Après de longues heures, Méléane finit par poser sa plume sur son bureau et referma l'encrier. Elle jeta un dernier coup d’œil sur la page pour une ultime relecture, son regard suivant chaque courbes qu'adoptait l'irréprochable écriture de la lancière, vestige d'une vieille éducation digne des plus hautes castes de Cydonia. Puis, satisfaite de son travail, elle referma le livre et le poussa sur un coin du meuble. L'ouvrage consignait chaque homme présent en ces murs et, devant le tenir régulièrement à jour, elle l'avait ouvert une nouvelle fois car depuis ce matin, la belle cité Amazone accueillait de nouveaux résidents. Elle s'était donc déplacée pour les accueillir dans leur nouvelle demeure – geôle diraient les mauvaises langues – et leur avait expliqué à l'aide de plusieurs autres Sentinelles le fonctionnement de la ville forestière et ses règles ainsi que le rôle et les obligations d'un Soumis. La louve ne s'était pas perdu en de longs discours, bien au contraire : elle avait été droit au but, claire et concise, avant de terminer sur un « En tout cas, bienvenue, j'espère que vous vous plairez ici » tout ce qu'il y avait de plus hypocrite et elle les congédia, eux et deux-trois Amazones qui leur donneraient les quelques détails manquants en chemin et leur indiqueraient l'endroit ils logeraient, certains pour quelques mois, d'autres pour plus longtemps.
Depuis, la brune avait lu les informations fournies sur chacun des mâles par la prison d'où ils étaient issus et avait mis à jour le registre tout en planifiant l'endroit où elle pourrait éventuellement les assigner. Muria avait toujours de la place pour quelques paires de bras supplémentaires mais le tout était d'équilibrer les postes histoire de ne pas avoir une foule de gens là où seule une poignée était nécessaire. Sa matinée et le début de son après-midi se déroulèrent de la sorte.

Méléane se leva en même temps qu'elle daigna tourner la tête vers la pendule ; les aiguilles indiquaient quatorze heures dix. Parfait, elle serait dans les temps pour sa petite entrevue au terrain d'entraînement, sans avoir à trop se presser de surcroît ! Son dîner sorti de l'emballage, elle se mit à mâchonner les tranches de pain garnies de fromage en scrutant l'extérieur à travers la vitre. Le temps paraissait relativement clément aujourd'hui et elle n'avait pour ainsi dire pas encore mis un pied dehors pour en profiter, maugréa-t-elle intérieurement, le peu d'exercice qu'elle s'accorderait en ce jour tombait à pic ! Elle finirait par avoir les jambes ankylosées si elle restait encore toute une après-midi assise devant son bureau, le bruit de la plume grattant le papier pour seule distraction. Sortir se défouler un peu n'était pas pour lui déplaire du tout, d'autant que sa partenaire était vraisemblablement une novice et les dieux savaient à quel point la Cydienne aimait transmettre son art.
Dès qu'elle eût avalé la dernière bouchée de pain qu'il lui restait, elle finalisa sa préparation, troquant ses vêtements confortables mais inadaptés au combat contre une tenue légère en cuir. La veste laissait ses bras nus et son tatouage visibles aux yeux de tous tandis que son short découvrait des jambes où ne se trouvait pas un centimètre de graisse superflue de même qu'une large cicatrice. Elle avait toujours l'impression d'être aussi légère qu'une plume lorsqu'elle se battait ainsi, habituée à porter une armure de plates, plus lourde. Elle compléta cela en enfilant ses bottes dont le cuir avait été assoupli au fil du temps et qui lui montaient jusqu'aux genoux avant de décrocher sa lance du mur pour ensuite sortir au pas gymnastique.

Le terrain d'entraînement n'était fort heureusement pas très loin, tout au plus quelques rues, et Méléane y fut en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, encore qu'elle prit le temps de s'arrêter afin de saluer la forgeronne. Elle fut surprise de voir aussi peu de femmes occupée de s'entraîner, elle s'attendait à vrai dire à en voir plus, mais le petit comité de courageuses permit au moins à la femme de retrouver celle qui l'avait visiblement devancée. Flowène s’exerçait en effet contre des mannequins de paille un peu plus loin. Sans être une experte dans le maniement du sabre, elle devina que l'Elfe n'était pas une débutante en la matière. Après avoir déposé son arme contre la clôture en bois, la brune vint à la rencontre de sa jeune partenaire, qui avait décidément l'air bien différente une fois qu'elle tombait le tablier de barmaid.

« Ces mannequins ne risquent pas de t'opposer beaucoup de résistance » dit-elle pour toute salutation.

De son point de vue à elle, rien ne valait un vrai combat contre un adversaire en chair et en os. C'étaient là que venaient les bon réflexes et non contre un pantin immobile.

« Prête à t'essayer à la lance ? »

« Ces mannequins ne risquent pas de t'opposer beaucoup de résistance »

Flowène se retourna lentement, reconnaissant la voix de celle qu'elle attendait. Elle ne sursauta pas, comme on aurait pu le penser. Elle l'attendait, pourquoi être étonnée ? De plus, connaissant l'archère, elle n'allait pas se répandre en moult salutations et politesses avant d'attaquer le sujet qui l'intéresser : son fameux entraînement.
L'Elfe fronça les sourcils, quelque peu vexée par cette remarque. Elle avait fait un grand nombre d'entraînements avant d'arriver son sabre de façon correcte, et, sans s'en vanter continuellement, elle était plutôt fière du résultat. Les enchaînements qu'elle avait réalisés sur ces mannequins étaient plutôt... Pas mal. Pas extraordinaires, mais pas mal. Et pourtant, elle avait l'impression que Méléane lui avait parlé comme à un enfant qui s'amuse avec des bâtons, piètrement, et dont le père furieux voudrait qu'il soit plus sérieux. Avait-elle aussi piètre allure ? Où était-ce une façon pour la lancière de dire à l'archère que c'était impressionnant, mais que sur de vraies personnes se serait mieux ? Pour la provoquer en duel peut-être ? Flowène ne savait pas vraiment comment répondre, aussi se contenta-t-elle d'un hochement de tête en guise de salutations.

« Prête à t'essayer à la lance ? »

Si Flowène s'écoutait, elle répondrait qu'elle avait un truc à faire. Ou qu'elle était venue pour annuler, que Laïssia avait besoin d'elle au Bar Bu. Ou encore, elle lui proposerait plutôt un duel au sabre ou à l'épée. La lance n'était pas sa spécialité (trèèès loin de là) et se ridiculiser face à une personne aussi importante à Muria, c'était... Ridicule. Mais allez savoir pourquoi, elle répondit avec un air enjoué :

«  C'est pour ça qu'on est là ! »

Flowène se demanda si c'était réellement le bon choix de venir. Elle se fichait de se salir les mains, elle n'était pas à ce point maniaque (en tous cas, pas sur ce point). Et manier l'arme était son quotidien. Mais Méléane ne se moquerait-elle pas lorsqu'elle verrait à quel point l'amazone était... Nulle ? En faîte, elle était là, mais aurait été heureuse d'en être bien loin. La lancière était une grande femme de la cité, agréable, mais son caractère n'était pas facile, peut-être à tel point qu'elle ne se gênerait pas pour se moquer...
Pour masquer sa gêne, l'Elfe se dirigea vers le panneau où étaient apposées plusieurs armes différentes. Elle choisit une lance pour elle-même, sans la tester, lui jetant à peine un regard (de toutes façons, comment pourrait-elle juger, alors qu'elle n'y connaît rien ?) et revint vers son « adversaire ».

«  Je... Je pense que cette lance fera l'affaire, non ? »

Elle jeta un oeil à la lance de Méléane, ne réussissant même pas à comparer.

« C'est exact » répondit-elle simplement en hochant la tête.

Oui, elles n'étaient pas ici pour compter les nuages. C'était à l'origine une conversation au bar de la demoiselle qui les avaient amenées jusqu'au terrain d'entraînement de Muria. Une simple proposition de la Louve les tira jusqu'ici où elles pourraient s'exercer, comme prévu, à la lance. Encore qu'exercer était un grand mot car l'Elfe n'avait visiblement jamais tenu une arme d'Hast en main en opposition avec la Cydienne qui, elle, maniait la lance depuis longtemps. Le terme « initiation » serait plus approprié.
Ceci dit, Méléane ne s'en plaignait pas du tout, elle était même venue ici en toute connaissance de cause et à vrai dire, se confronter à une novice pour lui apprendre les rudiments de la lance était loin de lui déplaire, elle qui adorait instruire les plus jeunes sur ce sujet. De plus, elle souhaitait faire un peu d'exercice histoire de se dégourdir les jambes et croiser le fer de manière amicale avec la gérante du Bar Bu lui donnerait l'occasion de le faire, peut-être pas avec toutes les difficultés et le dépassement de soi qu'impliquerait un duel avec une Louve aguerrie mais c'était toujours ça de pris. Après, elle se devrait de retourner à la paperasse mais elle pourrait y aller le cœur léger après s'être ainsi défoulée.

La jeune femme à la chevelure azurée s'orienta vers le présentoir où un tas d'armes en bois étaient disposées, de la dague à la hache en passant par la lance. La Chargée des Soumis opta tout naturellement pour une lance d'exercice, le contraire aurait été étonnant de sa part. Elle se débrouillait certes avec plusieurs armes, combattre à l'épée ou à la masse ne la dérangeait pas. En fait, tant qu'il n'était pas question d'arc, cela lui allait. Son niveau d'archère était ... plus bas que tout, il n'y avait pas d'autre façon de le dire même si cela la mettait en rogne de l'admettre. Elle était juste incapable de tirer correctement et l'humiliation qu'elle avait subie la première fois avait suffi à lui faire passer l'envie de retenter l'expérience. L'arbalète restait néanmoins une arme dont l'essai était envisageable, dans le sens où elle paraissait plus simple d'utilisation que l'arc, encore que plus lente.
Enfin, elle avait proposé à l'Elfe un duel à la lance, il était logique qu'elle en prenne une donc.

Flowène revint vers elle avant de lui demander si la lance qu'elle avait choisie conviendrait. La louve nota le coup d’œil que son interlocutrice jeta sur son arme de même que son air ne pouvant pas vraiment être qualifié d'assuré. Cette lance, elle la possédait depuis de longues années, la barmaid n'était encore qu'une enfant lorsque la brune se l'offrit avec ses premiers salaires de soldat et depuis, elle ne s'en était jamais séparée, du moins ne l'avait-elle pas abandonnée au profit d'une autre arme.

« Pas la peine de la regarder comme ça » lui glissa-t-elle, « C'est une initiation, pas une exécution, je vais aussi prendre une lance d'exercice »

Il n'était pas nécessaire qu'elle s'inquiète pour si peu, elle n'était pas un monstre non plus ! Avait-elle vraiment songé à ce que la lancière l'affronte avec son arme tandis qu'elle, elle aurait son morceau de bois ? C'en était presque drôle aux yeux de la Cydienne. Mais ce n'était pas pour autant une raison pour la gérante de se montrer imprudente ou outrageusement audacieuse : Un simple bâton était une arme meurtrière pour qui savait l'utiliser ... ou frapper aux bons endroits.
Puis, elle lui prit sa framée des mains et l'examina, tantôt la faisant passer d'une main à l'autre tantôt esquissant un mouvement avec, et enfin répondit à sa précédente question :

« Oui, celle-ci ira »

De toutes façons, toutes les armes exposées ici étaient conçues pour l'entraînement et étaient par conséquent les fruits d'un travail de qualité, la première venue serait incapable d'en concevoir de pareilles. Se détournant, elle alla à son tour choisir son arme pour ce petit exercice. Enfin, son choix fait, elle fit le chemin inverse jusqu'à revenir à l'endroit où elle se tenait à l'instant. Elle avait prit une lance identique en tout point à celle de Flowène, voilà qui devrait la rassurer un peu, sinon elle ne pouvait plus rien y faire. A croire que la barmaid craignait leur rencontre d'aujourd'hui. Étrange, Méléane n'en avait pas le souvenir d'une fille aussi craintive.

« Simple curiosité, tu restes jusque quelle heure ? Parce que si tu as réservé toute l'après-midi, je risque fort de devoir te fausser compagnie avant l'heure »

L'Amazone avait demandé cela distraitement tout en relaçant sa botte qu'elle ne trouvait pas assez serrée. Il était certain qui si l'Elfe avait prévu de passer toute la journée ici, elle allait probablement se retrouver seule avant le début de la soirée : la brune s'octroyait un peu de divertissement et s'il lui aurait bien plu de rester ici, elle avait encore du travail découlant de ses fonctions dont elle devait s'acquitter.
Prête, elle se releva et fixa sa partenaire, ouvrant la bouche pour poursuivre :

« Tu m'as dit ne rien connaître sur la lance l'autre fois, tu sais au moins à peu près comment la tenir ? »

Non pas qu'elle la prenait pour une idiote mais c'était tout de même important sinon indispensable d'avoir son arme bien en main. Dans le cas où Flowène n'y connaîtrait vraiment rien, la chargée des Soumis était prête à tout lui enseigner.

La louve haussa imperceptiblement les épaules lorsque Flowène lui avoua s'être attendue à une après-midi complète de réjouissance. Que voulait-elle entendre comme entendre comme réponse, qu'elle était désolée ? Même pas. Elle n'avait pu prévoir la paperasse de ce matin et l'arrivée de ces Soumis, cela l'avait en quelque sorte prise au dépourvu, encore qu'elle était habituée à ce genre d'événement. Depuis le temps qu'elle occupait ce poste, Méléane en avait déjà vu des vertes et des pas mûres avec ce qu'incombaient ses fonctions : imprévus, complications, monts de documents à vérifier, ... les petits plaisirs de tous les jours ne manquaient pas ici !
Elle s'en irait donc avant le début de soirée, ce serait ainsi et pas autrement. Si la brune appréciait par dessus tout se défouler et s'entraîner, elle n'oubliait pas pour autant où se trouvaient ses priorités, son travail primait sur ses activités. Tant pis, elle irait se dépenser un autre jour...

Mais là n'était pas la question pour le moment ; elles n'avaient pas beaucoup de temps alors mieux valait le mettre à profit aussi vite que possible sinon immédiatement. La Chargée des Soumis lui avait rendu sa lance d'exercice à l'Elfe après s'être assurée qu'elle était en parfait état d'utilisation puis lui avait demandé si à tout hasard elle ne savait pas tenir son arme de façon correcte. Oh, elle n'allait pas être houspillée dans le cas où elle lui répondait que non, qu'elle n'avait vraiment aucune compétence dans ce domaine : elles étaient ici pour s'entraîner et cela signifiait s'améliorer où se parfaire dans un domaine donné. Apprendre à utiliser une arme était une progression considérable, non ?
A la place, la demoiselle à la chevelure azurée lui offrit une réponse plutôt indécise. Elle pensait le pouvoir, voilà qui avançait bien la soldate, elle devait le deviner toute seule ? Heureusement, Flowène plaça ses mains sur sa lance et questionna en silence son interlocutrice du regard, ne semblant pas savoir si oui ou non elle était dans le bon. Les traits de la lancière ne mirent pas deux secondes à de se transformer en une moue désapprobatrice. Si la manière dont elle tenait son arme était correcte ? Non. Enfin, cela donnait au moins confirmation à ses doutes. Soulagée de n'avoir pas commencer la séance d'entraînement alors que Flowène ne valait guère plus qu'une enfant inexpérimentée, elle déposa sa propre lance par terre et s'approcha de la barmaid.

« Pas comme ça » dit-elle simplement.

Quelques pas encore et voilà la brune placée derrière la demoiselle. Posant ses mains sur celles de sa partenaire, Méléane la guida jusqu'à ce que ses doigts soient placés au bons endroits sur la hampe et une fois la chose faite, elle glissa à son oreille toute proche :

« C'est mieux ainsi, veille à toujours l'avoir en main correctement, cela pourrait te jouer des tours dans d'autres circonstances »

D'autres circonstances, hein ? Eh bien, ce n'est pas non plus comme si elle s'attendait vraiment à voir Flowène guerroyer avec sa lance plus tard, cette dernière ayant l'air de préférer de loin son arc et son sabre, mais lorsque l'on décidait d'être initiée à quelque chose, le faire correctement était plus qu'une option, c'était un devoir. Mal tenir sa framée, c'était un peu comme tenir son épée par la lame, absurde et dangereux. La comparaison de la Louve était certes exagérée mais cela soulignait bien l'importance qu'elle donnait aux bases. Tout le monde voulait atteindre le sommet et ce, sans attendre alors que la base était bien plus solide. Comment bâtir un édifice mémorable si celui-ci vacillait déjà une ossature vacillante ?

« Voilà, maintenant on peut passer aux mouvements basiques » continua-t-elle sans lâcher les mains de la demoiselle, « Puisque tu es droitière, ta main droite servira à donner le coup et la gauche l'équilibrera, tu me suis ? »

C'était un coup simple mais rudement efficace. Bien porté, le fer s'enfonçait immanquablement dans les chairs, perçant un trou d'où s'écoulerait la vie du malheureux.

« Il faut que ton corps soit synchronisé à la lance, vous devez aller d'un même mouvement. Tu ne dois pas rester droite et statique quand tu donnes le coup »

De peur de ne pas avoir été claire à souhait sur ce point, Méléane lui prit la lance d'exercice des mains en oubliant d'ajouter de la douceur dans son geste. Parfois trop brusque, elle le savait. Flowène avait vue son arme lui être ôtée des mains car son instructrice d'un jour jugeait plus simple de le faire plutôt que d'aller reprendre la sienne par terre.
Elle plaça ses mains et resserra ses doigts fins sur la hampe comme elle le lui avait montré et de façon distincte afin que la barmaid puisse bien le voir. Puis, elle leva la lance et la pointa sur l'Elfe et lui décocha un regard qui signifiait qu'elle s'attendait à avoir toute son attention.
Le coup partit soudainement, le membre dominant de la Louve donne toute sa force à l'estocade tandis que l'autre lui assurait un maximum de stabilité et, comme souligné à l'instant, son corps suivit le mouvement, le suivant comme si lui et la framée ne faisaient plus qu'un. Le bout de l'arme s'arrêta à un pouce de l'abdomen de la jeune femme. Puissant et précis, le coup était parfait.

« Montre-moi si tu as compris » lâcha-t-elle à la demoiselle en lui rendant à nouveau son arme.

Dès que Flowène eût repris son arme, la Louve recula de quelques pas afin de laisser à l'autre femme la place nécessaire pour exécuter son mouvement. Si elle avait pointé la lance sur l'Elfe pour lui montrer ce à quoi ressemblait un coup d'estoc, c'était pour appuyer le caractère meurtrier du coup. Avec sa portée bien supérieure à celle d'une épée, d'une hache ou d'une masse, une estocade donnée à la lance et à cette vitesse était simplement mortelle. La preuve – et Flowène l'avait remarqué à coup sûr – était que Méléane aurait pu grièvement blesser la demoiselle aux cheveux azurés si elle l'avait voulu, voire pire... un petit pouce de plus et l'arme de bois serait entrée en contact avec elle sans qu'elle n'ait pu y faire quelque chose. Oh, qu'elle se rassure, ce n'était pas un hasard si la pointe de l'arme s'était arrêtée si près de son ventre, tout avait été calculé par l'Amazone.

Suivant son exemple, la barmaid plaça ses mains sur la hampe exactement comme il le lui avait été montré, ce qui en soit n'était pas très difficile mais cela restait tout de même un progrès. Puis, sa posture changea, Méléane savait qu'elle s'apprêtait à frapper ... mais la gérante du Bar Bu était trop proche d'elle pour elle aussi frapper en direction de l'adversaire ! Elle débutait, aucun doute sur le fait qu'elle ne parviendrait pas à stopper le mouvement avant de toucher la Louve. Son sang ne fit qu'un tour et la belle, suivant son instinct, recula de suite afin de ne pas être blessée. Flowène frappa.
Lorsque sa poitrine se soulevait au rythme d'une respiration encore calme, la pointe de la framée la touchait au moment où ses poumons étaient empli d'air, heureusement qu'elle avait eu le réflexe de se soustraire à l'instant. La brune posa une main sur l'arme pour l'abaisser tandis qu'elle portait l'autre à son front et qu'un léger soupir – d'agacement ? – s'échappa de ses lèvres. L'Elfe lui demanda ensuite un retour, une appréciation sur ce qu'elle venait de faire, Méléane, elle, se demandait plutôt si il était bon de lui cracher au visage les paroles qui lui venaient en tête. Elle parvint au final à se contenir, prenant une profonde inspiration avant d'ouvrir la bouche :

« Au moins tu as vu que la lance à une portée bien plus grande que le sabre que tu portes » répondit-elle les lèvres pincées.

Tu parles, elle avait surtout failli lui forer un trou dedans ! La lancière se retint d'exploser et de laisser sa colère dicter ses mots. Deuxième inspiration, l'exaspération la quitta. Elle ne se comportait pas ainsi d'habitude lorsqu'elle formait les jeunes filles et elle ne savait dire si c'était parce que Flowène était une adulte qu'elle-même s'énervait devant tant d'insouciance et d'irresponsabilité. Aurait-elle eu sa propre lance qu'elle aurait facilement contré la frappe d'estoc mais à mains nues, la tâche était d'un autre niveau. La barmaid ne s'était-elle pas rendu compte de la dangerosité de son acte ? Ce n'est qu'une débutante, ne t'énerve pas, se répétait-elle pour rester maîtresse d'elle-même.
Elle parvint à rester calme, lui offrant même l'ombre d'un sourire qui n'atteignit toutefois pas ses yeux avant de poursuivre :

« A l'avenir, tâche de ne pas pointer une lance ou même ton épée vers une personne désarmée quand tu ne maîtrises pas ce que tu t'apprêtes à faire »

Une réponse pédagogue comme celle-ci aurait un effet bien plus bénéfique qu'une vocifération plein de colère et impulsive, du moins l'Elfe retiendrait plus facilement la leçon.

« Malgré cette erreur, le mouvement en lui-même était bon. C'est satisfaisant pour une première fois. »

Si l'engouement de la belle n'était pas visible, elle était sincère. Une erreur, oui, mais il fallait néanmoins dire les choses telles qu'elles étaient : la frappe de Flowène était loin d'être misérable ! La Cydienne cherchait souvent la petite bête mais elle savait aussi complimenter et encourager les adolescentes qui apprenaient à manier la lance, mais seulement lorsqu'elles le méritaient.
La louve alla cette fois chercher sa propre arme d'entraînement qui gisait au sol depuis tout à l'heure avant de revenir vers sa partenaire. A une dizaine de pieds d'elle, la brune lui montra un autre mouvement de base : la coupe, une frappe circulaire cette fois-ci et qui s'appuyait justement sur cet aspect pour que le coup ait une puissance incroyable. Beaucoup ne s'en rendaient pas compte mais il était très facile de faire chuter ou du moins de déséquilibrer un adversaire ainsi, les victimes ne contrediraient pas cela.
Alors que l'Elfe allait exécuter le mouvement comme Méléane venait de le faire, elle l'interrompit et proposa autre chose à la place :

« Et si tu me montrais plutôt tout cela au cours d'un petit duel ? »

A vrai dire, elle n'était pas le genre d'instructrice à faire répéter inlassablement le même geste à ses apprenties, une de celles qui l'avaient formée au métier de soldate, Ihsan, avait eu le don de lui faire détester cette pratique. Si les mouvement étaient ce qu'ils étaient, c'était bien parce qu'ils se trouvaient être plus efficaces ainsi, la pratique en « temps réel » orientait donc immanquablement les jeunettes sur le chemin de la justesse, aidées par les commentaires, conseils et critiques de la brune. Après, quand elle avait vingt personnes à former en même temps, il était presque obligatoire de leur faire répéter cinquante, cent, deux cent fois le même mouvement avant de les autoriser à se battre entre elles, un accident est si vite arrivé quand on est inexpérimentée... Sauf qu'aujourd'hui, elle était seule avec Flowène, elle pouvait donc bien se permettre de s'adonner à cette méthode qu'elle préférait de loin.

« A toi l'honneur » ajouta-t-elle enfin en prenant position.

La barmaid ne ferait probablement pas une adversaire très dangereuse pour elle, pas au niveau où elle était, mais elle se délectait toujours de ces petites joutes où elle pouvait transmettre son expérience militaire à quelqu'un.


[Désolé du retard ! Je crois que le désengagement risque d'être un peu précoce si on compte avoir fini pour lundi, cela te pose-t-il problème de poursuivre ce RP en flashback ? ]

« Au moins tu as vu que la lance à une portée bien plus grande que le sabre que tu portes »

Les lèvres pincées de Méléane en disaient long sur ce qu'elle pensait. Flowène fronça les sourcils quand la brune abaissa sa lance d'un simple geste, et comprit (il serait temps...) à quel point elle avait fait une erreur. Si elle n'avait pas eu des réflexes de combattantes, la lance lui aurait traversé la poitrine, sans nul doute. La fierté qu'avait éprouvée l'archère s'envola comme une hirondelle à la vue d'un chat. Son coup avait été réussi, maîtrisé, pas lancé n'importe comment. Certes. Mais tuer la Chargée des Soumis n'était pas des plus conseillé. Elle avait l'air plutôt calme, mais Flowène en savait trop sur son entraîneuse d'un jour pour ne pas se douter qu'elle avait envie de lui foutre une rouste. Elle savait Méléane d'un caractère de cochon, et déjà que l'Elfe se sentait gênée avec elle, ça n'allait pas s'arranger. Mais il était inutile de s'excuser, ce n'était que des paroles après tout, et elle doutait que Méléane le prenne bien. Aussi se contenta-t-elle d'une grimace qui, du moins elle l'espérait, voulait tout dire.

« A l'avenir, tâche de ne pas pointer une lance ou même ton épée vers une personne désarmée quand tu ne maîtrises pas ce que tu t'apprêtes à faire »

Flowène hocha la tête, admirant pour une fois la lancière pour son calme. Pas d'explosion de colère, pas de remontrance au ton élevé... Rien de tout cela, juste une simple remarque. Alors que l'Elfe avait bien failli mettre un terme à sa vie. Néanmoins, cela la fit réfléchir : elle savait parfaitement pourquoi elle n'avait pas réfléchi elle même à cette erreur. Elle n'avait jamais pratiqué une arme de combat rapproché avec une autre personne. Même son sabre, elle n'avait eu l'occasion de l'utiliser que sur des mannequins de paille, ou dans des livres. Et à chaque fois, elle n'avait pas peur de blesser qui que se soit, et pouvait agir à sa guise (encore, qu'elle faisait attention). Puis, peu à peu, elle avait amélioré sa technique pour se focaliser sur son adversaires, ne pas toucher quelqu'un qui serait près d'elle. Son bras s'était habituée à la lame de Saphir, longue, certes, mais pas autant que la longueur d'une lance.

« Je ne l'oublierais pas. »

« Malgré cette erreur, le mouvement en lui-même était bon. C'est satisfaisant pour une première fois. »

Flowène ne put s'empêcher de se redresser un peu, surtout que Méléane avait l'air parfaitement sincère. La brune était donc capable de complimenter ? L'Elfe n'en doutait pas, mais elle ne s'attendait pas à ce qu'elle la complimente !Surtout après avoir failli trépasser, pour une simple erreur de débutante ! Mais ce compliment la touchait d'autant plus qu'elle savait que la lancière ne félicitait-elle que si c'était méritant.
L'archère écouta calmement les explications de son instructrice sur le nouveau coup qu'elle lui apprenait (la coupe), essayant de bien analyser tout ce que lui disait la lancière. Elle prenait en main sa propre lance quand l'autre interrompit son geste.

« Et si tu me montrais plutôt tout cela au cours d'un petit duel ? »

Ah, Méléane n'était pas du genre théorie apparemment... Contrairement à Flowène. Tant pis. L'archère n'avouerait pour rien au monde qu'elle n'avait pas le niveau pour une telle joute. Si la lancière lui proposait, c'est qu'elle savait qu'elle s'en sortirait. D'ailleurs, que risquait l'Elfe, à part des bleus, et des estafilades ? Rien, absolument rien. Elle n'avait pas peur, loin de là, pourquoi en aurait-il été autrement ? Méléane était suffisamment douée pour la jauger et ne pas lui imposer un rythme trop dur. Avec deux bottes apprises, elle saurait se débrouiller.

« A toi l'honneur. »

Méléane se mit en position, sa lance à la main, parfaitement préparée. Flowène fit de même, plaçant ses mains là où elle lui avait montré, se mettant en garde.
L'Elfe attendit un instant avant de tenter la coupe sur son adversaire...

[Si tu veux que je m'avance plus, que je fasse plus, préviens-moi, je ne t'ai pas trop offert d'ouvertures...]

A vrai dire, sa proposition n'en était pas tout à fait une dans le sens où Flowène n'avait pas d'autre choix que d'accepter. Il aurait été bien mal avisé de sa part de refuser l'invitation, ce qu'elle avait visiblement compris puisqu'elle accepta.
Face à face, les deux femmes s'apprêtaient à se lancer dans leur affrontement, un simple duel amical. Oh, il était inégal avec la barmaid qui était grandement désavantagée, certes, mais il s'agissait avant tout d'un entraînement en maître et élève d'un jour, pas d'un combat avec un enjeu sérieux. La louve appréciait tout particulièrement s'exercer avec d'autres lancières, expérimentées ou non. Avec les premières, elle mettait ses propres talents à l'épreuve et tentait de dépasser ses limites sans compter que cela l'aidait à se défouler, chose indispensable dans sa vie à elle. La brune était persuadée de devenir folle si elle restait trop longtemps inactive. Avec les débutantes par contre, les attentes étaient tout autres, elle ne lui apportaient pas grand chose à proprement parler sinon la satisfaction de pouvoir les instruire, de voir leur excitation lorsqu'elles progressaient.
C'était une grande joie de voir des fillettes devenir des membres à part entière du régiment des Louves quand elles devenaient femmes, avoir contribué à cette œuvre gonflait l'Amazone de fierté. Outre surveiller et gérer les Soumis, Méléane se faisait un plaisir non, un devoir, de former les prochaines générations de Sentinelles. Elle trouvait cela normal de perpétuer l'enseignement qu'elle avait reçu.

Comme demandé, L'Elfe frappa la première. La framée décrivit une courbe, maniée comme la Louve l'avait montrée. Flowène exécutait une coupe tout à fait convenable pour une première fois, le geste n'ayant toutefois pas encore la force et la précision d'un bras expérimenté mais cela restait pas mal. La native Cydienne évaluait la posture et les mouvements de son adversaire, cherchant un problème à souligner pour qu'elle puisse le corriger. La façon dont la jeune femme était parvenue à la copier du premier coup était assez impressionnante, elle n'aurait visiblement pas fait une mauvaise lancière.
Abaissant la pointe de sa propre lance vers le bas, la Chargée des Soumis parvint sans peine à bloquer le coup et repoussa l'arme de son opposante en sens inverse.

« Tiens plus fermement la lance » lâcha-t-elle, « Et n'aie pas peur de frapper plus fort, elle ne va pas casser ! »

Le ton se voulait ferme mais il s'agissait davantage de conseils que de remontrances. Tout le monde débutait un jour et Méléane n'avait jamais vu personne être parfaire dès le premier jour. Chacune commettait des erreurs mais c'est de celles-ci que naissait la justesse. L'important était de retenir ses fautes pour veiller à ne plus les reproduire, elle espérait qu'il en serait ainsi pour la propriétaire du Bar Bu.
A présent, elle avait hâte de constater comment elle se défendait, comme ça, à froid. Méléane ne lui avait montré aucune parade et, puisque la demoiselle paraissait assimiler les choses rapidement, elle souhaitait voir si elle y parviendrait d'instinct, ou du moins à esquisser un semblant de parade.
Elle ramena sa lance vers elle et, avec une fluidité féline, envoya une estocade vers la cuisse de la demoiselle, avec toutefois une certaine retenue afin qu'elle puisse stopper son geste dans le cas où l'Elfe ne parviendrait pas à le bloquer.

Il y a quelques années de cela, alors qu'elle débutait tout juste dans le maniement de la lance, celle qui n'était pas encore Vice-Capitaine des Louves se souvenait très bien d'un duel amical contre une camarade qui avait plutôt mal tourné. A l'époque, elle se battait sans vraiment faire attention, viser la tête de toutes ses forces ne lui était pas étranger et cela lui serait peut-être resté si un malheureux accident n'était pas survenu. Y allant comme à son habitude sans douceur, la jeune fille avait alors planté la pointe de son arme d'entraînement dans l'abdomen de sa partenaire et ce, assez profondément pour mettre sa vie en péril. Fort heureusement, elle s'en était sortie et depuis, Méléane se montrait plus prudente : elle donnait des coups qu'elle se savait capable d'arrêter ou qu'elle savait ne pas blesser trop gravement l'autre.
Enfin, restait à voir comment Flowène allait se débrouiller...


[Flowène & Méléane désengagées]
[Je rouvre le Flashback demain n_n]