[F-A] Prisonnière de ses rêves (pv Jalaad) (fini)

Jelenna était perdue.
Physiquement comme moralement. Mort l'avait arraché à son ainée sans le moindre scrupule, l'obligeant à revivre sans cesse dans ses rêves la mort de ses proches. Car si la dame n'avait pas le droit de la tuer pour le moment, elle n'en restait pas moins une gardienne bien sadique qui aimait torturer sa proie mais ce qu'elle ignorait c'était sans doutes que la petite fille qu'elle prenait plaisir à manipuler dans son labyrinthe cauchemardesque avait plus d'un tour dans son sac. Ainsi, de jours en jours et de nuits en nuits, la petite fille commençait à mettre en place une stratégie contre la méchanceté gratuite de l'ancienne reine amazone. D'abord, elle s'était rendue compte que son esprit n'était pas totalement fermé lorsqu'elle rêvait, ainsi, elle était encore ouverte au monde extérieure et il lui suffisait de focaliser son attention sur une âme réelle, comme celle de Kiki par exemple, qui ne quittait jamais la gamine, bien trop contente d'avoir une compagne de jeu. Ce n'était pas facile car la dame sauvage bougeait beaucoup et que Jelenna ne maitrisait pas son don hérité de son père depuis longtemps mais elle s'y attelait et grâce à l'Esprit, elle avait maintenant réussit à sortir du labyrinthe de Mort. Restait ensuite à lui échapper et pour cela, la petite fille possédait là encore des ressources. Certes cela ne marchait pas toujours et surtout lorsqu'elle était éveillée bien sur mais pour ce soir, son petit stratagème semblait fonctionner. Quoi de mieux que d'échapper à la Mort en personne par le biais d'un autre rêve ? Le sien bien sur.
Ainsi, chaque nuit depuis deux jours, Jelenna fuyait Mort par le biais des rêves de Kiki ou encore des rares servants du palais d'Aza-chose. Ce truc d'ailleurs qu'elle n'avait qu'une fois alors qu'elle se réveillait à peine du cauchemar infligé par Nessa. La petite fille n'avait vu en lui que le désespoir, la Mort en personne lui faisait moins peur. Mais plus que tout, la petite princesse bis avait surtout vu en lui la peur et quelque part, elle avait eut pitié de lui. Enfin ça, c'était avant qu'il ne lui donne comme garde du corps Mort et Kiki, surtout Mort en fait parce que la dame chatte était marrante dans son genre. Elle ne faisait pas peur, elle ne faisait pas "grande méchante de la mort qui tue".

Mais passons, Jelenna avait échappé à la vigilance de son bourreau et, comme chaque soir, elle tentait de parvenir jusqu'aux rêves de sa mère ou encore de sa sœur ainée. Mais pour le moment, les deux nuits où elle avait tenté cela s'étaient révélées un échec. Certes elle croisait Imala, la louve blanche de la déesse Diane, mais celle-ci ne pouvait que l'encourager sans rien faire d'autre. Elle avait même tenté de rejoindre les rêves de Haiiro, sa petite louve cendrée dont la présence rassurante lui manquait tant en ce moment ... mais les rêves de cette dernière lui étaient inaccessible ou alors, elle n'avait tout simplement pas suivi le bon chemin. Parfois, elle s'empêtrait dans les divers chemins ... en même temps, elle était novice en la matière. Mais là, elle savait que c'était le bon, elle avait cherché Eléa, elle s'était concentrée tant et si bien qu'elle était presque vidée de son énergie, ce qui expliquait sans doutes qu'elle dorme si bien ! Le chemin vers sa sœur ... elle y était presque ... elle ...

" Eléa ? " appela-t-elle en voyant une silhouette au loin.

Le froid environnant ne la marqua pas, tout comme la neige recouvrant le sol. Seule la silhouette tant espérée comptait ...

La nuit son ventre obscur et froid sur le désert. Le vent soufflait, sifflait, tourbillonnait sur les crêtes, couchait sur les pierres noires le maigre foyer allumé dans un val profond, révélant dans les ténèbres, par de brusques éclats de lumière, la silhouette hiératique, immobile, d'une femme. Cheveux fous, ruisselant sur les épaules nues, comme une idole païenne coiffée d'une tiare de tresses opulentes; ses yeux étaient clos, la tête légèrement renversée en arrière. Assise, les mains posées à plat sur ses genoux, elle semblait façonnée dans l'obsidienne, dans l'or, dans l'ivoire; le feu courait sur sa peau sombre, y faisait luire de longs reflets ambrés, révélant les courbes, les marques, les aspérités...
Un soupçon de mouvement anima les paupières closes. Jalaad rêvait. Autour d'elle la nuit chuchotait dans les palmes, dans le crépitement du feu, le sable roulait indéfiniment, pareil à la course du temps, infime, que nul ne peut arrêter. Elle écoutait. Tout. Musique de nuit, le chant des astres; le frisson d'une étoile, un froissement d'aile, un oiseau lointain, le cri vespéral de quelque bête nocturne. Elle savait. Les chemins s'ouvraient à elle, docilement, et son esprit était comme un oiseau pressé de s'envoler. Sommeil. Droite, elle sombrait. Respirer. Un souffle. La poitrine s'abaissait et se soulevait comme une vague, sous les colliers. Un tintement bref. Un souffle. Dormir. Le Rêve.
Les chemins partaient devant elle, incertains, flous comme des souvenirs d'enfant. Elle marchait. Semi-obscurité, semi lumière. Incarnation. Une silhouette. Des murs, des images. Ne pas se laisser emporter. Jalaad ne cherchait rien, elle marchait, l'errante du rêve, allant là où ses songes la menaient.

Une enfant. A peine plus qu'une esquisse, qu'une idée, l'idée d'enfant. Petite. Floue et pourtant distincte; elle était Là. Ce n'était pas un souvenir, pas une pensée, elle existait. Un contact.
Et puis, la voix.

"Eléa?"

Jalaad sourit, s'avança. De sa main noire, nette dans tout ce brouillard, elle traça en l'air des signes de protection, pour elle, pour l'enfant.

-Es-tu perdue?

Sa voix était comme un murmure, le bruit d'une pensée. Elle souriait. Le vent délavait le paysage comme une la pluie sur une aquarelle. Rien n'était fixe, si ce n'était cette femme noire aux yeux sauvages, et cette fille, là.

-Dis-moi ton nom.

De la douceur? Une caresse. On ne pouvait guère mentir, dans les rêves. L'esprit était si vite mis à nu... Jalaad ne lui voulait pas de mal, elle le montrait. Elle ne lui voulait pas de mal, puisque l'enfant ne semblait pas dangereuse.

Le brouillard était un peu plus épais que ne l'avait perçu dans un premier temps Jelenna. Elle avait senti le froid, et la buée qui s'échappait lorsqu'elle respirait le confirmait, elle avait aussi sentie la neige sous ses pieds, mais elle n'avait pas fait attention à l'épaisse purée de pois autour d'elle. Convaincue que sa soeur ainée était là, juste à quelques pas, avait suffit à la persuader que c'était bien elle. L'espoir peut rendre fou et peut-être que l'enfant l'était déjà un peu mais en même temps, qui pouvait l'en blâmer ? Enlevée aux siens, prisonnière de ce qu'elle pensait être le diable en personne, torturée par jeu par l'ancienne reine de son peuple ... il n'y avait pas là l'environnement favorable pour rester saine d'esprit. Quoi qu'il en soit, ce ne fut pas son ainée qu'elle croisa ce soir là dans la lande des rêves mais une parfaite inconnue. Une femme noire lui parla tandis que le brouillard se levait comme par enchantement. Dans le monde des rêves, le temps, les couleurs, le paysage, rien n'était figé. Tout changeait au gré des envies, au gré des sentiments. Ainsi, la neige disparue pour laisser place momentanément au sable doux, chaud et d'or de Ptot Tàh, si jamais la ville existait dans ce monde. Mais pour autant, la petite princesse bis ne perçut pas ce changement comme quelque chose de merveilleux, alors que tout autre personne aurait surement apprécié le changement de couleur et de température qui s'opérait sous ses yeux.
Non, Jelenna s'était arrêtée net dans sa course, perturbée par la découverte de ce qu'elle ne pensait pas trouver là. Etait-ce une nouvelle farce de Mort qui l'avait retrouvé même au delà du conscient ? Etait-ce pour la torturer de nouveau que la dame avait choisi de prendre l'apparence d'une femme apparemment innofensive ? Jelenna était perplexe quant à ce qu'elle devait faire. D'ordinaire, elle se fiait à son instinct, mais ce dernier l'avait si souvent trompé ces derniers temps qu'elle évitait de s'en remettre à lui, elle se fiait également à celui de Haiiro, la petite louve cendrée qu'Eléa lui avait offert, mais l'animal n'était plus à ses côtés et la petite fille ne parvenait pas à retrouver sa rassurante présence même ici, dans le monde des songes. Il fallait donc qu'elle s'en remette à elle-même, à son propre jugement et cela la terrifiait. Si elle se trompait à nouveau ?

Elle laissa la femme parler sans oser s'approcher. Sans oser esquisser un mouvement. La voix de son interlocutrice était douce, presque mélodieuse quoi qu'elle ressemblait plus à un murmure qu'autre chose. Jelenna se laissa tenter et de toute façon, pouvait-il sérieusement lui arriver quelque chose de mal dans ses rêves ? Mort ne pouvait pas avoir changé le paysage en une si grande plaine de douceur, c'était impossible car l'esprit de cette dernière n'était que chaos et destruction ... non, c'était autre chose. Une voix souffla à Jelenna que la dame en face d'elle n'était pas méchante et que, peut-être, elle pourrait l'aider ne serait-ce qu'à rejoindre sa soeur ainée. Elle hésita une dernière seconde et le sourire de l'inconnue acheva de la convaincre.

" Je ... je suis perdue. "

Elle avait comme l'impression que cette situation lui arrivait souvent. D'abord avec Coralynn dans sa propre forêt, ensuite à Tamawa avec Thingol et maintenant dans ses rêves avec cette femme. C'était comme si le même schéma se répétait à l'infini, comme si le destin ne se lassait pas de la laisser seule à chaque fois. Maudit destin ...

" Je ... je cherchais ma soeur ! Ma grande soeur, Eléa ! C'est, c'est la princesse amazone, vous l'avez pas vu ? "

La petite fille parlait vite, comme si le temps lui était compté, ce qui était plus ou moins le cas, ou plutôt, comme si elle était effrayée, oubliant même que la prudence est mère de survie. Par le passé, jamais elle n'aurait dit qu'elle était la soeur d'Eléa ou encore, que son ainée était princesse et de surcroit amazone mais dans son monde de chaos, plus rien n'avait d'importance si ce n'était de sortir du piège dans lequel le destin l'avait poussé.
Jelenna pris soudain conscience qu'elle "agressait" presque la jeune femme en face d'elle. Elle se força donc à se calmer avant de reprendre d'un air désolé :

" Je m'appelle Jelenna .... et vous ? "

Tout vacillait, incertain; Jalaad ignorait où elle se trouvait précisément, mais dans le monde du rêve on ne peut être sûr de grand chose; il faisait froid et le givre craquait sous ses pieds nus, bien qu'elle en ignorât le nom et la nature. Les ombres chuchotaient, le brouillard autour d'elles était épais et sombre, et quelques formes en avaient émergé tantôt, plus rien ne s'y voyait à présent. La fillette était troublée. Son esprit qui avait pourtant eu la force d'appeler jusqu'aux confins du désert, semblait se dérober, fuir, vaciller; il n'avait semble-il plus la capacité de maintenir la cohésion des pensées qui faisaient le monde des rêves. C'était peut être dangereux: Jalaad ne tenait pas à le découvrir.
Elle venait de loin, semblait-il; les images qui venaient de l'enfant lui étaient étrangères, et la terre était blanche sous le ciel gris d'un pays qui semblait sans couleurs. La femme sourit. Elle sentait la peur de l'enfant, comme un prédateur qui rôdait; elle était perdue. Tout vacillait, le brouillard épais comme une nappe de bitume, les sons et les murmures qui venaient d'au-delà de cet espace indistinct virant aux aigus, à l'aigre, propre à glacer les sangs... Jalaad fit un effort pour s'arracher à la chanson vénéneuse distillée par ce vent venu de nulle part; rien ici n'avait de substance, tout était forgé par l'âme et par l'esprit, tout n'était qu'intuition et souvenir, mais il y avait des choses dans le vent, des choses qui erraient là. Ils étaient rois en leurs domaines, il régnaient sur les songes et sur les pensées, et n'étaient pas toujours bien intentionnés. A nouveau les doigts de la chamane se joignirent pour tracer en l'air un signe de protection.
Cette enfant n'avait pas besoin de mauvais esprits en sus.

Il y eut un murmure dans l'air, et soudain, tout disparut dans un clignement de paupières. Le sable s'étendait à perte de vue, doré, ambré, argenté sous la lune, et l'air avait la saveur sèche et parfumée des feuilles de palme au soleil. Un chuintement continu, le chant des dunes, des étoiles par millions. Le ciel en était presque lumineux, et la lune naviguait sur les crêtes des dunes comme une lanterne posée sur les vagues immobiles, tout resplendissait, scintillait, comme si chaque grain de sable était un diamant, comme si en fait de sable c'était la poussière d'or que le vent soulevait en écheveaux éphémères. Le revers de la médaille, un autre monde. Jalaad en était si familière qu'elle était presque certaine qu'elles seraient plus en sécurité ici que dans l'incertitude des brumes, là-bas; elle savait, ici, c'était son monde, sa terre, viscéralement attachée à son sang.
Jalaad eut un hochement de tête qui fit résonner les perles de ses cheveux avec un tintement irréel qui resta longuement suspendu en l'air; la fillette se méfiait. C'était normal, après tout; comment savoir que la chose que l'on a en face de soi n'est pas une illusion prête à nous perdre, un piège ou un danger de plus? Comment être sûr, lorsque le décor semble se diluer de lui-même?
Et puis, elle était perdue. Si loin de chez elle, si loin de son monde, comment faire confiance au premier venu?
Et puis elle parla, d'une petite voix, qui se précipita alors que les mots semblaient sortir d'eux-mêmes, trahissant son effroi. Jalaad opposa à cela son céleste sourire de femme des sables, cette expression d'idole lointaine, qui pouvait tout vouloir dire et qui mettait dans ses yeux d'ambre des reflets étranges.

Jelenna.

La femme noire hocha la tête dans un froissement de bijoux entrechoqués.

-Jalaad, répondit-elle, déposant ce mot du bout des lèvres.

Et alors qu'elle disait cela, le ciel se mouvait lentement, les étoiles tourbillonnaient, et quelque chose prit corps dans sable près de la femme noire; une forme indistincte tout d'abord, mouvante, comme hésitante. Et puis autre chose, plus précis, des idées. Crocs, yeux fendus, fourrure blanche. Un loup. Assis sur son séant, il regardait Jelenna, et si on y regardait de plus près, on remarquait sans tarder que ses yeux étaient les mêmes que ceux de Jalaad. La même expression, le même reflet, clignant parfois, fixant l'enfant.
La chamane reprit.

-Éléa, dis-tu?

Une pause.

-Non, je n'ai pas vu ta soeur. Navrée, Jelenna. Est-elle perdue, elle aussi?

Jalaad n'avait pas changé de ton. Toujours doux, toujours un peu chuintant, toujours aussi léger qu'un murmure. Mais ce qui était plus étrange était que le loup parlait en même temps qu'elle, deux voix à l'unisson, à peine dissemblables; comme s'ils n'étaient qu'un, en réalité. Chaque intonation de voix, chaque geste, le mouvement même de leurs respirations étaient identiques, parfaitement synchronisés; Jalaad ne semblait même pas s'en apercevoir, et à vrai dire, elle n'aurait pas vu le loup assis à sa droite. C'était une partie d'elle-même, tout simplement, et le cercle se formait lentement. Elle était femme, elle était louve, elle était encore autre chose, et sur sa peau d'ébène, les scarifications et les tatouages semblaient prendre vie et s'agiter confusément sous la lumière des étoiles.
La voyant ainsi, couverte de motifs mouvants, on ne pouvait que douter de sa réalité. Était-elle un esprit? Son visage aux traits acérés, ses yeux comme des braises dorées, sa peau sombre où couraient autant de cicatrices que de marques et de motifs, les rangs innombrables de perles, d'os, de plumes, de colifichets, qui envahissaient ses poignets, sa poitrine, ses chevilles et même ses cheveux tressés... Comment un être pareil pouvait-il être réel?

Jelenna ne savait pas exactement ce qu'elle faisait là. Elle avait eut l'impression de suivre la piste des rêves de sa sœur ainée, Eléa, et en fait, elle se retrouvait en face d'une jeune femme à la peau sombre, inconnue, étrange et quelque peu distante. Une femme qui la rassurait tout en lui faisant peur. Une femme qui l'attirait tout en lui donnant envie de fuir. C'était comme si le monde comme les personnes habitant les rêves étaient totalement ... absents, différents, insaisissable. Comme si une distorsion existait dans ce monde qui n'avait ni début, ni fin. Ni attache, ni rien. Un serpent qui se mord la queue en quelque sorte. En tout cas, c'était ainsi que la petite demoiselle voyait ce monde changeant. La jeune femme la tira de ses pensées fantaisistes en lui donnant son prénom. Jalaad ... non décidément, cela ne lui disait rien et quand bien même cela aurait du, elle n'était pas capable de savoir si elle l'avait déjà vu. Son aura ne lui disait rien en tout cas même si son pouvoir de l'Esprit était affaibli ces derniers jours. Elle attendit, n'osant parler et profitant également du vent qui soufflait dans leur petite bulle faite de brouillard. Jelenna avait l'impression que ce vent était un signe, comme un symbole de la liberté à venir. Comme les prémices de ce qui allait bientôt se passer. Sa maman viendrait la chercher bientôt, c'était sur, et ce vent le lui confirmait. La petite était surement un peu dérangée pour croire ce genre de choses, peut-être vous direz-vous cela en lisant ces quelques lignes mais comprenez bien cette enfant. Elle était totalement perdue, torturée au sens morale, psychologique ou encore plus simplement, physique.

La voix de son interlocutrice la tira de ses pensées.
Elle venait de lui poser une question au sujet d'Eléa mais la petite princesse bis n'avait pas entendu. Il semblait que cette femme cherchait à savoir si elle avait déjà vu sa soeur ainée et l'espoir naquit dans le cœur de la petite fille. Peu importait qui était cette femme si elle pouvait la mener à la princesse amazone et si ça se trouvait, le monde des rêves lui-même l'avait mené à elle pour qu'elle la mène à son tour à l'être aimé. Jelenna se raccrocha de toutes ses forces à cette idée.
Ascenseur émotionnel. C'est ainsi qu'on appelle les changements brutaux de sentiments. Dans le cas de notre petite demoiselle, l'espoir laissa place à la déception, la sensation de délaissement, pire que tout, le sentiment d'abandon. Jelenna se sentit en cet instant plus perdue que jamais elle ne l'avait été jusque là.
Ascenseur émotionnel. A cet instant seulement, Jelenna vit la louve immaculée aux côté de Jalaad. Une magnifique créature qu'elle prit d'abord pour Haiiro avant de se rendre compte que la couleur de sa robe n'était pas du tout la même. Alors elle eut la folle pensée qu'il s'agissait de la louve de Diane, la déesse amazone, l'animal ayant tendance à vouloir communiquer avec elle par le biais de ses rêves. Depuis sa rencontre avec la louve sacrée, Jelenna aimait sa compagnie, se sentait même protégée par la présence de l'animal ... mais non, ce n'était pas Imala. La louve immaculée n'avait pas encore du la localiser, du moins, c'est ce qu'elle espérait. Ce loup aux côtés de Jalaad n'était pas de sa connaissance et quelque part, cela l'effrayait et ce, même si l'animal n'avait pas l'air méchant.

Jalaad reprit la parole et Jelenna n'eut alors pas le temps de s'inquiéter pour le canidé.
Il y avait bien pire ... enfin, façon de parler. Car les choses muèrent, changèrent en quelque chose de ... d'étrange ? Le loup parlait à l'unisson avec Jalaad, il respirait et bougeait même comme elle, comme si au fond, il était la matérialisation même de la jeune femme. C'était ... effrayant et attrayant tout à la fois. La petite amazone ne savait pas quoi faire, perturbée qu'elle était par ce spectacle. Elle finissait par se demander si finalement, Mort n'était pas derrière tout ça et si elle ne s'amusait pas encore à jouer avec elle. Comment cette ... chose ? Personne ? Pouvait-elle être réelle ?
Jelenna se força à focaliser son attention sur la question qu'on venait de lui poser. Même s'il s'agissait d'un mauvais tour de Mort, elle devait se montrer forte et faire preuve de courage. Démontrer qu'elle n'avait pas peur, qu'elle agissait normalement et mieux que tout, qu'elle allait déjouer ce nouveau piège. Si le rêve était réellement tel quel, alors sa réponse n'en serait que plus utile, car avec celle-ci, peut-être son interlocutrice serait-elle en mesure de lui apporter quelques précisions.

Mais le problème majeur restait que Jelenna ne savait pas quoi répondre à la question posée. Eléa était-elle perdue ? Cela dépendait du sens de la question ... Il était certain que la disparition de l'enfant n'avait pas du laisser indemne la jeune femme la connaissant mais pour autant, pouvait-on dire qu'elle était perdue sans elle ? C'était bien présomptueux n'est-ce-pas ? Malgré tout, Jelenna avait envie de répondre affirmativement, après tout, la jeune femme avait semblé si ... perturbée depuis la bataille de Tamawa. Eléa était devenue encore plus protectrice, comme si elle craignait que sa petite sœur ne se brise, ce qui n'était pas loin d'être vrai quelque part. Jelenna se tortura l'esprit, cherchant la vérité là où elle n'était pas. Il n'y avait pas de vérité.

" Je ne sais pas. Je ne pense pas. "

C'était vrai, elle ne savait pas quoi dire. Elle était perdue. Au sens propre comme au sens figuré. Bientôt, il lui faudrait retourner à la douleur du monde réel, là où un dieu complétement fou l'avait faite prisonnière et ne la maintenait en vie que par caprice, parce qu'il n'avait pas encore reçu les artefacts nécessaires à son sacrifice. Là où une folle, anciennement reine amazone, s'amusait à étudier ses réactions, à la pousser vers la folie un peu plus chaque jour alors oui, Jelenna aurait voulu hurler qu'elle était perdue et que quelqu'un l'aide. Mais rien ne sortit, l'enfant n'avait pas la force de se plaindre ou de se poser plus de questions que cela et puis, il fallait bien l'avouer, son attention était attirée par la jeune femme.

" Euh ... excusez-moi mais ... "

Elle hésita.

" Vous allez bien ? " demanda-t-elle enfin, se demandant sincèrement ce qu'il se passait sous ses yeux.

Au fond d'elle, Jelenna n'était pas sure de vouloir la réponse à cette question mais de toute façon peu importait. Il fallait croire que son rêve en était bien un et qu'il ne l'avait tout simplement pas menée vers la bonne personne. Quitte à perdre du temps, quitte à voir défiler le monde sous ses pieds, autant que cela soit agréable, et elle ne comptait pas voir ce monde se muer en cauchemar alors suivant la réponse, elle fuirait, tout simplement.

Le temps passe et jamais ne s'arrête.

Le changement de saison s'annonce et bientôt, un blanc manteau recouvrira le monde, le chant joyeux des oiseaux cédera sa place au silence et le monde s'endormira petit à petit. Dans ce décor figé par le temps, le moment est venu de s'éclipser, de laisser la nature reprendre ses droits et le cours des choses se faire.

Désengagées : Jalaad, Jelenna

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