Assis sur le toit d’un des bâtiments du monastère, Thonolan laisse son regard plonger dans la cour intérieure qui sert de terrain d’entrainement aux novices. Le sol de pierre est ici recouvert d’une couche de terre souple, pour amortir les chocs en cas de chute. En cette fin de journée, deux novices, les derniers à être encore dehors, replacent leurs épées d’entrainement sur une étagère et retournent à l’intérieur des bâtiments. Au-dessus d’eux, Thonolan les suit du regard jusqu'à ce qu’ils disparaissent. Peu de novices sont venus grossir les rangs des Zélotes ces dernières années, mais si peu soient-ils, ils seront encore moins nombreux à atteindre le rang de Zélote a part entière.
Un autre jour, Thonolan aurait déploré cet état de fait, mais ce n’est pas le moment. Un dernier regard sur les bâtiments lui confirme qu’il est bien seul. Il se redresse alors, assure son équilibre sur le toit pentu, et se concentre. Peu à peu, son image se brouille, et quelques instants plus tard, un faucon pose ses serres sur les tuiles.
Thonolan se contorsionne, étend ses ailes, vérifie que tout est en place. Une fois, sous sa forme de loup, il a oublié le cœur. Il est particulièrement attentif aux organes internes depuis, mais sur une forme aérienne les détails ont plus d’impact que sur une forme terrestre. Enfin, délicatement, il s’approche du bord. Une centaine de mètres le séparent du bâtiment d’en face. Le sol souple de la cour amortira sa chute, s’il tombe, et personne n’assistera à la scène.
Cette forme de faucon pèlerin, une fois maîtrisée, se révèlera d’une grande utilité. Considéré comme le plus rapide des oiseaux, le faucon peut voyager vite et loin, et quelle frontière arrêterait un oiseau ? Mais pour l’instant, il n’est pas plus près de survoler la forêt interdite des amazones que de danser la gigue sur la Grand-Place de Storghein. D’abord, traverser la cour. Le Zélote s’élance, les ailes tendues, le regard fixé droit devant lui. Il n’a pas le vertige, mais s’il regarde en bas, le mouvement lui fera perdre l’équilibre. Deux battements d’aile pour regagner de l’altitude. Les pattes serrées contre le corps. La queue doit servir de gouvernail. Il va y arriver ?
Il n’y arrive pas. Un coup d’aile trop fort le fait dévier, il n’a pas encore appris à tourner, et le sable de la cour vaut mieux que la pierre du mur. Il atterrit plus ou moins en douceur, pour une fois, puis reprend forme humaine. C’est sa première chute aujourd’hui, mais il fait encore jour.