Il m’était difficile d’imaginer encore ce que j’avais pu apprendre il n’y a encore que quelques jours. L’angoisse que j’avais ressenti alors que j’étais avec Lunielle a Cydonia ne s’était pas effacée, elle avait même cédé place à une certaine panique. Le temple, attaqué par une armée sortie de nulle part et avec Scarlett à leur tête m’avait littéralement chamboulé. Mais savoir qu’Auween avait été mêlée à leurs petites affaires m’avait tout simplement affolé. Malgré la chance et le bonheur que d’avoir revu mon amie, cette nouvelle avait soudainement frappé, comme si la vie m’enlevait à nouveau un instant de bonheur pour une angoisse. J’étais parti aux aurores en direction de Silmarie et c’était après plus de deux jours de voyage que j’approchais enfin de la cité. La brume était traîtresse lorsqu’on ne connaissait pas la région. Je perdais plus de temps et plus j’en perdais plus je me sentais mal, mal de ne pas être présent aux côtés de ma bien aimée alors qu’elle venait de traverser une épreuve particulière. La cité allait grouiller de templiers de l’Aube et je savais également que les récents évènements n’allaient pas jouer en ma faveur, je pensais même que je ne serais pas le bienvenu mais je m’en fichais. Ma seule pensée à l’instant n’était pas de devoir jouter verbalement ou non avec les autres templiers, je voulais simplement serrer Auween dans mes bras, la réconforter et lui apporter mon soutien. Mais avant de faire tout ça, je devais forcer la cadence, avancer encore plus vite, arriver au plus tôt afin de pouvoir enfin tuer cette infâme douleur qui m’avait pris en imaginant le pire.

La brume était vraiment très dense, le climat assez frais ce qui ne manquait pas de me ralentir encore plus, mais j’avançais au pas de course, déterminé à retrouver Auween. La dernière fois que j’avais mis les pieds a Silmarie, c’était pour annoncer la mort d’Elenwë à sa sœur. Cette cité n’était vraiment pas celle que j’appréciais le plus, tant elle était chargée de mauvais souvenirs. Je me souvenais encore de ces paroles que Yunoa m’avaient adressées a l’annonce de cette triste nouvelle, les regrets qu’elle avait eu de n’avoir jamais vraiment pu vivre avec sa sœur. Ce simple souvenir suffisait à ébrécher mon âme et à attiser des souvenirs plus douloureux encore. Chasser de telles pensées m’était encore impossible et plus j’y pensais, plus elles se mélangeaient avec mon inquiétude envers Auween, ce qui ne manquait pas de me faire encore plus souffrir. Auween n’était pas idiote, elle savait très probablement que j’allais me dépêcher de venir la retrouver bien qu’elle ait essayé de me rassurer. Du coup, je ne lui avais pas explicitement dit que j’arrivais, ne serait-ce que pour lui éviter un tracas certain, elle qui était si soucieuse des problèmes entre les deux grandes factions templières. Bien que j’étais crépusculaire de nom, je n’avais jamais embrassé le but premier que beaucoup d’entre eux suivaient. Je n’aimais pas les zélotes mais je ne m’étais après tout jamais mis en tête de tous les massacrer pour autant. Que j’ai choisi d’errer dans Azthia en quête de quelque chose qui ne correspondait pas aux préceptes même du temple ne regardait que moi et si les autres templiers préféraient se bercer de douces illusions en se contentant de me classer au même titre que les autres, c’était signe que, quelque part, le Temple était peut être sur le déclin.

Une présence particulière que je ressentais, une présence familière, celle d’Auween qui visiblement était tracassée par bien des choses. A tel point que je le ressentais, c’est qu’elle ne devait en réalité pas être très loin. J’étais essoufflé par ma course effrénée dans la brume et maintenant que j ‘étais si près du but, c’était un second souffle qui me poussait à continuer à courir frénétiquement dans la brume en direction de ma belle. Le claquement de mes bottes rythmait la cadence à laquelle je progressais dans l’épaisseur de brume qui empêchait de voir au delà de trois à cinq mètres. Finalement je m’arrête brusquement en arrivant sur la silhouette d’Auween qui au passage à la frayeur de sa vie. Mon élan m’entrainant, je tente de m’arrêter mais finalement trébuche et entraîne ma belle au sol en même temps. Ma précipitation et la fatigue ont eu raison de mon habituel équilibre et Auween, encore méfiante se dégage et m’observe, très vite elle comprend, probablement à mon allure, mon habitude de mettre ma capuche et mon arme. Je me redresse et abat ma capuche, encore essoufflé mais heureux de la voir en face de moi. Elle me saute littéralement dessus en pleurant. J’en suis déconcerté au premier abord, avant de comprendre qu’elle pleure de joie, je ne manque pas de la serrer dans mes bras, passer ma main dans ses cheveux tout en l’embrassant, j’étais si soulagé qu’elle aille bien que j’en oubliais tout le reste.

« - Je me suis fait un sang d’encre, je suis arrivé aussi vite que j’ai pu. Je suis tellement soulagé de savoir que tu n’as rien. »

Je la serrais encore contre moi, des retrouvailles que j’aurais cependant préférées dans des circonstances moins tragiques. Néanmoins j’étais là, Auween aussi, elle allait bien et c’était le principal, aussi longtemps qu’elle respirerait, je pourrais vivre également. Je séchais ses larmes tout en reprenant mon souffle.

« - Je ne peux rester, tu sais très bien pourquoi… D’une part le temple ne me reprendra probablement pas aussi simplement et en plus de cela, j’ai toujours mon enquête à clore. Mais pour le moment je suis là et je ne compte pas repartir tout de suite. »

Saisissant ses mains, je l’entraîne vers la ville, rester ici n’est pas une bonne idée, il faisait froid et bouger était le meilleur moyen de se réchauffer. Nous revenions aux portes qui étaient à peine à quelques mètres de là. Je m’arrête, appréhendant ceux qui à présent résidaient ici. Je la regarde, voyant qu’elle semblait aussi assez inquiète de ce qu’il pourrait arriver par la suite, je la prends de nouveau dans mes bras, pour apaiser son esprit et aussi me calmer, j’avouais être assez anxieux à l’idée de croiser certains de mes anciens camarades. Néanmoins je sentais non loin une autre présence, un autre esprit tout aussi fort que celui d’un templier, quelqu’un devait surement être dans le coin, la silhouette au loin qui se profilait semblait confirmer mon ressenti.

Anciens camarades, c'était ceux que je redoutais le plus, les seuls templiers à même de me reconnaître. Seulement, l'inconnu qui s'avançait m'était complètement étranger, c'est alors la réaction de ma douce qui me laisse deviner qui il était. Maintenant que je le voyais mieux, je n'avais aucun mal à deviner qu'il s'agissait du frère jumeau d'Auween. Son regard posé sur moi me laissait penser que je dérangeais, pourtant Auween n'avait parlé de notre relation à personne encore, se pourrait-il que Lielia ait finalement décidé de cracher le morceau ?
Non, l'apprentie n'y était pour rien, même si la brève rencontre autour de Tamawa était passée d'une simple retrouvailles à un règlement de compte entre ma tendre et la jeune cydienne. Elle n'aurait probablement pas parlé de ça à qui que ce soit, cela revenait à lui faire avouer qu'elle avait suivie Auween hors du temple sans autorisation.
J'imaginais alors que le jumeau d'Auween n'était au courant de rien et qu'il souhaitait simplement parler à sa sœur, autant dire que j'étais de trop. A peine avait-il fini de parler que je me tournais vers ma templière avant de lui dire doucement :

« - Je devrais peut être vous laisser, c'est sans doute important. »

En vérité, je me sentais un peu de trop entre les deux jumeaux. Auween m'ayant rapidement expliqué les récentes tensions entre elle et son frère, ils auraient sans doute besoin d'être seuls tous les deux pour résoudre ce problème. Je n'avais jamais connu ce genre de problèmes, Ferris avait toujours été une fille simple et peu contrariante. Elle aurait été une très bonne diplomate. Auween et Ewan étaient d'un monde différent du mien, leur relation fraternelle était autrement plus complexe que celle que j'avais pu avoir avec ma demi-soeur. Auween attrape alors ma main, j'en déduisait qu'elle ne voulait pas que je parte maintenant, peut être voulait elle que j'assiste à ce qui allait se dérouler. Pourtant ce petit tremblement qui ne la quittait pas m'indiquait qu'elle avait peu ou du moins qu'elle était angoissée par la présence de son frère. Redoutait elle à ce point cette discussion ?
En réalité, je pensais qu'elle avait en tête ce qu'elle fit à peine quatre secondes après que j'y ai pensé, Auween entamait les présentations. D'un ton neutre -autant que celui de son jumeau en tous cas- j'avais devant moi la personne répondant au nom d'Ewan. Effectivement, Auween m'avait beaucoup parlé de lui. Elle me présentait ensuite, et je notais qu'elle évitait soigneusement de mentionner mon affiliation. Effectivement, déclarer que j'étais templier du crépuscule n'aurait qu'un impact négatif sur le jeune templier. Ce qui ne manquait pas de me mettre dans l'embarras était le fameux moment ou Auween m'incitait à raconter à son frère les circonstances de notre rencontre. L'idéal était alors de trouver la formulation idéale sans pour autant mentir de trop.

« - J'étais a Tamawa pour rendre visite à une amie. Puisque je voyage beaucoup, j'avais besoin de matériel et j'ai rencontré Auween en sortant d'un magasin. Etant donné que j'avais manqué de la bousculer, je m'en suis excusé et la conversation est venue tout naturellement entre nous. »

Pas la moindre once d'hésitation dans mes paroles, de toute manière ce n'était pas -réellement- un mensonge. Par réflexe, mon esprit était attentif, sait-on jamais ce qu'Ewan pourrait tenter en doutant de mes dires. Ma douce, de son côté est devenue complètement imperméable aux sentiments, rien n'émane d'elle et elle ne semble pas distinguer ce léger sentiment de pression qui plane. De mon côté je sais rester impassible au mieux, ce qui rendait difficile de lire mes expressions faciales. La situation était tendue et j'avais le sentiment que tout n'allait pas se dérouler au mieux, ce qui me faisait mal c'était d'imaginer que c'était Auween qui se retrouvait au milieu de cette histoire et qu'elle se retrouverait tiraillée entre nous deux si un problème survenait. Je ne demandais qu'a bien m'entendre avec Ewan, mais lui, que voulait il ?

L’attitude d’Ewan perturbait Auween, je le sentais. Il n’était pas difficile de ressentir son hostilité à mon égard, il ne me connaissait pas et je pouvais comprendre qu’il soit méfiant pour sa sœur, mais je ne comprenais pas qu’il puisse la traiter avec tant d’indifférence. S’ils n’avaient été que frère et sœur, je pourrais comprendre que tout le monde n’entretenais pas les liens que j’avais pu avoir avec Ferris mais là, ils étaient aussi jumeaux. Il n’existe pourtant aucun lien plus fort que la symbiose entre deux jumeaux. Pourtant il était là, neutre et froid, adressant un regard à sa sœur pour se rediriger sur moi, se demandant ce qu’il pourrait faire. Peut être avait-il songé à me frapper, à m’envoyer bouler ou même à me faire dégager pour qu’il puisse se retrouver seul avec Auween pour être plus en privé. J’avais déjà annoncé que je pouvais les laisser en privé s’ils le désiraient mais visiblement ce n’était pas cette solution qu’il voulait.
Tandis qu’Auween lui annonçait la nouvelle pour notre couple, là ou n’importe quel frère aurait été heureux de savoir le bonheur de sa sœur, il s’en foutait n’était même pas surpris, comme s’il le savait déjà et pourtant, j’avais bien vu qu’il ignorait tout de ça. Auween en était perturbée à cause de ça, peut être n’avait-il pas eu la réaction qu’elle escomptait.
Il masquait un peu plus son agressivité et son hypocrisie pour tendre une main faussement amicale vers moi, un signe de politesse appréciable malgré tout. Je pensais qu’il lui faudrait du temps pour m’accepter, moi je n’avais rien contre lui, même si je n’aimais pas sa façon d’être avec Auween. Il se révélait blessant et mauvais avec elle, ce qu’il venait de dire ne me plaisait pas mais tout comme il pouvait avoir l’air indifférent, j’étais capable de l’être moi aussi. Je laissais simplement filtrer dans mon esprit un sentiment détendu, comme n’importe qui le serait en rencontrant pour la première fois la famille de sa bien-aimée.

Je le rendais cette poignée de main amicale en lui répondant.

« - De même ! »

Sentant une pression s’exercer sur ma main, je savais qu’il n’en pensait pas un mot mais bien qu’il ait eu de la force, j’en avais aussi. Je ne savais pas d’où il la tirait, était-ce une magie particulière ou une aptitude physique naturelle qu’il avait, je ne le savais pas, mais moi aussi j’aurai pu essayer de lui broyer la main si l’envie m’en prenait. Au lieu de ça, je me contentais d’équilibrer les forces, serrant alors sa main de manière à limiter sa capacité à pouvoir oppresser la mienne, ce qui revenait à une poignée de main tout à fait banale. Il avait fait très attention à ne pas se laisser découvrir par Auween, j’imagine bien ce qu’elle aurait pu faire au moment et comme il le faisait, je le suivais, l’un comme l’autre étions à cet instant sur un pied d’égalité ou presque. L’incertitude d’Auween me perturbe aussi, je me demande si c’est alors bien le frère qu’elle m’avait décrit avec tant d’enthousiasme qui se tenait devant moi. Je ne lui répondrais pas sur ce que je faisais dans la vie, je m’inquiète alors plus pour Auween que pour ce qu’il peut penser de moi.