[HJ: RP pour obtenir la compétence bonus Manipulation des Mots]
Cela faisait déjà quelques temps que les nuits de Reyan n'étaient pas tranquilles. Le prêtre avait choisi de mettre cela sur le compte de ses journées un peu trop remplies dernièrement : pour des raisons plus ou moins compréhensibles, jamais le temple d'Abyss n'avait connu une telle effervescence. Les novices étaient tellement perdus que la plupart ne reçurent pas la Confirmation qui aurait fait d'eux de véritables prêtres, et d'autres finirent même par abandonner et se reconvertir dans d'autres disciplines. Étant donné son jeune âge, Reyan était très souvent chargé de s'occuper des aspirants prêtre ou prêtresse, et il était quelque peu chagriné que les trop grandes ambitions en termes d'activités des chefs du Culte éloignent les rares âmes se sentant appelées par Abyss. En marge de tout cela, le fils d'Amazone avait tenté de reprendre son activité d'écrivain public, mais il regretta sa décision à peine quelques jours après l'avoir prise, tant il se sentait submergé. Il était plus que temps que l'année 155 arrive et calme les ardeurs des Archiprêtres.
Seulement, malgré un calme relatif retrouvé, le sommeil de Reyan se voyait toujours quelque peu troublé. Et cette nuit-là, plus que les autres, il n'eut que trop de mal à sombrer. Dans sa modeste demeure à quelques rues à peine du temple, et alors qu'au dehors la nuit avait déjà recouvert la ville depuis plusieurs heures, le Cydien était encore en train de gigoter dans son lit. A droite. A gauche. La situation commençait à devenir insupportable ! Combien d'heures s'étaient écoulées depuis qu'il s'était allongé ? Trop pour qu'il puisse passer une véritable nuit, pas assez pour que celle-ci se termine et qu'il puisse commencer sa journée.
Soudain, un bruit dans la pièce voisine de la chambre de Reyan, qui était en fait l'entrée et faisait aussi office de salon, attira son attention. Le prêtre se redressa brusquement : il était pourtant sûr d'avoir fermé sa porte à clef, comme chaque soir. Mettant cela sur le compte de son imagination, il fallut un deuxième son étranger pour que Reyan se rende compte qu'il se passait quelque chose d'anormal et que, d'une manière ou d'une autre, quelqu'un avait décidé de violer l'intimité de son logis. Depuis son aventure un peu folle avec Hannah, le jeune homme avait pris de l'assurance et craignait moins le danger. Sans un bruit, il mit pied à terre, s'empara de sa dague qui était posée sur la commode, et se dirigea lentement vers la porte de sa chambre. Il ne l'avait pas remarqué auparavant, mais une légère lueur trahissait le fait que l'intrus avait allumé une bougie ou toute autre source de lumière. Prenant son courage à deux mains et sa dague de la main gauche, Reyan ouvrit brusquement la porte.
Dans la petite pièce qu'était son salon, près de la porte de sortie, se tenait une silhouette parfaitement immobile, éclairée par une bougie elle-même posée sur la table. Impossible de déterminer le sexe de l'individu, son visage comme tout son corps était recouvert d'une cape noire ne laissant apparaître aucun membre ni aucun fragment de peau. Etrangement, la pièce ne présentait aucun signe d'effraction, comme si l'homme ou la femme que Reyan menaçait désormais de sa dague pointée devant lui était apparu de nulle part.
« Qui êtes-vous, que faites-vous chez moi ? » demanda le Cydien d’un ton sec.
La cape noire eut un mouvement brusque, mais ne laissa toujours rien voir de la personne qu’elle couvrait.
« Oh, je vois que tu n’as pas froid aux yeux, mon cher Reyan ! Fais attention avec cette arme, tu pourrais blesser quelqu’un. »
C’était une voix grave d’homme, un peu rauque.
Un peu pris de court par le fait d’avoir entendu son prénom prononcé par un étranger, Reyan ne montra rien de sa surprise, fort de la maîtrise de ses émotions, et rétorqua d’une froideur teintée d’une légère agressivité :
« Vous ne m’avez pas répondu.
– Du calme voyons, du calme, il n’y a pas lieu de s’énerver ! Allons, nous avons beaucoup de choses à nous dire et pas toute la nuit pour cela.
– Dites-moi qui vous êtes, insista une nouvelle fois Reyan en haussant le ton.
Il était difficile de savoir si l’homme encapuchonné avait été effrayé ou si l’assurance apparente du Cydien n’avait pas eu d’effet sur lui, mais il y eut un petit temps de silence pendant lequel ils restèrent tous deux immobiles.
« Très bien, j’avoue que tu me surprends, répondit l’inconnu d’un ton beaucoup moins joyeux et presque effrayant. Mais puisque tu y tiens, je vais te révéler ma véritable identité. »
Comme pour instaurer une certaine tension dramatique, un nouveau silence précéda la révélation.
« Je suis ton Dieu : je suis Abyss.
– Il est inutile de me prendre pour un idiot , répliqua Reyan, cinglant et nullement déstabilisé.
L’intrus trépigna.
« Ooooooh tu n’es pas drôle du tout !! Bon sang, pour le moment tu n’as nullement besoin de savoir qui je suis, chaque chose en son temps ! Je suis venu te voir car tu ne t’en rends peut-être pas compte, mais tu as passé un cap. Et je suis venu chez toi pour t’enseigner ce que tu sais…sans vraiment le savoir. »
Cette fois, le visage dur de Reyan s’adoucit et laissa transparaître un léger étonnement. Contre toute prudence, il baissa son arme, laissant la dague pendre négligemment sur sa cuisse mais la tenant néanmoins toujours aussi fermement.
« Que voulez-vous dire ?
– Ha, je savais que je parviendrais à t’intéresser ! répondit l’homme l’air satisfait sous sa cape. Tu sais, je te connais bien, très bien. Je sais que tu es entré dans l’Ordre d’Abyss, mais aussi que tu as démontré quelques talents pour la magie, depuis ton plus jeune âge ! »
Reyan garda silence, mais continua de fixer l’inconnu, le surveillant de près, d’autant plus lorsque, sans aucune gêne, celui-ci passa une main gantée sur quelques parchemins qui trainaient sur la table.
« Ah, je vois que tu as pris conscience de ton lien privilégié avec les mots, pas vrai ? Tu as écrit beaucoup de livres dernièrement ?
– Arrêtez votre petit numéro, je commence à perdre patience. Dites-moi ce que vous voulez et sortez de chez moi. Ce que j’ai pu écrire ne vous regarde absolument pas.
– Mais au contraire, cher Reyan, bien au contraire ! Tu as pris conscience très tôt du fait que les mots étaient plus que ce qu’ils semblaient être, qu’ils t’ouvraient, à toi et à toi seul, des portes inaccessibles à une majorité de gens.
Le jeune prêtre devait bien avouer qu’il se retrouvait dans la description de son interlocuteur. Préférant pour l’heure laisser de côté les questions relatives à la manière dont il avait acquis tous ces renseignements sur lui, il garda silence et laissa poursuivre l’inconnu qui à présent marchait en rond dans la pièce, tentant de tourner autour de Reyan.
– Tu es sûrement très sensible à toutes ces questions sur le langage, je me trompe ? Tu sais sans doute donc quel est l’autre versant des mots ? Celui qui en découle et en est à l’origine ?
– La pensée. Langage et pensée ne peuvent être imaginés l’un sans l’autre.
– Hé hé, exact ! Et qui dit pensée dit esprit. Te rappelles-tu de ce que tu disais à ton père dans ta jeunesse ? Que tes mots avaient un effet dans un monde invisible ? Déjà à l’époque tu avais l’intuition qu’il existait un au-delà où les mots, les pensées, les esprits donc, avaient une place véritable.
– Vous allez m’ouvrir la porte du monde des esprits ? demanda Reyan quelque peu pressant et légèrement excité par les sous-entendus de l'inconnu.
Celui-ci se mit à rire, ce qui vexa quelque peu le jeune Cydien et lui fit retrouver une expression assez dure et irritée.
– Voyons Reyan, je ne te pensais pas si impatient ! Tu es trop pressé ! De toutes façons, ce don est déjà en toi, il s’agirait simplement de le réveiller une fois que tu seras prêt. Mais ce n’est pas encore le cas, il est trop tôt encore. Un tel voyage requiert des dons magiques que tu possèdes mais dont tu ne soupçonnes pas encore tout à fait l’ampleur. Ton esprit n’est pas assez mûr, ce pourquoi il faut faire les choses graduellement. C’est d’ailleurs la raison de ma présence ici ce soir ! Je viens pour te faire monter une première marche, et ce en t’apprenant un premier mot.
La main gantée plongea dans les profondeurs de la cape noire, et sortit de ce qui devait être une poche un parchemin en tout point semblable à ceux qu’utilisait Reyan pour lancer ses sorts. Il était entièrement vierge, à un détail près : tout au centre de celui-ci était écrit, en petit, un seul et unique mot.
– Mot ? C’est ça le mot que vous voulez m’apprendre ? dit Reyan sans pouvoir s’empêcher de hausser un sourcil. Je veux bien croire que je ne sois pas un grand savant ni forcément un écrivain de talent, mais de là à me prendre pour un imbécile… Vous allez un peu loin.
– Calme-toi voyons, inutile de s’énerver, je te l’ai déjà dit. Et puis pour une fois je te trouve un brin présomptueux : je t’ai aussi dit que je dois te révéler des choses que tu gardes en toi mais que tu n’étais pas capable de voir. Tu es prêt pour celle-ci. Tu as déjà bien répondu à une première de mes questions, je vais à présent t’en poser une deuxième, afin d’être absolument certain que le moment est bien venu. Tu n’es pas sans savoir que la plupart des mots réfèrent. Dis-moi à quoi renvoie le mot mot.
La question avait le mérite d’être intéressante, d’autant plus pour Reyan qui aimait se poser des questions sur la nature du langage ou des éléments le composant. Le prêtre se gratta le menton, et répondit au fur et à mesure que les idées lui venaient.
– Eh bien on pourrait dire que c’est un terme qui renvoie à lui-même, quoique ce serait possible avec chaque mot… Non, je dirais qu’il peut désigner l’ensemble des tous les mots qui composent notre langage. J’ai pu constater que, gravés sur le papier, les mots deviennent l’intermédiaire entre mon monde intérieur et la réalité, ils me permettent via la magie d’imposer mes désirs à cette réalité. De la même façon, le mot que vous me montrez peut être le lien entre chaque terme, le point commun qui relie tous les mots. Mes mots, vos mots, chaque mot.
– Tu es un garçon intelligent Reyan. Ton intuition est juste, tu es prêt. Tu as vraiment approfondi la connaissance de ton langage, et donc de ton esprit et de ton monde intérieur comme tu l’appelles. Une partie de toi que tu ne soupçonnais pas va désormais s’ouvrir à l’autre partie de toi dont tu es conscient. Si les mots sont un point de passage, alors maîtriser tes mots, c’est aussi maîtriser mes mots. Et puisque tu as conscience de ce lien, alors tu peux manipuler le langage d’autrui.
Soudain, le mot gravé sur le parchemin s’illumina et finit par embraser la feuille tandis que la flamme de la bougie prit soudain des proportions gigantesques et finit par tournoyer autour de la pièce. Par réflexe, Reyan se protégea de ses mains et laissa tomber sa dague dans un bruit métallique. Aveuglé par la lumière des flammes, le prêtre tenta d’ouvrir les yeux : l’homme encapuchonné se tenait au milieu du brasier qui allait désormais emporter son foyer, sans sembler souffrir et sans que sa cape ne subisse la moindre brûlure.
– Qui êtes-vous ? demanda Reyan, tellement persuadé qu’il allait mourir, sans comprendre comment ni pourquoi, qu’il se sentit trop effrayé pour avoir peur.
– Tout ceci n’est qu’un rêve Reyan. Et tu sais rationnellement que tes rêves sont un moment que tu passes avec toi-même, pas vrai ? Disons que je suis une autre de ces parties de toi que tu ne connais pas pour le moment, d’accord ? Le moment viendra où tu verras mon vrai visage. Nous nous retrouverons. »
Il y eut une explosion, tandis que le toit de la maison menaçait de s’écrouler.
Reyan se réveilla en sursaut. Les yeux écarquillés d’horreur, il haletait, et il mit quelques minutes avant de retrouver son calme. Dehors, le soleil s’était levé et la journée promettait d’être belle. *Quel rêve étrange…* se dit le Cydien. *Et tout semblait si réel.*
Comme pour témoigner que tout ce qu’il avait vu n’était que le fruit de son imagination, sa dague reposait bien sagement sur la commode où il avait l’habitude de la laisser. Ayant retrouvé son calme, quoiqu’encore légèrement perturbé par ces visions oniriques, Reyan se leva et se dirigea vers l’autre pièce. Il allait s’habiller lorsqu’il remarque sur la table un parchemin à l’écart de ceux qu’il avait laissé traîner sur la table. Il était bien en évidence, on ne voyait que lui. Le prêtre eut une intuition un peu désagréable, et ne put s’empêcher de s’approcher et d’attraper la feuille pour vérifier ses doutes.
« Mais… C’est mon écriture ! » s’exclama-t-il.
Et pourtant, il était bien persuadé de ne jamais avoir écrit ces lignes. Il s’agissait d’un quatrain, mais son thème ne faisait pas partie de ceux qu’il avait l’habitude de traiter pour déchaîner sa magie. Comment expliquer que les moindres courbures de chaque lettre correspondaient en tout point à celles qu’utilisait habituellement Reyan ? Poussé par une inexplicable force intérieure, le prêtre lut le poème à voix haute.
« De chaque lettre au moindre mot
Je sais désormais le visage
Car ton langage est mon langage
Dont la magie n’est qu’un écho »
Le parchemin s’illumina un instant, puis il y eut un flash et plus rien. Reyan se tenait debout dans son entrée, les mains tenant une feuille invisible. Son regard traduisait son sentiment : il ne savait plus trop que penser. Mais une chose était sure et certaine : désormais, il savait que sa maîtrise de la magie des mots avait vraiment franchi un cap.