Philéa semblait particulièrement exaspérée par la situation. A vrai dire, nombreux étaient ceux qui cherchaient notre précieuse cité et la dernière attaque en date, si nous n'avions pas eu à déplorer de victimes dans nos rangs, avaient laissé des séquelles chez notre souveraine. Celle-ci avait fait un point d'honneur en ce qui concernait la traque de l'investigateur de cette dernière. Ainsi m'avait-elle envoyé pendant de nombreux jours à la recherche de celui qui, en ce jour, devenait ma victime. Le traqueur traqué, drôle de coïncidence. Le problème majeur, comme elle venait de me l'énoncer si brièvement, était son lieu de résidence : Ptot Tàh. Il m'avait fallu énormément de temps pour dénicher le gêneur, mais de là à aller le tuer là-bas ... était-ce une façon d'éprouver mon courage ou ma loyauté envers ma cité ? Connaissant Philéa, ce n'était sans doutes pas la raison qui l'avait motivée à agir de la sorte. La reine amazone n'était pas reconnue que pour ses qualités mais si elle en possédait bien une envers nous autres, ses consœurs, c'était bel et bien l'honnêteté. Jamais ne m'aurait-elle laissé partir sans une autre raison que celle précisée officiellement. Ainsi, je partais en direction de la cité maudite pour les amazones, en dehors de Cydonia bien sur.
N'ayant que rarement mis les pieds en dehors de Muria, Silmarie, Storghein ou encore Tamawa, et ce, dans le cadre de voyages officiels ou de missions, il m'était encore inconnu de traverser tant de villages endormis. Dissimuler ma présence ne fut pas bien difficile, contrairement à la plupart des amazones de Muria, dont le teint pâle rappelait à s'y méprendre celui de Storghein ou dont les traits rappelaient ceux de Cydonia pour la plupart, j'étais née là-bas, au sein des murailles protectrices de ma cité. Ainsi, je ne ressemblais pas vraiment à une Astorg et encore moins à une Cydienne, il m'était donc plus aisée de voyager discrètement ... L'excursion jusqu'à ladite cité se révéla plus rapide que je ne le pensais. Mais qu'à cela ne tienne, j'avais une mission et je comptais bien la mener à bien.

Finalement, ce n'était pas la peine d'en faire autant d'histoires. L'homme avait beau avoir voulu envahir Muria, la fière cité amazone, finalement, il fallait bien se l'avouer, il n'avait pas inventé la poudre, et encore moins l'eau chaude. Inconscient du danger qui planait sur lui depuis lors, il n'avait même pas pris la peine de faire garder sa petite personne aussi, il ne me fut pas bien difficile de le coincer contre un mur. Une fois acculé, je lui permettais de voir mon visage, assassin parmi les assassins, pour qui se souvienne dans sa prochaine vie de ne pas chercher d'ennuis à mes sœurs puis, d'un geste vif, je dégainais le coutelas que m'avait confié Philéa pour l'occasion et l'achevait. Une flèche aurait signé l'acte, mieux valait une arme blanche, même si je n'excellais pas tellement dans cette matière. Quoi qu'il en soit, la menace, si elle avait existé un jour, n'était plus. Ceci fait, il me fallait maintenant rejoindre Muria au plus vite sous peine d'éveiller les soupçons. Ainsi, enfourchant ma jument, je commençais ma lente sortie de la ville. Et c'est là que je la vis. Qui était-elle ? Pour l'heure, je n'en savais rien, mais c'était sans savoir qu'elle allait modifier complètement le court de ma journée que je me dirigeais vers elle. En réalité, les choses étaient plus complexes. Effrayée par la foule, Shirayuki avait fait un écart, percutant la jeune femme.

" Veuillez m'excuser, ma jument est nerveuse avec la foule. Vous allez bien ? " demandais-je en l'aidant à se relever, après être descendue de cheval.

Je regardais la jeune fille d'un air étonné. Non pas que cette dernière me paraisse étrange mais simplement qu'elle ne répondait pas à ma question tout en continuant pour autant à me fixer. L'avais-je percutée si fortement qu'elle en perde l'usage de la parole ? Quelque chose n'allait pas ?
Finalement, la demoiselle finit par répondre, aussi faiblement soit-il, à ma question. Elle allait bien, du moins était-ce ce qu'elle affirmait … parfait, dans ce cas, rien ne m'obligeait plus à rester. Je m'excusais une dernière fois auprès de la jeune femme, que j'avais d'abord pris pour une fillette perdue dans les rues, pour ensuite reprendre ma route. Devant la peur de Shirayuki, mieux valait sans doutes marcher aux côtés de la jument jusqu'aux portes de la ville pour ensuite l'enfourcher et filer vers Muria. Ma mission accomplit, je ne voyais aucun intérêt à rester dans cette ville de sable, où les hommes asservissaient ce qu'il restait de libertés.
J'entamais donc ma marche vers la sortie de cette cité dont les règles m'échappaient pour finalement me faire héler par la jeune femme. Quelque chose qui lui revenait en mémoire ? Avait-elle finalement mal quelque part ? Bien, étant donné que je l'avais renversée, quelque chose me disait qu'il valait mieux retourner à ses côtés avant qu'elle n'ameute tout le monde autour de nous. Si je pouvais l'aider, qu'il en soit ainsi, sinon, je ferais tout ce que je pourrais avant de continuer mon chemin. Après tout, je n'étais pas responsable de la misère du monde …

La question de la demoiselle me déstabilisa quelque peu … qui étais-je ? C'était seulement pour cela qu'elle m'avait demandé de revenir sur mes pas ? Seulement pour savoir quel était mon prénom ? Et à quoi cela pouvait-il bien l'avancer que de connaître mon identité … C'est alors que je remarquais ses vêtements. Une demoiselle sans doutes plus âgée que moi, bien habillée malgré la poussière qui entachait ces derniers et ce, surement du fait de sa chute. Donc si je comprenais bien, il s'agissait d'une jeune femme égarée prête à se marier ? Quelque chose me disait alors que celle que j'avais percuté n'était pas dans ces rues par hasard. Au vu de ce que je pouvais percevoir d'elle, je ne pouvais que me poser une question : ne fuyait-elle pas ? Son mariage, sa famille, que sais-je. Au fond, peut-être méritait-elle mon attention, peut-être que, comme la plupart de nos soeurs, était-elle une jeune femme prête à tout quitter pour rejoindre la cité perdue de Muria.
L'observant toujours d'un œil attentif, je me demandais alors ce qu'il convenait de faire. La laisser là, seule et ce, au risque qu'elle me dénonce à je-ne-sais qu'elle autorité, ou devais-je lui répondre au risque que quelqu'un connaisse mon nom … De toute façon, je n'étais pas à Storghein. Le seul nom amazone que connaissait le peuple d'Azthia était celui de notre bien aimée souveraine : Philéa. Tel un prénom que l'on ose à peine murmurer, le sien était porteur de beaucoup d'espoirs pour les femmes et de haine pour la plupart des hommes, à commencer par l'époux même de la reine. Personne ne connaissait le nom des autres amazones, mis à part Kriisten qui devait savoir le mien pour avoir accompagné Philéa lors de ses rencontres officielles. Mais rien de plus … Révéler mon nom ne m'engageait donc en rien.

« Je me nomme Kiera. »

Ceci fait, qu'attendait-elle de moi ? Un prénom n'avançait en rien, encore moins dans de telles situations … mais quelque chose me disait que si elle n'attendait rien de moi, peut-être cherchait-elle simplement de la compagnie … il m'apparaissait évident que cette femme avait quitté sa famille où je ne sais qui pour fuir, son regard ou encore son accoutrement ne pouvait s'expliquer que par cela. Devais-je m'en soucier ? Pourquoi pas. Je ne croyais pas aux coïncidences, et si ma route avait croisé la sienne, peut-être était-ce écrit quelque part.

« Quel est le votre ? »

Une question simple ne devrait pas l'effrayer. Il était vrai que les rencontres ne se faisaient généralement pas autour d'une bousculade mais bien souvent autour d'un café, comme dans celui de Gaëlle par exemple. Je n'osais croire que j'effrayais mon interlocutrice, après tout, c'était elle qui m'avait rappelé. De ce fait, j'étais bien curieuse de voir comment allait évoluer la discussion. Je n'avais pas de temps à perdre certes, mais pourquoi pas lui consacrer quelques minutes ? Plongeant mon regard dans le sien, j'ôtais ma capuche pour révéler mon visage et mes longs cheveux blonds, ceci fait, je lui demandais enfin, d'un ton tout à fait neutre :

« Que fuyez-vous ainsi ? »

La réponse m'intéressait peu, mais si je devais perdre du temps, autant savoir pourquoi. A mes côtés, Shirayuki ne semblait guère apprécier ma conversation avec la demoiselle, il était vrai que l'animal n'aimait guère me partager, avec qui que ce soit. Aussi, je décidais de l'éloigner de mon interlocutrice, juste au cas où car après tout, la jument n'avait jamais été violente malgré ses sautes d'humeur et sa jalousie.

[ Avec les fêtes, je ne pense pas pouvoir répondre tout de suite, désolé. ]

On ne pouvait pas dire que Shirayuki aimait particulièrement mon initiative. Pour ainsi dire, c'était même le contraire, la petite jument n'était pas bien décidée à prendre la demoiselle sur son dos et elle piaffait de plus belle, quitte à m'attirer des ennuis si des gardes venaient à l'entendre. L'animal avait beau être rapide et précieux à mes yeux, je ne pouvais pas m'empêcher de croire qu'il finirait par entrainer ma perte et par là-même, celle de cette jeune inconnue. Tentant de calmer la bête, je ne pouvais pas aider la jeune Henia à monter sur le dos de la bête. La situation en devenait ridiculement dangereuse. La demoiselle n'arrivant pas à monter sur la jument récalcitrante, cela aurait pu être une bonne pièce de théâtre si seulement ma vie n'était pas en jeu en ce moment même, et sans doutes la sienne aussi d'ailleurs. Il ne fallait pas être un grand dirigeant pour comprendre que mon forfait avait été découvert. Les gardes pullulaient, interpellant ici et là de pauvres bougres innocents avant de se trouver d'autres victimes à déranger. Ainsi, si nous ne filions pas vite, je risquais bien de rester à jamais dans la cité esclaves et ça, il n'en était pas question ! Observant la scène qui se jouait sous mes yeux impuissants, je priais n'importe qui de bien vouloir faire en sorte que l'on quitte la ville au plus, que je me débarrasse de la gamine et file ensuite vers Muria sans demander mon reste.
Enfin Henia put monter sur Shirayuki. Après quelques minutes d'angoisse, elle trônait maintenant fièrement ou presque sur le dos de la jument. Ce premier point était donc réglé. Mais restait le point le plus délicat de notre journée : comment sortir sans attirer l'attention ? Au vue du nombre de gardes qui augmentaient un peu plus à chaque minute qui s'écoulait, je ne pouvais qu'imaginer ce qu'ils cherchaient. Il nous fallait donc rejoindre la porte au plus vite et quitter cette cité de fous ! Mais la porte n'était-elle pas justement le bastion de leur garnison ? Me permettant une petite folie, je fermais les yeux pour faire appel à un vieil ami. Dans sa grande majesté, l'Aigle accepta de me prêter pour un instant son incroyable vision. Ainsi, forte de ce don que m'offrait une fois encore Dame Nature, je cherchais du regard la porte de sortie. Gardée certes, mais encore praticable, même pour deux fugitives. Le tout était de faire vite, je n'avais guère l'intention de faire plus de bruit que ce qui j'avais déjà fait aujourd'hui. Tuer pour le plaisir ne faisait pas partie de mon vocabulaire et j'en avais déjà gros sur la conscience, inutile d'en rajouter une nouvelle couche.

« Nous devons faire vite. » précisais-je à ma petite invitée.

Mais celle-ci me prit de court. Je pensais qu'elle n'était qu'une gamine de bourgeois de la cité et que, par là-même, elle ne connaissait rien à l'art de filer en douce ou encore plus simplement, à la cité en elle-même. Les apparences sont parfois trompeuses, la demoiselle en connaissait en petit rayon sur sa cité et voilà qu'elle m'offrait sur un plateau d'argent l'issue qui allait nous sauver sans trop de risques. Le flanc ouest, une carrière de pierres, les dunes puis la route. Bien, le seul souci restaient les gardes, encore et toujours. Aucune raison de nous arrêter ... c'était elle qui le disait. Mais bon, s'il n'y avait que deux ou trois gardes, cela permettrait de les convaincre plus facilement et, s'ils se montraient récalcitrants, il serait plus facile de venir à bout de deux gardes que d'une dizaine. Sans parler qu'il était surement moins visible de tuer deux gardes protégeant une porte auxiliaire que dix devant la porte principale. En somme, l'idée de ma compagne d'infortune était excellente.

« Bien, allons-y. Mais faisons vite, quelque chose me dit qu'ils fermeront bientôt la ville. »

Je n'étais pas sure de ça, mais il me semblait que c'était le comportement le plus logique lorsque l'on découvrait le cadavre d'un des hommes les plus influents de la ville. En tout cas, dans la cité amazone, c'est ce que Philéa ferait ... mais ici, dans la cité-perdue, ce n'était peut-être que pure illusion de ma part que de croire qu'ils seraient assez intelligent pour le faire. Dans tous les cas, nous étions en route. Ou peu sans faut.

Marchant à un rythme peu soutenu, je voyais que la jeune femme n'était pas à l'aise sur le dos de la jument. Peut-être n'avait-elle pas l'habitude de monter à cheval ? Aussi, je commençais à me demander si j'avais bien fait de la prendre. S'il fallait fuir rapidement, elle me handicaperait plus qu'autre chose si elle n'était pas capable de rester sur le dos de Shirayuki sans tomber ou pire, nous entrainer dans sa chute. Mais il semblait que mon interlocutrice en était consciente puisqu'elle me proposa de grimper sur l'animal. C'était sans doutes la décision la plus sage à prendre, d'autant plus qu'en cas de problème, Shirayuki n'obéirait pas à Henia ...
Saisissant la crinière de l'équidé, je mettais le pied à l'étriller et d'un geste souple, enfourchait l'animal qui se calma aussitôt. S'il y avait quelque chose de magique chez Shirayuki, c'était sans doutes son immuable obéissance lorsque je la montais. Une fois bien installée sur la selle, je précisais à la demoiselle derrière moi :

« Accroche-toi à moi si tu crains de tomber ou si nous sommes obligées de fuir. Surtout, ne crains rien, Shirayuki est simplement jalouse, mais elle te protégera tant que tu seras avec moi. »

Finalement, n'étais-je pas en train de m'attacher à cette jeune inconnue croisée par hasard au détour d'une rue de la cité que je haïssais le plus au monde ? Quoi qu'il en soit, nous dépendions maintenant l'une de l'autre, en quelque sorte. Le retard que j'avais pris par sa faute me causerait plus de tord désormais que si je me décidais à l'écouter pour trouver le chemin qu'elle m'indiquait.

« Je t'écoute. » disais-je à voix basse pour qu'elle m'indique la route à suivre.

Le chemin était agréable et nous ne croisèrent que peu de gardes. Toutefois, le silence pesant qui régnait entre nous me gênait. Aussi, je préférais le meubler tout en satisfaisant ma curiosité passagère la concernant.

« Pourquoi cherches-tu à fuir ? Un mariage certes, mais après tout, n'est-ce-pas la destinée de toutes les femmes en ce bas-monde ? »

Je ne peux qu'avouer mon soulagement quand Kiera monta devant moi. Je ne suis pas une cavalière, et la jument était bien nerveuse pour une première chevauchée. Du moins en avais-je l'impression mais je ne suis pas une professionnelle en la matière évidemment. Maintenant que sa cavalière était sur son dos, le trajet semblait bien plus facile. Je lui indiquais le chemin en murmurant mais je n'osais guerre en dire plus. Peut être parce que quelque chose me serrait la gorge au point de m'empêcher presque de respirer. La peur, j'avais passé assez de temps à me sauver pour la reconnaitre. Le sentiment n'était pas aussi fort que le jour où, dans le désert, j'avais faillit mourir mais elle était là tout de même, omniprésente. Elle surgissait du regard de chaque garde que l'on croisait. Elle se cachait au coin d'une rue, derrière le mur d'une maison que je connaissait pourtant bien. Elle déformait le paysage au point que je fus forcée de faire un effort de concentration pour guider ma sauveuse sur le bon chemin.

Cette connaissance de mon père ne m'avait il pas regardé trop longtemps ? Non, il passait, et il fallait couper par le boyaux à gauche. J'en informais ma compagne d'une voix indécise. "A gauche, par là..." J'appuyais simplement sur son épaule gauche quand la ruelle apparaissait. Je ne pouvais pas être plus clair car si j'avais maintenant une prise, je n'étais plus sur la selle et les mouvements de la jument me désarçonneraient sans doute si je lâchais. Petit à petit, nous nous enterrions dans les mauvais quartiers et je reprenais mon souffle. Ici, personne ne m'avais jamais demandé qui j'étais quand je jouais seule avec Lyo. Dans ces sombres rues malodorantes à cause de la chaleur, on risquait le vole mais pas le regard des garde. Je ne sais pourquoi, j'avais le sentiment que cette Kiera n'en serait pas fâchée. Vu comme elle avait regardé la patrouille...

- Tu prends la prochaine à droite, on est obligé de faire un petit détour pour éviter les quartiers mieux gardés... Non non, pas ici en fait, la rue suivante... Voilà, et encore à droite après la place du petit marché. La rue juste après, elle est très étroite mais elle rejoint la porte tout aussi discrètement. On pourra jeter un coup d'œil avant de passer les gardes...

La ruelle était relativement longue malgré son étroitesse. On pouvait aussi fuir par ce que la plupart des habitants de la ville prenaient pour des culs de sac. Mais en vérité, j'avais assez étudié la zone pour savoir que les taudis sont perclus de passages secrets. Il y avait bien longtemps que je n'étais pas passé par là pourtant, j'avais tellement grandit depuis l'époque où je me sauvais toutes les nuits. Les mur de pierres rougeâtre tombaient en miettes, si bien qu'un trou à la base ne surprenait personne. Une bonne partie des voleurs se cachaient dans ce coin mais de jour, peu de chance qu'ils sortent. Pourtant je me crispais et conseillait à Kiera de presser le pas. Déjà qu'elle ne trainait pas, mais il ne valait mieux pas s'attarder dans le coin avec un cheval. Et puis j'avais une autre raison : La porte n'était plus loin et Lyo était derrière. Mais la cavalière ne semblait pas inquiète, où peut être que parler était une façon de se détendre. Mais le sujet choisi n'allait pas m'aider dans ce sens...

- Aimeriez vous être liée à un homme que vous haïssez ?

Je marquais un temps me rendant bien compte que je pouvais facilement m'énerver sans raison sur cette question. Mais trop tard, mon esprit tournait déjà à toute allure, ressassant de vieilles rengaines. Et il avait de la matière à brasser car j'avais bien des choses à reprocher à mes géniteurs comme à cet époux que je n'avais pas choisi. Prenant le risque de lâcher une main, je réajustais la cape autour de moi, autant pour me calmer que pour être sûre de ne pas être reconnue. Je tremblais un peu quand je me raccrochais à l'amazone et me forçais à parler à voix basse.

- Je n'en peux plus qu'on choisisse pour moi une destinée. Si un jour je me marie, j'aimerais choisir mon époux comme il me choisira. Vous savez, ici, les parents ont presque droit de vie ou de mort sur leurs enfants. Dans ma famille, ce n'est pas presque, non... Ils ont voulu tuer mon frère... Comment voulez vous que j'accepte ce mariage ? Mon père veut que j'épouse un homme riche de cette ville pour accroitre son influence. Il se fiche de mes désirs, je ne suis qu'un objet pour lui. Quant à ma mère, elle semble avoir envie de se fondre dans l'image qu'il se fait d'elle et... Je ne l'ai jamais vu résister. Je ne veux pas lui ressembler, dame Kiera. Je ne suis pas une guerrière et ne le deviendrais sans doute jamais, mais je ne veux pas être comme celles qui passent leur vie cloitrée... Et cet époux, savez vous seulement ce qu'il est ? Il tue les esclaves à la tâche, je ne le supporterais pas. Je... J'en ai côtoyer des esclaves et ils ne sont pas différents de nous... Je m'opposerais à lui voyez vous, c'est inévitable, et il ne me laissera pas faire car en réalité, il me hait. Il sait que je ne suis pas la jeune fille soumise que j'ai toujours feint devant mon père et il fera tout pour me briser... C'est son seul but...

Je n'avais presque pas repris mon souffle durant toute la tirade et je ne semblais pas avoir besoin de quiconque pour l'être, brisée. Mais ce n'étais que la peur et je m'habituerais à la fuite avec le temps. Et Lyo n'était plus très loin, oui, avec lui tout irait mieux, du moins l'espérais-je. Elle n'eut pas le temps de me répondre car je lui disais de s'arrêter. Le porte était devant nous, deux gardes de chaque coté surveillaient les passages. Rien d'anormal et le soupire de soulagement que je poussais du le faire comprendre à Kiera. De plus je les connaissais ces hommes, mais pas d'une manière qui risquait de nous gêner. Ils devaient se souvenir de la jeune sauvageonne qui filait jouer dans la carrière. Ils ne seraient pas surpris de me voir passer et mon père n'avait tout de même pas pu étendre ses recherches jusqu'ici ? Ces quartiers étaient trop mal famés pour une femme de ma qualité selon lui. Si il avait su combien de fois j'avais foulé ce sable ocre pour grimper et m'écorcher les mains sur les arrêtes des rochers de la carrière. Si il savait que je m'était déjà endormie, roulée en boule dans la baraque de bois croulante qu'habitaient les gardes. Si il savait que j'avais joué à dévaler les pentes sableuses en roulant avec celui qu'il avait chassé... Il serait devenu fou de rage.

- On a de la chance, je ne pense pas qu'ils nous retiendrons. Sinon, j'irai leur parler, je les connais bien même si ils ne savent pas qui je suis vraiment... Fais moi passer pour ton esclave si c'est le cas, ils ne se doutent pas de mon rang je pense.

La jeune fille assise tant bien que mal derrière moi, bien que j'essaye de lui laisser le plus de place possible sur le dos de la jument, nous commençâmes donc notre petit périple au travers des rues sombres de Ptot Tàh. Je regrettais de devoir passer par les rues malodorantes de la cité mais étant donné que c'était nécessaire pour éviter les patrouilles, je n'en faisais pas part à ma compagne. De toute façon, elle n'y pouvait rien, la chaleur n'aidait pas dans cette affaire et ce n'était pas comme si nous avions réellement le choix. J'écoutais les précisions de la jeune fille, une fois à gauche, mais la plupart du temps à droite. Ne voyant pas son visage, j'ignorais quel était son état d'esprit pourtant, je sentais un certain soulagement dans sa voix.
La dernière ruelle se présenta à nous. La jument ne voulut pas en entendre parler dans un premier temps et protesta bruyamment, au risque de nous faire démasquer. Cette fois-ci bien impatiente et relativement tendue par la situation, je ne laissais rien passer à l'animal. Un petit coup de talon et un ordre sec et la jument était repartie, bien que ses oreilles soient collées sur son crâne, signe qu'elle n'était pas vraiment d'accord avec le traitement que je lui réservais aujourd'hui. Tant pis, je ne pouvais pas perdre de temps avec les humeurs de cette dernière, il me fallait à tout prix sortir de la cité avant qu'on ne découvre mon forfait, et surtout, rejoindre le plus vite possible Muria pour ne plus penser à tout ça. Boire un verre chez Gäelle et oublier ces yeux emplis de terreur quand je l'avais tué ...

La ruelle était sombre et étroite, mais je décidais de faire totalement confiance à la jeune femme. Après tout, je n'avais rien à perdre si ce n'était un peu de temps. Dans mon dos, je la sentais qui me pressais, visiblement inquiète. Il était vrai qu'elle avait précisé que des voleurs rodaient souvent par ici toutefois, je ne pouvais pas faire avancer plus vite l'animal qui déjà était récalcitrante à la base pour entrer dans la ruelle. De plus, que nous pressions le pas ou non, si un voleur voulait nous piéger, alors il pourrait le faire et facilement en prime.
La question de la jeune fille me tira de mes pensées.
Être mariée à un homme que je déteste ? Je n'avais jamais pensé au mariage, et de toute façon, quant bien même y aurais-je pensé, il ne m'était pas permis, pas avec celui que j'avais choisi du moins. C'était là l'ironie du sort pour l'amazone que j'étais. Moi qui vivait dans la cité de la liberté des femmes, je n'avais même pas l'occasion de pouvoir vivre avec celui que j'aimais, pire, je ne pouvais même pas avouer que je l'aimais. Alors autant dire que la question de la demoiselle était plus que malvenue pour moi.

" Je ne pense pas que j'apprécierais certes. En réalité, je ne me suis jamais posée la question, pour moi, le mariage n'est pas réellement mon destin je pense. " finis-je par lâcher sans conviction.

J'étais un assassin, qui plus est, l'assassin royal de sa majesté Philéa, reine de la plus recherchée des cités. J'aimais un Soumis qui bientôt serait relâché, j'étais Chef des Sentinelles malgré mon jeune âge ... alors malgré tous mes défauts, je n'avais jamais réfléchi à une telle question. Mais je préférais me taire et laisser la jeune femme s'exprimer. Ainsi, elle me raconta en quelques phrases son histoire, à laquelle je ne pouvais que compatir. Les femmes asservies étaient le lot de Muria, la cité avait d'ailleurs été créée pour les accueillir alors j'avais été élevée dans cet esprit. La compassion pour toutes celles qui ne pourraient jamais nous rejoindre mais souffrait tout autant que nos mères avaient pu souffrir ...
La jeune femme me demanda de m'arrêter, coupant court à la conversation. Quatre gardes mais pour autant, ma compagne ne semblait pas effrayée. C'était sans doutes un bon point pour nous et son soupir de soulagement me poussa dans ce sens.

" Allons-y. "

Dirigeant la jument vers les portes, j'observais les gardes qui regardaient dans notre direction. Dans ma tête, un plan s'échafaudait déjà au cas où ils ne nous laisseraient pas sortir aussi facilement que l'espérait mon interlocutrice. Mais nul besoin de parler, ils nous laissèrent filer sans demander leur reste, ne manquant pas de nous observer longuement. L'instant suivant, nous étions dehors. Parcourant quelques mètres pour ne plus être à la vue des gardes, et pour éviter qu'ils ne nous entendent encore, j'arrêtais Shirayuki, descendait de cheval et disais :

" Je te remercie de ton aide, sans toi, nous ne serions pas sorties aussi facilement de la cité. "

Je marquais une pause. Qu'allais-je faire d'elle ? La mener à Muria n'était pas concevable malgré ce qu'elle avait vécu .. pour le moment, je ne pouvais pas me fier à elle, pas aussi facilement du moins. C'était dangereux pour moi comme pour ma cité.

" Que comptes-tu faire maintenant ? " demandais-je en la fixant.

Désengagées : Kiera, Silfe.