Qui a-t-il de plus beau qu’une belle journée pleine de neige et empli de rayons de soleil accompagné par quelques voluptés de vent faisant voleter les cheveux d’un capitaine Astorg venu dans ces rues pour s’acheter une nouvelle armure ? Il est sûrement vrai qu’une journée bien chaude était bien plus belle qu’une journée enneigée, mais qui avait-il de plus beau qu’un capitaine Astorg ? Rien je pense… Néanmoins, ce genre de pensée étant assez déplacé, l’histoire de Fen en est sûrement plus intéressante…

Donc, par cette belle journée ensoleillée au ciel d’un bleu azur pur tâchée par quelques gouttes de nuages gris, le vent caressait les joues de Fen les faisant ainsi rosir et qui faisait fouetter le vent avec sa natte, mais le plus souvent, cette même natte arrivait exactement aux orifices de son nez le faisant constamment éternuer. Bizarrement, il était un Astorg, mais il ne se faisait jamais au froid, chaque année, il essayait de se faire une raison en se jurant à lui-même qu’il n’attraperait pas un rhume, mais résultat, il avait droit à un rhume quatre mois par an. Mais chose encore plus incompréhensible, il adorait la neige. Donc en résumé, il détestait le froid, mais idolâtrait la neige, cherchez l’erreur… Ce qu’il aimait en la neige, c’était sa possibilité de façonnage, un élément qui devenait en quelques coups de mains un véritable matériau pour des constructions impressionnantes telles que les bonhommes de neiges ! Ou même d’arme de destruction massive quand elle prend une forme sphérique et servant ainsi de projectile ! Quelle chose remarquable que la neige, tout ce que l’on pouvait faire avec elle, alors que ce n’était que l’eau congelée… La nature réservera toujours de nombreuses surprises, telles que…

Les pensées de Fen furent soudainement interrompues lorsqu’il sentit quelque chose d’étrangement mou en comparaison de la neige. Baissant son regard d’un bleu métallique, il faillit crier de rage. Oui il faillit, mais sut se contenir car il venait juste de marcher dans ce qu’on appellerait des excréments. D’accord, à ce moment même, l’Astorg n’avait pas ces mots là en bouche, mais il en avait l’idée et cela lui était bien suffisant. Et voilà encore une étrangeté de la nature mélangée au destin ! Quand, au moment où Fen se posait quelques questions existentielles assez érudites, tout de suite la nature et le destin devaient l’empêcher de pouvoir y répondre, et oui certaines questions de la Vie doivent rester indéchiffrables. Malheureusement pour le jeune Fen, la seule « bonne » idée qu’avaient trouvé le destin et la nature pour l’empêcher de trouver les réponses, c’était de le faire marcher dans des déjections animales, avouez que cela est assez cocasse, moins pour le concerné, mais la situation n’en reste pas moins intéressante à discerner, mais cela n’étant pas le sujet, retournons sur les jurons que poussait Fen lors de l’accident.

-Pourquoi cela devait m’arriver à moi ?! s’écria l’Astorg avec sa voix cassée par le froid.

Il tenta tant bien que mal de s’essuyer les pieds dans la neige, certes cela partirait, l’odeur un peu moins. Mais étant un guerrier, il s’en accommoderait et il reprit sa route, dans les ruelles sinueuses de Storghein. Aujourd’hui étant le jour de sa permission, il décida d’y aller vraiment à pas lent et à admirer le paysage, à admirer les habitations l’environnant, à jeter quelques coups d’œil curieux aux étals qui offraient un large panel de produits. Allant des simples fleurs aux ventes d’oiseaux de proie, le marché s’étendait sur toute la rue et celle-ci était drôlement grande. S’éloignant du marché, bondé de monde qui s’écrasaient joyeusement, Fen emprunta une petite ruelle qui, à vue d’œil, semblait être malfamée. Les maisons étaient très mal entretenues, les charpentes étaient prêtes à rendre l’âme, les murs s’effilochaient au fil des hivers et désormais, les trous étaient bouchés par ce qui ressemblait, et se sentait, à de la bouse séchée mélangée à de la boue. Autre indice sur la pauvreté des lieux, ses habitants. Toutes les personnes qui se trouvaient dans la ruelle étaient soient des mendiants, soient des voleurs, remarquable facilement avec leurs dents en or n’étant pas de la bonne taille, et surtout avec des enfants, plus maigre que le bras de Fen, cela lui fendait le cœur de voir des enfants mener une vie de pauvres hères, en ne mangeant dans la journée que la moitié de ce que mangeait Fen à son petit déjeuner. Autant dire que l’Astorg ressentait de la pitié mélangée à de la honte. Mais sortant finalement de la ruelle, il reprit le dessus sur ses émotions, et ses yeux ne trahissaient désormais plus qu’un calme dérangeant et non plus des sentiments qui pouvaient le rendre « faible ».

S’emmitouflant dans son large manteau, il resserra aussi le foulard pour faire sortir la bulle d’air froid qui y était coincée. Il cherchait encore où se trouvait l’armurerie, en effet, un soldat lui avait donné l’adresse, mais il ne s’en souvenait plus. Alors il cherchait, espérant trouver par hasard, mais Fen, distrait comme il était, fut vite déconcentré par un chant lointain. Un chant Céleste. C’est tout ce qui pouvait représenter la voix qui chantait. Il ne comprenait pas les paroles étant trop loin, mais seul le timbre et la douceur de la voix purent convaincre Fen de la pureté de la personne porteuse de cette voix enchanteresse. Il se mit soudainement à accélérer le pas pour rejoindre le délicieux chant qui l’«appelait ». Tournant au coin de la rue, il remarqua un attroupement à l’endroit même d’où provenait le chant, et de suite il comprit.
La voix angélique venait en fait de l’estrade qui dominait toute la foule, avec pour unique personne une jeune femme, plutôt jolie à en croire ses yeux, malgré la distance. S’approchant, il entreprit de se rendre au milieu des spectateurs pour mieux profiter de la vue… de l’estrade, et oui, le jeune Astorg étant quelqu’un de très respectueux, il n’oserait même pas jeter quelques coups d’œil sur une magnifique jeune femme, oh non ! pas lui. En tout cas, Fen était transporté par la voix, tout comme il était transporté par le corps, elle était une magnifique jeune femme aux magnifiques yeux émeraudes qui scintillaient et avec une chevelure auburn qui n’en finissait pas de descendre… Loin de baver pour autant, Fen fut attentif et écouta jusqu’au bout, heureux comme tout d’écouter une voix aussi parfaite ! Mais il le fut beaucoup moins lorsqu’il fut choisi pour monter sur l’estrade, mais il ne le montra, une juste neutralité se lisait sur son visage, mais en réalité, il était anxieux et assez craintif à l’idée de devoir faire quelque chose devant tant de monde. Néanmoins, il fut vite rassuré lorsqu’il comprit qu’il ne ferait absolument rien lors de l’intervention, mis à part peut-être de feindre la surprise lorsqu’il réapparut devant tout le monde.

Puis, il retourna à sa place et la représentation s’acheva, quelques piécettes furent données à l’artiste, et puis toute la foule se disloqua, les gens retournant à leurs occupations. Fen, qui voulait en apprendre un peu plus sur la jeune femme, il lui courut après et quand il la vit, il accéléra de nouveau. Puis juste derrière elle, il s’éclaircit la gorge et il lui tapota l’épaule. Voulant faire bonne impression, il bomba le torse de manière arrogante, malheureusement pour lui, la course lui avait enflammé les joues ce qui lui donnait l’air de ressembler à un ivrogne se réchauffant avec quelques boissons énergisantes et, surtout, enivrantes.

Ayant réussi à la rattraper, il fut satisfait de lui-même, mais il n’eut pas le temps de le montrer. En effet, quand la jeune femme s’était retournée, elle lui lança un regard lourd d’irritation, alors, bien malgré lui, il fit un pas en arrière, le pas était si minuscule qu’il en était imperceptible. Pourquoi ce regard irrité alors qu’il voulait juste la féliciter ? Peut-être n’aimait-elle pas être dérangée après une représentation, peut-être qu’elle ne supportait pas les mains rigides et brutes comme celles de Fen ? Ou alors peut-être a-t-elle la phobie des mains ? Tout un tas de questions que Fen aurait aimé résoudre, mais il n’en eut pas le temps puisqu’elle se mit soudain à lui sourire. Il en fut plus que circonspect. Tout d’abord elle parait irritée, et ensuite elle affiche un sourire rayonnant ! Les femmes étaient-elles donc si compliquées ? Si complexes à cerner que même un homme intelligent et cultivé comme lui ne pouvait comprendre leur comportement ? Sûrement oui, mais en tout les cas, ce sourire le rassura, et il se redressa. Il venait juste de le remarquer, mais il avait courbé l’échine lorsque l’illusionniste lui avait adressé ce même regard agacé…

Alors qu’il allait la saluer avec une des présentations officielles que lui avait apprises son tuteur, la femme aux yeux émeraude engagea la conversation. Enfin conversation, cela ressemblait plus à une accusation, on sentait dans sa voix une petite touche de moquerie amicale, mais cela restait une accusation. Alors Fen fit une des choses qu’il détestait le plus chez lui. Il commença à avoir les joues en feu. Lu, capitaine Astorg, qui avait déjà versé le sang se mettait à rougir devant une femme qui lui arrivait à peine au niveau du menton ? On dirait bien que c’est le cas, et Fen prit conscience qu’il était vraiment très mauvais en ce qui concernait les femmes, et ces rougeurs le prouvent !

Bégayant, il réussit à articuler quelques mots, juste assez pour se faire comprendre :

-Euh… Oh ! Euh ! Oui, enfin non ! Enfin si, mais non… Mais rha ! Enfin oui…

-Non non, je ne vous ai pas menti, il a bien réussi a bégayé et a articulé quelques mots, en ce qui concerne la compréhension, je ne peux pas dire….- Fenriyäm avait vraiment envie de parler avec cette jeune dame qu’il ne connaissait que depuis une dizaine de minutes, qu’il avait rencontré sur scène où il était lui-même interprète. Et il comprit une chose, s’il avait accepté de monter sur cette estrade, c’est qu’il était subjugué par la beauté de la magicienne. Qui ne le serait pas de toute manière… Mais le jeune Astorg ne se doutait pas qu’il pouvait faire partie des hommes influençables. Quoiqu’il en soit, il avait réussi à la rattraper, et c’était tout ce qui importait. Et encore mieux, il avait repris de son aplomb et était capable d’articule plus de trois mots sans se contredire. Et heureusement pour lui puisqu’elle lui posa deux questions. Dans son esprit, encore bien intimidé par les yeux verts vifs de la persécutrice de magicienne, telles étaient les pensées de la conscience de Fen, il cherchait à traduire les deux questions. Il connaissait ces deux questions, il connaissait les mots formant les questions, il les avait déjà entendu quelques part, et puis… Oui ! Il connaissait les réponses.

"-Je suis Fenriyäm Dra’acs, Capitaine dans l’armée de Storghein, dit-il, ayant bien appris sa leçon, leçon qu’il appuya par une révérence digne des plus hauts dignitaires. J’ai fort apprécié votre spectacle, même si malheureusement je n’ai pu tout admirer. En effet je suis arrivé en cours de la représentation, attiré par ce qu’il me semblait être la voix d’un ange. "

Il sourit, lui proposa galamment son bras et entama la traversée de la route enneigée. Que cela était apaisant de marcher dans une rue où la prédominance était blanche, cela donnait une impression de vide éternel comme si cette marche ne se terminerait jamais, comme si les deux et nouveaux compagnons de routes allaient pouvoir discuter à jamais, ne laissant derrière eux que la guerre et la misère… En effet, cela avait un effet romantique non-négligeable, mais peu important puisque leur marche n’était que « professionnelle ». Oui professionnelle car ils étaient tous les deux acteurs, Fen depuis peu, mais il se débrouillait déjà bien.

"-Et vous ma dame ? Je n’ai pas eu l’heureux privilège de connaître votre nom, qui je pense doit être charmant, fit l’Astorg, le regard pointé sur l’intéressée."

En la regardant, Fen ne put que voir le magnifique regard vert de la magicienne. Ses yeux étaient si beaux, deux éternelles flambeaux où crépitaient deux flammes vertes intarissables, lui donnant ce regard charmeur et envoûtant qui avait tellement séduit le capitaine. Etrangement, ou peut-être pas, Fen lui enviait ses yeux -si, en fait c’est étrange- car les siens étaient affreux, à son goût, il détestait outrageusement son regard, qui paraissait constamment vitreux et distrait, comme s’il n’était jamais de ce monde, toujours occupé dans ses songes. Un regard qu’il aimerait changer, même s’il ne le pouvait pas… Encore un coup du destin et de la nature ça !

Il n’était pas dupe, il n’était pas stupide, il n’était pas… Quoique si, ça il l’était, néanmoins il savait que la dénommée Aldrena ne le complimentait que pour lui faire plaisir, du moins c’est ce qu’il pensait. Qui, à part un homme en manque d’affectation, irait déblatérer compliment sur compliment pour faire plaisir à quelqu’un ? Personne, c’est bien ce que je disais, et Aldrena faisait partie de ce que Fen appellerait les charmeuses. Cela ne déplaisait aucunement au jeune capitaine, mais il aurait tout intérêt à se méfier… Mais ces délicats cheveux roux… Et ces douces mains qui se serraient contre lui… Non c’était décidé, Fen allait lui aussi profiter, aucune méfiance, aucune suspicion, que de la séduction ! Et pour cela, il allait rester naturel, pour voir si la jeune magicienne était vraiment ou non une séductrice, ou alors une jeune femme honnête et gentille.

Fenriyäm appréciait la proximité de la rousse, elle qui s’était un plus collée à lui, et lui qui avait un air protecteur de par sa carrure et sa taille. Si le chemin pouvait durer des heures, cela l’arrangerait beaucoup, il ne voulait en aucun cas quitter le bras d’Aldrena…

Traversant les ruelles, allant au hasard, là où le vent les poussait, ils se retrouvèrent bientôt dans l’immense rue marchande, là où tout le monde marchait, criait et se bousculait… Et oui, là aussi que Fen eut droit à la vengeance du destin et de la nature… Elle lui parlait, et lui écoutait, rien d’étrange en somme, même s’il leva un sourcil étonné lorsqu’elle le compara à un ange.

- Oh, vous me surprenez ma dame, vous savez, si j’étais un ange, j’aurais une auréole sur la tête et un luth dans la main, et je porterais une robe, vous comprenez, je ne trouve pas cela très pratique, alors je préfère rester un homme tout simple, et puis… Moi, à part disparaître et réapparaître avec une moue stupéfaite, je n’ai pas fait grand-chose , dit-il en souriant, mais par contre, je trouve que la Sirène vous sied à merveille, votre chant m’a littéralement envoûté.

Achevant sa phrase, il prit les directions et tourna à droit, il ne voulait pas repasser par les quartiers pauvres, il avait assez vu de cadavres ambulants pour la journée, peut-être pour toute la semaine, cela dépendrait de ses envies.

-Je suis bien tombé pour vous rencontrez alors ? Vous allez voir, j’ai une idée.

Puis, il ralentit le pas, et il tournait la tête de droite à gauche. A vue d’œil, il se trouvait dans le quartier des tavernes, un endroit plus sympathique pour Fen, mais pas très distinguée pour une la dame qui l’accompagnait, alors il fit une chose qu’il n’avait jamais faite auparavant, il allait gaspiller toute une solde d’un mois dans la même journée, pour une seule chose. Il se dirigea dans une impasse là où se trouvait une auberge. Vue sa taille et comment elle était entretenue, l’auberge devait être réputée. Une auberge pour les riches en somme, et Fen n’était en aucun très riche, mais il voulait s’amuser un peu, et, prenant la bourse qui devait servir à payer sa nouvelle armure, il s’arrêta devant l’auberge. Il essaya de se « détacher » d’Aldrena, mais c’était assez difficile puisqu’elle était bien accrochée à son bras. Aurait-elle une crampe des phalanges ce qui l’empêchait d’écarter ses doigts ? Aucune idée, néanmoins il réussit à se défaire d’elle puis lui fit face, un de ses rares sourires sur le visage.

- Cela vous tenterait de venir boire une coupe d’hydromel ? Ou de vin ? Ou même de bière selon vos goûts. Ici, c’est excellent, enfin je suppose… Enfin j’espère même, vu les prix, fit Fen, s’emmêlant un peu les pinceaux.

enriyäm refusa habilement le compliment quant à sa comparaison avec l'ange. Alors la rousse laissa échapper un petit rire cristallin, cachant ses lèvres derrière sa main gauche — soit son bras libre —, qu'elle reposa aussitôt sur le coude de son accompagnateur. Ils traversaient tranquillement tantôt des rues plutôt calmes, tantôt d'autres bien plus agitées, comme celle du marché, mais le bruit de la foule qui les entourait ne parvenait pas aux oreilles de la jouvencelle, bien trop occupée à admirer la perle à laquelle elle s'était solidement agrippée. Certes, il ne faisait pas très chaud, et la légère tenue de scène qu'elle portait sous son manteau ne la réchauffait guère. Autrement dit, une bonne excuse pour se coller au jeune homme... Or, elle s'accrochait à son bras musclé d'une telle fermeté, qu'on aurait surtout dit qu'elle le retenait pour qu'il ne lui échappe pas, à l'instar d'un oiseau rare capturé ne devant surtout pas retrouver sa liberté. D'ailleurs, elle masqua très vite la grimace chagrinée qui s'était dessinée sur son visage quand le soldat chercha à libérer son bras de l'emprise de ses mains.

Manifestement, il avait tout pour plaire. Car, pour couronner le tout, en plus de ses belles paroles, son apparence et son grade avantageux, l'homme aux iris d'azur venait de se montrer particulièrement galant, sachant qu'il prenait la peine de l'inviter. En accédant à cette rue, la demi-sang savait que les Astorgs aux poches vides n'osaient pas mettre les pieds dans les parages. Les yeux de la magicienne pétillèrent à la vue de l'auberge devant laquelle ils venaient de s'arrêter. De l'extérieur, on distinguait derrière les immenses fenêtres de longs rideaux de velours suspendus, et derrière ceux-ci, des meubles couverts de décorations dorées, et des lustres de cristal suspendus. La musique d'un instrument à cordes s'échappait même du sein de la taverne, dans l'objectif d'offrir une chaleureuse ambiance aux clients fortunés.

* Galant... et riche ? * se questionna sur-le-champ Aldrena en son for intérieur, même si le brun ne s'avérait pas être un habitué du coin.

Quoiqu'il en soit, sans vouloir spécialement profiter de la bonté de Fenriyäm, l'illusionniste ne comptait pas refuser une si belle invitation, elle qui adorait qu'on se plie en quatre pour sa petite personne.

« Avec plaisir ! lança t-elle toujours aussi souriante, accompagnée d'une bref hochement de la tête. Je vous avoue que je ne serais pas contre une coupe de vin, histoire de me réchauffer un peu. »

Au moment où le duo s'avança sur le seuil de l'auberge luxueuse pour s'y engouffrer, Aldrena sentit un chatouillement sous le bras et entendit retentir des pas claquer sur le sol avec hâte. Elle tourna vivement la tête vers sa droite, et remarqua qu'une silhouette se précipitait vers la sortie de la rue aux passants opulents. Une seconde plus tard, elle se rendit compte que son béret, contenant ses gains du spectacle de la journée, avait disparu, elle qui croyait le tenir si bien cacher contre elle, sous son épaisse fourrure ! Sa bouche ne put retenir un vif cri d'étonnement aigu. Sa voix résonna dans la ruelle, se répercutant contre les murs richement décorés. Les quelques passants s'arrêtèrent et se tournèrent vers la source du hurlement avec curiosité, et la mélodie qui émanait de l'auberge cessa.

« Cet homme ! Là-bas ! s'exclama t-elle avec effroi en pointant le suspect déjà loin, qui avait détalé comme un lapin. C'est un voleur !! »

Il était vrai que les talentueux chapardeurs n'étaient pas rares dans le périmètre, eux qui prenaient plaisir à dérober les possessions des nantis distraits qu'ils croisaient...

Vite, vite ! Il faut que tu files !
Fais pas gaffe aux patients, ils te connaissent pas.
Le coeur de Gaëlle battait la chamade.
Slalome entre les gamins, faudrait pas que tu t'en prennes un au passage.
Ses jambes semblaient se mouvoir toutes seules, dans sa tête c'était le vide total, tout ce qui comptait c'était courir, courir.
Attention, virage en épingle !
La neige n'arrangeait rien à son affaire... Trop glissant tout ça !
Dérapage contrôlé... plus ou moins...
Gaëlle se rattrapa de justesse et se demanda une nouvelle fois ce qui lui avait pris de passer à l'action.

D'accord, ça faisait plusieurs mois qu'elle avait rejoint l'équipage de Cassandra et elle n'avait encore jamais ramené le moindre bijoux. Son boulot c'était d'annoncer les récifs dangereux, les navires impétueux et les terres où mettre l'ancre. Mais quand même, beaucoup de pirates apportaient régulièrement au bateau leur butin récolté sur terre, tandis qu'elle se contentait de flâner dans les rues Astorgs en attendant de repartir en mer et de rejoindre son précieux perchoir. Elle s'était mise à reluquer les bourses des nobles bien vêtus et les petits sacs de dentelles des jeunes femmes de bonne famille avec un tout autre regard. Elle s'imaginait alors s'approchant de sa victime, se saisir du bien qui ne lui appartenait pas encore, puis... s'envoler comme un immense oiseau de proie dans les nuages omniprésents à Storghein, par magie.

Gaëlle était enfin passée à l'action. Sauf qu'elle n'avait aucune chance de devenir un aigle et elle fut presque surprise, une fois le béret en main, qu'un miracle ne se produise pas et qu'elle ne rejoigne pas les cieux en un clin d'oeil. Au lieu de cela, elle dut prendre les jambes à son cou et foncer à travers les rues plus ou moins encombrées de la capitale Astorg. Elle avait repéré le quartier un peu avant et se déplaçait sûrement entre les bâtiments familiers. Non sans renverser quelques étalages, tonneaux ou grands-mères au passage. Car même un miracle n'aurait pu dénuer Gaëlle de sa maladresse habituelle.

Elle n'était pas sûre d'être poursuivie mais elle avait un plan quoi qu'il arrive. Le seul détail sur lequel elle n'avait été fixée qu'au moment de passer à l'action c'était la victime. Le hasard avait fait que la chevelure enflammée de cette femme avait attiré son attention. Ainsi attachée au bras de son cavalier, elle était à la fois si belle et doucement naïve. Gaëlle n'avait toujours pas compris quel intérêt il y avait à se pavaner en si triste compagnie – celle d'un homme, ça craint quand même ! Les hommes, on prend souvent du plaisir avec, on chope parfois un enfant au passage, mais qu'ils retournent après ça à leurs basses besognes qui leur sont destinées ! Pourquoi se lier à quelqu'un qui vous trahira à coup sûr – c'est le cas de le dire. Mais ce n'était pas parce qu'elle avait un homme comme animal de compagnie que l'Amazone choisit cette rousse comme cible. C'était que ce qu'elle tenait précieusement sous son bras semblait bien lourd !

Gaëlle, méconnaissable sous sa casquette de garçon, son pantalon de velours et sa veste de cuir qui avait trop vécu, s'était approchée discrètement. Ces cheveux multicolores ainsi cachés dans son chapeau, elle n'avait rien de très féminin et c'est peut-être parce qu'elle s'était glissée un instant dans une autre peau que la sienne qu'elle put réussir. Elle s'était saisie de l'argent sans attirer l'attention – et sans déclencher une série de catastrophes, pour une fois – et avait décampé aussi sec.

Vite, vite ! Il faut que tu files !
Au bord de l'épuisement, Gaëlle reconnut le carrefour et ne put s'empêcher de sourire. Elle y était ! Un nouveau virage serré et elle pénétra dans la rue qu'elle avait repérée. Sans attendre, elle se précipita vers un tonneau, d'apparence quelconque, duquel elle tira un immense manteau sombre qu'elle enfila dans un même mouvement. Elle flanqua le butin dans la poche de sa veste intérieur, y fourra sa casquette au passage et se cala contre le mur, près d'une porte. Son manteau chaud recouvrait son pantalon de garçon et même si elle semblait engoncée sous toutes ces couvertures, qui pourrait lui en vouloir de se couvrir dans le froid de Storghein ?

Ses complices ne se firent pas attendre. A peine s'était-elle appuyée contre les pierres sales, qu'un chat gris sauta de tonneau en tonneau pour venir se frotter contre les jambes de Gaëlle. Un autre délaissa un rat dans le caniveau pour la rejoindre, tandis qu'un tigré ramenait déjà ses moustaches. Une seconde plus tard pas moins de cinq chats avaient entouré la pirate et se blottissait contre elle alors qu'elle venait se s'accroupir. Elle soufflait dans ses mains, comme pour les réchauffer : en réalité, elle reprenait son souffle qui l'avait quittée durant la course et respirait profondément.

Qui aurait pu croire qu'elle venait de dépouiller quelqu'un ? Une femme à la peau sombre et aux cheveux à la fois verts, bleus, jaunes et violets, ça attire l'attention, tout de même ? Surtout qu'elle doit habiter cette maison, non ? Elle se tient à côté de la porte et ces chats ne peuvent être qu'à elle... Pourquoi sinon l'adoreraient-ils ainsi ?

La partie était gagnée.

[Désengagée.]

Le temps passe et jamais ne s'arrête.

Le changement de saison s'annonce et bientôt, le blanc manteau de l'hiver qui recouvrait ce monde laissera place à l'herbe grasse et aux timides rayons du soleil. Le silence cédera sa place au chant des oiseaux et le monde s'éveillera petit à petit, sortant lentement de son cocon de glace. Dans ce décor que le temps semblait avoir figé, le moment est venu de s'éclipser, de laisser la nature reprendre ses droits et le cours des choses se faire.

[Désengagés : Aldrena, Fenryïam ]