Même si une partie de son enfance, cruciale à son bon développement, s’est déroulée loin de sa natale Oyashima, Rin n’en était pas moins une Jinmen de cœur et d’esprit presque comme les autres, familière à leur philosophie de vie si particulière. Après tout, Meian, véritable parangon de bushido, l’ayant pour ainsi dire élevée, éduquée, seule, il paraissait finalement normal qu’elle ait à son tour hérité de ses vertus. Seulement, si l’adolescente portait en effet une importance certaine aux principes d’honneur et d’étiquette, elle savait aussi, contrairement à ses pairs, se montrer beaucoup plus souple. Sans doute peut-on y voir là l’influence des nombreux étrangers, d’origines diverses, ayant croisé son chemin, contrainte à voyager pour échapper à ses poursuivants.

Quoi qu’il en soit, peu important de savoir d’où lui provint cette capacité, Rin avait, dès son plus jeune âge, appris à s’adapter rapidement à son environnement. D’une bonne intelligence, sans être exceptionnelle, et l’esprit vif, elle savait observer avec minutie ce qui l’entoure et tirer enseignement de son analyse. Elle voyait les faits de tout ses sens avant que la pensée ne la précède et ne la rende confuse de quelques jugements hâtifs. Toutefois, avec la fougue de sa jeunesse, découlait aussi une tendance à l’impulsivité. S’étant par la force des choses forgée un caractère fort, farouche et opiniâtre, elle pouvait s’avérer des plus têtues. D’ailleurs, il lui arrivait que son côté emporté et impulsive prennent le dessus, l’amenant parfois à se comporter de façon peu lucide voire carrément irréfléchie.

Comprenant vite que la cruauté de ce monde ne lui pardonnerait pas la moindre faiblesse, pas si elle espérait pouvoir survivre, la jeune fille s’était interdite d’exprimer ouvertement ses émotions, d’exprimer ses peines et ses rancœurs. Toutefois, si elle essayait de les refouler de son mieux, ses tourments n’en étaient pas pour autant tenus au silence. De l’intérieurs, ils continuaient de la ronger, la rendant légèrement armer et acide dans ses propos. Alors incapable de s’ouvrir, alors qu’elle est déjà en manque d’affection ou d’attention, ses relations avec les autres s’en retrouvait d’autant plus compliqués. La sienne étant exacerbée par ses propres souffrances, elle faisait preuve d’un sens aigu de l’injustice, tout comme elle avait soif de vengeance. Devenue de ce fait quelqu’un de pragmatique, elle ne s’embarrassait plus de vaines illusion et, tordant la morale à son avantage, se contentait simplement de faire ce qui lui paraissait juste.

Une chose dont on ne parle pas n’a jamais existé. Seule l’expression confère une réalité. Mes pensées revenant à ces temps passés, souffrant alors d’une douce mélancolie, ce vieil adage m’est récemment revenu en mémoire. Ainsi, me suis-je finalement décidée à coucher mon histoire sur un parchemin. Ceci étant conclu, il me reste alors encore une hésitation. Par où devrais-je commencer ma narration? Certes, le plus logique serait tout d’abord de vous expliquer qui je suis et d’où je viens, au cas où vous l’ignorerez. D’autres choix auraient certainement été tout aussi judicieux. Toutefois, je ne cesse de penser à cet autonome de l'an 155 comme étant le point plus important, là où tout a véritablement débuté.

A cette époque-là, mes mains venaient d’être souillées de sang pour la toute première fois. Ayant fait serment de me protéger, ma yojimbo⁽¹⁾, Toyama Meian, avait déjà eu à tuer de nombreux assaillant et je portais donc alors, malgré moi, le prix de leur vie sur mes frêles épaules. Si la signification de toutes ces morts ne m’échappait pas, la donner par moi-même se montra bien loin de tout ce que j’avais pu imaginer. Seulement, au lieu d’en éprouver du dégoût, j’en retirai au contraire une certaine fierté. Cela fut même l’objet d’une de mes disputes avec ma tutrice. A mes yeux, cela prouvait enfin que mon enseignement avait porté ses fruits.

Loin de mes terres ancestrales, exilée de mon état, je n’avais pu avoir de gempuku⁽²⁾. Ainsi, selon ces vieux principes, nos coutumes faisaient que, pour ceux de mon peuple, je n’étais encore qu’une enfant malgré mes 16 années révolues. Meian n’échappait pas à la règle. Cherchant à me materner telle la seconde la seconde mère qu’elle était devenue, sans doute sans même s’en rendre compte, elle n’avait de cesse de vouloir me dicter ma conduite. Étouffant alors, le meurtre d’un de mes assassin se présenta donc une véritable libération. Les forçant à admettre que j’étais enfin adulte, je délaissa aussi tôt mon nom d’enfance, preuve de l’amour de mes parents, pour un autre plus sévère.