La jeune femme avait à cœur de se rendre sur la tombe de sa mère aussi souvent que le lui permettait son emploi du temps pourtant chargé. Entre ses enfants, son travail à l'hôpital de la ville et ses responsabilités de professeur, Thémis Clari n'avait que peu de temps pour elle. Pour autant, la belle souhaitait de toute son âme rendre visite aussi souvent que possible à sa mère et ce, même si sa tombe était à l'autre bout d'Azthia et qui plus est, dans la cité que tous détestaient le plus au sein du Joyau. La métisse n'avait jamais eu honte de ses origines mélangées et pourtant, lorsqu'elle se rendait sur la dernière demeure de sa défunte mère, la Cydienne se sentait bien plus coupable que lorsqu'elle venait dans la cité des neiges éternelles par le passé pour mettre son grain de sel là où il ne fallait pas. Par vengeance, parce qu'elle voulait que son père lui avoue la vérité et voit en elle autre chose que le fruit d'un amour interdit et bafoué, elle s'était souvent rendue dans cette cité au cœur si froid. Les années et la rencontre avec la Compagnon qui fut jadis la femme qui lui donna la vie lui permirent d'accepter le comportement de son père et leurs relations n'en furent que plus calmes. Anatoli Clari cependant semblait incapable de pardonner à cette femme qui n'avait pas hésité à le trahir pour le quitter ensuite lorsque la supercherie était tombée. Aurait-il souhaité que Kriistina reste à ses côtés ou se sentait-il blessé au plus profond de lui d'avoir donné de l'amour à une parfaite inconnue ? Les années, le silence et la distance n'avaient pas su apaiser le cœur blessé du vieux Cydien et depuis sept ans, il n'avait jamais daigné lui accorder la moindre importance. Le temps était passé si vite en sept ans que Thémis avait parfois du mal à s'en rendre compte et pourtant, Kriistina les avaient quitté, définitivement cette fois, le jour même où elle l'avait revu, comme si elle n'avait attendu que son pardon pour rendre son dernier soupir. La médecin se souvenait encore de la colère et de la rancœur mais également de l'appréhension qui l'avait étreint en entrant dans la chambre de sa mère et pourtant, lorsqu'elle avait croisé le regard de la mourante, la jeune femme avait été incapable de lui en vouloir. Qui était-elle pour juger cette femme ?

De leur rencontre, il n'était ressorti que des larmes et du bonheur. Kriistina était partie en paix, persuadée que sa précieuse enfant et son ancien amant lui avaient pardonné. Si Thémis avait en effet depuis longtemps trouvé la force de tout lui pardonner, lorsqu'elle avait croisé son regard plein d'amour, son père quant à lui n'avait jamais souhaité faire un pas en ce sens. Depuis sept ans par conséquent, elle arpentait seule la route vers Storghein, contre la volonté de son époux qui quant à lui, voyait ce voyage d'un mauvais œil. Thémis s'en amusait souvent même si elle comprenait ses inquiétudes. Fille du Consul, elle risquait sa vie en se rendant dans la cité ennemie et pourtant, elle ne craignait pas de finir prisonnière. Une voix lui soufflait que personne n'oserait lui faire de mal, non de par son nom, mais parce qu'elle n'était pas une Clari dans cette cité. Elle était une Astorg aux cheveux blonds, à la peau claire et aux yeux océan. Rien n'aurait pu prédire que son père lui rende visite peu avant son départ. Etait-il venu à son tour  l'enjoindre de rester à la maison ? Ce que son père lui confia ne fut rien d'autre qu'un sourire triste et quelques mots qui la bouleversèrent, ces mêmes mots qu'elle s'apprêtait maintenant à confier à sa mère.

« Je te pardonne » murmura-t-elle avec un sourire.

Son père était un homme bon, de cela, Thémis n'en avait jamais douté. Toutes ces années, il avait tut sa douleur et mué son chagrin en rancœur puis en haine mais il avait enfin appris à pardonner et peut être pourraient-ils avancer un peu plus encore ensemble sur le chemin de la vie. La jeune femme y croyait dur comme fer désormais. Elle avait confié les mots du Consul au Compagnon et désormais, elle devait rentrer à l'auberge pour retourner auprès de ses enfants. Erys et Elios lui manquaient énormément, même lorsqu'elle ne s’absentait que quelques jours, le temps de déposer une gerbe de fleurs sur la caveau « familial ».  Dans un soupir, l'Astorg regarda la neige recouvrir déjà la rose qu'elle avait déposé cette année à la mémoire de Kriistina et sourit. Elle rabattit la capuche de sa cape rouge dont les contours, noirs, étaient de fourrure naturelle, offrit un dernier regard à la pierre et se détourna d'un pas calme et mesuré. Une fois sortie du triste cimetière, elle emprunta le chemin accidenté et enneigé qui la ramènerait à l'auberge. Que ne fut sa surprise lorsqu'un corps d'enfant heurta le sien, dévalant la pente jusqu'à atterrir littéralement dans ses bras ! L'élémentaire, encore étonnée de cette aventure, regarda la petite tête rousse qui venait de la percuter. De longs cheveux roux, des yeux en amande et un visage de poupée, la petite fille, d'une dizaine d'années tout au plus, semblait bien embêtée, comme si elle regrettait non pas d'être tombée sur une inconnue, mais que cette dernière l'ai ralentie. Intriguée et inquiète qu'elle ne se soit blessée, Thémis lui demanda d'un ton calme qu'elle espérait rassurant :

« Ça va, tu ne t'es pas fait mal ? »

La jeune femme n'avait pas manqué de remarquer que son interlocutrice ne semblait pas vraiment ravie de la suivre, pire encore, qu'elle était plus que récalcitrante à obéir à ses ordres. Pour autant, la métisse ne comptait pas lui laisser le choix. Elle se devait de connaître la vérité, notamment parce qu'elle se sentait responsable de cette enfant après lui avoir sauvé la mise. D'un geste lent, elle attrapa la tasse encore brûlante que l'aubergiste avait eu la gentillesse de leur servir. Comprenant tout à fait la réticence de sa compagne d'infortune, elle sourit avec douceur pour l'encourager à répondre. Les enfants étaient farceurs et s'attiraient bien souvent des ennuis aussi facilement qu'ils enfilaient leurs chaussettes le matin. Thémis savait parfaitement de quoi elle parlait, enfant, elle avait été une véritable teigne et son père avait eu bien du courage de la supporter toutes ces années durant. Entre les bêtises au Monastère, les réprimandes dont elle avait bien gentiment écopée, les entourloupes et les ennuis qu'elle s'était attirée en compagnie de Flynn, la jeune Clari était au fait de tout ce qui pouvait se faire en terme de mauvaises fréquentations et de bêtises. Jeter de l'eau sur le maître du Monastère et son plus brillant élève de l'époque par exemple faisait partie de son palmarès d'adolescente. Elle sourit d'ailleurs en repensant à cet épisode de sa vie. Aurait-elle pu ne serait-ce que se douter de finir un jour sa vie avec Soren lorsqu'elle l'avait arrosé ce jour-là de la tête au pied ? Le jeune homme était furieux, il l'avait poursuivie dans les couloirs en hurlant et, s'il l'avait attrapée, nul doutes qu'il l'aurait sévèrement punie. Fort heureusement, cela n'avait pas été le cas et ce n'était que bien plus tard qu'elle lui avait avoué la vérité sur l'étrange petite fille qui l'avait trempé de la tête au pied devant maître Lymion en personne. Tout le monde était enfant un jour ou l'autre, tout le monde avait fait une bêtise dont il n'était pas fier mais quelque chose soufflait à la dame que cette demoiselle avait l'habitude des mauvais coups. Son regard trahissait un sentiment que la fille du Consul ne connaissait que trop bien pour l'avoir ressenti toute son enfance : le défi. Bien qu'en présence d'une adulte, cette gamine ne pensait surement qu'à une chose, lui fausser compagnie. Si la situation l'amusait, elle n'en montra rien à son interlocutrice. A son âge, elle avait eu la chance de rencontrer maître Lymion qui, dans sa grande sagesse, lui avait appris les limites à ne jamais franchir et le respect envers les aînés. Si Thémis n'avait pas toujours été une élève modèle, elle avait néanmoins toujours respecté le Zélote et éprouvait toujours aujourd'hui le plus grand respect pour le défunt.

Les enfants ne connaissaient jamais vraiment les limites. Bien souvent, ils les apprenaient dans la douleur, lorsque leurs bêtises étaient telles qu'ils ne pouvaient plus s'en défaire. Cette petite fille, aussi maligne et douée soit-elle, ne ferait pas exception si quelqu'un ne lui donnait pas les bonnes clés pour s'en sortir. En général, les enfants n'écoutaient jamais leurs parents, considérant que ce qu'ils avaient à leur apprendre était totalement désuet. Peut être qu'une intervention extérieure aiderait cette petite inconnue à prendre conscience de ses erreurs et à enfin entreprendre le droit chemin ... La médecin ne se faisait cependant pas d'illusion, à son âge, les adultes et leurs remontrances étaient d'un barbant tel que la plupart des gamins continuaient leurs méfaits une fois le dos de ces derniers tourné. Erys et Elios n'échappaient à la règle, bien que le petit garçon soit en général beaucoup plus calme que sa sœur aînée. La petite métisse souffrait de ses origines Astorgs ce qui la poussait aux pires bêtises et les punitions de son père ne suffisaient pas à calmer ses angoisses. Thémis savait à quel point il était difficile de vivre en étant « différente ». Si elle aurait voulu éviter ce fardeau à son enfant, elle savait aujourd'hui que ce n'était pas possible. La petite fille apprendrait comme tout le monde à grandir et à en faire une force. La demoiselle en face d'elle se décida enfin à prendre la parole, tirant l'élémentaire de ses pensées. Avec le sourire, elle accueillit sa présentation avec calme. « Sanna Fribell », nul doutes, c'était bel et bien un prénom nordiques, ce qui fit penser à Thémis que son propre prénom n'avait rien des consonances Astorg et qu'elle aurait sans doutes du prendre celui de sa mère pour tromper la petite et s'éviter des ennuis ... La suite de l'explication de l'enfant la surprit, ainsi, elle n'avait pas cherché les ennuis mais simplement essayé d'aider un de ses amis ?

« Tu as bien fait d'aider ton ami. En revanche, tu n'aurais pas dû utiliser tes dons pour cela, tu aurais pu le blesser gravement et te faire blesser à ton tour. Ton acte était louable mais il faut toujours éviter la violence. »

La Cydienne sourit. Cette petite demoiselle était bien courageuse, c'était le moins qu'elle pouvait dire, cependant, elle ne devait pas apprendre à régler ses conflits dans la violence car la haine attise la vengeance et le sang finit toujours par couler et abreuver la terre. Les conflits étaient la gangrène de ce pays et qui plus est, quelqu'un n'assurerait pas toujours ses arrières. Il fallait néanmoins avouer que l'enfant était plus que courageuse. A bien y réfléchir, qu'avait-elle à tirer de ce malentendu ? Aider son ami, il était certain que c'était une noble cause, mais en dehors de cela, elle devait avoir un grand cœur pour aider quelqu'un sans aucune arrière pensée. Mettre le feu à la tunique de quelqu'un de plus âgé, accompagné de ses amis en prime, cette gamine était la digne jumelle d'Erys ! Sa petite moue attendrit l'Astorg qui ne pouvait s'empêcher de penser que cette enfant lui rappelait autant celle qu'elle avait été un jour que celle qui vivait sous son toit aujourd'hui.

« Je t'accompagnerais, juste au cas où ces mécréants se décideraient à revenir. »

La gamine n'était pas sotte, elle comprendrait facilement qu'il s'agissait là uniquement que d'une excuse pour rencontrer ses parents et leur expliquer l'affaire. Thémis n'aimait pas spécialement l'idée de lui attirer plus d'ennuis encore mais elle préférait tout de même prévenir ces derniers pour s'assurer que leur fille ne risquerait plus rien. Cette petite était bien trop mignonne pour qu'elle la laisse rentrer comme si de rien n'était. Elle n'apprécierait pas en tant que mère que l'on n'en fasse pas de même pour Erys ou Elios. La réflexion suivante de son interlocutrice ne manqua pas de la faire sourire. Cette petite avait du cran et n'avait pas sa langue dans sa poche c'était le moins que l'on pouvait dire !

« N'exagérons rien, j'ai eu de bons professeurs. Oui, je suis élémentaire, l'eau est ce que je maîtrise le mieux. Tu m'as dit avoir brûlé la tunique de ton adversaire, tu dois donc être apprentie toi aussi je me trompe ? »

Avec calme, la jeune femme saisit une tranche de pain qu'elle beurra et sur laquelle elle ajouta de la confiture, une fois ceci fait, elle tendit la tartine à son interlocutrice. Cette gamine lui rappelait bien trop ses enfants, à tout les niveaux.

« Tu serais d'accord de me faire une petite démonstration ? »

[ Je suis vraiment désolée pour le retard, j'ai essayé de faire une réponse rapidement pour ne pas te pénaliser !   ]

Il commençait à se faire tard et la jeune femme craignait que l'enfant ne se fasse disputer plus que de mesure pour ses escapades imprévues. A vrai dire, si elle s'était retrouvée dans une telle situation avec sa propre fille, Thémis aurait certainement remuer ciel et terre pour comprendre le retard de sa fille. Elle aurait ensuite certainement peu apprécié d'apprendre la vérité sur la raison de son retard et enfin, elle aurait sans doutes peu apprécié non plus qu'elle ai accepté l'aide d'une inconnue et but en sa compagnie au risque de se faire enlever. Cela tenait sans doutes à son caractère de mère protectrice plus qu'à autre chose mais quoi qu'il en soit, la jeune femme espérait sincèrement que la petite demoiselle ne se ferait pas trop sévèrement punir. Il était important qu'elle comprenne son erreur et qu'elle évite à l'avenir de s'attirer des ennuis avec plus fort qu'elle mais pour autant, il fallait savoir se montrer mesuré avec les enfants. Choisir la juste punition entre celle qui vous ferait détester à coup sûr et celle qui vous assurerait qu'ils aient compris la leçon. Etre parent était sans doutes le pire métier du monde mais également le plus merveilleux. Cette pensée lui tira un sourire tandis qu'elle se hâtait de demander l'adresse de son domicile parental à l'enfant.

Tandis que les deux compagnes sortaient de l'auberge après avoir récupéré leurs affaires respectives, Thémis se dirigea vers le comptoir pour payer l'addition et proposa de se rendre à la boulangerie la plus proche pour réparer les dégâts fait à la miche de pain malheureuse de Sanna. L'Astorg semblait attristée et la mère de famille ne pouvait que comprendre pourquoi. Elle craignait sans doutes de se faire disputer par ses parents. Le cœur serré, Clari n'hésita cependant pas à poursuivre dans son œuvre, sachant que c'était pour le bien de cette gamine et que, en grandissant, elle serait à même de le comprendre. La boulangerie se présenta sur leur chemin tandis que la petite élémentaire gardait le silence. Thémis ne pouvait s'empêcher de la comparer avec sa fille, restée à Cydonia avec son père et son jeune frère. Elles maîtrisaient le même élément, étaient approximativement du même âge et avaient ce même regard plein de fougue et d’espièglerie. Elle demanda à la gamine de l'attendre dehors, se demandant furtivement si elle n'en profiterait pas pour s’éclipser. Malgré tout, la Cydienne décida de faire confiance à son interlocutrice et fila acheta une miche de pain bien cuite dont la croûte dorée et chaude donnait envie de la dévorer sur place et prit également la peine de prendre une sucrerie pour Sanna. Utiliser et manier le feu avait du la fatiguer plus que ce qu'elle voulait bien lui montrer. Une fois le tout payé, elle fut soulagée de constater que la demoiselle n'avait pas bougé et l'attendait bien sagement, de nouvelles questions à la bouche. Il était évident qu'elle aurait du se montrer plus prudente et éviter de trop en dire sur elle-même mais les enfants avaient tendance à délier la langue même au plus doué des assassins avec leurs grands yeux de chérubins et leurs têtes d'ange si bien que Thémis se sentait désormais coupable de s'être montrée si négligente. Elle sourit néanmoins et répondit calmement :

« Oui, c'est le nom de ma fille, elle a sept ans, bientôt huit, tu me fais beaucoup penser à elle. J'ai également un fils, Elios, qui aura bientôt six ans. Quel âge à ton frère ?

De façon plus ou moins subtile, Thémis Clari tentait de détourner la conversation de ses enfants. Sanna n'était pas un grand risque pour sa progéniture, bien loin de là, mais les enfants parlaient à leurs parents et de fil en aiguille, elle risquait de s'attirer des ennuis à se montrer si imprudente et si loquace. L'enthousiasme de la demoiselle l'étonna, quelques minutes à peine plus tôt, elle était prête à prendre les jambes à son cou pour éviter la confrontation avec ses parents et maintenant, elle semblait vouloir l'inviter à manger … ! Avec un sourire, l'Astorg la taquina un peu.

« Je croyais que tu voulais éviter que je ne raconte tes aventures à tes parents ?

Elle gratifia la demoiselle d'un sourire avant d'ajouter plus sérieusement.

« Ça me ferait plaisir de manger avec vous mais je ne souhaite pas m'imposer. Je pense que tes parents auront besoin de discuter avec toi une fois notre entrevue terminée, tu ne penses pas ? En revanche, je peux te proposer de t'entraîner un peu avant de repartir, demain. Cela te tenterait ?

De nombreuses années auparavant, Thémis Clari ne se serait jamais imaginée mère de famille, encore moins de deux enfants aussi magnifiques et innocents que Erys ou Elios pouvaient bien l'être. Elle ne s'était pas non plus imaginée pouvoir être un jour la femme de quelqu'un, encore moins d'un Princeps et malgré tout, c'était aujourd'hui sa réalité. Comment la petite métisse Astorg était-elle devenue cette femme respectable que tous craignaient plus pour ses talents qu'à cause de son ascendance ? Elle n'aurait su le dire, seul comptait aujourd'hui le résultat, elle était une femme heureuse et fière. Sans doutes y avait-il plus de sang Astorg dans ses veines qu'elle ne voulait bien l'admettre. Quoi qu'il en soit, elle était désormais une femme respectable de ce monde et elle avait des principes bien souvent bien arrêtés. Parmi ces principes, elle souhaitait inculquer à ses enfants, et notamment Erys qui en grandissant ressemblait physiquement terriblement à une Astorg là où son jeune frère était un Cydien pure souche, qu'il fallait toujours privilégier l'intelligence et la parole aux armes. Quelque part, ce précepte était devenue un leitmotiv si bien qu'elle l'enseignait également à l'école élémentaire. La jeune femme considérait qu'il y aurait tant de guerres en moins si seulement les hommes prenaient la peine de parler entre eux au lieu de bêtement brandir leurs armes. Forte de cette conviction, la jeune Clari s'était décidée à la faire partager avec tous et elle aurait été bien incapable d'expliquer à cette petite fille pourquoi. Sa vie de métisse avait été difficile, sans doutes moins que celle du commun des mortels de par le poste occupé par son père mais quand bien même. On lui avait toujours menti sur sa mère et, le jour où la vérité avait éclaté, les choses n'avaient plus jamais été de même. Heloïse, sa petite sœur qui se montrait jusque là amicale, s'était révélée de plus en plus distante tandis que leur père ne savait plus comment faire face à la situation. Meurtrie, la gamine qu'elle était avait tenté de se rebeller en gâchant la vie de son père – et la sienne quelque part – au lieu d'affronter la réalité. Lorsqu'elle avait eu le courage de le faire, sa vision des événements avait tellement changé qu'elle se sentait totalement stupide aujourd'hui d'avoir réagi comme une petite effrontée. Les risques qu'elle avait pris et fait prendre aux autres étaient si grands qu'avec ses yeux d'adulte, elle regrettait parfois le passé. Pourtant, c'était ce qui avait fait d'elle la femme qu'elle prétendait être aujourd'hui. Elle voulait seulement prouver à la prochaine génération que la violence n'était pas la solution. Elle avait connu le doutes et la souffrance mieux que quiconque et avait vu de ses yeux la mort sur les champs de bataille. Il n'y avait rien de glorieux, rien de beau dans tout cela, seulement l'expression de la folie des hommes et elle ne souhaitait pas que ses enfants grandissent dans cette atmosphère. Elle ne le souhaitait à personne.

« Tu comprendras beaucoup de choses en grandissant Sanna, ce que tu perçois aujourd'hui comme ta nature profonde t'apparaîtra peut-être comme une succession d'erreurs. Quand j'étais enfant, une personne m'a un jour tendu la main pour me remettre dans la bonne direction, sans elle, je serais restée l'enfant indomptable et si sure de sa vérité que j'étais alors. Tu verras qu'en grandissant, tu changeras, tu verras le monde différemment et tu repenseras peut-être à ce que je viens de te dire. Sans doutes y a-t-il un fond de vérité pour que tes parents comme une parfaite inconnue tentent de te le faire comprendre tu ne crois pas ? »

Maître Lymion lui avait tendu la main par le passé et si elle l'avait passablement refusé dans un premier temps, elle l'en remerciait encore aujourd'hui. Sans lui, que serait-elle devenue de plus que « la fille Clari » ? Sans doutes pas grand chose. Sans doutes également qu'elle n'aurait pas eu la chance de vivre tout ce qu'elle avait vécu jusque là. Elle ne pouvait donc que l'en remercier. Elle espérait que l'enfant comprendrait un jour qu'elle ne faisait pas que l'ennuyer. Fort heureusement, cette dernière changea vite de sujet si bien que cela en tira un sourire discret à l'Astorg. Elle déchanta rapidement cependant en comprenant qu'elle erreur grossière elle avait fait en communiquant si facilement les prénoms de ses enfants. Henrick et elle avaient choisi des prénoms relativement Cydien pour qu'ils ne souffrent pas de leurs origines … elle se sentit profondément idiote de ne pas se montrer plus prudente. Elle sourit cependant comme si de rien n'était pour donner le change.

« Elle est plus jeune que toi en effet ! Ta façon de parler, d'agir, tout me rappelle Erys en toi. Les mêmes yeux bleus, les mêmes boucles rousses, je pense que vous vous entendriez tellement bien toutes les deux. Et tu as raison, ce ne sont pas des prénoms Astorgs, ils ont une origine Elfique pour être tout à fait honnête, leur père voulait quelque chose d'un peu plus exotique. Elios est trop jeune pour être un élémentaire, peut-être un jour qui sait ? Et ton frère alors ? Tu ne veux pas me parler de lui ? »

Son ton jovial avait pour but d'éloigner la demoiselle de ses questions gênantes, en espérant que la supercherie fonctionne et qu'elle ne s'y connaisse pas en prénoms elfiques. Ce n'était qu'une enfant de toute façon, elle ne pourrait pas faire grand chose …

« Je ne dirais rien pour ta maîtrise, mais il a sans doutes raison de ne pas vouloir en faire une arme tu sais. Si seulement tu pouvais venir à l'école pour voir comme le feu peut être un élément polyvalent ... »

Elle se tut, consciente de se montrer à nouveau imprudente. Les enfants étaient une véritable faiblesse chez la jeune femme qui avait tendance à baisser un peu trop facilement sa garde en leur présence. Cette discussion le lui prouvait une fois encore. A trop vouloir se montrer proche, elle en prenait des risques inconsidérés … Heureusement que ce n'était qu'une enfant !

« Tu n'as pas l'air d'apprécier les amies de ton frère je me trompe ? » lança-t-elle pour changer de sujet.

Et bien sur, ce qui devait arriver arriva, elle posa la question de trop. Thémis fit comme si elle n'avait pas entendu, prétextant attendre les réponses à ses questions avant de dire quoi que ce soit de plus. Peut être devrait-elle renoncer à parler aux parents vu l'esprit vivace de leur enfant … Elle posa sur la petite un regard complice, comme si elle attendait vraiment qu'elle réponde à sa taquinerie et mis de côté sa dernière question en espérant que cela n'attise pas plus sa curiosité déjà bien maladive.