Jâani frotta sa tête contre l'épaule de Lilith qui finissait de la brosser après une promenade dans Muria. Après le dernier voyage fort éprouvant l'Amazone avait profité d'une tranquille routine dans la cité cachée, si tant est que l'emploi de capitaine des sentinelles archères puisse avoir une routine tranquille. Tout du moins était-elle aisée lorsque personne ne s'aventurait dans la forêt et le quotidien était souvent marqué de séance d'entrainement et de simulation pour garder l'attention et les réflexe des gardiennes de Muria actives. Il était hors de question qu'un ennemi un peu dangereux parvienne à s'infiltrer parce que les sentinelles ne savaient plus réagir à l'imprévu. Lilith se maintenait en bonne vigilance grâce à ses excursions or de la cité et refusait de permettre à ses archères de se laisser aller à la sur-confiance.

Elle acheva les soins de son amie pour une petite friandise sous la forme d'un morceau de carotte et rit de sa joie. La jument n'était plus très jeune, mais elle avait encore une bonne vivacité. À ce moment Jillian débarqua dans l'écurie pour se jeter sur sa mère et lui enlacer la taille. L'Amazone sourit à son bonhomme de fils et lui caressa les cheveux.

« Je suis trop content de te revoir ! Dis, on peut aller voir le combat des gladiateurs ? »

Le garçonnet avait appris à manier un arc et se débrouillait très bien pour son âge, il faisait la fierté de sa mère. Ce qui rendait encore plus douloureux l'idée qu'un jour il faudrait qu'il quitte la cité cachée s'il voulait s'épanouir pleinement. À Muria, vivre libre pour un homme n'était pas évident et les cas étaient rares d'hommes non soumis dans l'enceinte de la cité. Malgré tout l'idée de dire au revoir à son garçon lui faisait mal, mais elle ne parvenait pas encore à se décider à quitter les Amazones.

Lilith réfléchit à sa demande, elle n'était pas sûre de vouloir emmener son fils aux combats des gladiateurs, d'autant que c'était l'une des rares occasions pour lui de voir des hommes et elle ne voulait pas qu'il les assimile à des simples combattants. Cela dit elle en faisait peut-être trop d'idées.

« D'accord, mais tu ne râleras pas si je te dis qu'on part avant la fin. »

Jillian promit et Lilith prit un moment pour sa petite chérie avant de la confier à une sœur et de partir pour l'Arène. Le garçon courait sur le chemin et disait bonjour avec plein de fougue aux femmes qu'il croisait, poli et il savait même comment parler pour charmer celles qui craquaient pour sa petite bouille d'ange.

En s'installant dans les gradins, Lilith espéra qu'on n'ait pas besoin d'elle, car elle devrait y retourner tout de suite et pour l'heure, elle voulait être avec son garçon. L'annonce du premier combat s'éleva sous les acclamations aigües de la foule. Jillian leva la tête vers sa mère tout excité et reporta son attention sur l'arène. Lilith l'enserra de ses bras et attendit le spectacle en espérant avoir affaire à de vrais gladiateurs et non pas juste un soumis envoyé dans l'arène alors qu'il n'en avait pas les compétences. C'était inhumain et peu toléré des autorités de la cité. Même en l'absence d'Eléa il ne fallait pas laisser la qualité de vie de Muria se dégrader. Un elfe entra dans l'arène provoquant une petite agitation des gardes qui n'échappa pas au regard perçant de la Sentinelle.

Jillian trépignait littéralement sur le banc en attendant le début de l'affrontement. Plus calme, Lilith lui posa la main sur l'épaule et lui sourit tendrement pour l'apaiser un peu, histoire qu'il ne s'excite pas trop. S'il était déjà dans cet état dès le début, comment serait-il suite à un combat plus brulant ? Elle reporta son attention sur les gladiateurs. L'elfe qui avait suscité un peu d'agitation chez les gardes avait opté pour un arc en guise d'armes. Ce choix était peu commun pour un corps-à-corps dans une arène, surtout quand les Amazones encourageaient l'absence de mort dans les combats, privilégiant la technique et la bravoure au massacre. Or avec un arc il était difficile de vaincre son adversaire sans le blesser gravement ou le tuer, à moins d'être un archer confirmé comme Lilith et encore, elle-même ne se leurrait pas sur ses talents à forcer son opposant à cesser le combat sans lui planter une flèche dans un endroit stratégique comme une articulation.

Elle regardait l'arène avec intérêt afin de voir comment l'elfe allai s'en sortir. Comme attendu, son adversaire chercha à entrer au contact. *Allons elfe archer, comment feras-tu pour l'emporter en te contentant d'esquiver.* se demandait Lilith moyennement impressionnée pour l'heure, aucun des deux gladiateurs n'agissant de manière très originale. L'un et l'autre pouvaient être de talentueux combattants comme des bouffons maladroits, seule l'évolution du combat déterminera la vérité. En tout cas le spectacle plaisait beaucoup à Jillian qui ne cessait de solliciter sa mère en commentant. S'il s'amusait, c'était le principal.

Si le combat qui se déroulait dans l'arène n'atteignait pas des sommets de bravoure, de vaillance et d'épique, il avait le mérite de ne pas être totalement ridicule ou brutal. De toute évidence l'elfe avait décidé de ne pas combattre dans les normes, si tant est qu'un combat pouvait avoir des normes. En choisissant l'arc il avait opté pour un affrontement fondé sur l'agilité. Cette tactique laissait le petit Jillian si perplexe qu'il demanda :

« Dis maman, pourquoi il passe son temps à éviter l'autre l'elfe ? »

« Soit que c'est un gladiateur original et sûr de lui, soit qu'il n'est pas un gladiateur du tout et qu'il ne cherche aucune gloire. »

Le garçon était un peu jeune pour comprendre que la valeur d'un gladiateur ne se mesurait pas seulement à sa force apparente et à la puissance de ses coups et ce n'était pas plus mal qu'il voie un exemple différent pour une fois. Même si dans le fond ce n'était pas des plus logiques qu'un homme soit contraint de se battre dans l'arène sans le vouloir, ainsi on s'éloignait des gladiateurs en quête de gloire et de richesse pour se rapprocher de l'exécution ou la torture déguisée. Il faudrait que la Sentinelle en tire deux mots à la nouvelle responsable des soumis…

L'elfe s'en sortit en plantant des flèches dans les genoux de son adversaire… et un soumis immobilisé pour de longs mois, un. Sans compter que de telles blessures guérissaient avec peine. Ah mais, Lilith oubliait les guérisseuses de Muria qui pouvaient soigner de bien graves lésions, sans doute amoindriront-elles celles du gladiateur vaincu. Peut-être Lilith irait-elle faire un tour du côté de l'infirmerie afin d'augmenter la puissance des sorts des guérisseuses pour faciliter leur œuvre de soin.

Un nouveau combattant entrait dans l'arène pour faire face à l'elfe un autre soumis au corps musclé par le labeur et portant un bâton dont les deux extrémités étaient des lames acérées. Lilith était curieuse de voir comment le pseudo archer allait s'en sortir face à ce nouvel adversaire.

L'elfe dut se sentir un peu embarrassé de devoir affronter un deuxième adversaire dans la foulée, avait-il été averti auparavant de la chose ? Sans doute que non, sinon il n'aurait pas choisi une arme qui le désavantageait, en tout cas il lui était impossible de réitérer sa stratégie précédente avec cet adversaire-là. En un sens Lilith était curieuse de savoir ce qu'il allait faire, mais pas plus que son fils qui sautillait sur sa chaise et se redressait pour bien voir le spectacle. Un combat dans l'arène était peut-être encore un peu trop violent pour lui, enfin trop tard, maintenant.

Le combat s'acheva rapidement. Somme toute, il fallait reconnaître à l'elfe qu'il savait réagir face à l'imprévu qu'une arme pointée vers soi apportait toujours. Et le dernier coup n'était pas très élégant, mais fonctionnel… l'archère le garda en mémoire, elle commençait à connaître les hommes, leurs fiertés et leurs faiblesses et sans doute que menacer d'une flèche la partie sensible de leur anatomie serait plus efficace que de viser leur tête. Pathétique en un sens. Ce que l'on appelait la virilité était-il vraiment plus important que la vie ou un bras ? Pas pour l'Amazone. Jillian essaya de la tirer de ses pensées.

« Maman, dis, pourquoi il s'est battu comme ça et pas avec une arme à main ? Hein ? »

Ça, Lilith était bien en peine de le dire, mais visiblement son garçon était très curieux de le savoir, aussi prit-elle la décision de l'amener dans les vestiaires pour qu'il l'interroge directement. D'un autre côté cela permettait à son fils de parler à un homme et celui-là ne paraissait pas trop brute avinée. Restait à voir s'il pouvait apporter un bon exemple à l'enfant. Lilith envisageait de confier Jillian à son frère Galien lorsqu'il serait un peu plus âgé afin qu'il puisse grandir dans un univers mixte. Impossible de penser à le confier à son père, hélas.

La mère et son fils descendirent des gradins pour pénétrer dans les vestiaires, Lilith salua ses sœurs, vit l'arc utilisé et ne put s'empêcher de le prendre et le regarder. L'objet était de facture médiocre et abîmé. Cela l'agaça un peu de voir qu'on permettait à des hommes de se battre avec des armes en états quelconque. Vraiment certaines amazones oubliaient que les combats de gladiateur étaient là pour montrer des prouesses et distraire, non pas pour torturer les soumis. Elle prit une flèche et voyant que l'elfe était encore présent dans le couloir, elle encocha la flèche et tira.

Le trait vola pour se ficher dans l'encadrement de la porte qu'il tentait de passer.

« Voilà comment on se sert d'un arc. »

Commenta-t-elle avec un sourire taquin. Cela dit la flèche avait un peu dévier de sa cible, ce qui n'était pas pour lui plaire. Lilith tendit l'arme à une des garde.

« Cet arc est en mauvais état, il faudra le réparer avant de le prêter de nouveau à un gladiateur. »

Elle se tourna ensuite vers Jillian qui était prit d'un accès de timidité et restait collé à elle alors qu'il avait voulu poser des questions à l'elfe. Lilith se retint de rire et avança vers l'homme en trainant le garçon avec elle.

« Mon fils aurait aimé vous poser quelques questions. Allez vas-y, il ne te mangera pas. »

C'était dingue cette caractéristique typiquement enfantine des enfants exubérants qui se retrouvaient soudainement timides face à des inconnus. De fait l'elfe ne paraissait pas méchant ni même intimidant. Gentiment Lilith poussa le garçon à lâcher sa jambe et poser ses questions.

Ne t'inquiete pas, je ne vais pas te faire de mal. Tu veux me poser des questions ? Alors hésite pas pose les moi et j'y répondrais.

Le gamin jeta un coup d'œil à sa mère pour prendre courage et se gonfla la poitrine. Lilith regardait avec bienveillance son garçon jouer les grand et prendre son courage. Elle apprécia que l'elfe soit affable avec l'enfant. Autour d'eux les amazones allaient et venaient pour accompagner les gladiateurs, soumis ou non sans se soucier d'eux tant qu'ils ne se mettaient pas dans leur passage.

« Pourquoi vous avez pris un arc pour un combat de gladiateur ? Ce n'est pas logique, surtout pour se battre comme vous avez fait. »

Lilith roula des yeux, une fois lancé Jillian pouvait oublier les tournures de phrase et avait tendance à être franc. Ce qui devait être le cas de la plupart des enfants à vrai dire. L'homme eut la gentillesse de lui répondre et de lui expliquer ce qu'il pensait faire pendant le combat. Encouragé Jillian posa d'autres questions, un peu incrédule du genre « Comment ça ? » ou le classique « Mais pourquoi ? » Attendrie par son bonhomme la sentinelle le laissa bavarder tant que l'elfe ne semblait pas agacé.

Une amazone vint la voir.

« Ah Lilith c'est toi ! Je me disais bien que ma magie était un peu plus puissante depuis quelques minutes ! Que fais-tu là ? Oh c'est ton fils ? »

Lilith acquiesça avec un sourire et reporta son attention sur son garçon. Il semblait avoir fini son interrogatoire en bonne et due forme et commençait à demander à l'elfe son nom et pourquoi il était là, sous-entendu en tant que soumis.

« Doucement avec tes questions Jillian, il souhaite peut-être se reposer après le combat, voire même se soigner, non ? »

Puis à l'homme.

« N'hésitez pas à lui dire s'il vous demande trop de choses. Jillian est toujours curieux de tout et surtout des soumis. Ce qui est normal ici à Muria. »

Lilith était contente, somme toute, d'être venu assister aux combats aujourd'hui, si Jillian avait trouvé un soumis aimable et posé pour lui donner une image masculine digne de ce nom elle ne pouvait être que ravie. Elle ne put s'empêcher de rougir un peu du compliment, elle ne savait pas toujours très bien à quoi s'attendre des hommes. Finalement ses exemples masculins étaient réduits : son père, son frère et Ilam. Jillian était aux anges et répondit avec fougue qu'il adorait sa mère. La sentinelle roula des yeux et le prit par les épaules.

« Je pense qu'il est temps de le laisser, d'accord Jillian ? Je vous remercie de votre attention, comment vous appelez-vous ? Moi je suis Lilith. »

Il commençait à être tard et l'amazone voulait passer un peu de temps avec Celes aussi, elle promit à son fils qu'il pourrait aller voir l'elfe s'il était d'accord et s'en fut. Jillian passa le trajet à relater les deux combats auxquels ils avaient assisté en rajoutant à chaque fois des détails sortis de son imagination. Lilith l'écouta avec gentillesse sans lui faire remarquer qu'elle l'avait vu également. Elle songeait tout en cheminant à ce qu'elle devait encore faire… ses journées de libres étaient si vite remplies ! D'abord nourrir ses voraces d'enfants, puis jouer avec sa fille, panser sa jument, s'entrainer à l'arc, vérifier l'état de son garde-manger, aller voir Keyleigh…

Depuis qu'elle était devenue mère, puis avait été promue capitaine des faucons Lilith courait après le temps et elle avait du embaucher une consœur pour l'assister dans les tâches ménagères ainsi que pour garder les enfants. L'amazone repensa au soumis, Irvan. Peut-être le contacterait-elle pour s'occuper de temps en temps de Jillian, s'il l'acceptait. Elle pensait depuis un moment à la possibilité de confier quelques heures son fils à un homme pour qu'il ait un modèle non féminin, or à Muria ce n'était pas simple d'en trouver un correct, la plupart des soumis étant des criminels et les fils d'amazone ne restaient pas souvent dans la cité une fois devenus grands.

[désengagée]