[FH] Te souviens-tu ? (pv Jeyne)

Cela faisait plusieurs jours qu'il était au Temple, il devait rentrer au plus vite sans quoi, Jelenna ne tarderait pas à s'inquiéter de sa trop longue absence. Elle lui demandait des nouvelles par l'Esprit mais avant toujours tendance à s'en faire pour rien quand il n'était pas près d'elle et, pour éviter qu'elle n'angoisse un peu plus de son absence, il s'était décidé à rentrer le soir même. Voyager de nuit permettrait à Isis de se dégourdir les pattes et de chasser un peu et lui offrirait pour sa part la protection nécessaire au voyage qu'il entreprenait. S'il ne viendrait jamais à l'esprit d'un Templier de le suivre, il devait se montrer prudent. Muria, malgré les apparences, restait fragile en l'absence de sa Reine légitime et ce, même si Jelenna était un véritable génie politique. Elle se refusait cependant à devenir comme sa mère et à prendre le même chemin que sa sœur aînée. Peu friande des conflits, la jeune femme voulait à tout prix les éviter et s'était promis de ne pas plonger sa vie durant dans la politique. Domaine où elle excellait pourtant. Néanmoins, elle souffrait suffisamment d'avoir fait emprisonner Thémis Clari pour sauver sa sœur …

Il avait dit au revoir à son père. Enfin, ils avaient pu se parler, comme deux hommes, comme un père et un fils que les années avaient séparées malgré eux. Jiven s'était senti apaisé, son fils l'avait senti malgré le masque neutre qui régnait sur ses traits. Inquiet de le voir repartir, il était compréhensif et patient, sachant que son rejeton lui reviendrait toujours et que toujours, il pourrait veiller sur lui. L'ancien directeur du Temple avait sa place à Tamawa, auprès des siens, auprès de ceux qui avaient besoin de lui bien plus qu'Aerin ne pouvait l'avouer égoïstement. Il savait que son père ne pourrait jamais vivre à Muria, qu'il n'y trouverait jamais sa juste place alors que tout au Temple était imprégné de lui. Evenor avait encore besoin de lui, tout comme la jeune co-directrice si elle voulait éviter de devenir chèvre à cause de lui ! Ému, le métisse avait quitté son père le cœur en paix et convaincu qu'il avait enfin fait le bon choix. Depuis maintenant quatre ans, il vivait dans l'angoisse, dans ce mélange de sentiments mêlés qui prenaient tout leur sens aujourd'hui qu'il avait pu lui ouvrir son cœur et qu'il avait compris. Il ne serait jamais père, mais il était à même de comprendre les inquiétudes de ce dernier à son égard. Aréa était partie et il savait que leurs relations restaient tendues, aussi, Jiven n'avait-il plus que lui. Il se sentait moins coupable en partant, sachant qu'il ne l'abandonnait pas vraiment.

« Allez ma belle, il est temps de rentrer. »

Isis renifla et bailla, lui signifiant qu'elle avait bien envie de rester là encore un peu. Soupirant, il lui accorda quelques minutes supplémentaires durant lesquelles il tenta de s'imprégner des lieux une dernière fois … avant la prochaine. Il vit alors deux apprentis, frères et sœurs sûrement, se courir l'un derrière l'autre et ne put s'empêcher de penser ce qu'aurait été sa vie ici, au Temple avec sa grande sœur pour veiller sur lui et ses parents enfin réunis. Sans doutes aurait-il couru après elle dans les jardins, fait des bonhommes de neige en hiver et cueilli des fleurs pour leur mère en été. Il ne le saurait jamais mais Aréa lui manquait énormément. Il n'avait que peu de nouvelles d'elle … Il se leva en soupirant et fit signe à la louve de le suivre. D'un geste mécanique, il mit son arc sur son épaule et son sac sur l'autre, se dirigeant vers les écuries pour y prendre son cheval et filer vers la cité Amazone. Isis sur ses pas, il croisa le chemin d'une Templière qu'il salua machinalement avant de marquer un arrêt.

Il la connaissait.
Il devait se rappeler quand et comment, mais il la connaissait, il en aurait mis sa main à couper ! Il chercha dans sa mémoire tandis qu'elle s'éloignait dans le jardin et finit par retrouver cette sensation de déjà vu. Cette femme était souvent avec sa grande sœur par le passé, il l'avait déjà vu et … la rencontrer ne pouvait pas être une coïncidence. Il se retourna et l'appela d'une voix incertaine

« Excuse-moi … Jeyne c'est ça ? »

Il marqua une pause avant de reprendre, certain que c'était bien elle.

« Tu te souviens de moi ? Aerin Estal, le petit frère d'Aréa. »

Jeyne voulait simplement souffler, faire une pause, reposer son esprit en ne pensant à rien, se concentrer sur le vent et le soleil, les arômes de fleurs et rien d’autre.
Mais seulement après avoir quitté la bibliothèque, alors qu’elle allait tout juste pénétrer dans les jardins du Temple, un jeune homme l’interpelle et lui fait arrêter ses pas et se retourner lentement.

Au premier abord, la jeune Templière ne vit qu’un jeune homme bien de sa personne, avec un arc sur une épaule et un sac sur l’autre et à ses pieds une magnifique louve, qui attira un instant le regard de la jolie rousse. Puis le jeune inconnu reprit la parole et redressant doucement la tête, Jeyne chercha dans sa mémoire pour faire le lien entre ce que venait de lui dire cet homme et ses souvenirs. Alors, doucement un sourit naquit sur ses lèvres et elle s’approcha de quelques pas d’Aerin.

« Aerin ! Oui, je me souviens. Comment vas ta sœur ? ça fait longtemps que je ne t’avais pas vu ? »

Jeyne se souvenait plus d’Aréa, la sœur d’Aerin, que de son frère, qu’elle n’avait croisé que quelques fois, mais cela lui fit malgré tout plaisir de le revoir et la jeune femme était réellement curieuse de savoir comment ils allaient, lui et sa sœur.
Il lui avait certes fallut un certain temps, pour se remémorer cette connaissance, mais maintenant qu'elle s'en souvenait et malgré le fait que des années s'étaient écoulées, Jeyne était tout à fait certaine et sûre de ses souvenirs.

Il n'était pas certain que ce soit bien elle, si jamais il se trompait, il ne risquait pas grand chose. Tout au plus de se voir moquer et ce ne serait pas la première fois. Il n'aurait pas su dire non plus pourquoi il l'avait appelée et pourquoi il avait voulu lui parler. Aréa était partie depuis des années et lui-même avait quitté le Temple depuis plus de quatre ans. Sans parler du fait que s'il avait eu l'occasion de la rencontrer à plusieurs reprises en compagnie d'Aréa, il n'était pas pour ainsi dans les meilleures dispositions et par la suite, il n'avait que peu échangé avec elle, préférant laisser sa grande sœur à ses amies sans oser vraiment intervenir outre mesure. Pourtant, il s'était senti comme appelé par la jeune femme et avait eu envie de lui parler … peut-être avait-il tout simplement envie de renouer un peu avec le passé, de se souvenir, pour quelques minutes fugaces, de ce temps qu'il avait passé adolescent au Temple.

La jeune femme s'approcha de lui, visiblement en train de chercher qui il était. S'était-il trompé ? Il n'était pas spécialement inquiet que ce soit le cas mais il se demandait si elle prendrait mal le fait d'avoir été confondue avec quelqu'un d'autre dans le cas contraire. Il remarqua le regard rapide qu'elle posa sur la louve à ses pieds sans même qu'Isis y fasse plus attention que cela. L'animal se contentait de redresser le museau, cherchant des odeurs qui leur échappaient à tous les deux. Elle était d'humeur joviale et rien ne semblait pouvoir entamer sa bonne humeur si ce n'était de devoir rentrer en pleine nuit. Si la louve appréciait l'idée de pouvoir chasser en totale liberté, elle n'avait pas forcément envie de parcourir la distance jusqu'à Muria pour autant. Le métisse reporta son attention sur la jeune femme. Rousse, les yeux verts légèrement en amande et surtout, ce teint hâlé si caractéristique des Almers, le gardien était sûr qu'il s'agissait de la bonne personne. Elle ressemblait trop à la jeune femme de ses souvenirs pour se tromper ! Il attendit qu'elle prenne la parole et, lorsque ce fut le cas, il fut rassuré de constater que c'était bien elle. Pourquoi ? Il n'aurait là encore pas su le dire.

La question qu'elle lui posa le laisse coi. En réalité, il ne s'était pas vraiment attendu à ce que sa grande sœur, Aréa, devenue Crépusculaire depuis quelques années, n'ai pas pris la peine de donner des nouvelles à l'une de ses plus proches amies. Avait-elle renié tout le Temple en le quittant ? Cela lui semblait tellement improbable ! Neuf ans ou presque qu'elle était partie certes, mais jamais il n'aurait pensé qu'elle avait vraiment tout quitté … Il ne put s'empêcher de ressentir un pincement au cœur. Pour autant, il tenta de répondre d'un ton neutre, souriant à son interlocutrice.

« Je suis ravi de te revoir, cela faisait longtemps en effet ! »

Il réfléchit à nouveau à la question et se dit qu'il valait mieux dire la vérité. Il ne servait à rien de lui mentir, pas plus que de lui cacher une partie de la vérité. Il n'y avait aucun intérêt à ce qu'elle ne sache pas la vie que menait Aréa, ou encore, la sienne.

« Aréa va bien, aux dernières nouvelles du moins. Elle vit à Silmarie et je crois qu'elle a plus ou moins abandonné l'idée de se venger des Zélotes, je l'espère du moins … J'ignorais qu'elle ne te donnait pas de nouvelles. De mes souvenirs d'enfant, vous étiez plutôt proches. »

Ce n'était pas un reproche, seulement une constatation. Il était attristé de voir que la Crépusculaire avait rompu tous ses liens d'antan. Heureusement, elle l'acceptait toujours et si elle se montrait parfois bien trop tranchée sur certains points, il aimait sa grande sœur plus que tout et espérait tous les jours qu'elle aille bien.

« Protéger la princesse Jelenna est devenu ma priorité, je n'ai eu que peu de temps pour revenir au Temple mais je voulais rendre visite à mon père et à maître Jacen. Je retourne à Muria dans la nuit. »

Il la gratifia d'un sourire tandis qu'il réfléchissait. En quatre ans, un peu plus même depuis qu'il était parti, Jeyne était sans doutes devenue quelqu'un d'important au sein du Temple. Il se souvenait de l'influence positive qu'elle avait toujours eu sur Aréa et de la façon dont elle parvenait sans mal à calmer les ardeurs de cette dernière. Il sourit en y repensant avant d'ajouter :

« Tu fais toujours partie des diplomates ? Cela fait tellement longtemps que je ne t'ai pas vu … je suppose que tu as un apprenti maintenant ? »

Selon toute logique, ce devait être le cas, Jeyne était sûrement une brillante Templière comme sa mémoire tendait à le lui rappeler.

[ Si je ne te laisse pas assez d'ouvertures, n'hésite pas à me le dire Wink

]

La surprise d’Aerin du fait que Jeyne n’ai plus de nouvelles d’Aréa, donna envie à cette dernière de savoir comment elle se portait et décida donc de lui écrire, dès qu’elle trouverait le moment.

La jeune Templière fut rassurée d’apprendre que son amie avait quitté l’idée de vengeance envers les Zélotes. Cette pensée ayant toujours effrayée Jeyne, elle s’était toujours efforcée à calmer les ardeurs d’Aréa à ce sujet, bien que sur ce point, il fallait se montrer subtile, car le sujet était sensible.

Quand Aerin lui apprit qu’il habitait à Muria, ce fut un choc pour Jeyne, qui fit rapidement le lien avec les Amazones et elle se demanda aussitôt comment il pouvait faire pour vivre dans une telle barbarie.
A cette pensée elle se morigéna elle-même, sachant que sa réflexion n’était le fruit que de pure préjugés et après ce qu’elle venait de dire à Maître Evenor, elle se devait de faire face à ses idées préconçues et voulu mettre les choses au clair dans sa tête et après avoir répondu aux questions de son interlocuteur, se décida à poser les siennes.

« Oui, je suis toujours diplomates et j’en suis ravie. », lui dit-elle, en lui souriant. « Et pour le moment, je ne souhaite pas prendre d’apprentis, car j’ai… comment dire… des… projets à réaliser, avant de pouvoir me consacrer à l’enseignement d’un apprentis. »

Faisant une petite pause, Jeyne pris le temps de rassembler ses idées, avant de les formuler.

« En parlant de ça, pourrais-tu me parler un peu de ta vie à Muria ? Et en particulier, ta vie avec les Amazones ? »

La jeune Templière ne put s’empêcher de baisser les yeux, les joues un peu rouges de honte, mais malgré cela, elle était contente de commencer enfin à s’intéresser à ce peuple, qu’elle redoutait tant.

Il fut un temps où le Temple avait été sa seconde famille. Un temps assez lointain certes, mais où rien au monde ne lui faisait plus plaisir que de partager ses journées entre les entraînements avec maître Evenor, l'actuel directeur, les enseignements de son père, Jiven ,qui avait lui-même formé Evenor par le passé, et enfin, de profiter de son temps libre avec sa grande sœur. Aerin n'avait jamais vraiment réussi à se lier avec les gamins de son âge, encore moins avec les filles qu'il regardait à peine malgré un succès certain, aussi, il n'avait que peu de choses qui le retenaient à Tamawa désormais. Jeyne appartenait quelque part à ce passé révolu et pourtant, il n'était pas désagréable de renouer avec lui. Depuis qu'il vivait à Muria, le métisse n'avait jamais vraiment regretté son départ du Temple. Il y avait de bons souvenirs, mais il devait protéger celle que son cœur chérissait. Ayant perdu sa mère dans des circonstances tragiques, il savait que jamais Jelenna ne survivrait à la mort de ses parents et au départ de sa sœur aînée. Il l'aimait plus que sa propre existence, et c'était pour cela qu'il n'avait pas hésité à partir, à quitter la voie des Templiers pour embrasser celle de Gardien. Un sourire étira ses traits à ce souvenir. S'il fallait le refaire, il n'hésitera pas non plus, même plus de quatre ans après. Il avait perdu peut être, mais il gagnait tant dans les yeux de sa bien-aimée. C'était en quittant Tamawa que son cœur avait enfin trouvé la paix. Il avait enfin compris pourquoi Celyween était partie, parce que c'était la seule façon pour elle de protéger ce qui lui était le plus cher, Jiven et Aréa. Si elle l'avait pris avec elle, c'était parce qu'elle était incapable de rompre totalement avec sa vie d'antan. Parce qu'il était une excuse permanente pour revenir. En quittant le Temple, il avait également compris le geste d'Aréa. Sans pouvoir le pardonner pour autant, il savait qu'elle avait eu « besoin » de partir. A son tour, il avait ce « besoin » car il sentait au fond de lui que si une place lui serait toujours faite ici, ce n'était pas vraiment la sienne.

Aréa était ainsi. Elle avait rompu beaucoup de choses, à commencer par les rêves d'adolescent de son petit frère et le cœur de leur père. Elle n'avait pas su pardonner à Jiven ce qu'elle considérait comme une trahison, elle avait peut être juste oublié qu'avant d'être un Templier, il était un être humain. Il restait un homme et Aréa était incapable de l'accepter. Son père ne pouvait pas avoir de failles. Peut être y avait-il plus derrière sa fuite en avant. Peut être regrettait-elle encore que Celyween ne l'ai pas choisie, elle. Meilleure que son petit frère, elle estimait sans doutes que la Crépusculaire aurait du la choisir, à moins que la présence de Jade aux côtés du gamin l'ai vexée. Peu importait, Aréa était partie, et elle n'avait pas commis la même erreur que sa mère, elle avait laissé derrière elle tout ce qui avait fait jusque là sa vie. Sauf lui. Aerin sourit tristement intérieurement, il se demandait comment Jeyne vivait cet « abandon ». Il espérait tout simplement qu'elle ne se soit pas perdue et qu'elle ai réellement abandonné son envie de se venger des Zélotes. Ils avaient violé leur mère, avait détruit son humanité mais ce n'était pas leur combat. Il était en colère, mais Thémis lui avait fait comprendre qu'il n'avait pas le droit de réclamer vengeance, tout au plus justice et que cela ne passait pas par la voie du sang. Aréa le comprendrait-elle ? Il lui semblait que ses dernières décisions allaient dans ce sens.

Aerin surprit le regard de Jeyne lorsqu'il lui avoua rentrer à Muria. Était-elle en colère ? Elle semblait plutôt choquée ou gênée, il n'aurait pas su dire et il n'osait pas ouvrir son Esprit pour le découvrir. Son père lui avait toujours appris à ne jamais s'introduire dans l'Esprit d'un Templier, que c'était malpoli et malvenu et il obéissait presque toujours à cette règle. Adolescent, il avait rejeté ses dons en les emprisonnant. Il était par conséquent devenu très doué pour fermer son Esprit aux autres et se protéger d'eux comme les protéger de lui … Jeyne reprit la parole et il reporta son attention sur la jeune femme. Il sourit d'un air entendu sur son envie de ne pas avoir d'apprenti. Il pouvait comprendre qu'elle ne se sente pas encore prête ou qu'elle ai encore des choses à faire avant de vouloir transmettre son savoir. Jelenna n'avait pas cessé de lui demander de transmettre ses dons aux jeunes Amazones de la cité mais il s'était refusé à le faire pour les mêmes raisons que la Templière venait d'évoquer. Il avait encore des choses à faire avant de pouvoir se consacrer à un apprenti.

Aerin ne s'attendait pour ainsi aucunement à la question de la jeune femme. Il fut tellement surpris qu'il ne remarqua pas tout de suite ses joues rougies et sa gêne. Il se reprit tant bien que mal et réfléchit aussi vite qu'il le pouvait malgré la surprise. Pourquoi vouloir en apprendre sur la cité ? Pourquoi lui demander à lui ? Pouvait-il lui dire des choses sur Muria ? Pouvait-il lui faire confiance ? Sa réflexion s'arrêta là. Il ne devait pas douter des Templiers, encore moins de Jeyne. Pourtant, il ne pouvait pas tout lui dire sur Muria, c'était également une évidence. Il se contenta de se lui répondre d'une voix douce :

« Que dirais-tu de nous asseoir ? »

D'un geste, il lui montra le banc vers lequel il se dirigea. Isis le suivi dans un jappement heureux et s'assit à ses côtés, posant sa tête sur les hanches du jeune homme pour lui signifier qu'elle voulait des caresses. En cela, elle ressemblait vraiment à sa mère, Nyméria ! Il posa sa main sur la tête de l'animal et reprit la parole d'un ton calme.

« Pourquoi t'intéresser à Muria ? »

Il n'y avait aucune accusation dans le ton de sa voix, c'était une simple question qu'il posait pour la forme et plus par curiosité qu'autre chose. Il prit ensuite le temps de la réflexion avant de reprendre de ce même ton calme où vibrait toutefois sa foi pour la cité.

« La première fois que je suis venue à Muria, j'avais huit ans je crois, peut être plus, ce n'est pas très clair. La princesse Jelenna souhaitait que j'y vive pour panser mes plaies. Ma mère venait juste de mourir et je ne pouvais pas me résoudre à vivre au Temple. J'ai du me faire passer pour une fille, les Amazones n'étaient pas friandes des hommes … ou alors, c'était peut être la Reine Philéa qui voulait s'amuser un peu à nos dépends ! J'ai peu de souvenirs de cette époque. Je me souviens juste de l'Amazone qui m'a offert Namarïé, mon faucon. », il marqua une pause, cela remontait vraiment à des années lumières … « Je n'y suis jamais retourné ensuite, jusqu'à ce que … Jusqu'à la capture de la Reine Eléa. Je craignais que Jelenna ne soit brisée … J'ai eu tord sur ce point. Tu sais, je ne regrette pas ma vie ici. La plupart des Amazones ont peur des hommes mais elles acceptent aussi d'apprendre de leurs erreurs. J'ai été mal accepté dans un premier temps mais une fois qu'elles ont pu me faire confiance, elles m'ont accepté. Je n'ai jamais souffert que d'indifférence la plupart du temps. Ma vie n'est pas si différente d'ici au final, il y a de bonnes personnes, d'autres moins. »

A nouveau il marqua une pause avant de simplement lui demander :

« Que veux-tu savoir exactement ? Si les Amazones sont aussi cruelles que leur réputation ? Tu peux parler ouvertement, je ne me vexerais pas et je répondrais du mieux que je peux dans la limite du possible. »

Il avait l'impression que son interlocutrice craignait les Amazones, ou quelque chose du genre, sinon, pourquoi poser ces questions ? Il aurait tout le temps de lui en poser à son tour sur sa vie au Temple et sur ce qui lui trottait en tête, pour l'heure, il voulait seulement répondre de son mieux à ses questions. Il aimait Muria, à présent, c'était Elle sa seconde famille.

Jeyne se laissa guider par Aerin et le suivi jusqu’à un banc, où ils prirent place. La chienne Isis semblait aimer son maître et sa joie de recevoir des caresses, permettait à la jeune Templière de se détendre un peu, alors qu’ils abordaient un sujet qui la rendait anxieuse. Pouvoir se concentrer sur ce que dégageait la chienne comme… sentiment, lui permettait de se focaliser dessus, plutôt que sur son angoisse à elle.

Aerin commençait à se poser des questions, ce qui était tout à fait légitime et la jeune Templière n’eut pas de mal à lui répondre, bien qu’elle se sentait un peu ridicule.

« Je m’y intéresse, car j’ai des préjugés au sujet des Amazones que j’aimerais dissiper. Une Templière ne doit pas se fier à des préjugés et pour le moment, je n’ai que ça concernant ce peuple, mais je pense à présent pouvoir m’en défaire, j’aimerais vraiment pouvoir m’en défaire. », elle l’observa du coin de l’œil, pour observer sa réaction, puis l’écouta avec attention.

Jeyne sourit en entendant Aerin raconter son histoire, un peu émue par les émotions qui se dégageaient de lui et par ce que laissait transparaitre sa voix. Cela se voyait qu’il aimait cette ville et ce peuple, mais lorsqu’il dit que les Amazones n’appréciaient pas trop les hommes, ses craintes se réveillèrent et elle sentit aussitôt sa respiration accélérer.

La jeune Templière avec le temps avait réussi à cacher ce genre de réaction, que les actes violents avaient le don de créer en elle. Dans ces moment-là, elle tachait de penser à autre chose, ou alors se focalisait sur un détail qui réussissait peu à peu à l’apaiser, comme dans ce cas, en se concentrant sur ce que dégageait la gentille chienne de Aerin.

A présent le jeune homme l’invitait à lui poser les questions qu’elle souhaitait. Se détendant, en prenant une grande bouffée d’air discrètement, Jeyne se lança.

« Oui, j’aimerais savoir si leur réputation de femmes cruelles est justifiée et juste. Comment traitent-elles les hommes ? Sont-elles si violentes qu’on le dit ? Pourquoi t’on-elles accepté, dans ce cas ? »

La jeune Templière ne voulait pas que ses paroles soient mal interprétées, mais elle voulait des réponses.

« J’espère que mes questions ne te choqueront pas, je veux juste essayer de comprendre leur manière de vivre et si ce que l’on dit sur elles est vrai ou non. »

En regardant la jeune femme, le Gardien ne pouvait s'empêcher de se poser la question de savoir s'il aimerait autant Muria et les femmes qui y vivaient si Jelenna n'y était pas présente. Il doutait de la réponse, même s'il s'était réellement attaché à la cité et que, aujourd'hui, il offrirait sa vie pour veiller sur celles des âmes qui y dormaient. Son devoir de neutralité n'avait plus lieu d'être depuis qu'il était aux côtés de la Reine Régente et il ne comptait laisser personne faire de mal à cette dernière. Par extension, à sa cité. En réalité, il n'avait pas spécialement cherché à comprendre Muria lors de son arrivée mais au fil du temps, il avait découvert une cité riche, pleine de secrets, de dialectes et de vie. Il avait alors appris à décortiquer tout ça et finalement, il s'était rendu compte que beaucoup de préjugés avaient la dent dure. La cité était pleine de vie, elle était même débordante d'une vie qui ne demandait qu'à être reconnue par ses paires. En réalité, le jeune homme finissait par se demander si les gens n'étaient pas devenus paranoïaques, jaloux de ces contrées auxquelles ils n'avaient pas accès. Le métis avait mis du temps à comprendre les rouages de la cité des femmes libres et il pouvait admettre que pour les gens de l'extérieur, cette cité soit entourée de mystères et donc, d'incompréhensions. Perdu dans ses pensées, Aerin caressait machinalement la tête de la louve à ses pieds qui, si elle semblait impatiente de partir, ne rechignait pas pour autant à ce petit moment privilégié. Isis était parfois têtue et presque tout le temps incapable de supporter qu'on s'approche de trop près de son maître mais pour autant elle ne fit aucun mouvement brusque, pas même un grognement à l'attention de l'interlocutrice de son compagnon à deux pattes, ce trait de caractère était plutôt tiré de son père, même si Nym' avait une fâcheuse tendance à « juger » les gens dès le premier regard et à ne jamais changer d'avis à leur sujet …

La voix de la jeune femme le tira de ses pensées. Elle avait des préjugés, quoi de plus normal même si venant d'une femme, Aerin trouvait cela plutôt étonnant. Jeyne était cependant quelqu'un de pragmatique et de vraiment curieux, elle voulait se défaire de ses préjugés et il trouvait dans ce geste quelque chose de noble. La plupart des gens se contentaient de mourir avec leurs idées préconçues et de ne jamais chercher à en savoir plus, à se forger leur propre opinion. Quelque chose soufflait au jeune homme qu'elle était une Templière vraiment différente. C'étaient les personnes comme elle qui changeaient le monde, voilà ce que lui avait un jour dit sa mère et ces paroles, venues d'un lointain passé, lui revinrent en mémoire tandis qu'il écoutait la jeune femme lui répondre. Il sourit en l'entendant dire qu'elle voulait se défaire de ses préjugés. Sans rien avouer sur les secrets de la cité, il pensait pouvoir l'aider à s'en faire un portrait moins barbare et moins sanglant. Beaucoup pensaient que les Amazones étaient des sanguinaires qui torturaient et tuaient les hommes par principe, ce qui bien entendu, était totalement faux.

L'ancien apprenti Templier sentit que la jeune femme à ses côtés se crispaient. Il se demanda pourquoi sans oser formuler la question à voix haute. Isis, qui était aussi douée que sa défunte mère pour ce genre de choses, posa son regard sur la Templière et s'y arrêta. Elle semblait sonder son âme jusqu'à décider finalement de poser sa tête sur les genoux de la jeune femme. Peu certain que cette dernière apprécie, Aerin n'osa cependant pas bouger de peur de la mettre encore plus mal à l'aise. La louve tentait à sa manière d'apaiser Jeyne, du moins, c'était ce qu'il pensait. Il écouta chaque question avec calme et prit le temps de réfléchir avant de répondre.

« La plupart des femmes qui viennent à Muria ont été violées, violentées ou torturées voire réduites en esclavage par les hommes. Elles entrent dans la cité pleine de haine et de peur envers la gente masculine, c'est un fait mais la cité ne prône pas la vengeance, seulement le besoin de liberté et la soif de vivre sans peur. C'est pour vivre sans crainte que les premières femmes ont agi cruellement, tuant les hommes qui s'approchaient trop près et réduisant en esclavages ceux qui pouvaient les aider à construire la cité. Elles ont ensuite laissé la rumeur grandir pour que personne ne vienne plus les chercher. Je ne vais pas te mentir, certaines sont encore tellement effrayées qu'elles n'hésiteraient pas à tuer un homme mais la loi le leur interdit. Les hommes sont bien traités malgré leur condition de Soumis et certains décident de rester avec leur femme au sein de la cité une fois leur peine effectuée. Les Amazones ne sont pas violentes, elles ont laissé ces rumeurs se répandre pour éviter d'être attaquées. Elles peuvent se montrer dures et parfois, elles réprimandent les Soumis qui refusent de travailler mais rien de plus. Leur plus grande violence est sans doutes l'indifférence ou la haine que portent encore certaines à la gente masculine mais rien qui ne puisse être ignoré à son tour. »

Il marqua une pause avant de reprendre, toujours aussi calme :

« Aujourd'hui, elles ont des violeurs, des voleurs et autres criminels pour compagnie puisque la plupart des Soumis sont issus des prisons des cités mais malgré tout, malgré la violence latente de ces hommes, j'ai rarement pu les voir les maltraiter. Elles les nourrissent, leur offrent un abri et les soignent, ce qu'elles n'ont parfois jamais eu lorsque la situation était inversée. »

Il ne défendait pas les femmes de la cité, loin de là. La haine latente chez certaines d'entre elles n'était contenue que par les lois strictes de la cité et l'espoir de liberté qui en était la contre partie mais pour autant, il tenait à se montrer fidèle, les actes de cruauté était très rares. Eléa était considérée comme une reine juste malgré son jeune âge et Philéa avant elle avait mis en place des lois strictes pour les Soumis comme les Amazones. Aucun ne pouvait être tué à moins d'avoir pris une vie à son tour.

« Les lois sont strictes dans la cité, pour les femmes comme pour les hommes. Seule la mort est punie par la mort. »

L'inverse était vrai. Une femme tuant sans raison un Soumis pouvait être exécutée sur ordre de la Reine même si Eléa se montrait clémente à ce sujet … beaucoup plus que dans un cas inversé. Là n'était cependant pas la question.

« Jelenna m'a sauvé. Lorsque ma mère est morte, je n'étais qu'un adolescent torturé par sa disparition et pourtant, elle m'a tendu la main. Je ne l'ai jamais lâchée. Je suis venue dans la cité comme Gardien et je pense qu'il est beaucoup plus facile d'être toléré quand la Reine régente en personne vous choisi. Les femmes « n'acceptent » pas vraiment les hommes, en dehors de leur cercle familial si elles en ont un, mais elles les tolèrent. Je n'ai eu qu'à prouver que je protégerais Jelenna au péril de ma vie pour qu'elles me tolèrent. Je crois aussi que la confiance de Jel' leur a suffit, elle est bien plus qu'une simple princesse à leurs yeux. »

Il se tut. Parler de Jelenna après leur dernière dispute ne lui paraissait plus aussi difficile si ce n'était qu'elle lui manquait cruellement. En venant au Temple, il avait compris qu'il ne s'était pas trompé, que son choix était le bon et que, même si elle n'aurait jamais d'enfant, il s'en foutait totalement. Il se moquait de son mensonge et plus encore, il ne lui tardait que de la retrouver pour lui dire à quel point il était désolé et à quel point il tenait à elle.

« Tes questions ne me gênent pas, au contraire ! Muria est une bonne cité, tant qu'elle est dirigée par de bonnes personnes. Sa réputation de guerrière n'est pas usurpée, les Sentinelles sont parmi les meilleures d'Azthia, mais les femmes qui y vivent sont justes, ou tentent de l'être au maximum au vu de leur passé commun. Pourquoi les craindre ? Je veux dire, tu es une femme, la plupart des femmes les respectent ou les admirent, j'en ai rarement vu qui les détestaient ou les fuyaient. »

Il se rendit compte de la gêne que sa question pouvait occasionner. Peu habitué à parler ainsi avec les gens, il tenta de se reprendre.

« Isis que voici est le fruit d'un loup dressé par la Reine de Muria et de ma louve. Elle est le reflet de cette cité, à la fois dangereuse et douce. Guerrière, mais juste. Qu'en penses-tu ? En tout cas, je crois qu'elle t'apprécie. »

Il sourit pour tenter de la rassurer, peu convaincu que son trait d'humour sur la généalogie de sa louve soit du plus bel effet. Il espérait que ses réponses étaient ce qu'elle attendait. Il se tenait prêt à répondre aux suivantes si elle en avait.

Jeyne sourit en voyant Isis poser sa tête sur ses genoux, la trouvant gentille et attentionnée. La Templière savait que les animaux sentaient lorsqu’un humain, ou l’un des leurs se sentent mal, ou alors très joyeux. Cette chienne, elle aussi, avait de l’empathie et cette petite marque d’attention lui fit plaisir.
Avant de caresser la tête d’Isis, la jeune femme présenta sa main à cette dernière, pour lui faire sentir son odeur, c’était comme une façon de se présenter et en fonction de sa réaction Jeyne se permettait ou non de la caresser. Mais la chienne semblait amicale, donc ce ne fut qu’une formalité avant de pouvoir la câliner, en souriant légèrement.

Puis Aerin se mit à parler et la jeune femme l’écouta avec attention parler de Muria, des Amazones et des Soumis.
L’histoire de ces derniers la fit frémir, tant d’agressivité et de haine, ne pouvait que la mettre mal à l’aise et renforcer sa peur envers ce peuple.

Finalement, intrigué, il finit par lui poser une question qui devait forcément finir par être dite.

« C’est lié à mon passé. Je ne sais pas si ta sœur t’en a parlé, mais je suis arrivé au Temple dans des circonstances difficiles, pour une enfant de 10 ans. A cause de cet évènement j’ai une trouille bleue de tout ce qui touche de près ou de loin à la violence. », elle fit une pause, des images désagréables lui revenant en tête, tournant son visage pour cacher son trouble, puis reprends.

« Mais j’essaye d’avancer et de dépasser cette peur, voilà pourquoi je les craints. », finit par lui sourire, « Je suis contente de t’avoir croisé, car tu es le frère d’une amie et parce que je t’apprécie aussi, mais aussi parce que je te connais et que tu vis là-bas, à Muria. Du coup, ça m’est plus facile de t’en parler à toi, des Amazones et du reste. Mais je sais qu’un jour, pour être une bonne Templière je devrais les rencontrer et balayer tous mes préjugés. »

Puis il semble changer de sujet, ce qui lui permet de se détendre et lui rendre son sourire.

« Oui, elle semble me tolérer et j’en suis contente. », réponds elle, en caressant doucement la jolie petite tête sur ses genoux.

Par le passé, il avait toujours apprécié les amies de sa sœur aînée. Pour peu qu'il s'en souvienne, elles étaient en général relativement avenantes avec lui et passablement gentilles. Gamin, il s'était toujours demandé pourquoi elles agissaient comme ça, maintenant, il se doutait que c'était plus ou moins pour plaire à Aréa et encore plus pour ne pas s'attirer les foudres de Jiven, l'ancien directeur du Temple. Cependant, il n'avait pas souvenir que Jeyne ai eu un tel comportement ou qu'elle ai cherché à bien se faire voir des uns ou des autres. Au contraire, elle semblait plutôt discrète et le jeune homme se souvenait de s'être parfois posé la question de savoir pourquoi elle traînait avec sa grande sœur. Aréa était quelqu'un de charismatique, que l'on suivait en général sans hésiter, quelqu'un de droit, qui savait parfaitement ce qu'elle devait faire ou en tout cas, faisait semblant de se montrer comme tel. Enfant, il avait beaucoup admiré ces qualités chez la jeune métisse, aujourd'hui, il se rendait compte qu'il possédait les mêmes pour peu qu'il veuille bien le reconnaître. Les épreuves de la vie faisaient évoluer les gens et pourtant, la Templière semblait égale à elle-même. Calme, douce, un peu introvertie et passablement timide. Jeyne n'avait pas changé, ce qui avait quelque chose de rassurant en soi.

Aerin était quelque peu surpris de la réaction d'Isis. Comme sa mère, Nyméria, elle avait tendance à se fier à ses instincts, logique pour une louve, mais plus encore, à rester sur ses positions. Elle évaluait les gens en quelques secondes et ne changeait jamais d'avis. Elle pouvait détester quelqu'un sans que son compagnon ne sache très exactement pourquoi mais dans tous les cas, elle n'en démordait pas. En général, Aerin se fiait à son jugement. Les animaux connaissaient des instincts bien plus développés que les êtres humains. Nym' avait toujours su démasquer les imposteurs et ceux qui lui voulaient du mal. Qu'Isis fasse « confiance », pour peu que cette notion existe chez elle, à son interlocutrice le rassurait sans qu'il ne sache exactement pourquoi. Il sourit en voyant que le comportement de l'animal avait un effet bénéfique sur Jeyne. Si la bête avait été un chat, sans doutes se serait-elle mise à ronronner, elle se contenta de profiter d'être un peu câlinée et le gamin sentie quelques ondes de jalousie dans sa tête qu'il éluda d'un sourire « mental ».

Il écouta avec attention sa réponse. Il ignorait, ou avait peut être oublié depuis, l’événement à l'origine de l'intégration dans le Temple de la jeune femme. Il comprenait cependant son choix d'appartenir à la branche des diplomates face à une expérience aussi choquante. Beaucoup pensaient que les Amazones étaient les seules à souffrir mais au final, ils se masquaient juste les yeux pour ignorer la souffrance des peuples d'Azthia tout entier. Nombreux étaient les enfants battus, les femmes violées et les hommes assassinés. Il ne fallait pas chercher bien loin pour que chaque personne de cette génération ai connue des atrocités. Il s'abstint cependant de commentaires.

« Ton comportement est exemplaire, savoir vaincre ses peurs est assez difficile ... »

Il était admiratif de son courage, lui qui avait toujours préféré fuir ses peurs plutôt que de les affronter. Il sourit de nouveau avant de réfléchir plus amplement à ce qu'elle venait de lui confier. Il finit par lui dire tout simplement, sur le ton de la conversation :

« Je suis sur que si tu rencontrais Jelenna, tu tomberais sous le charme. C'est une personne très douce, avenante et vraiment attentionnée, je suis sure que vous vous entendriez bien. Je pense que la plupart des Amazones ont peur, elles se cachent derrière ces mensonges que leurs ancêtres ont elles-mêmes créées. Je ne suis pas certain que ce soit le plus intelligent mais je n'ai pas mon mot à dire. »

Il était le Gardien personnel de Jelenna certes, mais pour autant, cela ne lui donnait aucun droit. Il aurait pu espérer donner un héritier à la princesse mais ses récents aveux lui avaient ôtés tout espoir de ce côté là. Leur discussion lui revint en tête et il ne put s'empêcher de grimacer. Une fois rentré, il devrait pardonner, affronter le problème et la rassurer. Il ne lui en voulait pas, du moins, il ne lui en voulait plus. Il comprenait sa réaction mais il existait néanmoins en lui cette part qui ne serait jamais comblée. Pour autant, il se décida à laisser cela de côté, ne voulant pas troubler Jeyne outre mesure.

« Je pense qu'on peut dire qu'elle t'aime bien, c'est rare. Isis est assez spéciale, elle ne fait que rarement confiance. Je crois qu'elle me ressemble pour ça ! Quoi qu'il en soit, la vie au Temple n'est pas faite pour elle, c'est aussi une des raisons qui m'ont poussée à quitter Tamawa. »

Le compliment lui fit plaisir et Jeyne lui sourit gentiment, même si elle doute que son comportement soit des plus exemplaires.
Si c’était réellement le cas, la jeune Templière n’aurait aucun préjugés, ou aprioris, mais au vu de son passé on ne pouvait lui en tenir rigueur et elle se disait qu’elle aurait juste besoin d’un peu plus de temps que les autres, pour trouver cette impartialité que possède tout bon Templier. Mais cette remarque lui fit malgré tout plaisir et l’encouragea dans ses démarches de découverte du peuple de Muria.

En entendant Aerin parler de Jelenna de cette façon si gentille et rassurante, une idée traversa l’esprit de Jeyne, sans pour autant la formuler à voix haute. La jeune femme aurait bien voulu rencontrer cette dame, faire connaissance et apprendre grâce à elle la vie à Muria, comment cela se passait réellement et si toutes les Amazones étaient des sauvages, se dont elle-même doutait, mais elle avait besoin de le constater de ses propres yeux, pour y croire vraiment.

Quand elle se rendrait dans cette ville, elle irait prendre des nouvelles d’Aerin et de Jelenna et elle verrait bien si une entrevue est possible. D’ailleurs, pour cela au moins, elle pouvait le demander.

« Quand je me rendrais à Muria, pourrais-je te rendre visite ? Pour avoir de tes nouvelles, simplement. », lui dit-elle, pour ne pas lui donner l’impression qu’elle voulait le monopoliser ou abuser de son hospitalité.

Se tournant de nouveau vers la jolie petite tête posée sur ses genoux, Jeyne lui sourit amicalement, avant de regarder à nouveau son interlocuteur.

« Quelles étaient tes raisons, de quitter le Temple, exactement ? »

[ Fais juste attention à l'italique pour les actions Wink

]

Parler avec Jeyne avait tendance à lui rappeler à quel point une certaine forme de sa vie au Temple avait pu lui manquer jusque là. Il n'avait jamais vraiment considérer les lieux comme sa demeure ni envisagé d'y vivre perpétuellement comme son père le faisait mais il avait aimé les lieux et ses habitants et tous étaient important pour lui. S'il ne pensait pas revenir en arrière un jour, il savait cependant qu'il avait vécu de belles années au Temple et que rien ne pourrait remplacer ce simple fait. Il était heureux d'avoir eut cette opportunité, d'autant plus lorsqu'il pensait au fait qu'il avait connu une certaine forme de paix ici mais il ne regrettait pas pour autant sa volonté de quitter le Temple et sa cité neutre. Si la vie de Templier correspondait à ses convictions passé un temps, il s'était rendu compte également qu'il ne pourrait jamais s'y plier. La paix était un idéal qui obtiendrait toujours une place importante dans son cœur mais pour autant, il ne voulait pas oublier à quel point elle était illusoire. Il avait vécu violence, haine et mort durant son enfance et rien de l'idéologie templière n'avait pu l'aider. Il croyait sincèrement en l'action des hommes comme Jiven ou Evenor mais il doutait qu'ils puissent en voir un jour le fruit.

Aerin était heureux de voir que des personnes comme Jeyne existaient encore. Douce, innocente, elle cherchait réellement à dépasser l'appréhension de ce peuple qu'étaient les Amazones pour vraiment parvenir à quelque chose. Elle cherchait à aller au delà de ce qu'elle ignorait pour comprendre ce peuple si singulier et c'était tout à son honneur. Le métisse était persuadé que Jelenna aurait adoré parler avec elle. Elles se ressemblaient sur certains points même s'il ne connaissait clairement pas aussi bien la templière que sa compagne. La princesse Régente avait beaucoup aimé ses expériences au Temple avant la mort de ses parents. Elle s'y rendait souvent même si la perte du Temple quelques années auparavant avait plongé Philéa dans une colère noire au point qu'elle avait interdit à Jelenna d'y retourner. L'endroit était selon elle trop dangereux, à juste titre peut-être. Mais l'Amazone avait toujours aimé cette voie et quelque part, Aerin se demandait si elle ne l'aurait pas embrassée dans d'autres circonstances. Fidèle outre mesure à sa cité, Jelenna n'avait pas voulu renier ses origines pour la voie templière mais son cœur brûlait de paix et de justice.

« Je suis certain que tu t'entendrais bien avec Jelenna. Elle serait ravie de te rencontrer. »

L'Elfe avait parlé presque plus pour lui que pour son interlocutrice mais il était convaincu de ce qu'il avançait. Les deux femmes se ressemblaient quelque part et il avait l'intuition profonde qu'elles se seraient bien entendues, sans parler du fait que la princesse aurait certainement été plus à même de lui parler de son amour pour sa cité que lui-même qui n'avait fait que l'adopter. Jelenna avait tant sacrifié pour Muria qu'elle était sans doutes la plus à même d'en transmettre le savoir et les convictions.

« Tu ne l'as jamais rencontrée quand elle étudiait ici ? »

La question le taraudait. Il lui paraissait étonnant que Jeyne n'ai jamais rencontré la gamine alors qu'elle était souvent fourrée avec lui les quelques semaines de ses passages. Peu importait au fond ce n'était pas bien grave mais c'était juste par curiosité.

« Je serais ravi de te servir de guide et ça me ferait vraiment plaisir de te revoir. »

Il lui sourit avec sincérité. Il aimait bien la compagnie de la jeune femme même s'il ne l'avait finalement que peu connue par le passé, uniquement au travers de sa sœur aînée. Aujourd'hui, il trouvait leur discussion étrange peut-être mais agréable et il apprécierait sincèrement de lui présenter la cité des femmes libres. Il ne la connaissait certainement pas aussi bien que les femmes qui y vivaient mais il aimait quand même cette ville, comme si elle était la sienne depuis toujours.

La question suivante le surprit un petit peu mais il prit le parti de répondre en toute honnêteté.

« Jelenna avait besoin de moi. J'ai toujours cru qu'être Templier était tout ce que je voulais mais lorsqu'elle a perdu ses parents et ensuite, quand sa sœur a été emprisonnée, j'ai compris que je ne voulais qu'une chose, la protéger, elle. Je ne pouvais pas rester au Temple en sachant qu'elle était seule, dans une cité où toutes les responsabilités lui incombaient. En y réfléchissant bien, je crois que je me suis rendu compte que jamais je ne pourrais suivre la voie des Templiers sans me sentir coupable. Je devais beaucoup au Temple, plus encore à Jelenna mais au fond, je crois que rien de tout cela n'a joué, je voulais juste protéger, avoir l'impression que ma vie serait utile à quelqu'un. J'ai eu le sentiment que ce serait le cas auprès de Jelenna. C'est pour cela que j'ai quitté le Temple. »

Il marqua une pause. Il ne s'ouvrait que rarement sur les raisons de son départ. Dans un premier temps parce qu'il s'était senti coupable mais depuis peu, parce qu'il se demandait s'il avait fait le bon choix. Il ne regrettait rien, parler à son père lui avait fait comprendre qu'il avait bien fait, mais peut-être y avait-il un autre chemin qu'il n'avait pas su percevoir à ce moment-là. Quoi qu'il en soit, il se confiait sans en être vraiment troublé.

« Et toi, pourquoi avoir choisi cette voie ? »

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