[DP] Quand les souvenirs se mêlent au présent (Anarel, Andraan) (terminé)

Quatre avaient passé depuis ce froid hiver durant lequel Celyween avait perdu la vie. De l'eau avait coulé sous les ponts, Tamawa avait repris ses couleurs d'antan, et le monde avait continué à avancer. Les rires, les chants et la bonne humeur avaient repris leur droits au sein de la cité neutre, oubliant la terrible bataille qui s'était pourtant livrée sur près d'un an. Les cicatrices étaient toujours là, qui ancrées dans les cœur, qui ancrées dans les pierres. Jiven n'échappait pas à la règle et malgré le temps passé, se prêtait parfois à se demander ce qu'il se serait passé si jamais … « Si », ce mot était tellement douloureux chaque fois qu'il se prêtait à l'employer. S'il avait été là, s'il l'avait empêchée de partir, au fond, malgré les années qui étaient passées, l'homme était toujours rongé par les remords et le souvenir de sa moitié. L'Elfe n'était pourtant pas spécialement un exemple de tendresse et de douceur mais peu importait, elle était celle qu'il lui fallait et avait accepté sa demande. Etait-ce un rêve ? Sans doutes, la bataille avait tendance à abîmer le cœur des hommes et sans doutes la vision de la belle templier ce jour là n'avait été qu'une image de son Esprit, une bribe de souvenir envoyé par son subconscient alors qu'il pensait mourir. Cela pouvait sembler bien futile aux yeux du commun des mortels qu'un directeur aussi prometteur que lui s'en fasse pour le souvenir d'un fantôme mais au moins avait-il la bonté d'épargner l'Esprit de l'ensemble des Sensibles de ce monde, enfouissant ses pensées et sa peine, atténuée tout de même depuis le temps, au fond de lui. On pouvait continuer à avancer, mais la blessure demeurait, voilà ce que Jiven retenait de sa mésaventure.

L'homme avait une lubie étrange, se refusant à rendre visite à sa femme en hiver pour l'anniversaire de sa mort, il préférait fleurir sa tombe une fois par an, pour l'anniversaire de la belle. Née au début du printemps, lorsque les jours tiédissent mais laissent encore percevoir la froideur et la rudesse de l'hiver. Celyween avait toujours été quelqu'un de complexe, de difficile à cerner, un peu comme le printemps, elle faisait un pas vers la douceur de l'été et un vers la rudesse de la saison hivernale. Cette année encore, malgré le travail qui avait toujours tendance à s'amonceler sur son bureau et bien que nombre de jeunes apprentis attendent la nomination de leur maître, Jiven s'était autorisé quelques jours de « repos » pour faire l'aller-retour auprès de sa femme. Sur le chemin pour la cité Elfe, l'homme ne pouvait s'empêcher de ressasser le passé. Jamais Almer et Elfe n'étaient voués à s'aimer et pourtant, le Temple les avaient fait se rencontrer et se marier. Aerin était né d'une union aussi improbable que la leur et aujourd'hui encore, son statut de Templier comme l'indulgence de la Grande Prêtresse lui permettait d'accéder à la cité cachée dans les brumes épaisses des collines qui l'entourait pour voir la fameuse tombe. Une chance que la gamine soit compréhensive et surtout, une chance qu'il soit le directeur du Temple et donc, qu'il ai non seulement un statut neutre mais un statut tout court.

Lorsqu'il pénétra dans la cité, les gardes de cette dernière firent mine de ne pas le voir. Peu importait à Jiven qui passa en silence les portes de la cité. Il prit la peine de déposer sa jument dans l'auberge de la cité avant de directement se rendre sur les lieux. Jiven n'avait pas de fleurs, de toute façon, Celyween n'aimait pas spécialement cela de son vivant, il avait simplement amené un bouquet d'herbes des collines, parsemées de deux petites fleurs blanchâtres. Dans un soupir, il le déposa sur la tombe tandis que le cimetière semblait désert. Ayant fermé son Esprit pour ne laisser entrevoir aucune de ses émotions, Jiven se concentra néanmoins sur ses souvenirs d'Elfe pour dire une prière. Il était un piètre polyglotte mais l'intention y était !
Tandis qu'il se tenait bien droit devant la tombe, Jiven faisait le point sur ces dernières années. Evenor était devenu un Templier tandis que Jade, la jeune apprentie de sa femme n'était plus reparue. Aerin semblait déçu de ne plus la revoir, apparemment, la jeune femme avait une place importante dans le cœur du garçon. Les recherches pour savoir où elle se trouvait ou tout du moins, si elle était encore en vie, n'avaient rien donné. Il avait eut l'occasion de former deux jeunes gens en quatre ans, certes Ashrand n'était pas resté et Eléa était une élève un peu particulière mais cela le rassurait de se savoir encore utile. Enfin, il avait su offrir un cadre normal à leur fils et ce dernier, pour ne faire que le ravir d'autant plus, avait hérité de leur dons. Sans doutes Celyween n'aurait-elle pas apprécié de voir que leur précieux enfant auprès des Zélotes mais apparemment, l'adolescent s'en sortait plus que bien à Cydonia.

« Il a bien grandi » s'entendit-il dire non sans fierté à la pierre tombale.

Il y avait si longtemps qu'elle n'était plus là que cela faisait bizarre à Jiven de lui parler comme si elle ne l'avait quitté que la veille. Plus il y pensait, plus il se disait que c'était comme si elle n'était jamais vraiment partie. Jiven ne cessait de se demander comment les choses auraient évoluées pour Aerin si Celyween avait encore été en vie, aurait-elle accepté qu'il maitrise un élément comme les Zélotes de son passé ? Il préférait ne pas y penser au fond. Il n'aurait jamais la réponse et cela n'avait pas d'importance en son absence.

Encore une fois, j'avais fini par revenir sur cette tombe, toujours plus poussiéreuse au fil des temps, toujours plus noircie et salie d'année en année, attaquée par la mousse malgré les soins que je lui accordais parfois. Voilà déjà six ans qu'elle existait, se dressant au centre du cimetière silmarien ; balayée par les vents, foudroyée de pluie, salie, éprouvée par le dur cours du temps, elle tenait pourtant bon, assurant un éternel repos à la jeune fille qui se trouvait en dessous, reposant sagement en terre, les yeux clos, les mains jointes. Je ne savais guère pourquoi depuis toutes ces années je m'obstinais à revenir à chaque anniversaire de sa mort. Je ne l'avais pas tant connue, nous n'avions pas tant passé de temps ensemble, elle n'avait pas tant d'importance pour moi, et pourtant ; chaque Tombeneige me voyait revenir devant cette pierre tombale, un bouquet négligé de fleurs à la main. Cette fois encore, j'étais revenu les bras chargés de Corbeilles d'Argent. « Ces fleurs symbolisent l'indifférence. » m'avait-on dit une fois ; ainsi, elles concrétisaient parfaitement mon ressenti, ou du moins je m'obstinais à vouloir me convaincre qu'il était mien.

* C'est ridicule … *

Pourquoi faisais-je tout cela ? Je ne me comprenais pas moi-même ; je n'avais pas vraiment connu Helyn de son vivant en dehors des réunions de notre petit groupe, et jamais je ne lui avais parlé seul à seule. Toutefois, depuis le départ de sa sœur Elwën, plus personne ne prenait la peine de s'arrêter sur sa tombe. Plus personne ne se rappelait d'elle, et son souvenir se mourait ; sans moi pour me remémorer son existence, elle finirait par disparaître purement et simplement de ce monde. Etait-ce un stupide sentiment de pitié ou de compassion qui m'animait, et me ramenait inexorablement dans les allées du cimetière ? Je ne savais guère.
Le vent balayait les arbres, qui tanguaient sous sa puissance ; quelques feuilles orphelines se voyaient arrachées de leur mère protectrice, et venaient tapisser l'humus d'un immense tapis vert. Le soleil semblait nous bouder, et persistait à se cacher derrière ses légers et éternels gardes ; au-dessus de moi, filaient des nuages lourds et gris, chargés de pluie, ramenant les souvenirs par vagues intermittentes. Lorsque nous avions subtilisé des petits pains dans l'échoppe du boulanger. Lorsque nous nous étions introduits chez notre grincheuse voisine et avions failli être surpris fouinant dans les recoins poussiéreux de sa maison. Lorsque j'étais tombé dans la Cascade des Anciens, voulant atteindre je ne sais quelle pierre étrange. Lorsque nous courions le long des rues boisées de notre cité natale. Lorsque nous avions failli faire brûler un arbre par inadvertance. Lorsque nous nous étions échappés de Silmarie, avions été rattrapés par nos parents furieux, avions dû subir leurs foudres et nous voir privés de nos escapades quotidiennes. Lorsque j'étais parti de nuit chez Elwën et Helyn lorsque leur mère mourut, tentant maladroitement de consoler leurs pleurs.
Ces quelques souvenirs épars m'arrachèrent un sourire que je n'avais revu depuis bien longtemps ; nous avions fait tant de bêtises lors de notre jeunesse, tous ensemble, et ne nous étions presque jamais fait prendre. Nous étions les intouchables de Silmarie, une joyeuse troupe de gamins insolents et pourtant si attachants. Mon sourire toutefois se mourut rapidement alors que je repensai à la suite de notre histoire.
Et Helyn mourut.
Une sombre histoire. Personne ne sut jamais vraiment ce qui était arrivé. Certains pensaient qu'elle s'était suicidée, d'autres que c'était un malheureusement accident. Et Elwën, qu'il s'agissait d'un meurtre. Je ne savais pourquoi elle s'était mis une telle idée en tête, mais elle semblait persuadée qu'Helyn n'était pas morte par hasard. Se noyer dans ces circonstances ne lui semblait définitivement pas envisageable. Ainsi, elle avait eu beau répéter à qui voulait et ne voulait pas l'entendre que sa si chère sœur n'était pas morte par accident et qu'elle ne serait jamais suicidée, personne l'avait crue. Pas même nous.
Je soupirai. Cette histoire était bien compliquée, et appartenait maintenant au passé. Helyn était oubliée de tous, même de sa sœur ; j'étais désormais le seul qui se rappelât un tant soit peu sa courte existence, et continuât à lui rendre visite. Je posai les Corbeilles d'Argent sur la pierre froide, et baissai la tête sur l'inscription qu'elle portait.

« Helyn — 136 - 149 — A jamais. »

Pour sûr, Elwën avait toujours aimé les originalités. Je ne comprenais guère pourquoi elle avait fait inscrire ceci sur la pierre tombale de sa sœur, mais peu importait.
Relevant la tête, je me redressai, et jetai un coup d'œil circulaire ; contre toute attente, j'aperçus un homme se dresser devant une tombe, le regard vide d'émotions. Je ne connaissais que trop bien cette expression ; rares étaient ceux qui avaient un tel visage sans réellement ressentir d'émotions. Curieusement, je me demandai ce qui pouvait bien secouer autant cet homme ; la personne enterrée dans cette tombe devait être extrêmement importante à ses yeux pour qu'il semblât ressasser avec autant d'ardeur le passé. Je le vis alors esquisser un faible sourire, et prononcer quelques mots que je ne pus percevoir, faute de proximité. Un sourire étrange s'étira alors sur mes lèvres, alors que germait une idée dans mon esprit ; avec une curiosité malsaine, je voulus découvrir le passé de cet homme qui semblait si nostalgique. Sinueusement, je tentai de m'introduire dans les spires de ses pensées ; mon Esprit ne me servait qu'en tant que voix, et il y avait déjà longtemps que j'attendais une occasion de l'exercer d'une autre manière. Seulement, contre toute attente, il y eut un imprévu. Et le mot était faible.
Alors que les acerbes spires de mon Esprit parvenaient aux frontières des pensées de ma cible, je me heurtai à une puissante barrière mentale. J'eus beau le contourner de toutes les manières possibles et imaginables, je ne décelai aucune faille dans cette défense. Alors, je réalisai. Je venais de m'attaquer à un autre détenteur de l'Esprit, extrêmement expérimenté qui plus est pour n'avoir aucune faiblesse dans sa barrière mentale, et sa prudence l'avait amené à fermer le sien. Il avait donc certainement remarqué ma tentative d'intrusion, et peut-être même la perversité qui l'accompagnait.
Pour sûr, les représailles ne tarderaient pas.

Les pensées submergeaient Jiven sans même qu'il ne cherche à les écarter. Les questions, les interrogations les plus subtiles comme les plus stupides étaient de mises dans cet environnement. Le cimetière avait son lot de tristesse et de rancœur mais également d'incompréhension. Si Jiven aurait agi de la même façon à la place de sa tendre moitié, il était toutefois pleinement conscient de la pointe de désarroi qui l'avait saisi lors de la nouvelle de sa mort. Le Temple avait besoin d'un homme fort et d'une poigne de fer pour survivre aussi s'était-il interdit toute émotion superflue, cachant ses sentiments au plus profond de son âme. Quelque part, il avait même espéré perdre la vie sur le champs de bataille pour la rejoindre ce qui, outre être totalement égoïste, aurait conduit à la paix éternelle pour son âme. Mais que faire du petit Aerin après sa mort ? Qui veillerait sur leur fils s'ils l'abandonnaient tous deux ? Bien entendu, Jiven se doutait que son vieil ami de toujours prendrait soin de l'enfant mais imposer un tel fardeau à Jacen tandis qu'il tentait de reconstruire les lambeaux de son existence et de son passé avec sa femme aurait été tout aussi cruel que égoïste et Jiven était tout sauf égoïste. Il fut un temps où seule sa petite personne l'intéressait mais Celyween, Jacen, maitre Rhodd, Philéa et Aerin. Si Jiven n'avait connu que peu son fils dans les premières années de sa vie, il savait désormais que ce dernier suivrait leur traces et qu'il acceptait petit à petit la perte de sa mère. « Tu l'as bien élevé » souffla-t-il dans un demi sourire à l'adresse de la pierre tombale comme si elle fut une personne douée de pensées et de parole.

Jiven avait eut du mal à accepter la disparition de la belle Elfe autant que son propre fils mais contrairement à lui, il avait usé de l'Esprit pour le cacher. Enfouissant ses sentiments toujours plus profondément, comme il l'avait fait des années auparavant pour le meurtre de sa sœur et, il n'y avait pas si longtemps, après la perte de ses parents. S'il enseignait à ses élèves de ne surtout pas enfouir leurs sentiments, il était un piètre exemple … peu importait, sa fonction comptait plus que ses propres sentiments, si on déconseillait aux Templiers l'amour et ses penchants, ce n'était pas par hasard. Les souvenirs remontaient, toujours plus loin, toujours plus enfouis. Faire la part des choses, voilà ce qu'il devait faire, aujourd'hui excepté. Devant cette tombe froide, aux aspects aussi rugueux que le cœur de l'Almer, les larmes ne tarderaient pas à rouler sur ses joues, encore eut-il fallu qu'il soit plus jeune certes pour cela. Sans s'en rendre compte, Jiven entreprit une conversation mentale avec lui-même, comme si Celyween pouvait l'entendre et lui répondre, tel qu'elle le faisait dans un passé lointain. Il lui conta les exploits de son fils, omettant le passage de sa vie à Cydonia ou encore, de la découverte de sa capacité à maitriser l'eau. Mieux valait éviter ces détails avec la Crépusculaire … Jiven ne se rendit compte de la bêtise de son comportement que quelques minutes plus tard. Se sentir ridicule était le lot du quotidien de l'homme ces derniers temps, un sourire se dessina sur ses lèvres lorsqu'il passa sa main sur son visage pour signifier sa fatigue. Ce fut à cet instant précis où le Templier sentit une présence aux abords de son Esprit. Dans un premier temps, il crut qu'il s'agissait de Jacen mais les intrusions de son vieil ami étaient plus douces, plus calmes et surtout, moins perverses. Instinctivement, l'homme chercha du regard la présence d'un être humain dans le cimetière en dehors des morts et de lui-même. Son regard tomba alors sur un jeune homme, non loin de lui certes, mais dont il n'avait pas pu sentir la présence en érigeant ses barrières mentales. Il paraissait évident qu'en dehors de lui, personne n'aurait pu tenter de pénétrer son Esprit de la sorte, seul un novice pouvait s'essayer à ce genre de choses …

« Mes pensées ne concernent que moi et tu devrais en faire autant des tiennes » précisa-t-il sans aucune colère dans la voix.

En réalité, la situation l'amusait d'un certain côté, lui rappelant les tentatives toujours vouées d'échec d'Evenor dans ce genre de tours, l'inquiétait quelque part car l'aspect malsain des pensées qui l'avaient saisi ne lui disait rien qui vaille et l'intriguait. Pourquoi ce jeune homme cherchait-il à pénétrer ainsi son Esprit ? Les barrières de Jiven tombèrent une à une avec une simplicité déconcertante, des années de pratique dans cet art l'avait rendu impénétrable que ce soit à l'empathie ou à la télépathie. Contrairement au commun des Sensibles, Jiven avait fait partie de ceux qui, dès leur plus jeune âge, avaient maitrisé l'art de fermer leur Esprit alors que le reste leur était pénible. Aujourd'hui, il ne le regrettait pas, d'autant plus avec la position qu'il occupait. Lorsque toutes ses barrières furent tombées, il invita le jeune homme à trouver ce qu'il cherchait :

« Je t'en prie, cherche » ajouta-t-il pour appuyer sa demande.

Même si la barrière principale était tombée, Jiven avait tellement enfoui ses sentiments et ses souvenirs les plus pénibles que des barrières naturelles de son Esprit s'étaient dressées autour. La barrière extérieure évitait les intrusions intempestives, les autres permettaient à Jiven de cacher à la face du monde ce qu'il souhaitait garder secret quoi qu'il arrive.

« Sans doutes serait-il plus simple de poser la question » ajouta-t-il d'un ton totalement neutre.

[ Désolée, panne d'inspiration ! ]

[ Suite au départ de Faelin, le topic est terminé.

Désengagés : Andraan, Jiven ]

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