[DH]Le temps d'un regret (PV Aerin)

Bredouille encore une fois. Et comme d'habitude, c'est la frustration qui s'empare de moi. Je sait pertinemment qu'ils sont en vie, quelque part, mais ne pas retrouver leur trace est tout simplement rageant. D'un autre côté, c'était rassurant. Si je ne les trouvais pas, Cydonia ne les retrouverait pas non plus. Et puis depuis le temps, il est sans doute possible qu'ils aient stoppé les recherches, comme ils ont du le faire pour moi. Après tout, cela fait plus de sept ans.

Je m'étais mise en chemin vers Tamawa, chose que j'avais pris l'habitude de faire tous les mois pour aller voir Asuka et Iréa. Et puis passer du temps au Temple était toujours quelque chose de très réconfortant, malgré le fait que ce fut ici que tout a commencé. Il y règne un calme que j'apprécie particulièrement. Et apparemment, je ne suis pas la seule car Laedy galope dans sa direction avec ferveur, sans que j'ai besoin de la pousser.

- Du calme ma belle. Inutile de te presser. Nous arriverons bien assez vite.

Elle se contente uniquement de renâcler, avançant inexorablement. Je me mets alors à rire, silencieusement. Si j'ai un caractère bien trempé, celui de Laedy ne paye pas de mine non plus et ce n'est que lorsque les remparts de la ville neutre sont en vue qu'elle s'autorise à ralentir l'allure, jusqu'à un trot bien mérité, me laissant apprécier le ciel entièrement bleu de cette belle journée d'un hiver déclinant, laissant peu à peu sa place à un printemps encore timide, mais qui finira bien par se montrer.
Une fois arrivée aux portes, je laisse Laedy au garçon d'écurie que je gratifie d'un sourire. Le jeune homme se met à rougir et regarder le sol sous ma mine amusée. Il devrait plutôt être habitué à ce genre de sourire, étant donné que cela fait une bonne dizaine de fois qu'il a affaire à moi, et avant lui, ce fut son père. D'ailleurs celui-ci s'avance vers moi et me dit en riant :

- Décidément ma Dâme, vôtre sourire l'intimide toujours. Il faut pourtant qu'il devienne moins timide mon petit Pablo.

- Ca finira par venir. J'étais aussi timide que lui à son âge vieil homme. Les gens changent. Laissez donc faire le temps.

Le vieil homme accueille ma remarque avec un sourire entendu et se remet à remplir l'abreuvoir tandis que j'offre une dizaine de talents au petit Pablo pour m'assurer qu'il prendra bien soin de Laedy, comme toujours, puis j'entre dans la cité, capuchon abaissé au mieux. Après tout, je suis bien placée pour savoir que le gouvernement cydien n'envoie pas que des soldats pour régler des affaires en suspend, mais aussi des assassins assermentés.
C'est donc en scrutant la foule que j'avance dans les ruelles de Tamawa, cherchant une éventuelle menace, me laissant rarement distraire. Et pourtant, alors que j'approche de plus en plus du Temple, je m'attarde sur l'un des jeunes hommes présents. La vingtaine tout au plus, des yeux noisettes d'une incommensurable profondeur, la peau légèrement hâlée mais aussi fine que celle des elfes et des cheveux noirs de jais. Je n'arrive pas à me rappeler qui il est mais son image s'associe rapidement au Temple. D'un haussement, d'épaule, je me dis que je finirai bien par retrouver son nom un jour ou l'autre et je continue d'avancer, passant devant les portes du cimetière qui bordent le Temple. Je m'arrête alors après un frisson qui me parcours l'échine. Chaque fois, je passe devant les grilles, sachant pertinemment que l'un de mes vieux fantômes repose, là, à quelques mètres à peine. Je n'ai jamais eu le courage d'affronter la mort de Rose. Je ravale ma salive en repensant à notre première rencontre, juste après l'avoir tirée des griffes de ces salopards de brigands, à l'aide de Kyle.
Kyle... je me demande ce qu'est devenu l'ancien crépusculaire. Je ne le saurai sans-doute jamais car ce n'est qu'à Cydonia elle-même que je pourrai le découvrir, et j'avoue n'avoir aucune envie de m'approcher à moins de 100 lieues de la cité.

Je soupire alors, regardant l'étalage de tombes qui semblent me supplier d'avancer, comme si ma présence leur était insupportable. Je me sens faillir, tremblant sous le poids de la culpabilité et je ne peux alors m'empêcher de me rappeler les paroles de Zihark : « Arrête donc ce cinéma ! Tu as pris une décision alors accepte-la elle et ses conséquences. Après tout, si tu n'avais pas trahit ta patrie, rien de tout cela ne serait arrivé et tes parents seraient encore en vie. Cesse de te lamenter ! »
Comment avait-il pu me dire une chose pareille ? J'essuie alors rageusement les larmes qui commencent à couler et me détourne brusquement... peut-être trop brusquement, parce que dans ma hâte de m'éloigner de cet endroit qui n'évoque chez moi que la souffrance, je percute quelqu'un.
Reprenant mes esprits, je commence alors à m'excuser avant de croiser le regard de celui que je viens de bousculer. Il s'agit du même jeune homme que tout à l'heure et soudain, les traits de son visage me frappent.

- Aerin ? Bon sang, je ne t'avais pas reconnu ! Je ne sais pas si tu te rappel de moi, mais je suis la mère d'Asuka, une ancienne élève d'Iréa qui était au Temple en même temps que toi. Comment vas-tu ?

Revenir à Tamawa après autant de temps lui paraissait étrange. D'autant plus en hiver, cette même saison où tout avait basculé pour lui. Il y avait maintenant près de quinze ans que sa mère était morte et pourtant, il détestait toujours autant cette saison ce qui ne manquait pas de faire sourire sa bien-aimée. Jelenna adorait l'hiver, elle disait toujours qu'il n'y aurait pas de plus beau printemps sans un hiver rude. « L'hiver n'est qu'un long sommeil, tôt ou tard, la nature se réveille et reprend ses droits, nous avons tous besoin de ce sommeil, pour oublier et pour avancer. » et elle ne tardait pas à se perdre dans ses pensées, son sourire doux se peignant avec délicatesse sur ses lèvres. S'il appréciait toutes les saisons en compagnie des Amazones, aussi étrange que cela puisse paraître, il avait toujours cette pointe qui lui transperçait le cœur à la nuit tombée, d'autant plus le jour de l'anniversaire de sa mort. Avec les années, Aerin avait fait son deuil, du moins en partie, mais pour autant, il était toujours triste, tout cela pesait encore sur lui lorsque ce jour se rappelait à lui. La princesse avait beau l'aider, le soutenir, il ne parvenait pas à oublier. Quoi qu'il en soit, il n'était pas là pour sa mère aujourd'hui mais pour son parrain. Le temps lui avait volé beaucoup de choses. Sa mère, sa sœur, sa louve, son parrain. Il avait également pleuré la mort de Philéa, la femme de Jacen, qui n'étaient autre tous les deux que les parents de sa précieuse princesse. Ce n'était parce qu'elle était Reine Amazone ou encore, la mère d'Eléa et Jel' qu'il l'avait pleurée, mais uniquement parce qu'elle s'était montrée gentille et compréhensive envers lui en acceptant qu'il vienne vivre à Muria quelques mois après la mort de Celyween. C'était une grande Dame qui avait quitté leur monde et son mari, un grand Templier. Jacen avait été son parrain et son protecteur. C'était lui qui l'avait trouvé le jour de la mort de Cely, lui encore qui l'avait ramené au Temple ce jour-là et envoyé dans les bras d'Aréa pour se consoler. Plus tard, il l'avait formé à l'Esprit là où l'enfant était incapable de parler à son propre père. Jiven était un inconnu à cette époque pour le métisse qui n'avait vécu qu'avec sa mère et si leurs relations s'étaient améliorées depuis, à l'époque, c'était en grande partie grâce à Jacen qu'il avait accepté de lui parler et de faire les pas dans sa direction. Lors de la fuite du Temple, c'était également Jacen qui l'avait empêché de courir droit vers sa mort. Avec sa mort, Aerin avait perdu plus qu'un parrain ou un maître, il avait perdu un ami et un confident.

Il ne savait pas vraiment s'il venait pour lui ou pour la princesse. Même si cette dernière n'en parlait pas, l'Almer sentait clairement qu'elle était encore attristée par la mort de son père. Ne pas pouvoir se rendre sur sa tombe quand elle en ressentait le besoin devait certainement peser sur ses épaules. Jelenna prétendait que tout allait bien, que le temps guérissait les blessures mais il savait qu'elle mentait. Il le sentait. Alors pour lui permettre de se sentir moins coupable, Aerin avait pris la décision de se rendre sur la tombe de Jacen. Cela lui permettrait également de voir Jiven, son propre père, ce qui lui permettrait de discuter quelque peu avec lui. La princesse avait sourit et jamais il ne s'était senti plus démuni. Il aurait voulu la prendre dans ses bras mais il s'abstint et partit sur le champs. Voilà qui expliquait sa présence à Tamawa. Devant lui, les portes du cimetière se dressaient. Une rose à la main, il se dirigeait vers la dernière demeure, perdu dans ses pensées, quand il percuta quelqu'un.

La jeune femme qui lui parla connaissait son prénom ce qui ne manqua pas de le surprendre. Il la détailla par conséquent et si ses yeux lui disaient quelque chose, il ne parvenait pas à se souvenir de quoi il en retournait. Asuka, il se souvenait vaguement d'elle, parce qu'adolescent, il avait joué avec elle, elle était la fille d'Elyncia et Zihark. Iréa l'avait gardée au Temple, il n'en savait strictement pas les raisons mais comme il adorait l'Almer parce qu'elle était la seule à parvenir à l'apaiser dans ses moments de troubles, il avait passé du temps avec elles.

« Tu pleurais ? »

Il avait remarqué les larmes et plus encore, il n'avait plus l'habitude de fermer son Esprit et il avait ressenti sa tristesse. Il s'empressa d'ailleurs de fermer son Esprit et poursuivit d'un ton désolé :
« Excuse moi, je … je n'ai plus l'habitude de fermer mon Esprit, je ne voulais pas lire tes émotions. Désolé. »

Il sourit pour tenter de masquer son manque de courtoisie. Il n'était plus habitué ni à fermer son Esprit, ni à ce que son honnêteté pose problème. Jelenna lui avait fait promettre de ne plus jamais lui mentir après l'épisode d'Ilith et par conséquent, il obéissait. De toute façon, les Amazones n'aimaient pas spécialement le mensonge … Autant dire qu'il n'avait pas envie de tester pour voir jusqu'où elles le toléraient.

« Tu t'appelles Elyncia c'est ça ? Je me souviens de toi, tu venais souvent voir Iréa. J'ai mis du temps à te reconnaître. Je me souviens un peu d'Asuka, je n'ai gardé que peu de souvenirs de cette époque. Tu te rendais au Temple ou … là-bas ? » d'un geste du menton, il désigna le cimetière

C'était dingue de voir à quel point il avait grandi. Il surplombait la jeune femme alors que par le passé, il était même plus petit qu'Eléa. Cela amusait beaucoup la Reine à l'époque de se moquer de lui. Il tournait trop autour de sa cadette et elle n'appréciait pas ça. Iréa aussi était plus grande que lui, tout comme Jillian. Tous ces noms raisonnaient en lui comme un vieil écho d'un passé qu'il s'était entêté à enterrer et à oublier. Peu importait, avec le temps, tous les souvenirs devenaient bons pas vrai ?

« Tu sais ce qu'est devenue Asuka ? Il y a longtemps que je n'étais pas rentré alors je ne sais pas vraiment ... »il ne finit pas sa phrase, se rendant compte qu'il s'enfonçait et qu'il risquait plus de la blesser qu'autre chose.

Finalement, personne n'avait été épargné par la douleur et la perte ces dernières années. Pas même sa rose qui était dans un piteux état. Il aurait le temps d'en racheter une, peu importait, pour l'heure, il n'avait pas envie de quitter la jeune femme. Elle semblait tellement « fragile » que ça le désarçonnait. Dans le rare souvenir qu'il avait d'une de ses visites, elle lui était apparue aussi solide qu'Eléa. Jelenna avait certainement dû déteindre sur lui … Il se montrait compréhensif et particulièrement ouvert à la peine d'autrui. Pas de doutes, s'il n'était pas doué pour les relations humaines, il ne l'était pas plus pour comprendre les autres mais il était incapable d'abandonner quelqu'un.

« Il y a longtemps que je n'étais pas venu. Tu étais de Cydonia non ? Tu y vis toujours ? »

La question était pleine d'espoir, car il espérait que la jeune femme retrouve le sourire. De plus, elle aurait peut être des nouvelles d'Erys, la fille de Thémis et ainsi, il pourrait les lui transmettre.

– Tu pleurais ?

Cette question me désarçonne un peu et les larmes que j'avais réussi à refluer recommencent à vouloir sortir. D'un geste bref de la tête, je leur bloque l'accès, et me contente de sourire au jeune homme tandis qu'il se répand en excuses, bien que ce soit inutile. Après tout, je sait bien que l'esprit est un pouvoir bien difficile à contrôler. Asuka aussi avait du mal à contrôler cela. Et de ce qu'elle m'a raconté, Aerin n'était jamais aller au bout de l'enseignement Templier. Sans-doute lui était-ce plus difficile de contrôler ce don. Je décide alors de le rassurer :

- Ne t'en fais pas Aerin. Tu ne l'as pas fait exprès, je ne peux pas t'en vouloir. Juste des mauvais souvenirs... on en a tous.

Son sourire est chargé de gène, mais tellement sincère qu'il en est presque touchant. Apparemment il se rappelle de mon prénom. Je hoche la tête pour le lui confirmer que c'est bien cela et il me demande timidement si je me rendais au Temple ou si je me rendais au cimetière. Mon regard suit son geste qui désigne ce dernier, et je déglutis aussi silencieusement que possible avant de lui répondre, retenant ainsi une émotion qui m'aurait sans-doute brisé la voix.

- Je me rendais au Temple... mais en passant par ici, les fantômes du passé m'ont retenu. Il y a ici des amis et des personnes que j'estimais beaucoup. Mais devant la mort, nous sommes tous égaux il parait.

Mon regard se perd un peu dans le lointain, mais quand il revient se poser sur celui du jeune homme, je me sens un peu stupide de lui raconter tout ça. Cela doit beaucoup l'ennuyer, voir même lui faire de la peine. Après tout, cette bataille a déchiré le cœur de beaucoup.

- Pardonne-moi... cette discussion doit te paraître bien lugubre.

Heureusement, il l'oriente sur un sujet un peu plus réjouissant, me demandant des nouvelles d'Asuka. Il semble pourtant désorienté après avoir posé cette question. Je lui répond alors sur un ton guilleret :

Oh et bien elle a fini son apprentissage au Temple auprès d'Iréa. Elle est Templière désormais. Elle a rejoint le corps diplomatique et apparemment, elle s'y plaît beaucoup. Je suis plutôt fière d'elle et j'imagine que Zihark aussi... du moins, s'il vient la voir. J'avoue que je n'en sais trop rien. Elle ne m'en parle pas parce qu'elle sait que nous ne nous sommes pas séparés en très bon terme mais bon... Elle le cache bien, mais je pense qu'elle en a souffert aussi. Et qu'elle nous en a un peu voulu je pense. Mais elle a l'air de l'avoir finalement accepté.

De la manière dont il l'annonce, il semble, en effet, que ça fait longtemps qu'il n'est pas revenu. Puis la suite arrive sans que je m'y attende :

- Tu étais de Cydonia non ? Tu y vis toujours ?

Mon regard se voile à nouveau de tristesse ; et de haine. Cydonia ? Mon enfance, ma jeunesse, mes amours... mon fardeau, mes regrets, mon péché et la mort. Je revois encore son sang gicler sur mon visage, si chaud, plein d'une vie qui s'échappait lentement de son corps. Mon estomac se noue subitement et les larmes reviennent, implacables. Je les sens rouler, chaudes, sur mes joues salies par le voyage.

- Non... Je ne peux pas y retourner, même si je le souhaitais, surtout pas après cet horrible meurtre. Ils ont tué Maître Jacen, Rose... mes parents. Si seulement, j'avais été plus forte. Si seulement, j'avais eu plus de pouvoir que celui que m'octroyais mon rang de lieutenant. J'aurai pu l'empêcher.

J'étais devenue soldat justement pour éviter qu'un jour un tel drame se produise, pour protéger, pour servir la justice. J'étais tellement naïve. Ce n'était qu'une illusion. L'armée de Cydonia ne défend que les intérêts de Cydonia et ceux de ses foutus dirigeants plein d'orgueil et de haine, et avides d'un pouvoir encore plus grand. Une arme destructrice. Voilà ce que j'étais. Rien de plus, rien de moins. J'aurais dû le comprendre bien plus tôt... j'aurais dû le comprendre après la traque de Kaïlla. Tant d'innocents sont morts pour la lubie d'un seul homme et des petits secrets et intérêts de quelques autres. Ainsi que des hommes qui portaient en eux les mêmes idéaux.
J'essuie rageusement mes larmes d'un revers de manche avant de formuler une requête qui me tient à cœur.

- Aerin, pourras-tu me rendre une faveur s'il-te-plait ? Si tu te rends sur la tombe de Maître Jacen, pourras-tu aller voir une amie de ma part ? Elle doit reposer pas très loin de lui. Cherche Rose Campbel et une fois devant sa tombe, dis-lui que je suis désolée de ne pas avoir la force de venir lui tenir compagnie de temps en temps. Mais qu'un jour j'y parviendrai. Je regrette simplement de ne pouvoir le faire maintenant

Le gamin n'en était plus un et pourtant, il avait plus que jamais l'impression d'être redevenu celui qu'il était en quittant Tamawa et son Temple. Peu doué pour les relations humaines, ce n'était pas réellement nouveau mais également totalement incapable de ne pas laisser échapper ce qu'il pensait à voix haute. Toutes ces années à Muria à ne rien dire, ne rien laisser paraître, tout cela finalement pour quoi si c'était pour craquer dès qu'il se retrouvait en terre connue et familière ? Il chassa ses pensées d'un geste de la tête et ferma son Esprit. C'était une mauvaise habitude que de le laisser en permanence « ouvert » pour capter toutes les émotions ou intentions qui pourraient nuire à Jelenna ou à ses sœurs. Enfin, celui lui servait aussi à prévoir les crises des Sensibles de la famille royale car Eléa et sa petite sœur n'étaient pas les seules à avoir reçues ce précieux don de leur père. A croire que les gênes de Templiers étaient vraiment solides quand on voyait la famille de Jacen et sa propre famille à lui … La graine devait être vigoureuse comme disait l'autre. Quoi qu'il en soit, tout cela importait peu, il devait apprendre à se maîtriser en toutes circonstances, pas seulement dans la fière patrie des Amazones. Ce n'était pas parce qu'il était « chez lui » dans la cité neutre qu'il ne devait pas rester sur ses gardes …

Fort heureusement, Elyncia était une femme gentille et compréhensive. Sans doutes le fait que sa propre fille ai l'Esprit lui avait-il permis de mieux appréhender et gérer cet étrange don. Bien qu'il ai suivi près de dix ans de formation concernant la maîtrise de ce don naturel, que ce fusse avec sa mère ou au Temple, il se doutait qu'il ne parviendrait jamais vraiment à en saisir tout le contenu. En fait, il doutait même que l'on puisse le faire un jour. Jacen, Celyween, Jiven et tous les anciens de leur époque mis à part sans doutes. Il sourit cependant à son interlocutrice pour la remercier et n'ajouta rien. Des mauvais souvenirs, tout le monde avait son lot, il était le premier à le savoir. De perte en perte, ses cauchemars étaient hantés par les morts et la compagnie des vivants ne suffisait pas toujours à apaiser ses souffrances. Le visage pâle et mortuaire de sa mère n'était qu'un vague souvenir mais il lui arrivait encore de pleurer son départ précipité, cette image venant alors le hanter. Heureusement, il préférait se rappeler des morts sous leur meilleur jour, avec leur sourire ou leur expressions bien à eux. Plus encore, il se rendait compte que parfois, les vivants pouvaient lui manquer bien plus que sa mère, Jade, Jacen ou même sa louve. Thémis, Aréa, Jiven, tous lui manquaient cruellement malgré leur proximité. Elyncia reprit la parole et le tira par conséquent de ses pensées.

« Ma mère disait qu'il ne fallait pas pleurer les morts, juste vivre en attendant de les rejoindre. On ne peut rien faire pour eux sous terre. Je crois qu'elle avait raison, je ne peux plus rien pour elle, si ce n'est vivre la vie qu'elle aurait voulu pour moi. Ce sera notre tour un jour ou l'autre de toute façon. »

Pour lui, cela aurait pu être bien plus tôt que prévu s'il avait suivi ses instincts destructeurs. Fort heureusement, de nombreuses personnes lui avaient tendu la main durant sa jeunesse. Certaines lui avaient mis de bonnes claques dans la figure, comme sa bien estimée Jillian, Meneuse de la Troupe de saltimbanques, d'autres, plus patientes, s'étaient immiscées dans son cœur pour le soutenir et finalement aujourd'hui, c'était grâce à tout ce petit monde qu'il pouvait philosopher ainsi. Il aurait tout le temps de mourir le moment venu, en attendant, il fallait vivre, même si c'était dur et surtout, même si parfois ça faisait mal.

« Les dernières batailles ont fait perdre beaucoup à certains, c'est un fait, tu n'as pas à t'excuser. »

Qui y avait-il de mal à dire cela ? La bataille pour reprendre le Temple avait coûté la vie à tellement d'âmes innocentes et plus encore, elle avait détourné de leur chemin originel tant de jeunes gens. La guerre était le mal de ce pays, la terre semblait nourrie par le sang des héros plus que nul part ailleurs en ce bas monde. Sans plus ouvrir la bouche, Aerin écouta avec attention ce que la jeune femme lui répondait au sujet d'Asuka. Qu'elle soit devenue Templière ne l'étonnait pas vraiment, surtout si elle avait été prise sous les ailes protectrices d'Iréa. Le corps diplomatique, c'était bien, au moins, elle serait protégée en cas de combat direct car le corps diplomatique ne participait que rarement aux combats. C'était certes étrange, mais l'Almer s'en sentait soulagé pour la mère d'Asuka. Il apprit avec tristesse que les deux parents s'étaient séparés mais il n'osa pas dire grand chose sur le sujet. Il ne connaissait au final que peu Asuka et il espérait juste qu'elle aille bien. Lorsque sa propre mère était partie, cela avait été très difficile pour sa sœur aînée mais le métisse n'en avait finalement que peu de souvenirs … Il imaginait cependant très bien la situation, pour l'avoir vécue en sens inverse des années plus tard.

« Je suis sur qu'elle doit être un excellent diplomate ! N'entre pas qui veut dans ce corps. »

Le compliment était réel dans l'esprit du garçon. Le corps diplomatique était le plus ancien et le plus prestigieux du Temple. Après tout, l'Ordre même avait été fondé dans ce but, maintenir la paix sans user de violence. L'Elfe regretta aussitôt question au sujet de Cydonia, il vit les larmes rouler sur les longs de son interlocutrice et se sentit coupable. Pour autant, il ne parvenait pas à trouver les mots. Il écouta Elyncia et sentit à son tour l'émotion qui l’étreignait bloquer sa gorge. Il refoula tant bien que mal cette émotion et répondit avec tout le calme dont il était capable.

« Maître Jacen me manque. Il était mon parrain, il m'a sauvé de la folie en m'emmenant après la mort de ma mère et il m'a ramené à mon père. Cette foutue guerre n'a été qu'un gâchis. Liam Clari payera pour ses crimes. » Aerin prit conscience de ce qu'il disait et de l'état de la jeune femme et reprit plus doucement « Je suis désolé, je ne voulais pas te blesser, en réalité, je pensais que tu vivais encore là-bas et j'espérais égoïstement rapporter des nouvelles de la cité à Thémis. Mais tu sais, personne n'aurait pu empêcher cela, Jelenna a raison sur ce point, je pense que personne n'aurait pu prévoir le geste de Liam ce jour-là et nous avons tous été responsables de cette guerre inutile, d'une façon ou d'une autre. »

Les guerres n'arrivaient jamais seules. Ils étaient tous responsables et avaient tous payés le prix de leur faiblesse. Storghein avait perdu son Oblat, non à cause de la bataille, mais du fait du cœur pourri de certains hommes, Muria sa Reine, le Temple son co-directeur, Cydonia son honneur et Silmarie, la raison de sa Grande Prêtresse même si beaucoup l'ignoraient encore. Eloween avait beaucoup changé après cette bataille, comme si la mort lui avait fait perdre les pédales sur la réalité. Seul Thétis s'en était bien sorti et avait offert aux Almers une cité toute neuve.

« Nous sommes tous responsables, tu n'as pas à t'en vouloir. Les regrets pourrissent nos âmes et nous rendent mauvais. »

C'était plus ou moins ce que Jelenna avait dit à sa sœur aînée quand elle était partie pour sa quête de vengeance. Les événements lui avaient donné raison. Il se tut, n'osant même pas demander qui était Rose. Il n'avait pas besoin de l'Esprit pour sentir que la soldate était éperdument triste. Aerin se sentait tellement coupable qu'il préférait sagement taire ses questions. La requête de la jeune femme le surprit totalement. Il bascula son poids maladroitement d'un pied sur l'autre, ne sachant pas comment réagir. Il s'agissait là quelque part d'une grande preuve de confiance que la Cydienne lui offrait. Devait-il exaucer son souhait ? Il hésita mais, en croisant le regard de son interlocutrice, le métisse ne put s'empêcher de répondre d'un ton posé et doux :

« Rose Campbel … Je ne sais pas si elle acceptera ma présence à ses côtés mais je le lui dirais. Je te le promets. » il marqua une pause et, d'une voix douce, continua « Qui était-elle ? »

C'est drôle l'impression que le sang-mêlé donne. Bien qu'il soit plus jeune que moi, il semble porter en lui les lourds fardeaux qui viennent avec les ans, si bien qu'il en parait plus vieux qu'il ne l'est... ou bien est-ce simplement parce que les mots qu'il emploi me semblent frôler un semblant de réalité.
Liam Clari... plus j'y pense et plus je me dis que les Clari ont le goût de l'ambition, mais qu'aucun n'avait eu la même lâcheté que cet enfoiré. Puisse-t-il un jour se balancer accroché à un gibet. Je n'ai jamais été une adepte des pendaisons, mais pour celle-ci, je payerai cher ma place aux premières loges si elle doit un jour avoir lieu. Comme l'a si bien dit le jeune homme, les regrets pourrissent nos âmes et nous rendent mauvais. Sans-doute suis-je devenue suffisamment mauvaise pour lui donner moi-même cette mort que je ne regretterai pas, elle. Mais je sais bien que cela ne sera sans-doute jamais à ma portée.

Il existe des hommes à honnir, d'autres à respecter. Aerin fait sans aucuns doutes partie de la deuxième catégorie. Je suis soulagée de l'entendre dire qu'il accède à ma requête, bien que ce soit d'une manière bien modeste. Je lui répond alors :

- Oh ne t'en fais pas ! Je suis sûr qu'elle acceptera ta compagnie. C'est une enfant bien sociable, toujours ravie de faire de nouvelles rencontres.

Je ne peux m'empêcher de sourire en repensant à son intégration dans le corps de la cinquième division de lanciers. Elle avait fait sa place à une vitesse hallucinante et son sourire ravageur avait été mon pire cauchemar lors des entrainement, déconcentrant la plupart de mes jeunes - ou mes plus lubriques - soldats. Émergeant de mes souvenirs, je continue :

- Lors de notre première rencontre, elle n'était encore qu'une jeune paysanne. Elle avait été capturée par un groupe de brigands. Avec Kyle, nous sommes venus à son secours. Je l'ai apparemment impressionné ce jour-là et elle a décider d'apprendre à se battre quelques mois plus tard. Elle s'est débrouillée pour devenir mercenaire e, apprenant auprès d'un maître d'armes. Une deuxième rencontre se déroula cinq ans après la première. Elle me reconnut alors que je parcourais les rues d'Erathia, enquêtant sur un des contacts d'une déserteuse - ma cousine en fait - qu'on m'avait chargée de traquer. Enfin bref. On a discuté un peu et elle nous a aider dans nôtre enquête. Elle a ensuite décidé de s'enrôler dans l'armée de Cydonia et elle a été placée sous mes ordres.

En me remémorant le périple que nous avions vécu, elle, les Traqueurs et moi, je me rend compte que le temps a filé. C'était il y avait plus de dix ans déjà. La traîtrise de Lloyd, la rencontre avec Marcia, l'élimination des membres de Sombre Présage, la folie de Wheatley, la fuite de Kaïla et le meurtre des parents d'Asuka... tant de souvenirs, certains joyeux, d'autres bien malheureux comme l'est la fin de mon récit :

- Lors de la bataille pour reprendre le Temple, elle m'a soutenue lorsque Liam Clari a mis son plan à exécution et que je n'ai pas voulu obéir aux ordres. Ce n'était pas pour ses plans pernicieux que je me battais ce jour-là, mais pour rendre le Temple aux Templiers et protéger le futur d'Asuka. Jamais je n'aurai permis aux Zélotes de l'incorporer. Je savais ce que cela signifiait que de désobéir aux ordres mais j'avais le soutiens de nombreux de mes propres hommes. Je crois que nous avons presque tous été exterminés par nos propre compagnons d'armes. Si Rose ne s'était pas placer entre moi et le coup qui m'était destiné, je pense que j'aurais enterrée là-bas, avec les autres.

Je pointe du doigt le cimetière en prononçant cette dernière phrase.

- Je me sens tributaire de leur sacrifice mais en même temps, je ne sais pas vraiment si je le mérite. Je ne suis pas quelqu'un d'exceptionnel. J'étais juste un soldat, un lieutenant comme l'armée en avait tant d'autres. Je ne sais pourquoi beaucoup ont décidé de me suivre, et de mourir. A moins que cette cause les touchaient plus qu'ils ne le laissaient paraître. Je connaissais beaucoup d'entre eux, je connaissais leurs motivations. Pour beaucoup, c'était pour la fierté de leur patrie... alors pourquoi l'avoir trahie ?

Le jeune homme avait fait du chemin depuis la mort de sa mère, la disparition de son parrain et le départ de sa sœur aînée. En quelques années, il avait changé du tout au tout même si son âme demeurait la même comme se prêtait à lui dire Jelenna quelques fois. Il aimait se l'entendre dire car cela le rassurait. Malgré les chemins sinueux qu'il empruntait parfois, il n'avait pas changé, au fond de lui demeurait toujours le même petit garçon insoucieux, heureux de vivre et prêt à tout pour ceux qui lui étaient chers. Il espérait que cela ne changerait jamais, que toute sa vie durant, il aurait la joie de pouvoir ressentir ce calme et cette plénitude pour chasser au loin les douleurs du passé. Les temps étaient particulièrement durs mais les épreuves avaient su forger son caractère. L'amour également ainsi que la loyauté et la fidélité qui le caractérisaient depuis ces dernières années. Il n'était plus l'enfant d'hier mais il savait également qu'il n'était pas encore tout à fait l'homme de demain. Il lui restait un long chemin à faire et les enseignements de maître Jacen lui manquaient parfois. Il n'avait jamais été spécialement réfléchi mais à chaque fois qu'il pensait au Cydien, il était obligé de se sentir envahi de tristesse et de « sagesse ». Cette sagesse qui n'était pas la sienne mais celle du défunt. Ses enseignements perduraient malgré sa disparition et il se prêtait même à les transmettre à ses filles lorsqu'elles tentaient d'apprivoiser leurs peurs et leurs doutes. D'ailleurs, son fils ne manquait pas de lui rappeler un savant mélange entre le Templier et la Reine Amazone sur ce point.

Il a grandi certes mais Aerin reste l'enfant du passé, celui qui s'inquiète pour son prochain autant qu'il le ferait de son voisin. Il a beau regarder cette jeune femme sourire, il ne voit en elle qu'une profonde tristesse que ses traits tentent de cacher. Sans doutes ceux qui ont souffert sont-ils capables de reconnaître les mêmes stigmates qui les hantent chez les autres. Peu importe, le gamin savait qu'Elyncia n'était pas aussi heureuse qu'elle voulait bien le lui montrer. Le métisse sourit pourtant à la remarque de l'ancienne soldate. Il est quelque part réconforté de savoir que son amie ne lui en voudra pas de lui rendre visite. Aerin doit bien l'avouer, il est curieux de la « rencontrer ». Ce n'est pas du voyeurisme, mais il tient à rendre hommage à cette personne qui est si importante aux yeux de son interlocutrice. Elyncia tient visiblement beaucoup à cette défunte et il ne saurait dire pourquoi, cela le pousse à vouloir en apprendre plus sur elle. Pour autant, il n'ose pas poser de nouvelles questions, de peur de blesser ou de briser quelque chose chez la Cydienne. Le gardien a appris depuis longtemps qu'il faut laisser les gens s'ouvrir d'eux mêmes sans quoi, plus de mal leur est fait que de bien. Se libérer par soi même est parfois tellement plus salvateur …

Le terme « paysanne » ne manqua pas de le faire sourire. S'il aurait pu être péjoratif dans la bouche de n'importe qui d'autre, il sentait une vague de tendresse dans les propos tenus par la jeune femme. Le pseudo de Kyle ne lui était pas inconnu, il lui était arrivé de voir cet ancien Templier -s'il s'agissait bien de lui – chez les Clari lorsqu'il y séjournait. Cependant, il n'avait que peu de souvenirs de lui et n'était pas capable par exemple d'y associer un visage. De plus, il pouvait très bien se tromper, le prénom n'était pas si extra-ordinaire. L'histoire était peu banale, qu'une simple paysanne ait pu se retrouver enrôlée dans l'armée de Cydonia avait de quoi en impressionner plus d'un, lui le premier. Il ne connaissait pas ce bout de femme mais il aurait aimé la rencontrer. La fin en revanche était tragique, comme la plupart des histoires de ce type. Il connaissait le dénouement mais ne s'attendait pas à tant d'héroïsme. Qui était le véritable traître dans toute cette histoire ? Celle qui n'avait pas voulu verser le sang des innocents ou celui que son ambition dévorante avait poussé à commettre les pires crimes ? Liam Clari était pendable, il méritait de mourir mais pourtant, c'était bel et bien Rose qui reposait dans ce cimetière … aux côtés de Jacen. Aux côtés de Celyween. Aux côtés de tous ces inconnus que le temps effaçait des mémoires des vivants. Combien de morts faudrait-il pour que cela cesse ? Une bouffée de colère lui nouait l'estomac et pourtant, il ne parvenait pas à trouver les mots.

« Le seul véritable traître est Clari. Il a poussé ses soldats à choisir entre la trahison et le meurtre. S'il avait éprouvé ne serait-ce qu'une parcelle de votre fierté, jamais tout cela ne serait arriver. Ils n'ont pas trahi leur patrie, c'est leur patrie qui les as trahie tu ne crois pas ? » il se tut avant de reprendre« Ils ont choisi la liberté et l'honneur, j'aurais fait pareil. Je serais fier d'aller sur la tombe de Rose parce qu'elle est tombée pour une cause bien plus juste que celle pour lesquelles nous nous sommes battus ce jour-là. »

Il pensait sincèrement ce qu'il disait. Son cœur était serré par l'émotion et il se demandait avec quel poids Elyncia avait pu vivre toutes ces années durant. Il observa la jeune femme et ne put que s'en sentir d'autant plus troublé. Il sentait qu'elle avait vécu avec ces regrets et ces remords toutes ces années durant. Il sentait également que Rose était quelqu'un de très important pour elle mais plus encore, il sentait qu'elle avait vécu en se demandant pourquoi elle et pas eux. Ce sentiment, le métisse le connaissait bien, il l'avait supporté des années durant avant de pouvoir vivre avec. Doucement, lentement, il ne put s'empêcher de prendre la jeune femme dans ses bras. Non comme un amant ou autre, mais comme un ami, comme quelqu'un qui « sait » et qui « comprend ».

« Et si tu m'accompagnais ? Rose serait sûrement rassurée de te savoir en bonne santé et vous avez certainement beaucoup de choses à vous dire … Enfin, quand tu seras prête. »

Il était maladroit mais il voulait tellement bien faire. C'était sa nature d'aider les autres, encore plus ceux qui lui ressemblaient. Peut être qu'au fond, c'était ça son destin, qu'il avait enfin trouvé sa propre voie. Quoi qu'il en soit, il la relâcha en douceur et n'ajouta plus rien, conscient qu'il en avait peut être trop fait ou trop dit, conscient qu'il venait de lui proposer une aide dont elle n'avait peut être pas envie … L'ambiance était devenue vraiment étrange entre eux. Elle l'était toujours chez ceux qui partageaient leur douleur, encore plus lorsqu'ils avaient tant de choses en commun.

Ses mots sonnent si justes, si vrais. Je sais au fond de moi que la cause que j’ai embrassée ce jour –là était juste, que le mal ne résidait pas dans le fait de désobéir aux ordres mais bien dans le cœur de celui qui les donnait. Néanmoins je m’étais toujours senti seule et incomprise ; jusqu’à maintenant.
C’est sans doute ce genre de mots qu’il me faut pour retrouver une raison de me battre. Oui Liam Clari… il me le payera cher, tout comme ceux qui ont fait du mal à ma famille. Mon cœur devient plus léger, et je sens les regrets s’envoler, pour disparaitre dans l’infini du ciel, même si la gorge me serre.
Je souhaite lui répondre mais je n’en ai pas le temps, sentant ses bras s’enrouler autour de moi. Je me raidis alors le temps que sa sollicitude m’apaise, me détende. Puis il me propose de l’accompagner sur la tombe de Rose. Seulement, je ne peux pas ; pas encore.
Même après tant d’année, la douleur est toujours là, vive, comme si le temps s’était arrêté ce jour-là, m’empêchant de mener mon deuil. Non… je ne peux le mener tant que ce fumier vit encore. Salir leur honneur, mon honneur. Je le tuerai de mes propres mains afin de me débarrasser de cette honte qui nous accable, moi et mes anciens compagnons, qui ne cesse de revenir me hanter la nuit, spectre d’une journée plongée dans les larmes et le sang.

- Merci Aerin. Mais ce n’est pas encore le moment… Il y a des choses qui doivent-être faites avant.

Il relâche son étreinte et dans son regard, je continue de voir cette terrible empathie. Non ; j’y voyais aussi un souvenir. Son regard me rappelle celui de Jarod quelques jours après la mort de mon frère. Ce n’était pas de la pitié, ni même de la tristesse. C’était de la compassion dans sa plus pure essence. Jamais je n’oublierai ce regard.

- Pouvons-nous marcher un peu ? Mes jambes commencent à s’engourdir.

Sans-même attendre de réponse, je commence à marcher en direction du Temple. Une de mes mauvaises habitudes héritées de mes années de commandement sans doute, des habitudes que je dois perdre.
Nous échangeons quelques banalités mais en réalité, une question me brûle les lèvres. Je ne sais pas quelle réaction peut avoir le jeune homme. Je me demande si la fougue de la jeunesse a déjà fait brûler l’envie de vengeance dans son cœur, ou si son honnêteté l’en empêchait. Un dilemme, mon dilemme.
Serai-je capable de tuer Liam Clari ? Serai-je seulement capable de tuer à nouveau ?

- Aerin. Si tu avais la possibilité de le tuer, le ferais-tu ?

[HRP : désolé pour le temps monstrueux que j'ai mis à répondre. Grosse grosse panne d'inspiration. D'ailleurs je ne suis toujours pas très inspiré *sifflote*)]

Cette maladresse maladive ne datait pas d'hier et pourtant, Aerin s'en serait bien passé. Plus il regardait son interlocutrice, plus il avait l'impression de marcher sur des œufs et de tout faire à l'envers. Ne lui avait-elle pas dit ne pas être prête pour revoir Rose ? Ne venait-elle pas de lui confier de lourds secrets ou à tout le moins, des souvenirs plus que douloureux ? Il ne savait pas vraiment si elle prendrait mal ce qu'il venait de lui proposer mais une voix lui soufflait au fond de sa tête qu'il avait bien fait de le lui proposer. Combien de temps avait-il mis à accepter la mort de sa propre mère ? De longs mois, plus exactement, de longues années mais se rendre sur sa tombe avait donné un sens à la réalité. Lorsqu'il avait vu la pierre, le dernier endroit où reposerait à jamais sa mère, il avait compris que Celyween était partie et que, malgré ses suppliques, malgré ses pleurs, elle ne reviendrait pas. « Rien ne serait plus jamais pareil », tels étaient les mots que Jacen avait choisi en ce temps-là pour le confronter à la réalité mais Celyween vivrait toujours dans son cœur, dans sa mémoire et dans chacun de ses actes. Comme beaucoup de ceux qu'il avait rencontré par la suite, Jacen l'avait sauvé et son souvenir continuait de le faire de nombreuses fois. C'était en grande partie pour cela qu'il était allé vivre avec Jelenna dans la cité Amazone, parce qu'il savait que perdre quelqu'un de si proche était une étape difficile qui blesserait à jamais la petite princesse. Seule, elle se serait perdue dans les ténèbres et n'aurait jamais été capable de recouvrer la lumière.

La mort était un processus, un long chemin vers le pardon, vers la vie. Il l'avait appris à son plus grand désespoir lorsque sa mère s'en était allée, plus encore lorsque Jacen l'avait lui aussi quitté. Avec la disparition d'Eléa, le jeune métisse savait sa bien-aimée fragile. Quand il était adolescent, rien ne l'avait préparé à la séparation brutale d'avec sa mère et à ce sentiment d'injustice, d'impuissance et de colère. Il en avait voulu à la terre entière, y compris à la Templière et il lui avait fallu du temps pour s'apaiser. Du temps et de l'aide. On ne pouvait faire son deuil seul, c'était ce qu'il avait retenu de cette expérience. Les personnes qui partaient laissaient une marque indélébile dans le cœur de ceux qui les aimaient ou les avaient connues. Il n'était pas seul à porter sa croix et il devait apprendre à partager sa souffrance et son chagrin. C'était comme ça qu'il s'en était sorti et comme ça qu'il avait appris à mettre un pied devant l'autre.

La voix de son interlocutrice le fit revenir à la réalité. Fort heureusement, elle ne prenait pas mal ce qu'il venait de lui dire, au contraire, elle l'en remercia. Sans savoir réellement pourquoi, cela fit chaud au cœur de l'Almer.

« Je comprends, je serais là si tu as besoin ce jour-là. »

Il n'avait pas à savoir ce qui devait être réglé avant, tout ce qui importait était qu'elle se sente prête le moment venu. On ne pouvait forcer les autres à faire face à leurs propres réalités, ils devaient entamer le processus seuls. Avec un sourire, le fils de Jiven accepta de marcher un peu. Bien qu'il ai souhaité se rendre au cimetière, il se décida à la suivre sans un mot, attendant qu'elle reprenne la conversation là où elle le souhaiterait.

La question surprit le Gardien mais il prit le temps de la réflexion. S'il avait la possibilité de le tuer, il enfoncerait une flèche en plein milieu de son front, le ferait souffrir milles morts pour le mal qu'il avait fait à sa propre cousine comme aux parents de Jelenna et à la cité Amazone toute entière. Il sentit la colère monter en lui mais la repoussa non sans mal. C'était à cause de cette pourriture que Jelenna pleurait la nuit, qu'elle et sa fratrie ne connaîtraient plus jamais l'étreinte d'une mère ou d'un père. A cause de lui encore qu'Eléa pourrissait dans une cellule du Joyau. A cause de lui que Thémis attendait, prisonnière des murs d'une cité qui serait peut être son tombeau … et que ses précieux enfants, Erys et Elios, l'attendaient à la maison, grandissant sans elle. Et pourtant, avait-il le droit de prendre une vie ? Liam Clari était le mal, s'il l'avait en face de lui, il n'hésiterait pas une seule seconde à le tuer mais maintenant qu'elle lui posait la question, il commençait à douter. Pas de pouvoir le tuer, mais de la justesse de ce geste. Y aurait-il une justice s'il le tuait ?

« La première fois que j'ai tué un homme, il n'en était pas vraiment un, mais il menaçait ma princesse. Je n'ai pas hésité une seule seconde car pour moi, il s'agissait de protéger quelqu'un que j'aimais. Si tu m'avais posé la question il y a quelques jours encore, sans doutes aurais-je répondu que je le tuerais. Sans hésiter, je crois d'ailleurs qu'une voix au fond de moi m'y incitera toujours … mais je pense que ce serait une erreur. », il marqua une pause, comme pour se convaincre lui-même et poursuivit, « Quelle justice y aurait-il à le tuer ? Cela ramènerait-il pour autant les morts à la vie ? Je crois que ce serait une vengeance et si je suis tenté, je ne suis pas sur qu'elle me revienne. Il doit être puni, et exécuté, mais pas par moi. S'il était en face de moi, je n'aurais qu'une envie, le tuer, mais je devrais le donner à la justice. Les Amazones le méritent, tout comme sa cousine. »

Il y avait de la colère dans ses propos mais il était convaincu que c'était la réponse. Il savait que c'était le choix de la sagesse, que la mort pure et simple de Liam Clari n'apporterait rien de bond, une simple vengeance tout au plus. Qui s'en souviendrait dans dix ans ? Personne. Une exécution après un juste procès laisserait des traces indélébiles et serait beaucoup plus efficaces. Personne ne pourrait le défendre pour les crimes qu'il avait commis, ils étaient trop visibles et bien trop nombreux. La justice était la réponse, il devait s'en persuader.

« J'ai refusé d'être Templier, et voilà que je me rallie à leur vision … Jelenna déteint vraiment sur moi ! Quoi qu'il en soit, s'il venait à mourir ainsi, que deviendraient Eléa et Thémis Clari ? Elles seraient livrées à la hargne populaire. Peut être que si elles n'étaient pas là, je tuerais cet enfoiré sans hésiter mais je crois aussi que je devrais vivre toute ma vie avec le regard de sa fille et de sa femme. »

Il n'avait vu la fille de Liam Clari qu'une seule fois, peut être deux, mais il n'avait pas envie de lui infliger ce que la famille Ryran avait subi. Elles ne méritaient pas ça. En tuant Liam, Eléa et Thémis seraient exécutées à leur tour au nom d'idéaux stupides. La petite grandirait sans père et les enfants de Thémis sans leur mère. La cité Amazone serait à nouveau amputée d'une reine … en d'autre terme, il n'en était pas question.

« Je ne jugerais pas celui qui le tuera, car il sera tué tôt ou tard, mais je ferais tout pour protéger ceux qui resteront. » , à nouveau une pause avant de reprendre, « Tu penses pouvoir le tuer ? Si tu en avais l'occasion je veux dire. »

Il n'y avait aucun jugement dans cette question car son choix n'engageait que lui, simplement une question. Car si elle répondait que oui, alors, il devrait agir plus vite. Tuer Liam Clari … il s'agissait là d'un rêve nourrit par beaucoup et qu'il partageait et si certes il se rallierait à la justice prônée par Jelenna, il ferait tout pour amener le Zélote à sa perte. Dès que sa grande soeur serait libérée et que Thémis serait en sécurité, il laisserait faire le destin.

[ J'espère que j'ai fait assez d'ouvertures xD ]

Le regarder réfléchir me donne l'impression d'être un monstre. Évidemment, prendre la vie d'un homme n'est pas quelque chose d'anodin. La mort est irréversible et je suis sans doute l'une des mieux placée pour le savoir. Mais cette vie-ci, que valait-elle ? Qu'elle était la valeur de celle de cet homme qui en emporta beaucoup avec lui ce jour-là ?
Liam Clari n'a fait qu'apporter le chagrin et la guerre ; le manque... A mes yeux, il ne vaut rien de plus qu'une carcasse pourrissant au fond d'une fosse. C'est là ce qu'il mérite, et c'est, du moins je l'espère, le destin qui lui est réservé.

Mais le jeune homme ne semble pas de cet avis. Il me rappelle l'importance des répercussions que son assassinat pourrait provoquer. J'en avais pourtant entendu parler, de tout ce qu'il s'était passé depuis ce jour funèbre. Eléa Riran retenue prisonnière dans les cachots du Joyaux, Thémis Clari retenue à Muria. Un autre bain de sang pourrait couler si Liam venait à mourir. Pourtant, la solution est simple. Sans Eléa sous son emprise, la mort de Liam arrivera vite... par ma main s'il le faut, car même si je partageais les idéaux d'Aerin autrefois, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Il n'y a pas plus de justice en ce monde qu'il n'y a d'elfes sans salades vertes. C'est soit-disant pour la Justice que mes parents ont été exécutés, c'est pour la Justice que je suis l'une des femmes les plus recherchées de Cydonia, et c'est au nom de la Justice qu'ils m'exécuteront s'ils avaient le malheur de m'être la main sur moi. La Justice n'est qu'une Parodie quand elle est entre les mains des politiques. Elle est un outil qui leur permet d'agir pour leur propre profits en dissimulant l'avidité de leurs âmes pourries, cancéreuses. Non, la Justice ne penche que d'un côté de la balance.

" Tu penses pouvoir le tuer ? Si tu en avais l'occasion je veux dire. "

Sa question, bien qu'attendue, ouvre en moi de nouveaux horizons, auxquels je n'ai pas pensé moi-même. C'est comme si elle levait une brume depuis longtemps installée : qui suis-je ? Où vais-je ?
Si je le pouvais ? Oui je le ferai, pour lui, pour ceux qui sont morts injustement, pour elle. Asuka a grandi, et elle sera en sécurité alors rien ne m'empêche de combattre à nouveau, non pas pour une nation, mais pour un concept, un symbole bafoué, entaché du sang de nombreux innocents. Si la Justice n'existe pas, alors je serai la Justice, je me porterai en Némésis et rééquilibrerai un peu la balance.
Mes yeux brillent de cette lueur farouche d'autrefois. Mais elle s'affaiblit déjà, car je sais bien que toute seule, je ne peu pas aller bien loin. Et pourtant, les jalons d'un projet fou se mettent en place, comme si on préparait un échiquier sur lequel on ne jouait pas avec des pièces, mais avec sa vie et celles de ceux qui étaient suffisamment cinglés pour vous suivre, ou suffisamment désespérés.

" Oui. Si Eléa était en sécurité, ainsi que Thémis, que je parvenais à m'introduire dans Cydonia et à rejoindre les appartements de cet enfoiré, je n'hésiterai pas à lui plonger un poignard en plein coeur et laisserai son cadavre se balancer au bout d'une corde, revendiquant ce geste. Qu'importe que les cydiens me détestent. Je ne pense pas qu'il me reste beaucoup d'amis là-bas de toute façon. Et en en prenant l'entière responsabilité, Muria n'en sera pas impacté. Mais je sais aussi que je ne pourrai le faire seule."

Mon regard se tourne en direction des portes de la citée. Ils sont là, quelque part, en cavale eux aussi, j'en suis persuadé. Jarod, Léane, Adrëan, Kashya. Il faut que je les retrouve.

" Aerin... as-tu déjà entendu parler de réfugiés cydiens ? Deux hommes et deux femmes, deux couples. Je les ai perdus de vue après l'exécution de mes parents, il y a huit ans. Deux d'entre eux devaient être exécutés eux aussi mais ils ont disparu, en même temps que les deux autres. J'ai beau cherché, je ne trouve aucune trace d'eux. A part Asuka, ils sont ma seule famille encore en vie. Je dois les retrouver. "

Ma voix s'est brisée sur une pointe de désespoir. Cela fait si longtemps que je les cherche. J'ai vérifier chacun des lieux qui avait de l'importance pour Adrëan, Kashya et Jarod. Léane les aura suivis, j'en suis sûre. Mais rien. Aucune trace.
Cela-dit, ça ne m'étonne guère. Léane est douée pour ce genre de choses. Brouiller les pistes, en créer de nouvelles, disparaitre. Pourtant, il y a forcément un indice pour moi, quelque part.
Il réfléchit encore. Ça se voit. Je me met alors à sourire tristement. Quelque chose en lui me rend nostalgique. Peut-être y vois-je un écho d'une jeune femme tout juste sortie de l'école militaire, faisant la fierté de son père. Je sais pourtant que ce n'est pas le cas. Aerin n'a pas arpenté le même chemin, et pourtant, nos routes se rejoignent, indubitablement, pavées de cette force de ceux qui souhaitent un monde meilleur, mais aussi pavées de souffrance et de doute. Finalement, je ne suis pas si seule.

" Je t'en demande déjà beaucoup Aerin mais... m'aideras-tu à prendre sa vie si je te promets de tout faire pour libérer Eléa ? Je comprendrai si tu refuses de m'aider. Tout ce que je te demande si tu refuses, c'est de garder le silence. "

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