De retour de ma mission, j'étais fatiguée, exténuée, que dis-je, totalement épuisée. Ce n'était qu'avec peine que j'étais rentrée, Shirayuki m'ayant été une fois encore d'un grand secours. Il était vrai que sans elle, je n'étais pas prête de faire le chemin du retour jusqu'à Muria. Outre mes talents d'archer, Philéa épuisait mes ressources en terme d'assassin. Il y avait toujours plus de monde qui recherchait Muria, il fallait toujours ôter la vie de plus de personnes, pistait les autres, et dérouter les dernières afin qu'elles ne trouvent pas la précieuse cité de la Reine. Tout ceci était fatiguant, surtout quand on était la source exclusive de la souveraine en terme, selon ses dires, de qualité et de confiance pour ce genre de missions.
Quoi qu'il en soit, si Muria m'ouvrait toujours ses portes, il en était de même du Bar Bu, le bar ouvert par Gaëlle. Si j'écoutais ma mère, elle n'était qu'une gamine parmi tant d'autres qui avaient peuplé ma vie, mais si j'écoutais ma propre raison, Gaëlle était la personne la plus proche de moi, à une exception près, en cette cité comme au dehors. La seule avec qui j'avais partagé mes jeunes années et leur secret. En somme, elle était l'une des rares personnes dont la compagnie me rassurait comme m'apaisait, une des rares aussi à qui j'accordais ma confiance.

Poussant la porte, j'entrais tranquillement dans ce lieux qui évoquait déjà tant de souvenirs à ma mémoire. Dans un coin de l'établissement, un couple trinquait à son avenir, qui ne serait surement pas aussi rose qu'il le prévoyait. Rarement amazone et Soumis n'étaient voués à vivre ensemble. Les amazones étaient-elles seulement faites pour la vie de couple ou la vie de famille ? A entendre l'histoire que lui avait un soir conté Philéa sur son passé, sans doutes que non. Mais ce n'était qu'un avis personnel, le reste ne me regardait pas. Quoi qu'il en soit, je décidais d'éviter le couple qui me rappelait malgré moi des souvenirs peu enviables. Aurais-je moi aussi droit au bonheur un jour avec celui qui partageait ma vie et mon lit toutes les nuits ?
La question me fit sourire malgré moi et, maudissant avec humour les couples, je choisissais une table à l'autre bout de la pièce unique. A côté de moi, sur une table similaire à la mienne, deux de mes Sentinelles discutaient sans que je n'arrive à saisir le sens de leur propos. Peut-être étais-je trop fatiguée pour vouloir rendre visite à ma vieille amie. Vieille amie, même ce terme là était mal choisi ! Depuis que la vie m'avait fait Chef des Sentinelles, je n'avais que peu de temps pour moi et la barmaid en avait fait les frais ... Mais pour une fois, je comptais bien remédier à cette nouvelle tendance de ma part. Observant le va et vient des lieux, je portais mon regard d'un air distrait sur la pièce. L'ambiance chaleureuse qui y régnait n'avait pas changé. Tant mieux, ce petit havre de paix était bien utile en des temps aussi sombres ...

Mais une question subsistait. La jeune femme était-elle là ou trop occupée par ses clients ?

[ Désolé, je ne suis pas doué pour les entrées en matière. ]

Gäelle était toujours aussi maladroite et quelque part, cela me rassurait. Certaines choses ne changeaient donc jamais, et c'était pour cela que j'appréciais la jeune femme. Pour tout ce qu'elle m'apportait sans le savoir, pour le cadre immuable qu'elle offrait à ma vie. Bien sur, je ne le lui avais jamais dit, après tout, je n'étais pas tellement du genre à démontrer mes sentiments, quoi que ... c'était surement plus de la fierté mal placée que de la honte. Quoi qu'il en soit, la scène me fit largement sourire au détriment de la pauvre amazone. Il fallait dire que les chats se frottant à ses jambes, et ne l'aidant en rien si ce n'était à plus de maladresses, rajoutaient un sacré comique à la scène. Pour autant, je ne l'aidais pas, certes cela pouvait paraitre égoïste mais quelque chose me soufflait que la jeune femme avait elle aussi sa fierté. Ici, je n'étais pas chez moi, enfin si, en quelque sorte, mais j'étais avant tout chez Gäelle, dans son antre et par là-même, je respectais ce que j'estimais être son domaine privé. Tout ce qui touchait à son bar ne me concernait pas, à moins qu'un ivrogne, ce qui était rare ici, ne se mette à la déranger. Quoi qu'il en soit, j'attendais qu'elle ai fini avec un sourire.
Après une multitude d'excuses, la demoiselle fini enfin par tout nettoyer et, ses félins à ses trousses, elle arriva à ma portée. Cela faisait longtemps, très longtemps même que je n'avais pas pris la peine de venir la saluer. Elle était trop occupée ici pour sortir et son petit havre de paix me faisait tellement de bien que je venais aussi souvent que possible. Mais avec les missions qui s'enchainaient ... ce n'était guère aisé de la croiser au Bar bu. Les embrassades furent chaleureuses ... ça aussi ça ne changeait pas. Tout ce petit univers construit entre nous n'avait que des points positifs. Gäelle n'avait jamais cherchait à m'évincer et je ne me souvenais pas de l'avoir vu jalouse de mon statut ... non, elle était l'amie en qui j'avais le plus confiance même si la vie avait tendance à nous séparer de plus en plus souvent. En d'autres termes, la barmaid et moi n'avions que rarement connu de disputes et ce n'était pas plus mal. M'asseyant à mon tour, j'attendais que la petite demoiselle prenne la parole, ne sachant moi-même par où commencer.

Un bail oui que je n'étais pas venue. Un sourire gêné se dessina sur mes lèvres tandis que mon interlocutrice, comme à son habitude, enchainait déjà sur une autre question. La joie de mon amie me faisait un bien fou. Entre crimes et enquêtes, je n'avais pas vraiment pu côtoyer ce type de joie sincère depuis un moment. Peut-être que si, aux côtés de la jeune Jelenna, mais ce n'était pas pareil ... je ne pouvais partager la joie de la jeune princesse tandis que celle de Gäelle était très contagieuse. Même si sa question me mettait mal à l'aise.

« Je suis désolée, j'ai été .. occupée en effet. » répondis-je dans un premier temps, cherchant les mots juste pour répondre au mieux à sa question.

Vérifiant que personne ne nous écoutait ou ne cherchait à avoir un verre ou autre chose dont seule Gäelle pouvait s'occuper, je reprenais courage à deux mains pour me confier. Après tout, je n'avais, contrairement à mes promesses en tant que Chef des Sentinelles, presque aucun secret pour la barmaid. Mais il me faudrait éluder quelques ... passages de ma récente activité.

« Je ne sais plus par où commencer figure-toi ! » commençais-je par dire pour ensuite enchainer : « Ça fait si longtemps que je n'étais pas venue ... et pour cause. Philéa est de plus en plus préoccupée par l'avenir de ses filles, elle m'a demandé de veiller sur la petite princesse bis et ce n'était pas une mince affaire. Non pas que l'enfant soit désagréable mais, comment dire, disons qu'elle est très curieuse. La dernière fois, elle est allée parler à un Soumis dans l'arène ... enfin bon, ce n'est qu'une enfant, et intelligente et douée de surcroit ! Tu devrais la voir tirer à l'arc ... elle sera meilleure que moi sous peu ! » annonçais-je avec une fierté déplacée qui n'aurait pas du être mienne.

Jelenna n'était ni ma fille, si ma sœur ni rien. J'étais seulement sa gardienne mais la petite suscitait en moi un sentiment étrange. L'envie de la protéger bien sur, mais aussi la curiosité, et peut-être plus simplement, l'envie d'être plus proche d'elle parce que quelque part, elle me rappelait la gamine que j'étais à son âge. Mais tout ceci n'expliquait pas pourquoi je n'étais pas venue voir Gäelle, garder la petite amazone sous-entendait ne pas quitter la ville. Non, bien sur, la barmaid était loin d'être stupide et je ne pouvais pas ne pas être honnête avec elle sans insulter son potentiel. Je poursuivais donc, la mine plus sombre :

« Disons que par la suite, Philéa m'a confié d'autres ... missions. Des loups dans la forêt à exterminer, ce qui nous as valu la fureur de la princesse Eléa, une visite au Temple d'Andkor et pour finir ... Ptot Tàh où j'avais une mission plus délicate. En somme, je n'ai pas vu le temps passer. » disais-je à regret.

Peut-être qu'au final, plus que de regretter devoir tuer des gens à chaque fois, je regrettais aussi d'être devenue la Sentinelle que j'étais.

« Mais assez parlé de moi, qu'as-tu fais ces derniers temps ? » demandais-je avec plus d'enthousiasme, cherchant plus ou moins inconsciemment à changer de sujet.

Une main glissée parmi les poils roux – et ronronnant – du minou qui avait élu domicile sur ses genoux, Gaëlle buvait les paroles de sa vieille amie. Elle évoquait des lieux si éloignés que la serveuse en connaissait à peine l'existence, elle passait le plus clair de son temps en présence royale... et pourtant elle paraissait gênée. Même quelqu'un de moins perspicace que Gaëlle aurait très bien interprété ce malaise. Kiera était chef des Sentinelles. Ce seul titre en disait long sur les étranges missions qu'elle pouvait exécuter. Gaëlle ne s'aventurera pas plus sur ce terrain qu'elle savait friable. Elle s'engouffra plutôt par la grande porte que son amie lui ouvrait. Toutefois le sujet s'avéra tout aussi sensible que le précédent... Après une inspiration pour se donner du courage, la jeune fille au teint hâlé se lança.

Eh bien tu sais... toujours pareil quoi... Le bar est tranquille enfin tu vois, sans plus, comme d'habitude.

Ce n'était pas l'hésitation, s'il y avait bien quelque chose dont elle aimait parler c'était bien de son bar. Non, elle cherchait simplement à gagner du temps. Le fil de la conversation la rattrapa néanmoins et elle baissa ses yeux tristes sur le chat roulé en boule sur ses genoux.

Et Mouchka... ben Mouchka...

C'est comme ça qu'elle avait toujours appelé sa mère. Beaucoup la surnommait ainsi, son prénom étant pour la plupart imprononçable.

Ca va.

Ca va ? Oui finalement oui, ça allait. Elle ne faisait plus de crises d'angoisse au milieu de la nuit et elle souriait quand elle voyait sa fille. Quand elle la reconnaissait. Ses prunelles noires toujours fixées sur le chat, elle sursauta quand elle entendit la lourde porte de la taverne s'ouvrir, la tirant de ses pensées. Deux adolescentes pénétrèrent dans le Bar Bu et s'assirent à une table après avoir saluer la propriétaire de la main.

Je reviens tout de suite hein !

Le répit pour la vaisselle si fragile aura été de courte durée... Déjà les mains maladroites s'emparaient de verres ronds au fond plat. La moitié du liquide orangé qu'elle versa manqua d'abord sa cible, mais les consommations finirent par arriver sans dommage notable jusqu'à la table des jeunes amazones.

Et toi Kiera, comme d'hab' ?

Son large sourire retrouvé, Gaëlle regagna la table avec un verre plus gros que les précédents. Son travail. Il l'asservissait autant qu'il lui permettait de tenir. Si les sourires des clientes n'arrivaient pas à enlever l'image de sa mère malade de son esprit, ils rendaient néanmoins le sien à Gaëlle.

Et donc... comment elle est... enfin je veux dire qu'est-ce qu'elle donne cette petite fille ? 'Fin tu vois la princesse quoi ?

Gäelle me paraissait à la fois distante et proche. Comme si au fil des jours passés sans aller la voir, au fil des années qui nous avaient séparées, elle préférant son Bar et moins promue au rang de Chef des Sentinelles, comme si tout ça en fait avait joué à créer un fossé entre nous. Aujourd'hui, j'avais l'impression que ce fossé, bien que mince, s'élargissait un peu plus en ma présence. Etait-ce une impression ou la réalité ?
A l'époque, enfin, il n'y avait pas si longtemps en fait bien que je perde la notion du temps facilement au rythme de mes missions, l'amazone me parlait de son bar à tord et à travers et j'appréciais ces discussions bien que je ne puisse pas vraiment y participer. Je partageais par procuration la vie simple mais qui lui plaisait qui s'offrait à mon amie. Mais pour l'heure, j'avais plutôt l'impression qu'elle voulait éviter de me saper le moral ou de mettre son bar sur le tapis. Pourquoi, je l'ignorais.

Je n'avais pas envie de me mettre Gäelle à dos aussi je préférais garder le silence sur ses réponses évasives et me contenter de ne pas relever le fait que je m'inquiétais de son soudain manque d'enthousiasme. Y avait-il quelque chose qui la contrariait ? Au fond, je gardais sans doutes le silence par égoïsme, de peur de voir mon dernier havre de paix s'effondrer. Du regard, je suivais la jeune femme sans bouger, qui se dirigeait vers de nouveaux clients, le chat sur ses genoux venant élire domicile sur les miens. Pensivement, ma main caressait le poil doux de l'animal en attendant le retour de mon amie. Un sourire fugace s'installa sur mes lèvres tandis que j'observais l'éternelle maladresse de l'amazone. Le jus d'orange manqua sa cible dans un premier temps et les verres manquèrent de tomber par terre. Mais peu importe, ils arrivèrent à bonne destination et la jeune femme vint s'installer de nouveau à ma table, comme si de rien n'était.

« Comme d'habitude oui. J'aimerais avoir un peu plus de temps à moi mais ces derniers temps, ce n'est pas vraiment possible. »

Je faisais référence à mon amant, que je n'avais pas vu depuis bien des jours. Je pensais aussi plus simplement à mon chez moi, que je n'avais pas revu depuis ... un nombre incalculable de jours en réalité.

« Comment va ta mère ? » demandais-je à mon interlocutrice.

Je savais qu'elle n'aimait pas ce genre de questions, mais je savais aussi qu'elle souffrait de la maladie de sa mère. Je ne voyais que sa mère pour lui causer un tel soucis aussi, je préférais mettre directement les pieds dans le plat plutôt que de tourner autour du pot ou pire, éluder la question. J'étais son amie, du moins le pensais-je, je n'avais donc pas le droit de ne penser qu'à moi. Mais la jeune femme me prit de court en me posant une nouvelle question.
Jelenna ? Comment était-elle ? Oh je n'avais pas peur de dire la vérité, qu'elle soit bonne ou non, mais comment expliquer ce qu'était cette petite fille moi qui avais côtoyé la mère et l'ainée ?

« La petite ? Je trouve qu'elle est douée du haut de ses sept ans. Elle tire bien à l'arc, elle est réfléchie, posée, bien plus calme et concentrée que sa sœur ainée mais elle reste une enfant craintive voire peureuse, qui ne parle pas beaucoup aux filles de son âge. Elle ne ferait pas une bonne reine mais une Chef des Sentinelles parfaite. » conclus-je.

« Tu ne l'as jamais vu ? » demandais-je avec curiosité car rares étaient les amazones qui connaissaient leur petite princesse bis.

« J'aimerais avoir une enfant comme elle, peut-être que j'aimerais avoir une enfant tout court. D'ailleurs en parlant de ça, où en es-tu de ce point de vue là ? »

[Je suis affreusement désolée du retard =.= !]

Une enfant qui ne se mêle pas trop aux gens de son âge hein ? Une future Chef des Sentinelles... Un sourire entendu se dessina sur le visage basané de Gaëlle. La fierté qui teintait la voix de son amie lorsqu'elle évoquait la petite princesse prenait tout à coup un sens. La fierté et l'affection surtout. Et pour cause ! La fameuse Jelenna n'était autre que Kiera avec dix ans de moins !

« Non, non, je crois pas avoir déjà vu... déjà croisé la petite, 'fin la princesse. » Elle avait pourtant une meilleure idée de qui elle était en écoutant le portrait que Kiera en faisait. Au delà des mots, c'était son ton qui était le plus évocateur. Gaëlle se jura de proposer à Philéa d'amener sa fille ici, boire une grenadine et caresser un minou ou deux afin de la voir de ses propres yeux. D'avoir un peu de Kiera quand cette dernière s'absenterait à nouveau.

Le verre que Gaëlle tenait dans les mains, glissa et explosa sur le sol. Ajoutée à sa maladresse, la surprise pouvait visiblement faire des dégâts... Elle ne prit pas la peine de ramasser, ni même de tranquilliser les chats qui avaient fait un bon et crachaient, le dos rond sur les morceaux de verre brisé.

« Quoi ?! Tu... tu... tu veux dire un enfant... un, un, un bébé quoi ?! Mais Kiera tu, t'es sérieuse ? »

La caricature de l'amie hystérique... Mais à sa décharge, ça, elle ne l'avait pas vu venir la tavernière ! Elle connaissait si bien Kiera... mais jamais elle n'aurait pensé qu'elle envisage sérieusement d'avoir... un enfant ! Sa vie c'était les flèches, l'aventure, des hommes malveillants, des princesses exigeantes... Des nuits interminables à monter la garde, mais certainement pas à veiller un petit qui fait ses dents ! Non, décidément non, Gaëlle ne l'avait pas venu venir !

La stupeur passée, elle posa ses doigts sur sa bouche et sourit d'une oreille à l'autre. Gênée.

« Excuse moi, je... je suis désolée, c'est que... fin ça m'étonne juste de t'entendre dire ça, mais je... enfin bon ! » Elle ramassa les bouts de verre sans quitter Kiera du regard. Complice et tendre.

« Je ne pensais pas que tu y pensais... enfin, tu vois ce que je veux dire... Je... tu... Aïe ! »

Un de ses doigts maladroits venait de croiser le fer avec un morceau de verre. Bien entendu, quelques gouttes de sang furent versées avant que Gaëlle se concentre sur ce qu'elle était en train de faire. Elle profita de cette diversion pour penser à ce désir d'enfant. Elle, elle n'en voulait pas...

« Ben moi, ben... Oh tu sais bien, avec Mouchka, la taverne tout ça... Disons que je n'ai pas le temps de... de m'attacher tu vois... J'aime passer du temps avec... fin avec les... hommes tu sais. Mais voilà ça s'arrête là... »

Si la maladroite avait buté sur le mot « homme », cela n'avait rien à voir avec ses difficultés à s'exprimer... Gaëlle s'était simplement rattrapée in extrémis, ravalant ce qu'elle allait dire : « Soumis ». Elle savait que Kiera était particulièrement sensible à ce sujet, de part sa récente histoire d'amour. Entendre appeler un homme, un homme lui ferait certainement du bien, et ça, la serveuse ne l'ignorait pas.

Les derniers bouts de verre rejoignirent la poubelle et Gaëlle revint à la table, toujours souriante.
« Et donc ? Qu'est-ce qui tout à coup te fait envie... enfin, cette histoire d'enfant... C'est du concret ou alors... ? Je veux dire...
- Gaëlle ! Gaëlle ! »

Une enfant entra en trombe dans le Bar Bu. Les joues rosies par l'effort, les cheveux ébouriffés, elle ne prit même pas la peine de reprendre son souffle avant de continuer.

« Gaëlle c'est... c'est Mouchka... elle... Ca va pas... elle... elle... Vite ! »

Toute trace de joie s'était volatilisé du visage de Gaëlle. Livide, elle posa son plateau et avança doucement vers la porte. Sans comprendre.

« Gaëlle ! »

Le cri de la petite la fit sursauter, comme si les mots se frayaient un passage douloureux jusqu'à elle.

« Kiera, tu... tu peux t'occuper du bar ? Je... je reviens... je... A toute... » Si son amie avait hésité, cela n'aurait duré qu'une seconde. Le temps de croiser le regard de la tavernière, où l'affolement se disputait avec l'incompréhension. Un regard qui criait les mots compassion, aide et désespoir. La Chef des Sentinelles ne pouvait les ignorer. Après un rapide geste de la main, Gaëlle sortit du bar. Et ses cheveux multicolores ainsi que la bande de matous sur ses pas ne pourraient redonner des couleurs au triste tableau qui l'attendrait...

[Je te laisse la possibilité Kiera de répondre. En tout cas, j'ai désengagé Gaëlle !]

La petite princesse bis. A part quelques privilégiées, personne ne connaissait son visage visiblement, c'était même parfois à se demander si quelqu'un connaissait tout simplement son existence. Pourtant, le portrait craché de Philéa qui courait jour et nuit dans le palais royal ne devait pas passer innaperçu ... surtout devant les aptitudes qu'elle démontrait en logique comme au tir à l'arc. Certainement que de par ma position au sein de la hiérarchie de Muria, en tant que Chef des Sentinelles, je n'avais que l'occasion de m'intéresser à l'enfant dont j'avais la charge. Ce devait être ça. La réaction de Gäelle m'amusa. Il était vrai que la demoiselle aimait bien les enfants, il n'y avait qu'à voir la ribambelle de gamins qui accourraient ici pour demander à boire une limonade ou simplement pour profiter de la gentillesse de la gérante et des calins de ses chats.
Non, ce qui m'étonna un peu plus après le coup de Jelenna c'était surtout la réaction de mon amie sur ma révélation. Toutes les femmes ne voulaient-elles pas un jour avoir des enfants ? Je veux dire, n'était-ce pas la nature même de la femme que d'être enceinte et de veiller sur sa progéniture en espérant le mieux pour elle ? Enfant, j'avais toujours cru à ces chimères de mères aimantes et veillant au bonheur grandissant de ses enfants, aujourd'hui, je savais que toutes ces histoires n'étaient vraies que dans de rares familles et ici, entre les murs de la cité amazone, nous ne pouvions avoir de famille. Ce n'était pas vrai. Malgré ma fidélité infaillible pour ma cité, je savais que tant que l'homme serait considéré comme un Soumis en ces lieux, jamais il ne nous serait possible de nous en sortir, de vivre en famille unie et d'offrir le mieux pour nos enfants. En réalité, je craignais même d'avoir un fils. Qu'adviendrait-il de lui ?

Avoir un enfant à Muria était chose courante mais pourtant, je ne trouvais pas que ce soit la plus belle chose qu'il soit donné à une femme. Pas en ces circonstances mais cela, je n'avais pas le droit de le confier à Gäelle, toute amie qu'elle soit et toute aussi importante qu'elle soit à mes yeux.

« J'y pense, peut-être. Je ne sais pas. Voir la petite princesse grandir un peu plus chaque jour ne me laisse pas indifférente, sans doutes que je me laisse aller par mes sentiments. » ajoutais-je en étant plus ou moins convaincue de ce que j'avançais.

Je ne pouvais pas avouer que j'avais envie d'un enfant pour "concrétiser" l'amour que je portais à mon ... Soumis puisqu'il fallait les nommer ainsi. J'avais la folle idée que lui offrir ce présent était la seule chose qui m'assurerait sa présence auprès de moi même après sa liberté rendue mais à bien y réfléchir, il était évident que cela ne fonctionnerait pas. Combien d'amazones avaient tenté ce stratagème avant moi ? Et surtout, était-ce réellement une preuve d'amour que de faire ça ? Visiblement non. Mieux valait ne plus y penser, de toute façon, la maladresse de Gäelle reprenait déjà le dessus et m'offrait une occasion de changer de sujet.
Voyant qu'elle s'était coupée, je commençais à m'inquiéter mais elle me rassura d'un sourire.

« Gäelle tu devrais désinfecter ça au lieu de ramasser, laisse, je vais le faire. »

Mais la barmaid ne me laissa pas le temps d'agir. Elle avait beau être maladroite au possible, elle n'en restait pas moins rapide pour réparer ses erreurs. Et multi-tâches en prime !
J'écoutais mon amie m'expliquait péniblement sa situation, la remerçiant intérieurement pour ne pas avoir dit "Soumis" mais avoir choisi le terme d'"homme", même si au fond de moi, je ne pouvais pas m'empêcher de me demander si je n'étais pas dans l'erreur en pensant qu'on ne les traitait pas à leur juste valeur. Ceci était une autre histoire, pour le moment, seule Gäelle et ses explications comptaient. Je l'écoutais en souriant tristement, il était vrai que sa mère n'arrangeait pas les choses ... Pourtant, Gäelle ne s'était jamais plainte, pas une seule fois. Pour ma part, même si c'était méchant à reconnaitre, elle était l'incarnation vivante de l'enfant déçue. Il n'y avait pas de famille parfaite, pas en ces murs, c'était impossible.

« Je suis désolée ... il est vrai qu'avec Mou.. enfin ta mère c'est vrai que ce n'est pas facile. »

J'allais répondre à sa question lorsqu'une gamine déboula, essouflée, dans le bar, recherchant visiblement la propriétaire de ce dernier. La suite se passa très vite, il avait suffit que l'on prononce le prénom de sa mère pour que Gäelle disparaisse et me demande de garder son bar. Le dernier regard qu'elle m'avait lancé m'avait fait hésiter. N'aurais-je pas du l'accompagner dans l'une des nouvelles épreuves que lui imposait sa mère ? Ce regard de détresse et de désespoir ... mieux valait sans doutes que j'attendes ici. Près de sa mère, je ne serais pas bien utile, mais puisque ma mission était terminée et qu'aucune autre ne m'attendait avant le lendemain matin où il faudrait que je surveille à nouveau Jelenna, je pouvais très bien attendre le retour de la barmaid en tenant le Bar Bu et être à ce moment là utile pour la consoler ou simplement pour l'écouter. C'étaient cela, les amies et Gäelle était la plus précieuse des miennes.

[ Désengagée ]
[ Désolé, je n'avais pas vu ta réponse ... heureusement que Jacen m'a MP ! ]