[D A] - Au palais des Encenses - (fini)

- l'Arpenteur avait suffisamment rossé en plein air, plus qu'un bol iodé, il aspirait a humer l'encense d'une bonne hostellerie. L'odeur du vieux bois, la fragrance du picrate et des mousseuses ... La chaleur de ses hôtesses. Bouffarde suspendue au bec, il progressait dans les artères du Joyau Cydien, jusqu'à tomber sur cette échoppe pleine de promesses. 'Le Pont Divin'. Qu'à cela ne tienne ! Il s'engouffra dans la bâtisse, essuyant une kyrielle de regards circonspects, manicle apposée sur le pommeau de sa flamberge, doigts de l'autre main refermés sur le godet de sa pipe, il rendit a tous ces badauds leur œillades inquisitrices. Et beaucoup piquèrent du nez pour lorgner leur calices. Qu'il était bon d'asseoir sa suprématie sur la dissuasion.
Le Saigneur et seigneur Suhûl portait en ce temps estival, un pourpoint de soie long et ceinturé par des étoffes. L'habit d'un rouge sanglant, surfilé d'or et de cuivre, projetait un éclat vif et ardent dans cette cahute, fade et peu animée.
Sans se le faire demander, il gagna une table dans un coin peu éclairé de cette mansarde avant de héler le taulier et de s'enquérir sur le choix des boissons. Suivant les recommandations du tavernier, il opta pour un cru Cydien, qui disons le, avait de la bouteille. Puis il glissa quelques requêtes supplémentaires a l'oreille du tenancier.

" Vous me mettrez aussi un peu de tabac brun. Et si les vapeurs et l'encense de vos bons tonnelets, rendaient un de vos piliers de comptoir bavard, j'aimerais être tenu au courant des événements qui se déroulent dans le coin. Toute information utile méritera salaire, bien entendu ... "

- Congédiant l'homme d'un bref mouvement de patte, il glissa le long de son dossier avant de balancer ses cuissardes sur sa tablée. Tablée qui vint a se garnir d'un pichet et d'un ballon de verre. Ainsi que d'une boite de "Ocrebrume", sans doute l'un des meilleurs tabac du continent. Fourrant le godet de sa bouffarde d'un air évasif, Abisheï écoutait d'une oreille distraite les conversations animant l'auberge. Mais a part la pêche d'un poisson diabolisé, quelques prises avec un créancier et les nouvelles du petit dernier, il n'y avait rien d'intéressant à se mettre sous la dent. Soupirant longuement, le bretteur murmura alors.

" Rester dans ce clapier à péquenots, c'est un coup a finir par vendre des salades au marché. "

- A connaitre Abisheï, le fait que sa réplique acerbe soit audible, relevait d'un élan volontaire. Un défi peut-être ? Toujours est-il que le silence ponctua sa tirade sardonique.

« Comme d’habitude j’imagine. »

Lou jeta un regard à la serveuse qui l’observait de toute sa hauteur. Une femme à la peau mate, le visage rondouillard remplit de rides dûes à un sourire et des éclats de rires fréquents et épaisse comme deux hommes côte à côte. Elle lui adressa un sourire un peu moqueur accompagnant son affirmation qui avait été lancée d’une voie grave. Sa prestance, non due à sa carrure pourtant suffisante pour attirer l’attention, avait toujours été teintée de distance et de désintérêt. C’était pour ça qu’il aimait bien cette serveuse. Elle ne cherchait pas à se faire aimer à tout prix mais, jouait de ses charmes avec modération. Le genre de femme qui est tellement associée au décore qu’au final, elle en devient le centre.

« Comme d’hab. Et dit aux filles de me laisser en paix. »

« Tu devras bien sortir de ton coin un jour mon chou. Les muscles ça s’atrophie si tu ne les utilises pas assez !»

Dit-elle avant de rire grassement. Lou ne rit pas mais, eut tout de même un sourire amusé. Il supportait bien la compagnie de la femme. D’ailleurs, celle-ci avait la délicieuse habitude de ne jamais s’éterniser ou essayer de le connaître mieux que comme le client qui faisait fuir les autres serveurs. La femme repartit d’un pas lourd en faisant rouler ses hanches pour aller chercher d’autres commandes.

Ce fut ce moment que choisit un autre type pour entrer dans la salle. Lou lui jeta seulement un coup d’œil avant de reporter son attention sur le carnet qu’il avait ouvert devant lui. Un type flamboyant et peu discret, voilà tout. Il griffonna simplement du bout de sa plume sur ses feuilles sans plus s’intéresser à ce qu’il y avait d’autre. Il réagit seulement à la serveuse qui revenait et lui planta un verre de cidre sur la table. Elle avait agi en vitesse mais, en se penchant obligeamment en avant lui offrant un rapide et plongeant point de vue sur sa gigantesque poitrine. Elle repartit immédiatement sans plus s’occuper de lui. Il y eu un moment de calme relatif. Discutions diverses, il avait la paix et ne faisait aucunement cas des autres clients.

Puis, vint un moment de calme total. Lou s’interrompit pour regarder l’homme qui venait de faire taire le reste de l’auberge avec sa remarque. Il sourit et eut un petit rire amusé à peine audible en temps normal mais, bien claire dans le silence. Il n’avait pas tort. Quelques hommes commençaient à s’agiter, hésitant encore à comprendre qu’ils avaient été insultés, perturbés par le rire de Lou. Dans quelques secondes, ils allaient certainement comprendre et provoquer une belle engueulade qui finirait en bagarre générale. Lou ferma son carnet et le rangea calmement en attendant la tempête. Il croisa les bras et observa en silence ce qui allait de passer. Il était toujours amateur quand il y avait un bon spectacle.

- Le chasseur fit office de bon auditoire. Il fut en effet bien le seul à avoir l'intelligence de ricaner à cette boutade. Ce qui conforta le Bretteur dans l'idée que cet endroit zélé était une bonne mine d'informations. Détaillant un instant le bonhomme, il ne vit pas de braies souillées ni de dents gâtées, voilà qui plaça Lou au titre "d'élément" potentiel, dans l'esprit vif et acéré d'Abisheï. Oui, le Baroudeur aimait à avoir des atouts dans sa manche, des contacts et pourquoi pas, quelques combattants prêts à en découdre. Ne se refusant rien, il prit une gorgée de son rouge, sans accorder d'attention à l'agitation des piliers de comptoir, qui venaient alors tout juste de faire travailler l'aberration flétrie par le néant qu'ils avaient l'audace de nommer "éminence grise". Murmurant quelques instants, ils désignèrent un "émissaire", soit le plus massif d'entre eux. Lodeyr, était un bougre de près d'une toise et demi et sous sa chevelure grasse, sur son faciès rubicond, sa moustache taillée en guidon puait encore la vinasse bon marché. Désigné meneur par ses atouts d'alpha mâle et non pour sa vivacité d'esprit, il pointa le cadet des Suhûl, de son index crasseux avant de brailler.

" Hey toi ! Moi et mes comparses, on apprécie pas trop que les peigne-cul de ton genre, se permettent de critiquer les gens du quartier. Tu cherches les ennuis ? "

- Levant le nez de son verre, délaissant l'agréable parfum de son nectar, Abisheï haussa un sourcil, marquant un silence pesant. Bien que cet instant de quiétude ait duré quelques secondes, il sembla bien trop long pour tout le monde. Et le silence se ponctua d'un nouveau raclement bruyant. Ayant quitté sa chaise, le Duelliste s'avanca vers Lodeyr, d'un pas lent, assuré, main a présent apposée sur l'emmanchure de sa lame.

" Combien t'a-t-il fallu de chopines pour venir fanfaronner ? Si tu me défies mon gaillard, tu va être servi ... Laisses moi t'avertir. Laisses moi te mettre aux faits. Si ma lame quitte son écrin, je barderais ton corps flasque d'estafilades si profondes, que tes aïeuls et tes filleuls en auront des cicatrices. Retournes donc t'asseoir et n'abuse pas de ma mansuétude ... "

- Relevant son menton et plantant ses iris mercurés dans le yeux embués et rougis par l'alcool, du colosse, il imposa clairement un choix cornélien a son adversaire. Avoir l'ego en pièces ... Ou le corps. Toujours est-il que les quatre acolytes de Lodeyr se relevèrent de leur chaises. Lâcheté est synonyme d'esprit de meute. Le Bretteur ne se déroba pas pour autant, il était soit hardi, soit inconscient.

Premier acte, le plus stupide et baraqué, rapport qualité-prix, venait de se lever pour provoquer l’étranger. Lou fut largement impressionné par le fait qu’avec une odeur de vin exhalant de tous les pores de sa peau, l’autre soit capable de se tenir droit et de parler sans bégayer. D’accord, certaines personnes étaient impressionnantes dans certains domaines. Il se cala un peu plus dans sa chaise en regardant l’ivrogne.

Acte deux, l’homme en rouge se levait et avec toute l’arrogance de ceux qui tracent leurs chemins, défiait son interlocuteur. Lou ne fut pas vraiment sûr que l’imbécile qui l’avait provoqué ait été capable de vraiment comprendre le vocabulaire élaboré du voyageur. Comme c’était prévisible, d’autres hommes se joignirent à la fête. Bien sûr, si un étranger rappliquait et commençait à faire des phrases auxquelles les encroûté du coin ne pigeaient pas un mot, ceux-ci avaient tendance à en déduire automatiquement que c’était une insulte et sortaient les poings de l’anse de leurs chopes.

Au final, le nouvel arrivant ne devait que venir chercher la bagarre car, il avait tiré toutes les ficelles pour provoquer une joute très sportive. Ceci signifiait soit, qu’il était très bête, soit, qu’il savait qu’il allait gagner et qu’il comptait sur sa petite représentation pour se forger une réputation lui donnant l’avantage dans toute relation sociable dans le coin. Lou soupira en silence. Un des hommes le regarda comme hésitant à prendre ça comme une autre insulte. N’ayant pas envie de se mêler à ça, Lou pris simplement une gorgée de son verre et regarda le voyageur belliqueux avec attention, redevenant inintéressant pour l’abruti qui l’avait regardé.

*J’espère qu’aucun ne viendra me saigner dessus.*

- L'art de la dissuasion n'était décidément pas au gout de tous. Et l'ego venait d'écraser la conscience. Lodeyr devait avoir la force d'un troll, il avait du envoyer nombre de râteliers voler et se faire des beaux colliers de molaires. Mais l'alcool était un support a double tranchant. Abisheï pris inéluctablement la main voyant que son adversaire levait son bras, muscles des biceps plus bandés que la corde d'un arc long. Dans les rixes de Taverne, le dernier debout est souvent celui qui porte le premier coup.
C'est pourquoi, il se voûta, faisant coulisser son fer dans son fourreau, il envoya tout d'abord le pommeau de sa lame percuter le ventre de son adversaire, puis il développa sur un dégainé-frappé, obligeant son ennemi a reculer. Une fois sa cible acculée contre le mur, il effectua un puissant Balestra, son bond fulgurant annonçant la fente. Son estocade s'arrêta net, a quelques millimètres du visage cramoisi du Soiffard. Ses acolytes armés de matraques, se figèrent à cette simple vision. Le Baroudeur fut soulevé par le désir de transpercer ce misérable couillon, mais il se ravisa, il se devait de garder de bonnes relations auprès des armées Cydiennes. Tenant donc l'homme a bout de lame, il lui murmura.

" Décevant ... On ne peut se permettre de faire de l'esbroufe, surtout pas avec des aptitudes aussi médiocres. Toi et tes danseuses exotiques, vous allez disparaitre, autrement je m'occuperais personnellement de t'apprendre un tour de prestidigitation en faisant disparaitre un de tes membres."

- Ponctuant son injonction d'un mouvement de tête. Il finit par se figer, levant un bref instant les yeux au plafond. Alors que les cinq lièvres prenaient la poudre d'escampette. Il en revint donc au chasseur, glissant entre les lèvres ténues, le bec de sa pipe. Son fer a nouveau rengainé, il pointa une chaise a la tablée du jeune homme.

" Permettez ? "

- Lui permettre ? Sans attendre de réponse, il se saisit de son barda avant de s'installer face au Chasseur. Personne ne refuse la présence d'un étranger, surtout si il offre le vin. Toujours est-il que cette journée était agréable, et qu'enfin, Abisheï s'était accaparé l'attention de la foule. Marchepieds, espérait-il, sur un nouveau cercle social implanté en Cydonia et pourquoi pas, vers de nouvelles missions. Sans pudeur aucune, il s'adressa a son comparse de tablée.

" C'est étrange, je vous imaginais plus combatif et opportuniste. Vous n'avez pas l'air d'écumer les même fosses a purin que la plupart des habitués "

Dégainé et même pas frappé. Il y avait de quoi être déçu quand on s’attendait à une bonne vieille bagarre de taverne à faire trembler les murs. Mais Lou n’était pas vraiment de ce genre-là. Voir un groupe d’imbéciles se taper grassement dessus de manière désordonnée était d’un ennui sans fond à son goût. Par contre, le mouvement de l’homme. Claire, unique et parfaitement maîtrisé, c’était quelque chose de beau qu’il avait du plaisir à voir. Bon, le manieur d’arme aurait quand même pût éviter de congédier l’ivrogne avec une tirade bien au-dessus des moyens du pauvre homme.

Lou regarda les hommes partir précipitamment, l’un d’entre eux tentant de sauver son honneur avec une histoire de femme à surveiller et de voisin un peu trop sympathique. Ridicule, tout bonnement ridicule. Mais amusant, au moins, il ne regrettait pas de s’être laissé distraire. Il jeta un coup d’œil à la serveuse qui leur courût après pour des consommations impayée. La tigresse dû en rattraper un et lui faire payer la dette en entier parce qu’elle revint avec un beau pactole qu’elle donna au tenancier. En tout cas, il y en avait une qui ne perdait pas le nord.

Et un qui avait besoin d’une boussole. Lou regarda le bretteur lui demander s’il pouvait prendre place et s’installer sans attendre de réponse. Certes, il avait apprécié le spectacle mais, ce n’était certainement pas pour ça qu’il voulait de la compagnie de l’homme. Lui, semblait combatif et opportuniste ? Le chasseur se retint de lever les yeux au ciel et se contenta de ressortir son carnet et sa plume et de recommencer à griffonner avant de parler d’une voix posée masquant son agacement.

« Non. »

Il s’interrompit un instant pour regarder l’autre droit dans les yeux.

« Je ne vous permets pas. »

Précisa-t-il pour que l’autre n’ait pas l’excuse de mal comprendre la cause de son refus et qu’il s’en aille sur-le-champ. Il se replongea dans son carnet espérant que le belliqueux ait correctement compris le message.

- La négation du chasseur, fut accueillie par un - " Fort bien ! " - Qui souligna a cet instant, l'indifférence totale d'Abisheï, a la bénédiction de ce solitaire. Il ne s'escamota pas pour autant, non au contraire, il s'installa plus que confortablement sur son assise, nuque sur le dossier et a nouveau, talons apposés sur la table. Il offrit un répit a l'homme, volant quelques encenses âcre de tabac brun avant d'en recracher de fins filets. Et les narines encore fumante, il reprit la parole.

" Que pouvez vous griffonner sur ce parchemin ? La matière ici, est quelque peu désoeuvrante, autant que décevante. Plus que vous terrer dans le mutisme, essayez de me barder d'espoir en me disant que les cinq guignols et les bouseux qui animent ce rade, ne reflètent pas la "norme actuelle" ... Vous ne pouvez refuser civilement, une tournée, pas dans une taverne, cela va a l'encontre de toutes les lois de la bienséance. "

- Posant sèchement le pichet de vin, il laissa ses paupières s'affaisser. Les yeux plissés, il sonda son interlocuteur. Il analysa tout d'abord le Chasseur, de pieds en cape. A son bardage léger, et a l'état de ses bottes, il pensa avoir à faire a un mercenaire ou un voyageur, soit le fruit de ses recherches. Chaque ville avait ses points névralgiques ... Et le cœur d'une ville est bien sa taverne. Et ces tavernes regroupaient tous les coursiers, voyageurs et soulards de Cydonia. Tous étaient porteur de nouvelles, ragots et de têtes mises à prix. Jugeant bon de faire une approche plus discrète, pour ne pas se confondre, concernant ses activités. Il tâcha donc, avec toute la pertinence qu'il avait a revendre, de glaner quelques pistes. Lou suivait les empreintes, Abisheï lui, suivait les balises de l'esprit. Doigts pianotant sur la tablée, il commença à questionner le Traqueur.

" Vous connaissez bien le coin ? "

- Jetant un œil vers les fenêtres, il vint a chercher du regard, la présence éventuelle d'un des cinq poltrons. Mais il n'eurent pas l'audace de revenir plus nombreux. La garde elle ne semblait guère anxieuse, personne n'avait fait irruption dans cette rixe. Second jet, le Bretteur vint remplir son ballon, apaisé par les vapeurs montantes de l'alcool.

Bon, l’autre ne s’occupait pas de son avis pour s’installer confortablement et fumer avec aisance. Bon point, il se fichait de l’avis de la plupart des gens, mauvais point ça l’énervait prodigieusement. Ce comportement de sympathique voyageur remplis de savoir et avide d’une nouvelle contrée à conquérir par la langue et la lame, beaucoup trop bon vivant pour lui. Lou s’interrompit dans son écriture et regarda l’homme un instant. Impossible de se concentrer correctement avec l’autre à côté. Il inspira profondément pour se calmer mais, les vapeurs de tabacs de son voisin passaient largement au-dessus des autres odeurs à cause de la proximité.

« Et vous osez accusez les gens du coin d’être des imbéciles ? »

Articula-t-il à mi-voix plus dans un soupire qu’autre chose. Au moins, les gens du coin lui fichaient une paix royale après qu’il se soit simplement montré désagréable. Pas besoin de se battre pour être tranquille. Mais l’autre ne voulait pas de tranquillité, il voulait des histoires.

« Non, et arrêtez immédiatement avec votre tabac je ne veux pas perdre des heures à m’enlever son odeur ! »

Il avait répondu à la question pour donner à l’autre une raison d’accéder à sa requête. De toute manière, s’il continuait à fumer à côté de lui, il s’en irait. Le tabac était une des pires odeurs à masquer. Elle s’incrustait directement dans les habits et était très facilement identifiable pour les animaux, surtout un tabac aussi parfumé que celui-ci.

Lou ferma son carnet d’une main qu’il garda posée sur la couverture et recula un peu sur sa chaise. Il siffla la serveuse qui, surprise autant pas l’appelle que le fait qu’il ait un compagnon de table, ne se fit pas prier pour le rejoindre en vitesse. Lou lui montra son verre avant de passer la commande.

« Il me faut quelque chose de beaucoup plus fort. File moi ce que tu as de violent. »

Il sentait qu’il allait en avoir besoin. Il regarda de nouveau l’homme et refit une tentative.

« Allez vous prendre une fille et partez ! »

- Cette fois, Abisheï fit preuve d'un peu plus d'attention a l'égard du Traqueur. Son visage satisfait, sur lequel s'affichait à présent un sourire goguenard, se figea. Agaçant masque de la victoire ? Après tout, il avait réussi à entrainer Lou sur un autre terrain, et même si l'échange n'était pas des plus courtois, c'était un début. Il accéda cependant à la requête du chasseur, autant être diplomate. Léchant le bout de son pouce, il vint écraser le contenu de son godet, dans un 'Fshhhh' mourant. La fraise agonisante alors, éructa un dernier nuage de tabac, âcre et lourd avant de s'éteindre. Saisissant son calice de sa manicle libre, le Spadassin vint agiter son contenu, laissant le liquide carminé rouler dans sa matrice.

" Hm. Le qualificatif le plus approprié serait celui de Nuisible ... A moins que tu ne sous-entendes, que choisir de parler avec toi soit une preuve de sottise. Et seuls les sots se comprennent, alors dis moi, ai-je a faire a un "imbécile" ? "

- L'art et la manière, de la resucée acide. Cette réplique au gout de reviens-y qui manipulée par une langue habile, devenait un moyen de bloquer son interlocuteur sur une voie à sens unique. Comme pour ponctuer ce bel effort, Abisheï prit une bonne rasade de vin. Il fallait l'admettre, se priver d'une bouffée d'Ocrebrume était pour lui comme se priver d'air. Mais il fallait ménager les poumons délicats de la demoiselle. Il était étrange, d'imaginer qu'une personne nourrisse une telle aversion pour la fumée, le Bretteur ne se priva donc pas de lancer une nouvelle pique au Traqueur.

" On vient à l'abreuvoir en catimini, sans l'accord de bobonne ? Nonobstant cette entrave désolante, j'ai besoin d'un guide ici et d'un contact, et autant dire les choses telles qu'elles sont, t'es le seul qui m'a l'air de faire l'affaire. Alors si t'arrêtes de jouer ta pucelle effarouchée et que tu prends le temps de m'écouter, on pourra peut-être avancer ... Et je te promets qu'après ca je te laisserais parler de tes prétendants sur ton journal intime. Parole ! "

- Décochant un nouveau rictus au Chasseur, il vint pencher la tête sur le coté. Encore un signe de condescendance, à peine dissimulé. Il fallait bien qu'il taquine le goujon, pour l'arracher a l'onde. Restait à savoir qui était le plus 'tête de lard' des deux, mais en matière de torture psychologique et de tourmente, Abisheï semblait se débrouiller pour être un fléau.

« Oui, oui et on ne se comprend pas toi et moi sinon tu ne serais pas en train de faire de grandes phrases. »

Répondit Lou en regardant la serveuse revenir avec un autre verre. Il n’attendit pas qu’elle l’ait posé sur la table et le lui prit des mains pour boire une bonne gorgée. Il grimaça avant de poser le verre et de regarder la femme d’un air effaré. L’imposante serveuse leva les mains en signe d’impuissance et anticipa sa remarque sur un ton entre le désolé et l’amusé.

« Non, on a rien de plus fort. »

Elle haussa les épaules quand Lou lui fit signe de filer et repartit dans la marrée d’ivrogne qui se contentait très bien de la piquette. Le chasseur commençait à perdre espoir de finir la soirée tranquillement. Il songea vaguement que le coq rouge en face de lui devait avoir autant de peine que lui à supporter les gens pour s’accrocher ainsi à quelqu’un qui ne voulait pas de sa présence. La remarque suivante de sa part fit tout de même sourire l’homme. Sincèrement amusé cette fois. Il prit le temps de reprendre une gorgée de son verre avant de répondre d’un ton purement moqueur.

« Serai-ce de la jalousie que j’entends là ? Navré mon chou, tu n’es pas mon genre j’aime les vrais hommes. »

Il rangea son carnet dans une de ses sacoches et glissa sa plume à côté. Il n’était de toute manière plus d’humeur à continuer maintenant et le plus simple pour se débarrasser de l’autre allait être de l’écouter. Il n’avait pas envie d’en venir aux mains pour avoir la paix, surtout pas contre quelqu’un qui savait se battre. Beaucoup d’efforts pour pas grand-choses. Il regarda l’autre droit dans les yeux un moment reprenant son sérieux.

« Dit moi ce dont tu as besoin, combien tu pays et sous quel nom je dois te connaître. »

Il voulait parler affaire, très bien, qu’il en soit ainsi. Avec récompense à la clef, il pouvait supporter de la compagnie.

- Le Traqueur avait du répondant, ce qui n'était pas pour déplaire au Bretteur. Les palabres avaient en effet fait leur temps. Et pour mieux le lui rappeler, Lou entra dans le vif du sujet.
A cet instant, Abisheï se devait de tâter le terrain, pour savoir si il avait a faire à un mouchard, un cafard ou autre rampant du même acabit, ou si il était face à un insurgé, qui cachait bien son jeu. Il se permit donc de saluer la première vanne du chasseur, par une petite riposte de bonne cuvée. -

" Et je préfère les vraies femmes, mais reconnaitre tes étranges mœurs t'honore ... "

- Claquant des doigts pour interpeller la dame au balconnet bien garni, il indiqua d'un mouvement de main rapide, qu'il désirait que son pichet soit rempli. Tant pis il titubera et arrosera les murs de la ruelle du coin, mais en cette fin de journée, il n'avait guère envie de se priver. Quand celle-ci s'approcha, se cambra pour se saisir de sa carafe, il vit le galbe saillant et arrondi de sa poitrine, se gonfler, et à cette vision, il lâcha à la taulière une de ses remarques bien senties.

" La viande est fournie avec la boisson ? "

- Tout cela fut ponctué par un plat de main net sur la croupe de l'hôtesse, qui réprima une sorte de cri aigu. Le pourpre lui montant aux joues, elle faillit en renverser la consommation du traqueur. Et en matière de viande, elle aurait pu nourrir une horde d'Astorgs faméliques. Oui ce Baroudeur ne jurait visiblement de rien. Mitaine refermée sur son ballon, il descendit celui-ci d'un trait. Laissant ce sang de vigne divin, couler sur sa langue aux sens affinés et raffinés. Puis il reprit la parole, mesurant son débit avec soin, puisque son comparse semblait avoir un peu de mal avec les monologues.

" Coebellanthius ... " - Commença-t-il - " Je me nomme Coebellanthius ... Mais appelles moi Cob' . "

- En cas de bévue ou de bavure, un pauvre tisserand rencontré deux jours auparavant sur la place du marché, prendra pour lui. Ne jamais donner sa véritable identité était une règle primordiale. Et jouer aux poupées russes l'était d'autant plus. D'une tête a l'autre son patronyme changeait.

" Je vais faire simple, je ne peux pas te dire ce que je cherche, c'est a toi de me dire ce que je peux trouver. Des problèmes ? Des conflits de bandes rivales ? Des mises a prix sur la tête de fugitifs ... Ou autres ? "

Lou n’apprécia pas vraiment le petit jeu de l’homme avec la serveuse. Celle-ci, pas plus troublée que ça par l’interlude, repartait déjà d’un pas ferme. C’était sur qu’elle devait en avoir vu beaucoup d’autre après plusieurs années à servir dans ce bar et c’était peut être chose courante pour elle. Mais, le chasseur doutait fortement que l’autre soit réellement capable d’apprécier la beauté de la femme. Les personnes qu’il supportait bien étaient rares et si cette dame en faisait partie ce n’était certes pas pour sa banalité. D’une certaine manière, ça l’avait énervé. Il finit son verre d’une traite tout en écoutant son interlocuteur forcé. Déjà, le nom qu’il avait donné, qu’il soit vrai ou pas était…enfin bref, si c’était son vrai nom, il n’y avait plus à chercher bien loin d’où venait son penchant pour la bagarre et la fanfaronnade. Cob ? Coq plutôt. Le coq écarlate. Voilà un surnom qui irait bien. Après avoir renommé mentalement son voisin de table, il répondit d’un ton calme à sa question.

« Il y a bien un conflit dans le coin. Un quartier à deux rues d’ici et plus ou moins disputé par deux groupes. Les gars que tu as sortit tout à l’heure font partie de l’un d’eux. Mais face à eux, il y a Geoffrey, il tient tout une bande de gars prêt à en découdre. C’est un chic gars tant qu’on ne le provoque pas mais, je suis pas mal inquiet pour lui. La dernière foi qu’on s’est vu, il m’a avoué qu’il avait toujours ses problèmes d’insomnies et avec sa pauvre femme à moitié aveugle. C’est dur de s’occuper de ses deux enfants autistes et de son groupe de gros bras. »

Il finit avec un ton faussement mielleux, le regard dans le vide remplis d’une terriblement fausse émotion de charité. Pour peu, il aurait presque fait semblant de pleurer. Il défit son masque en une seconde et regarda le coq en retrouvant son expression franchement agacée et en faisant un geste de la main comme pour balayer son histoire.

« Non mais franchement, les têtes payantes sont sur les tableaux d’affichage et, je ne sais pas si tu l’as ne serais-ce que remarqué, mais j’évite le contacte avec les gens. Et c’est justement pour éviter ce genre de minauderie sur mon épaule. Il est méchant, il a encore volé mes clients. Oh mon dieu, ce voleur de bétail fait des ravages ! »

Il ponctua chacun de ses exemples en mimant avec satyre les paysans éplorés. Puis, il siffla la serveuse la plus proche. Une jeunot fine comme une guêpe avec une cascade de cheveux bruns et ouverte pareillement de manière sociale et vestimentaire. Il se leva et présenta son interlocuteur à la belle en tendant le bras vers lui.

« Petite, voici Cob. Cob, voilà le genre de personne qui a les infos que tu cherches. Et même plus si tu y mets le prix. »

Il posa un peu d’argent sur la table pour payer ses consommations avant de faire volte face en murmurant un vague, « bonne soirée », avant d’aller rejoindre le bar en vitesse fuyant avec ravissement pour retrouver la compagnie d’un nouveau verre de piquette.

- Le coq écarlate, plus que chanter était vif et chacun de ses gestes aussi théâtraux soient-ils étaient calculés. L'agacement du Traqueur levait déjà plusieurs déductions. Visiblement la besace de Lou était lourde de principes. Peut-être solitaire ... Mais pas rustre de toute évidence. Ce petit ferait bien de se faire déplisser l'œillet. Soupirant sans gêne aucune, le Bretteur écouta donc le récit de Lou. Mais là encore, insolent, il se mis a bailler aux corneilles, sans retenue. C'était donc ca l'animation Cydienne, des duels de clodos ? Mordiable ! Ou Abisheï était-il tombé ? La fosse fangeuse de la capitale ? Tu parles d'un joyau. Quand aux affiches, elles se concentraient sur des truands a la petite semaine. En somme, il n'y avait rien à faire ... Mais plutôt tout à refaire. Il siffla donc au Chasseur.

" J'ose espérer que tu n'escomptais pas être payé pour des informations aussi vaseuses ? "

- Hochant vigoureusement la tête, le Maraudeur vint loucher sur sa bouffarde. Mais il préféra se rabattre sur son vin, qui avait tardé à arriver. Descendant à nouveau la matrice de vivacité, il souffla avant de relever le menton et de darder Lou de ses billes étincelantes.

" Bigre, mais qu'es tu ? Le petit braillard du coin qui se complait dans ses fèces ? Cesses donc de barboter seul dans ton bassinet l'ami, la vie est déjà assez ennuyeuse. Tu n'a donc aucune ambition ? A quoi se résume ta vie ? Regarder pousser tes salades, vivre dans une bicoque avec trois chiards, balai a la main ? Je peine a y croire ... "

- Tapant du poing sur la table, le spadassin quelque peu chauffé par les vapeurs de vinasse. Sentait le rouge lui monter aux oreilles. Alors que Lou jouait les entremetteurs. Il congédia la demoiselle d'un mouvement de main dédaigneux, comme si on lui collait sous le nez, une assiette d'abats avariés. Puis il exhorta sa déception dans un soupir long et marqué. Il fallait voir si ce chasseur avait des tripes, lui mettre un bon plat de semelle sur le derrière.

" Je ne peux pas te retenir à cette tablée, mais si te venais l'envie de changer la donne. Et d'avoir enfin une paire de bourses à exhiber, pour rendre ta génitrice fière de son p'tit dernier, je serais ici durant quelques jours. Progresses vers la pilosité mon petit, et bon courage. "

- Une fois la proposition de partenariat faite, il revint toiser le reste de la foule. Personne n'était viable pour une mission, il devait s'agir d'un cimetière, non d'une auberge. Et Abisheï en était devenu malgré lui le fossoyeur. Que c'était triste. Il se saisit alors de l'argent que Lou venait de poser sur la table, libre service. Il fallait bien le provoquer un peu et voir comment il réagirait, allait-il venir pour réclamer son du ? Le Spadassin lui, faisait déjà rouler l'un des écus rutilants, entre ses doigts. Un vrai fléau ...

Apparemment, le coq n’avait pas comprit l’ironie de ses propos et prenait au sérieux sa petite histoire. Lou leva les yeux au ciel même si, tournant en ce moment le dos à l’autre, celui-ci ne pût pas le voir. En tout cas, il l’avait énervé. Tant mieux, l’autre l’avait plus que largement cherché à son goût. Vivre avec trois gosses ? Lui ? Bon, il n’avait apparemment pas encore vraiment cerné le personnage. L’homme remonta légèrement dans son estime quand il rejeta la jeune femme mais cela l’énerva d’autant plus quand il mentionna sa génitrice. Il sourire mauvais orna ses lèvres un court instant au souvenir de la femme en question. Il avait vraiment envie de frapper quelqu’un maintenant.

« Je ne pense pas que les arrogants dans ton genre soient capables de comprendre quoi que se soit à ma vie. »

Dit-il d’un ton neutre sans élever la voix. Il était assez loin de l’autre maintenant et il se fichait clairement que l’autre l’ait entendu ou pas. Il se leva pour quitter l’établissement quand la porte de l’entrée s’ouvrit à la volée. A première vue, les gros bras de toute à l’heure avait prit leur courage à deux mains. Ils étaient revenus armés de pioches et de masses, le visage encore plus rouge qu’avant à cause de l’alcool. Lou se retrouva juste en face du meneur qui le regarda d’un air aussi bête que méchant, ses articulations blanches autour de sa pioche.

« Écarte-toi. »

« Même pas en rêve. Dégage. »

Grogna Lou de mauvaise humeur. L’homme parut surprit mais le chasseur n’était vraiment pas dans l’intention de faire preuve de patience. La brute prit quand même une seconde avant d’avoir le réflexe, stupide soit dite en passant, d’agiter son arme en l’air pour la lui envoyer sur la tête. Lou lui décrocha un violent et rapide coup de genoux dans l’entre-jambe et le poussa en arrière d’un coup de coude dans le plexus. L’homme heurta le gars derrière lui et la porte d’entrée fut bien vite un amas de saoulards énervés et déséquilibrés qui n’avaient pas finit de passer la porte. Lou recula d’un pas pour prendre un peu d’espace avant le début du réglage de compte. Il y en avait déjà un qui avait son compte.

« Parfait. Enfin de quoi s’amuser un peu. »

- Non en effet, Lou ne s'était pas montré suffisamment théâtral pour que le Passe-ferraille se permette de jouer les sceptiques. Après tout, fable ou non, son historiette restait assez réaliste. Les gens s'émoustillaient pour trois fois rien généralement. Le moindre oiseau mort, rendait le quotidien d'un Cydien des bas-quartiers, singulier, pour ne pas dire extraordinaire. Alors une rixe de pécores ... Bref, sa provocation n'eut aucun effet sur le Chasseur, ce bonhomme était a l'épreuve des piques et des flèches, un stoïcien dans l'âme. Les fluides même les plus corrosifs sauraient-ils éroder le roc qu'il était ? La réponse ne tarda pas a tomber, puisque la caste des Histrions était de retour. Plus affamée de coups que jamais. Et Lou, au mauvais endroit, au mauvais moment, venait d'offrir à cette bande de béotiens babillant et baveux, une occasion de jouer avec leur outils.
Ah, ce traqueur savait ou frapper, et si ce n'était pas au gorgerin, c'était dans les grelots ! Confortablement installé, le Spadassin lorgna la scène en ricanant.
Il décida cependant de ne pas intervenir, il voulait que son comparse de tablée à la langue acérée, prenne conscience de l'erreur qu'il venait de faire. Après tout, il s'était accaparé toute l'attention de la fine équipe ... Toute ? Ou presque.
L'un des ivrognes tendit son doigt violacé et boudiné vers Abisheï en marmonnant un vague "c'lui ! tabassez le avant qu'il sort' son braquemart là ! ".
Se retrouvant rapidement avec trois sacs à vin sur le râble, le Maraudeur improvisa. Le premier venait déjà de saisir entre ses mains suintantes, son avant bras dextre, rendant la tâche d'un dégainé prompt, laborieuse, étant donné que son fourreau se trouvait à son flanc gauche, une telle allonge de lame ne pouvait être tirée d'une seule mouvance, sans une inclinaison adéquate. De sa main libre alors, il tira un des aiguillons qui maintenaient sa chevelure de jais, pour asséner une estocade a son agresseur. La percée vint alors perforer le gras et la chair du cou quasi-inexistant de ce soudard. Les petites giclées amarantes, qui fusaient alors comme les traits d'une arbalète à répétition, témoignaient de l'ampleur de cette blessure, qui avait de toute évidence touché la jugulaire. Le soiffard qui plus que de pousser des plaintes, gargarisait son propre fluide vital, se mis a reculer, main agrippée a sa plaie ... Gagnant l'espace nécessaire, levant sa cuissarde, Abisheï renversa sa table et toute la garniture qui allait avec ... Le fracas de son verre de vin, fut là le glas d'une mort certaine pour ces chiens, qui avaient alors eu l'audace de le défier. Arrachant Nogphushankaas à son écrin cuirassé, il se mit a balancer à cette bande de lâches des noms d'oiseaux, tous plus exotiques les uns que les autres.

" Ah ! vous avez les guiboles flageolantes et les arpions transpirants, pleutres, fot au cul ! Montrez moi c'que vous avez dans les braies ... Allez venez ramasser, petites catins ! "

- Poussant un cri de guerre et sans plus de sommation, Abisheï joua les cabotins, bondissant d'un pieds sur le rebord de la table qu'il venait de renverser. Une fois son appui pris sur cette maigre tranche, il fondit sur l'un de ses trois morceaux de viande. Entrainant le bougre dans un équilibre précaire, il finit au sol avec cette canaille en prenant ca bedaine pour assise. Son pommeau lui venait vigoureusement frapper la frimousse de ce pauvre bougre ... On entendit alors des plaintes étouffées dans tout ce capharnaüm. Le troisième membre du clan des Piliers de comptoir ne perdit pas le nord, puisqu'il abbatit avec puissance une chaise sur le dos du Mercenaire.

" Humpf ! "

- Surpris tant par la fulguration que par la douleur, le Spadassin se redressa. Sur les sables souillés de l'Arène, il en avait encaissées d'autres. Le mal cependant parcourait ses omoplates ... Sournoises ondes de douleur. Il n'en fit pas le dos rond pour autant, échappant a un nouveau coup assené grâce a un roulé-boulé, il se redressa a quelques pieds de là, la bouche tordue par une rage sans nom, il était bien évident que ce qu'il allait arriver à ce malheureux allait être particulièrement sale et douloureux. Et bien que l'idée de transformer l'un des pieds de cette contondante chaise, en séant, soit passé par la tête du Féroce combattant, il se contenta de lever sa lame en garde haute. Il se devait de minimiser le nombre de morts, jusqu'ici il y avait la couineuse au cou percé qui n'était plus très loin du passage ad patres. Et le second qui comptait trente six chandelles avec le nez en chou-fleur. Le dernier lui, était toujours soumis au délibéré intérieur d'Abisheï qui confrontait sa raison et sa bête.

- Restait à voir comment s'en sortait le chasseur car il restait quelques fesses a botter. Abisheï savait qu'il était tombé sur un faux-calme, il fallait voir ou étaient les limites de ce solitaire.

Lou attendit le premier coup pour réagir. Idiots comme ils étaient, aucun des paysans n’avait eut l’idée de le contourner pour l’encercler. Manœuvre pourtant évidente aux yeux du chasseur, mais il n’avait prit cette position que parce qu’il savait qu’il ne risquait rien de la part de tels adversaires. Ils hurlèrent tous avant de lui foncer dessus. Le spectacle fut tout bonnement pitoyable. Sur les quatre au seuil de la porte, deux se heurtèrent l’un contre l’autre dans l’espace étroit de l’entrée. Le choc suffit à les faire lamentablement s’encoubler dans leurs propres jambes et tomber sur le sol. Mais, les deux badauds chutèrent dans les jambes du troisième qui avait à peine franchit la porte et qui, suite au coup dans ses membres antérieures, s’effondra à son tour comme un domino ne laissant qu’un seul des belliqueux mener jusqu’au bout sa charge.

L’homme aurait eut au moins le mérite d’avoir fait un beau mouvement d’inconscience martial si il ne s’était pas arrêté net, le visage blanc et la bouche dans une parfaite imitation d’un poison hors de l’eau en voyant ce qui venait de se passer derrière le chasseur. Lou fit les choses dans l’ordre. Il donna un coup avec la base de sa main à plat dans le nez de l’homme, brisant le cartilage dans un bruit de bois mort. Il enchaîna en pivotant sur une jambe pour donner un coup de pied à l’arrière du genou de l’homme avec assez de force pour lui faucher la jambe et l’envoyant rejoindre ses camarades sur le sol.

Après son mouvement, Lou se trouvait face au coq écarlate qui se mit alors à hurler en dégainant son arme. La cause de l’arrêt brutal de son adversaire tituba en arrière et faillit le percuter alors que le sang s’échappait joyeusement de son cou comme une fontaine en perte de puissance. Lou le saisit par le col de sa main gauche et dégaina son couteau de la droite. Rapidement, il trancha la gorge de l’homme laissant le reste du sang partir sur le sol en un clin d’œil.

Les clients se mirent à hurler en prenant la fuite après s’être prit la douche chaude que Lou venait de déclencher. Les trois saoulards dont il n’avait même pas eu à s’occuper, qui se relevaient avec difficultés, furent heurtés en plein fouet par la foule apeurée pour sa vie et, il y avait fort à parier qu’ils furent bien vite piétinés de part leur position en plein centre de la sortie.

Le chasseur lâcha le cadavre de l’homme qui tomba sur le sol au milieu de sa propre flaque. Il jeta un coup d’œil vers le comptoir. Le patron s’était recroquevillé derrière avec la plupart des serveuses. L’imposante serveuse à la peau sombre était restée debout à les observer. Il n’y avait chez elle qu’une vague inquiétude et elle ne se sentait visiblement pas menacée. Son sang-froid était agréable. Lou regarda le bretteur dans la salle presque vide et pointa sur lui un doigt accusateur.

« Toi, tu as vraiment trop le goût du spectacle et je déteste les vantards. Si tu y vas avec une pique il faut l’enfoncer dans l’œil pour tuer rapidement ! »

C’était ce qu’il faisait de mieux en conseil amical. C’était bien une reproche mais celle-ci n’était pas vraiment méchante venant de sa part. Il avait utilisé juste un ton très légèrement énervé, sa colère ayant fichu le camp avec les paysans terrifiés. Il essuya son couteau sur le vêtement du corps pour en enlever le sang et rengaina.

« Vaut mieux y aller avant que la garde rapplique. »

Dit-il en se dirigeant vers la sortie.

- De toute évidence, le Traqueur n'avait pas de préférence en matière de gibier. L'acte de 'compassion' ? Dont-il fit preuve en achevant l'ivrogne poinçonné, souligna un nouveau trait de sa personnalité. Il n'était donc pas si nihiliste qu'il n'y paraissait ... Puis il se permit enfin de faire des remontrances sur le 'style' de mise a mort, peu réglementaire du Spadassin. Opinant du chef, dodelinant du bonnet ... Le Passe-ferraille se contenta de lui lâcher d'une voix trainante.

" Je garde mes talents d'orfèvre pour les adversaires valables. A quoi bon jouer les artisans de la faucheuse pour ... "ca". Et je glisse rarement des aiguillons tranchants dans ma toison l'ami ... Je tiens a garder mon pelage pour les assauts de la bise hivernale. "

- Jetant une œillade bardée d'indifférence, sur celui qui venait de mourir ... A gorge déployée. Il se tourna vers Lou qui gagnait déjà la sortie. Pourquoi fuir ? C'était un comportement plus que suspect. Après tout, l'assaut venait de cette cohorte de soudards, ils avaient choisi la mort. Ah ce comportement de Néophyte ! la garde Cydienne était-elle si impressionnante ? D'un geste négligeant, Abisheï jeta au sol, les pièces dérobées au Traqueur. Les écus d'or, astres de puissance et de survie en ce système corrompu, roulèrent sur le plancher, cerclant la carne de l'égorgé qui gisait là. Et offrant a son adversaire déchu, un requiem des plus étranges, le Maraudeur laissa couler sur ses iris d'argent, ses paupières.

" Enrobant dans l'âpreté de ta piquette, la fadeur de ton existence, tu auras eu le mérite d'apporter a cet établissement une nouvelle accalmie. Buvez donc chers badauds, à la santé de ce bougre ! "

- Puis il emboîta le pas, ou plutôt, il tenta de rattraper son retard sur le Chasseur en quittant l'Hostellerie. Tous les habitués du 'Pont Divin' médusés accompagnèrent d'un regard impuissant la sortie de l'Almer. Ils ne savaient sans doute, pas ce qu'ils allaient faire de ce cadavre, et ils devaient penser qu'ils étaient confrontés a un choix cornélien. Mais la réponse allait sans aucun doute leur venir, l'équipée des Piliers ne pouvait plus les blâmer ... Alors que cet inconnu a la flamberge leste, lui, pouvait revenir et amorcer des représailles. C'est sans nul doute la raison pour laquelle Abisheï ne s'inquiétait guère ... Il savait pertinemment que ce contentieux n'allait pas le poursuivre. Il marchait tranquillement dans les ruelles de la Cité, quand il vit enfin le Chasseur campé dans un renfoncement de l'artère qu'il venait d'emprunter .... Essoufflé et installé sur un amas de tonneaux. Reprenant les bons vieux réflexes, le Passe-ferraille glissa le bec de sa bouffarde entre ses lèvres, après tout ils étaient en plein air, avant de palper la petite poche cousue a l'intérieur de son pourpoint. Mordiable ! L'Ocrebrume était resté dans l'établissement. Quelle immonde déveine !

" Eh bien ! Il te faut une rixe pour te dérider ... Tu es un drôle de gaillard. Il était inutile de courir, les témoins présents jureront que ces épaves sont responsables de l'incident. A leur quotidien et à la nimbe de piquette bon marché qu'ils exhalent, les gardes se contenteront de déblayer le sol. Le bonhomme là ? C'est le premier auquel tu offres les derniers soins ? "

- Lou venait de semer Abisheï, rendant tous ses raisonnements caduques. Il savait de toute évidence se servir d'une lame, il savait frapper pour tuer et nourrissait une connaissance de l'anatomie. Du moins bien moins primaire que celle du Spadassin. Mais parallèlement, il venait de prendre la fuite pour un simple règlement de compte.

« C’est certains, si tu veux récolter la gloire de cette pitoyable bagarre d’ivrogne et t’attirer la reconnaissance des gardes pour une mise à mort pareil, je t’en prie, je ne te retiens pas. Vas seulement passer la soirée sous le feu des regards. »

Dit tranquillement le chasseur en soupirant. Il eut un sourire de contentement en voyant que l’autre ne trouvait pas de quoi fumer. Il l’aurait sans doute planté sur place immédiatement en cas contraire. Il enleva doucement ses gants encore couverts de sang avant de les prendre dans une main, seulement protégée par le morceau de gantelet sur le dos, et de les frapper violemment sur le mur le plus proche pour enlever au mieux le liquide puant. Il serra les dents déçu du résultat. Il était bon pour les laver correctement à la première occasion. Pas question de retourner en chasse avec une odeur humaine aussi forte. Bon dieu, il détestait rester en ville trop longtemps. Les hommes puaient et lui refilaient leurs fragrances comme des poux passants de chien en chien. Il remit son gant long avec agacement et ragea l’autre.

« Pour ta question, non. Mais l’abatage n’est vraiment pas mon truc…c’est… »

Il chercha le mot un instant, ne quittant pas son air nonchalant et totalement détaché. Il n’était pas sur de comment exprimer ce qui le gênait. Il n’avait jamais aimé mettre à mort quelque chose qu’il n’avait pas chassé. Pour lui, ôter la vie se justifiait par tout le processus de chasse qu’il exerçait et passer outre une seule étape lui donnait l’impression de tricher.

« …Ce n’est pas professionnel. »

Dit-il comme compromis avec sa propre pensée. Il haussa les épaules et fouilla dans sa sacoche un instant en faisant quelques pas. Il devait retrouver son cheval et partir maintenant qu’il avait décidé de laisser tomber cette auberge et aussi, il avait envie de sortir un moment de la ville pour appeler l’aigle et savoir s’il l’avait suivit dans les environs où s’il s’était temporairement éloigné. Il s’arrêta un instant et regarda Cob. Sa présence ne le gênait plus vraiment maintenant et même si cela ne le rendait pas vraiment de meilleure compagnie, si l’autre le supportait ils pourraient peut être faire correctement affaire un jour.

« Tu retournes te faire admirer dans l’auberge et recevoir les compliments de tes capacité de manieur de lame ? »

Demanda-t-il d’un air moqueur.

Le temps passe et jamais ne s'arrête.

Le changement de saison s'annonce et bientôt, un blanc manteau recouvrira le monde, le chant joyeux des oiseaux cédera sa place au silence et le monde s'endormira petit à petit. Dans ce décor figé par le temps, le moment est venu de s'éclipser, de laisser la nature reprendre ses droits et le cours des choses se faire.

Désengagés : Abisheï, Lou

Contenu sponsorisé

» Enzekiel [FINI]
» [FH]Que lis-tu ?(pv Jeyne) [fini]
» Aizon [Fini]
» Noalia [fini]
» [FH] Héritage (fini)

[D A] - Au palais des Encenses - (fini)

[D A] - Au palais des Encenses - (fini)

Sujets similaires

Sujets similaires