit pas faite attendre, sans quoi la fugitive serait déjà loin. Elle lui semblait maintenant à portée de bras, ce ne serait qu'une question de temps avant de la rattraper. D'autant que la voleuse était partie lorsque le jour ne s'était pas encore levé, à en croire ces Sentinelles, et elle avait dû, de ce fait, progresser plus lentement.

« Je suppose qu'elle n'a pas mentionné sa destination ? »

L'une des deux secoua la tête en signe de négation et c'était sans grande surprise que la Louve accueillit la nouvelle, Rikke aurait été la plus bête des voleuse si elle avait laissé de telles indications derrière elle. Comprenant qu'elle n'apprendrait plus rien de la part des deux Sentinelles, la Cydienne talonna sa jument et reprit la route de la forêt, Lyudmila sur ses pas.

« Soyez prudentes sur la route » leur glissa l'une des Gardienne

De longues minutes furent passées à observer la jeune femme chercher la piste, Méléane préférant rester en selle plutôt que de se mêler à cette recherche. Elle choisit de demeurer droite et fière, feignant de parfaitement savoir ce qu'elle faisait tout en gardant un air de meneuse qui, au moins, ne donnait pas l'impression qu'elle se tournait les pouces. La vérité, s'il y en avait une à soulever, était que ne voulait surtout pas passer pour une imbécile en prenant part au pistage alors que ses capacités dans ce domaine étaient limitées.
Les empreintes de bottes appartenant aux Sentinelles de patrouille écartées, l'Amazone parvint enfin à trouver ce qu'elle cherchait, des traces fraîches laissées par les sabots d'un cheval. Elle en informa aussitôt la Louve avant de se mettre à suivre la piste, assurant que les empreintes étaient récentes. Lyudmila redescendait de selle à intervalles réguliers pour vérifier qu'elles étaient toujours sur la piste et encore une fois, la lancière loua le professionnalisme de sa partenaire car elle ne se trompa pas une seule fois. D'ailleurs, à en juger la facilité avec laquelle elles suivaient la piste, l'on devinait que Rikke n'avait pris aucun effort pour effacer ses traces ou au moins faire en sorte qu'on ne puisse pas la pister avec tant d'aisance, sans doute avait-elle cru que les Soumis seraient les premiers soupçonnés dans cette affaire.
N'aurait-elle pas fait tant de vagues ces derniers temps que la brune aurait commis l'erreur de coller le crime sur le dos d'un homme – ils avaient après tout de parfaits profils de criminels. Mais c'était sans compter combien elle avait choqué certains esprits en blasphémant contre Muria en menaçant ouvertement de se venger contre ce système. Les paroles de cette mère éplorée par la perte de sa fille auraient dues être davantage prises au sérieux. Voilà où cela les avaient menées : une liste dont l'importance était une certitude avait été dérobée sans mal et il était capital de veiller à ce que ce document ne tombe pas en d'autres mains que celles d'Amazones.
Muria était uniquement protégée contre les hommes et les menaces extérieures, qui aurait cru qu'un jour viendrait où le danger viendrait de l'intérieur, répandu par la main d'une Amazone ? Qui aurait pu soupçonner qu'une femme se retournerait contre sa patrie, contre la ville qui l'avait abritée et protégée quand elle avait eu besoin d'aide ? Personne. C'était inconcevable que les choses puissent se passer ainsi. Une nouvelle fois, Méléane se rendit compte que Muria n'était pas sans danger, qu'il y avait des failles exploitables. Elle jugea nécessaire d'en toucher deux mots à Philéa dès sont retour en ville, au cas où la Souveraine n'aurait pas encore réfléchi à ce sujet.

Il s'écoula au moins une heure à ce rythme, rapide certes, mais pas trop afin de ne pas perdre la piste. Si Rikke s'était lancée à bonne allure en quittant Muria, elle continuait à creuser l'écart qu'il y avait entre elle et ses poursuivantes. S'il n'était pas impossible que la fugitive se rende à Silmarie en premier lieu, c'était loin d'être certain, aussi la Louve avait-elle décidé de ne pas foncer jusqu'à la Cité des Brumes. Pour peu que la voleuse ait pris une direction différente et elles perdraient à jamais sa trace. Mieux valait suivre sa piste en forêt le plus longtemps possible en espérant la rattraper ou au moins afin de savoir vers quelle ville elle allait se diriger.

Les choses en seraient probablement restées au même point si le destin n'avait pas décidé de donner un coup de pouce aux deux femmes. Elles finirent en effet par être attirées par des hennissements stridents venant des sous-bois. Lyudmila fut la première sur place et elle put constater la scène peu avant Méléane : Un cheval se trouvait allongé dans la boue en poussant de longs cris de douleur.
À la vue des deux étrangères, la bêtes tenta de se relever avant de retomber lourdement sur son côté et de reprendre ses lamentations de plus belle. Il ne semblait pas souffrir d'une blessure ouverte mais pour qu'il soit dans cet état, il devait bien y avoir un problème quelque part. La chasseresse se laissa glisser en bas de sa propre monture pour rejoindre l'animal souffrant dans sa flaque de boue, vestige des quelques jours pluvieux auxquels la forêt avait eu droit. Paniqué, il se débattait sans cesse, agitant ses sabots de façon à pouvoir assommer Lyudmila si elle était touchée Elle parvint néanmoins à calmer le destrier qui se laissa ensuite toucher et examiner quand il comprit que les arrivantes n'étaient pas là pour lui faire du mal.

« Jambe brisée » conclut-elle peu après, « Trop pressée de s'enfuir pour faire attention à sa jument »

Ça pour une bonne nouvelle, c'en était une ! Maintenant qu'elle n'avait plus de monture, Rikke se déplaçait à pied et donc, beaucoup plus lentement. Il s'agissait là d'une espèce de coup de chance qui leur permettraient peut-être de la rattraper ou en tout cas de grandement combler la distance entre elles. Comme si un vent d'espoir nouveau soufflait entre les branchages de la forêt, la Cydienne était plutôt satisfaite, il fallait le dire, bien que son visage ne trahisse nullement sa joie.
La chasseresse glissa une main jusqu'au manche de son arme et en découvrit les premiers centimètres d'acier avant de lancer un regard interrogateur à sa partenaire, telle une enfant mal assurée qui demanderait la permission avant de faire quelque chose d'évident, question muette à laquelle Méléane répondit par un haussement d'épaules.

« Que veux-tu que je te dise ? On ne sait plus rien tirer de ce cheval »

Elle acquiesça silencieusement avant de sortir sa lame du fourreau sur une note métallique et de la lever au-dessus de l'animal qui, apeuré, recommença à gesticuler. Si elle n'était pas abattue ici, une bête sauvage en ferait son repas d'ici peu. Il était vrai qu'ainsi immobilisée, la jument de Rikke était une proie facile, il n'aurait d'ailleurs pas été étonnant de la retrouver déjà morte.
Il hennit une dernière fois, puis se tut à jamais.
Lyudmila essuya son épée sur l'animal là où les poils avaient été préservés de la boue et la replaça au fourreau avant de remonter sur sa propre monture. Le travail venant d'être fait au mieux, elles purent se remettre en route, laissant derrière elle la dépouille d'une noble bête. Qui sait, peut-être qu'un charognard se repaîtrait de sa chair d'ici peu ?

De là, il ne fut pas difficile de repérer la piste de Rikke s'enfonçant dans les bois. Empreintes, branches cassées, ... La poursuivre se révélait un exercice plus facile que ne l'aurait cru la Louve. Enfin, aussi aisée la chose puisse-t-elle être, elle n'y serait probablement pas arrivé sans l'aide de la chasseresse ; prendre Lyudmila avec elle avait été une sage décision.

Le temps s'écoula encore alors qu'elles progressaient toujours. En chemin depuis quelques heures à peine, Méléane avait l'impression d'être en selle depuis des jours. L'avance qu'avait Rikke avait été en grande partie comblée, elle ne devait plus être loin et ce n'était qu'une question de temps avant de la retrouver. Elle paierait pour sa trahison envers Muria, pour avoir osé porter atteinte à la ville qui l'avait protégée !
Et effectivement, la distance les séparant fut parcourue, tant et si bien que la silhouette de la fugitive finit par être aperçue parmi les arbres.

« La voilà » lâcha Lyudmila tout en sortant une flèche de son carquois pour préparer son arc.

Il s'agissait d'une belle arme, quoique son ancienneté la trahissait. Cela devait faire plusieurs années qu'elle possédait cet arc, sans aucun doute l'avait-elle depuis bien avant son épée, pour des raisons évidentes. Chasseresse de son métier, Lyudmila ne pourrait traquer un animal à l'épée qu'avec beaucoup de difficulté.

« J'ai vu. Garde ta flèche encochée mais ne tire pas, la Reine la veut vivante »

Naturellement, elle allait exécuter les souhaits de la Souveraine à la lettre. Elle serait ramenée en vie et jugée à Muria pour sa trahison... Oh, bien sûr, elle risquait d'être un peu bousculée si elle osait leur montrer de la résistance.

Obéissant à son signal, Kalane lança à la poursuite de la criminelle à un rythme soutenu. Le claquement de sabot sur le sol averti Rikke d'une présence, assez indésirable pour elle. Il était certain qu'à sa place, voir deux Amazones débouler – dont l'une d'elle n'était pas connue pour être la plus douce – devait s'apparenter à un cauchemar. Mais peu importait ce qu'elle pensait, Rikke expierait ses crimes d'une façon ou d'une autre, tant pis si la manière employée ne lui plaisait pas !
Elle ne put s'enfuir et distancer ses poursuivantes pour la simple et bonne raison qu'elle n'avait aucun moyen de transport là où celles qui la pistaient avaient deux juments entraînées. Aussi finit-elle par être rattrapée plus loin, dans une petite clairière.

« Ordre de la Reine, hein ? Explique moi donc pourquoi c'est elle qui m'envoie » lâcha-t-elle avec tout le mépris du monde.

La lancière n'avait pas mentionné le vol car elle voulait forcer la traîtresse à avouer ses actes, lui faire prendre pleinement conscience de sa bêtise avant de la ramener – par la peau du cou s'il le fallait – à Muria. Toujours en selle, Méléane se tenait droite, plus impérieuse que jamais et assassinait Rikke du regard. La colère lui allait si bien...
La fuyarde, une expression de terreur profonde sur le visage, jetait des coups d’œil furtifs aux alentours, comme si elle cherchait une échappatoire à la situation. Ce comportement n'échappa pas à la Louve, qui anticipa avant que la fugitive ne tente quoi que ce soit :

« Et n'essaie pas de t'enfuir, tu ne feras qu'aggraver ton cas »

La menace sous-jacente s'entendait clairement dans le ton qu'elle avait employé. Il était sûr que si elle tentait de s'échapper de nouveau, ça n'allait pas jouer en sa faveur au moment où elle serait jugée pour ses actes, d'autant qu'à pied, elle avait peu de chance d'échapper à deux cavalières, sinon aucune. De son côté, la voleuse tenta de paraître assurée, même si le ton de sa voix trahissait son malaise.

« Méléane, si je m'attendais à te voir... J'avais des affaires urgentes à régler et j'ai prétexté devoir partir sur ordre de notre chère Souveraine pour qu'on me laisse tranquille. Je n'aurais pas dû agir ainsi mais je ne pensais pas que les Gardiennes des portes m'auraient laissée quitter Muria vu la façon dont je me suis comportée ces derniers temps. Tu peux comprendre ça, n'est-ce pas? »

Et elle croyait vraiment que la lancière allait mordre à l'hameçon ? Son excuse puait déjà le mensonge alors, connaissant toute l'histoire, cela ne fit que l'agacer davantage. Lyudmila non plus n'y avait pas cru, comme le prouva le sourire sarcastique qu'elle arborait

« Oh, toutes nos excuses dans ce cas, tu peux y aller » dit-elle

Méléane conserva plutôt son air dur, jugeant l'ironie inappropriée à la situation. Elle se laissa glisser ensuite de sa selle, suivie de peu par sa partenaire et s'approcha de Rikke, cette dernière ayant un soudain mouvement de recul quand la Cydienne arriva à sa hauteur. Doucement, elle ôta un de ses gants et gifla la voleuse avec force afin de la ramener à la raison.

« Ne me prends pas pour une conne ! As-tu seulement idée des conséquences de tes actes !? »

Elle releva la tête, la lèvre ouverte après se l'être mordue, et foudroya la Vice-Capitaine du regard, comme si elle la maudissait de toute son âme. Rikke était plus âgée que Méléane et visiblement, elle supportait mal l'idée d'être rappelée à l'ordre de la sorte.

« Comment oses-tu lever la main sur une prêtresse de Diane ? »

« Tu n'es plus qu'une criminelle depuis que tu as volé ces documents. Diane veille sur les Amazones tandis que toi, tu souhaites mettre à mal notre Cité. Tu n'as plus rien d'une prêtresse » répondit-elle froidement.

Elle même, bien que n'étant pas particulièrement pratiquante, croyait en cette déesse. De son point de vue, la fugitive était tombée en disgrâce auprès de cette dernière et n'avait plus ses faveurs depuis son méfait. Elle n'était plus rien et le fait de dire le contraire avec tant de véhémence ne faisait qu'énerve la Chargée des Soumis.

« Muria m'a pris ma fille ! Est-ce que tu sais ce que ça fait de perdre son enfant ? »

Une fois encore, son argument n'avait aucune valeur. Peu l'avaient su et moins encore s'en souvenaient mais elle avait aussi perdu un enfant, il y a plus d'une dizaine d'années. Elle n'avait pas désiré son fils et l'avait même répudié à sa naissance tant sa seule existence faisait souffrir celle qui n'était alors qu'une adolescente torturée par un mari violent et alcoolique, mais cela ne l'avait pas empêchée d'être attristée de son décès. Elle n'en parlait jamais et ne voyait plus vraiment l'utilité de le faire ; elle avait toujours préféré garder ses soucis pour elle et puis, ces souvenirs appartenaient au passé depuis bien longtemps, quand bien même la réflexion de Rikke les avait fait temporairement remonter.

« Un Soumis a pris la vie de ta fille, Muria n'a rien à voir là-dedans » intervint la chasseresse, mécontente que l'on porte la faute sur sa patrie

« A-t-il été jugé, puni pour ça ? Non. Il a tué ma fille et n'a rien. Je sais que tu n'es pas d'accord qu'il s'en soit sorti ainsi, Méléane »

Cherchait-elle à ce qu'on lui donne raison, à ce que quelqu'un approuve son acte ? Elle pouvait toujours espérer... Certes, la lancière voulait que le Soumis soit puni pour avoir tué une Amazone mais les lois étaient les lois. La fille de Rikke avait péri dans l'arène, après un coup malencontreux de son adversaire et en vertu des règles établies par Philéa, il ne pouvait être poursuivi. Et puis, quand bien même elle n'était pas d'accord, elle restait une Soldate avant tout, sa priorité restait d'accomplir son devoir en obéissant aux ordres de la Reine et non en les discutant ou même en donnant son avis à quelqu'un.

« Tu connais la loi comme moi et personne ne la contournera impunément, je me fous que ça ne te plaise pas » répondit-elle, froide et impérieuse comme jamais, « Maintenant tu vas nous suivre jusqu'à Muria et la Reine Philéa décidera de ce qu'il adviendra de toi »

« Et ne résiste pas, ton cas ne fera qu'empirer. Déjà que je n'aimerais pas être à ta place quand tu seras jugée... Conserve le peu de dignité qu'il te reste et coopère, en mémoire de la déesse que tu as servie autrefois »

Elle ne pouvait échapper à son destin et à la justice. Aujourd'hui elle avait pris part à un jeu risqué et il lui fallait en assumer les conséquences à présent, elle le savait. La partie était finie, il ne servait plus à rien de lutter, aussi acquiesça-t-elle silencieusement, consciente que s'opposer aux deux autres femmes ne jouerait pas en sa faveur. Méléane sortit une corde de son sac de selle afin d'attacher les mains de la criminelle pour ensuite la lier à sa jument avant de prendre la route de Muria.

« Tes mains » ordonna-t-elle sans douceur une fois de nouveau en face d'elle

La suite des événements se déroula très vite, il suffit d'une seconde où la Louve baissa sa garde pour que tout se déclenche. Voyant le bras de Rikke se lever, elle se soustrait vivement à un éventuel coup. Un réflexe qui lui sauva la vie, sans aucun doute. La criminelle avait profité de cet instant d'inattention pour sortit un petit couteau de sa ceinture et avait même réussi à blesser la Cydienne à la joue, de laquelle elle sentait du sang chaud s'échapper. Sa réaction ne se fit d'ailleurs pas attendre : elle immobilisa le bras armé de sa main gauche tandis qu'elle lui mit un violent coup de poing avec celle qui restait libre. La férocité mise dans cet acte de légitime défense déséquilibra Rikke, la faisant chuter et surtout, lâcher son arme.
Méléane jura comme jamais alors qu'elle s'emparait du couteau tombé par terre. De sa bouche sortirent des insultes choquantes, qu'on aurait jugées incapables d'être prononcées par une si belle femme que la Louve. Elle lui promit qu'avec ce qu'elle venait de faire, la voleuse allait maudire sa propre mère de l'avoir enfantée quand elle serait jugée. N'aurait-elle pas été autrefois une Sœur que la lancière l'aurait tuée sur place mais elle se devait d'obéir aux ordres de Philéa, il lui fallait la ramener vivante jusqu'à la Cité Forestière. Ceci dit, qu'elle essaie encore une fois, juste une fois d'attenter à sa vie de la sorte et Méléane la crèverait sur place.

De son côté, Lyudmila avait réagi presque aussi vite. Bondissant sur Rikke, elle la maîtrisa au sol et s'assura ainsi qu'elle ne pourrait plus rien faire. Le nez cassé et en sang, la lèvre ouverte, la fugitive n'avait plus d'autre choix que de se laisser faire et même si elle ne le voulait pas, il lui était impossible de se débattre, comme ses poignets étaient attachés l'un à l'autre dans l'instant qui suivit. De plus, avec son attaque ratée et connaissant Méléane, elle savait qu'au prochain écart de comportement, elle serait juste exécutée sans autre forme de procès. Inspirer la crainte chez certaines personnes avait parfois du bon...

« La blessure m'a l'air profonde, on ne devrait pas tarder à rentrer » s'inquiéta la chasseresse.

« Ce n'est qu'une égratignure, mais c'est vrai, ne traînons pas à la ramener »

Méléane jouait la fière mais elle savait fort bien que la blessure, si elle n'était pas soignée assez vite, risquait de s'infecter dans ces bois où toutes sortes de choses traînaient. D'autant que sans médecin compétent, cela lui laisserait une belle balafre sur la joue.
Une fois Rikke liée à l'une des jument et la précieuse liste récupérée de son sac, les deux compère se mirent en route à bonne allure histoire d'obliger la femme capturée à adopter un rythme de marche soutenu si elle ne voulait pas trébucher. Maintenant qu'elle s'était rebiffée, elle ne devait plus s'attendre à la moindre pitié de leur part.
Au moins, le travail était fait et Muria demeurait sauve. Ces documents confidentiels ne pourraient être révélés au grand jour et cela préserver les Amazones d'une faille dans leur système. Rikke n'était pas la première à commettre ce genre d'infraction, aussi Méléane savait quelle sanction allait lui être impliquée. Pour une accusation de vol, de désertion, de trahison et de tentative de meurtre sur un soldat gradé, il était logique qu'une condamnation à mort l'attende. Exécuter une Amazone était toujours bizarre et pourtant ce serait nécessaire, quoique ce serait à Philéa et à personne d'autre d'en décider. Peut-être la Souveraine se montrerait-elle clément, même si la Vice-Capitaine était persuadée que non.

Soulagée d'avoir mener sa mission à terme, Méléane aspirait à rentrer en ville mais il se trouvait que la route du retour allait être un petit peu plus longue que prévu, en témoigne l'apparition soudaine d'une jeune fille connue de la Cydienne.

« Princesse Jelenna ? Que faites-vous ici, et seule ? »

Elle tourna à peine la tête qu'elle se rendit compte que Lyudmila et Rikke avaient disparues, tout comme elle ne se trouvait plus dans une forêt. Peu rassurée, la Soldate posa de nouveau son regard sur la Princesse Bis, espérant une réponse.

Il régnait une atmosphère étrange sur la scène, tout paraissait si... irréel. L'air lui-même semblait différent, en plus du fait que ni Lyudmila ni Rikke ne paraissaient voir ce qui se déroulait sans compter la présence inattendue de Jelenna, la Princesse Amazone. Il était peu probable qu'on l'ait autorisée à sortir seule et si loin dans la forêt, quelques Sentinelles au minimum avaient dû être assignées à sa protection. Seulement Méléane ne voyait personne. D'autre part, il était impossible que sa robe soit encore aussi immaculée que la neige après avoir marché aussi longtemps dans la terre et la boue, après s'être frottée à moult arbres et buissons. Non, il aurait été plus logique de la voir vêtue d'une robe recouverte de crasse et non pas propre comme si elle venait d'être nettoyée.
Plus méfiante que jamais, la Louve considéra la jeune fille du regard après être descendue de sa selle et s'être légèrement inclinée, comme le voulait le protocole. Si cette soudaine apparition l'intriguait, elle ne pouvait pas manquer de respect à la petite Princesse pour autant, quand bien même elle était vingt ans plus jeune qu'elle. Cette personne avait l'apparence et les traits de Jelenna et pourtant, elle semblait différente de toutes les autres fois où elle et la Chargée des Soumis s'étaient croisées à Muria.

Souffert ? Pas vraiment. La poursuite s'était avérée assez complexe, surtout pour la chasseresse qui avait pour ainsi dire suivi la piste seule mais toutes les deux avaient connu pire dans leur vie. Ce qui l'avait le plus fait souffrir était sans doute le coup de couteau porté par la fugitive mais ce n'était la qu'une entaille, assez conséquente toutefois.

« C'est un bien faible prix à payer s'il permet de protéger nos Sœurs » répondit-elle.

S'il ne fallait que cela pour préserver les Amazones, c'était presque avec plaisir qu'elle acceptait ces blessures. Un amour sans borne la liait à Muria, la ville qui l'avait recueillie, sauvée puis aguerrie, la ville qui l'avait tirée des griffes d'un avenir injuste et contre lequel elle n'aurait rien pu faire d'autre que de le subir. Aujourd'hui, elle était prête à tout pour protéger cette cité qu'elle aimait tant.
Jelenna posa ensuite une main contre sa joue alors qu'une douce sensation de picotement s'emparait de la brune. Elle ne le remarqua pas tout de suite mais les écorchures laissées par cette escapade en forêt disparurent, de même que la profonde blessure laissée par Rikke un peu plus tôt. Méléane ne le remarqua que lorsqu'elle effleura à son tour sa propre joue, après avoir remarqué que la robe de son interlocutrice se maculait progressivement de sang sans qu'elle ne soit blessée. Ne plus y trouver de meurtrissure l'étonna d'ailleurs, comme le prouve son sourcil levé. Elle n'avait pas le souvenir que la gamine ait le pouvoir de guérir... Enfin, elle n'allait pas s'en plaindre non plus !

La suite du discours l'étonna plus encore, bien qu'elle conserva autant que faire se peut son masque d'indifférence. Surprenantes étaient ses paroles, c'est vrai, mais elles permirent néanmoins à la lancière de comprendre que Jelenna ne s'exprimait pas en tant qu'enfant de onze ans, ni en tant que Princesse, elle s'adressait à elle comme la réincarnation de la Déesse Diane.

« Sa Majesté me l'a égalment demandé, je vous garantis que Rikke reviendra vivante à Muria pour y être jugée selon nos lois » répondit-elle calmement, « Votre confiance m'honore »

Elle n'avait plus le choix, maintenant qu'elle en avait fait le serment, elle se devait de maintenir la fuyarde en vie, quand bien même elle se rebifferait de nouveau. De toute façon, la tuer, même en cas de légitime défense, ne lui apporterait rien de bon. Alors qu'elle venait tout juste d'obtenir le pardon de la Reine, il ne lui était pas conseillé de la décevoir, tout autant qu'il valait mieux ne pas briser une promesse faite à la réincarnation de Diane.
La petite Princesse s'effaçait peu à peu, sa silhouette devenant de plus en plus floue et indistincte à mesure que les secondes passaient. Méléane inclina une dernière fois la tête avant qu'elle ne disparaisse.

« Oh ! Méléane ! »

Elle sursauta et foudroya Lyudmila du regard pour avoir osé la surprendre ainsi. L'instant d'avant, elle se tenait face à Jelenna et voilà qu'un battement de paupière plus tard, elle se trouvait en selle, sur Kalane.

« Qu'est-ce qu'il y a ? »

« Ça fait quelques minutes que tu ne réponds plus, on se perd dans ses pensées ? » demanda-t-elle, le ton se voulant plaisant.

La Vice-Capitaine ne s'était pas perdue dans ses pensées, loin de là, elle avait plutôt fait une rencontre insolite. Loin d'être d'une dérive de son esprit, elle savait que cette petite discussion avec Jelenna était on ne peut plus réelle, en témoigne l'absence de l'entaille sur sa joue. Guérison que remarqua aussi la Chasseresse.

« Qu'est-ce que tu as fait à ta joue ? »

« Rien, c'est un remerciement pour avoir ramené une brebis égarée »

La jeune femme fronça les sourcils, ne comprenant pas un traître mot de ce que la Chargée des Soumis venait de lui dire, qu'elle parle ainsi par énigme ne l'aida pas le moins du monde à la compréhension.
Sans se soucier davantage que la chasseresse n'ait rien saisi de ses propos, Méléane se retourna vers la captive attachée aux chevaux.

« Diane ne te viendra plus en aide, cesse d'implorer ses faveurs. » lâcha-t-elle froidement, « Son dernier geste pour toi a été de me demander de te ramener vivante à Muria »

Une lueur de désespoir brilla dans les yeux de Rikke, comme si elle acceptait enfin son destin. Plus rien ne pourrait sauver la criminelle, puisque même la déesse qu'elle vénérait venait de dire à la Cydienne qu'à l'avenir, elle veillerait sur elle.
Une vague sourire aux lèvres, Méléane poursuivit sa route à la même allure, satisfaite à la fois d'avoir capturé Rikke et de sa rencontre improbable dans la forêt.

[Désengagée]