[D-P] Que soit faite sa volonté et celle de ses Ancêtres (Intrigue) [terminé]

Il était extrêmement rare qu'une telle cacophonie résonne dans le marbre du Conclave. Des rugissements de Dragons, des crachats de Salamandre à faire s'effondrer les lustres et exploser les tympans de l'inestimable Empereur d'Oyashima, incrusté dans son trône immobile, les doigts perdus dans sa barbe grisonnante aux poils in-disciplinables. Certains Shugenjas avaient une voix qui portait tellement qu'on pouvait les identifier par-delà le vacarme, bien que les mots ne soient que des cris de corbeaux agacés.
Le vieux maître imita son Empereur et plongea sa main dans sa barbe, bien plus longue et bien plus blanche, lissant sa longue fierté et grattouillant son menton. Ses paires, d'ordinaires si sages et silencieux, portaient et transportaient une ébullition très malvenue dans cette salle sacrée. Déjà, lors de l'apparition des Étrangers de l'Ouest, une telle déconcentration s'était produite. Voilà deux fois en quelques années que les Shugenjas oubliaient leurs principes fondateurs -et les étrangers n'y été peut-être pas justement, étranger à tout cela.

Sun Liang se leva, tendant la main pour inciter le retour au silence. Mais personne ne sembla le voir, ni même l'entendre ou ne prendre en considération son geste. Exaspéré autant que dépité, il jeta un regard suppliant vers son empereur qui, au même moment, décida que la farce avait assez durée. Il se leva, et par la-même déversa la fureur du Dragon dans la pièce par sa noble stature et son charisme. Que n'eut-il pas mieux fait cela avant, réduisant à de simples souvenirs d'une poussière nettoyée par le vent les affreux croassements de ses conseillers. Sa longue robe verte émeraude se déplia à son lever, déroulant les vastes soies chatoyantes en cascade . L'Empereur Dragon croisa ses mains dans ses manches avant de prendre la parole.

"Entendez les paroles de Kakita Shin, Empereur Dragon, Seigneur des Quatre Royaumes. Par le temps et l'espace, que soit accomplie ma volonté et celle de mes Ancêtres."

La cour de conseillers toute entière s'agenouilla à ses paroles, la tête basse fixant les pavés de marbre. Sun Liang fut le premier d'entre eux à s'exécuter, le craquement de ses articulations douloureuses s'étouffant dans le bruit sourd des vêtements des cinquante nobles du Conclave. Le vieille homme sentit le froid du sol filtrer à travers sa robe, engourdissant ses membres. Son long chapeau de Magistrat vacilla légèrement, mais il s'abstint de tout mouvement tant que l'Empereur n'aurait pas repris la parole.

"Mes Magistrats auraient-ils des éléments nouveaux à nous rapporter?"

Le "Nous" indiquait bien évidemment sa royale majesté ainsi que celle de ses ancêtres qui, par delà l'éternité et la chair, transcendait la personne de Kakita-domo. Assez étrangement, alors que la salle de marbre résonnait il y a quelques secondes encore des croassements, aucun conseiller ne souhaitait prendre la parole. Puis une personne du premier rang s'avança, la tête basse et les mains jointes en signe de respect.

"Mon Seigneur. Qu'une magie du Sang si puissante est été utilisée démontre clairement qu'un grand malheur s'apprête à s'abattre sur nous. Il nous faut remonter au règne de Shinji III pour retrouver une telle catastrophe démoniaque, une telle propagation de sang. Les Kamis cherchent à nous punir de notre curiosité et de notre naïveté. Renvoyons les Étrangers chez eux, je vous en conjure. Renvoyez-les!"

"Renvoyez-les, Renvoyez-les" reprirent en écho d'autres pantins, se levant et joignant leurs mains dans des paroles suppliantes, tels des enfants dont le cheval de bois venait d'être brûlé.

Kakita-Sama fit les cents pas, les perles de son chapeau tintinnabulant. L'exaspération, plus que le désarroi, se lisait encore sur son visage fermé. Que n'était-il pas devenu un homme empli de colère et de solitude depuis la disparition de ses filles aînées.
Cent années semblaient s'être écoulées depuis, tellement Sun Liang avait vieilli et son Seigneur changé. La Reine en titre ne s'était jamais remis, comme lui, de ce coup fatal qu'avait été la disparition de leurs jumelles. Mais il était l'Empereur et ne devait jamais le laisser paraitre. Mais qui l'avait connu si joyeux et ouvert avant l'événement savait à quel point la perte des petites avait fait mal au Dragon. Sort funeste et injuste qui avait frappé cette famille, et ces fillettes que le Maître avait éduqué comme ses propres enfants.

"Renvoyez-les!"
"Renvoyez-les!"

"Faites silence!" éructa sa seigneurie.

Les orateurs reculèrent comme si l'Empereur venait des les gifler. Ils posèrent à nouveau les genoux au sol et baissèrent la tête. La démarche du Seigneur

"Voilà quatre années que j'entends ces paroles, des jérémiades de vieillards. En quoi notre peuple serait-il grand s'il ne pouvait se comparer aux autres? Avez-vous peur d'une population qui ne vénère même pas leurs Hauts-Elfes? Les Cydiens, les Astorgs... Eux doivent nous craindre, car eux ont érigé l'ancienne montagne pour s'isoler, pas nous. Craignez-vous la Maho? Craigniez-vous la magie des démons? N'avez-vous pas confiance en vos propres pouvoirs Shugenjas-san? SUN LIANG !"

Le vieil homme se leva d'un bond, répondant à l'appel par un salut et un "oui mon Seigneur" de circonstance.

"Tu commanderas ma commission de Chasseurs de Sorcières et de Magistrat de Jade enquêtant sur cette affaire. Un Grand Seigneur a été assassiné, son domaine réduit en larmes de sang par la Maho. Pareil crime ne restera point impuni dans mon Empire. Qu'ainsi soit faite ma volonté et celle de mes ancêtres."

[Terminé]

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