Dans un atelier d'artisan à la couture, au fond d'une grande salle, un jeune homme travailla en silence. La dame attendait patiemment que son drap soit réparé, n'étant pas tout à fait adroite sur la couture, elle avait préféré le donner à un spécialiste. Pour tout vous dire, c'était un drap qu'elle avait reçu de son arrière grand-mère, elle y tenait vraiment. Cependant, elle ne lâcha pas de ses yeux gourmands l'apprenti ; bien qu'il soit assis, elle pu se rendre compte qu'il n'était pas aussi petit, d'une taille moyenne pour un jeune homme, bien élancé mais trop fin. En fait, son corps ressemblait plus à celui d'une jeune fille qu'à un homme. Il n'avait donc pas autant de muscles, des biceps imposants mais son visage était fin et fort agréable à regarder. Il avait de longs cheveux orangés qu'il attaché négligemment et dont plusieurs mèches venaient s’emmêler avec le reste. Une frange négligée, mais de beaux yeux jaunes envoûtants et ne quittant jamais ses doigts, affublés au moindre geste. De longs cils légèrement courbés, des joues légèrement rosies.
La jeune femme osa détacher son regard pour l'observer attentivement de la tête aux pieds : ses habits étaient d'une simplicité, un tissu blanc, léger épousait parfaitement ses formes et quelques bracelets aux chevilles et poignets. Une boche en forme de fleur attachait les cheveux. Il était simplement vêtu, mais l'habit ne fait pas le moine. Son habilité à la couture le rendait unique. Perdue dans ses pensées, cherchant de quelle nation il pouvait venir, elle ne se rendit pas compte que le jeune homme s'était déplacé pour venir s'approcher de lui. Surprise, elle se redressa quand celui-ci, de sa main douce lui tendit le drap plié mais réparé. Sa voix brisa le silence, douce et mélodieuse. Pendant un instant, ne se demandait-elle pas si c'était vraiment... un jeune homme ?

Maître artisan : « Vous voulez que je vous parle de mon apprenti ? Hum... que dire sur ce jeune homme. Enfin en tout cas, c'est une denrée rare ! Il est calme et tellement concentré sur ce qu'il fait. Impossible de l'arrêter, une fois lancé dans une réparation de tissus ou dans la fabrication d'armures, il ne s'arrête pas. J'ai bien du mal à rester une bonne heure dessus... Il est en phase terminale de son apprentissage, bientôt, il partira ouvrir son propre atelier mais pour le moment, il veut encore en apprendre plus. Coryambe est une personne agréable à vivre, en tout cas, c'est l'impression qu'il donne quand il est au travail ! »

« Je suis certes légèrement naïf sur certains points, il m'arrive de tomber facilement dans le panneau. Mais sachez que j'ai horreur qu'on me prenne pour un abruti. J'ai également horreur que les gens se moquent des autres sans les connaître ou bien parce qu'ils ont un handicape. C'est de la méchanceté gratuite ! » dit-il en croisant les bras, grognon. « La curiosité. Hum... oui je suis curieux, mais qui ne l'est pas ? Nous avons tous envie ici de savoir les derniers ragots qui se racontent, savoir si une guerre va éclater, si c'est la fin du monde dans trois mois... Je n'irais pas jusqu'à fouiller dans les maisons pour en avoir le cœur nette mais si quelqu'un dans la rue en parle, je l'écoute. C'est tout. Oui, je suis rancunier et un peu grognon quand quelque chose m’insupporte. Le combat ? Je déteste ça, si une bagarre éclate, je m'éclipse le plus rapidement possible. Ce serait dommage de se faire mal pour si peu. Eh, je suis un artisan moi ! Pas une brute sanguinaire !! »

« Maman ! J'en ai marre de jouer avec les autres ! Ils n'arrêtent pas de se battre entre eux ! Regarde ! Ils ont déchiré ma tunique ! »

Un petit garçon de cinq ans s'approcha d'une femme assise sur le rebord d'une terrasse donnant une vue magnifique sur la mer. Une tasse se trouvait non loin d'elle, avec tous les ustensiles nécessaires à la couture. Le petit garçon aux cheveux orangés alla pleurer dans les jupes de sa mère, déclarant à haute voix que les garçons de son village n'étaient que des gamins ! Des Abrutis ! Pourquoi se battre continuellement ? Qu'est-ce qu'ils ont à se prouver en faisant cela ? La mère posa délicatement sa main sur la tête de son enfant et la lui caressa, lui promettant de réparer sa tunique, pour calmer sa peine. Quand soudain, un homme, d'une allure plus mûre et à la peau brûlante s'approcha d'eux. De sa voix grave, il répondit fermement à son fils ; ce sont des hommes, un homme prouvera toujours sa force face aux autres. S'il n'est pas capable de comprendre cela, c'est qu'il n'en est pas un. Le gamin redressa sa frimousse, les yeux rouges à cause de ses pleurs. Son père était un colosse, un dur et un beau guerrier. Malheureusement, Coryambe, son plus jeune fils n'était pas comme lui. Et ne le sera jamais.

Ombellas était l'aîné de la famille, actuellement âgé de trente cinq ans, il avait hérité de son père une grande partie de ses connaissances dans l'art de la guerre. Il était un officier important, promis à un grand avenir. C'était lui le plus musclé des trois frères mais pas moins le plus idiot. Il se sentait tellement supérieur aux autres que son égocentrisme en agaçait plus d'un. Malheureusement, il était bien trop utile ici, alors il gardait son poste.
Episu, le benjamin n'était pas le plus idiot. Au contraire, c'était le plus intelligent des trois, préférant étudier la stratégie que la guerre en elle-même. Il n'était pas mauvais dans le maniement de l'arme blanche mais il n'égalait pas son aîné. Il était l'une des fierté de la famille.
Et Coryambe, le dernier né. Le plus maigre et le plus peureux de toute la famille, il tient plus de sa mère que de son père. Son père aurait aimé qu'il fasse partie d'une troupe dans l'armée ou du moins, qu'il fasse des activités plus viriles. Au contraire, dès son plus jeune âge, il a été touché par la grâce de sa mère dans l'art de la couture et des ornements. Oui, le petit garçon aimait regarder sa mère décorer les armures de ses frères aînés, de parures d'or ou des feuilles magnifiquement huilées... Rubans et fils l'animaient plus qu'autre chose.

Mais ça... c'était si tout s'était bien passé. Une année, qu'importe finalement quand nous sommes un futur esclave, nous n'en savons rien, une troupe d'hommes armé jusqu'aux dents débarqua sur une des archipels et en déroba quelques habitants. Malheureusement, se fut ce jour là, que le jeune Coryambe croisa ce regard.
Le jeune enfant alors âgé de quatorze printemps avait dérobé à sa mère sa trousse à couture pour aller réparer un vieux bout de mouchoir d'une amie qui ne cessait de pleurer. D'un coup, il parvint même à lui rendre sa beauté d'autant, oubliant ainsi la profonde tristesse qui émanait de la gamine. Les deux enfants s'étaient cachés dans une petite cabane qu'ils avaient eux-même construit avec d'autres enfants, pour se cacher des brutes qui ne cessaient de les embêter à longueur de journée. Ceux là même qui déchiraient leurs vêtements sans scrupule en les balançant dans tous les côtés. Malheureusement, sans qu'ils ne l'entendent, un homme arborant une armure magnifique s'empara des jeunes en les tirant par les habits. Ne pouvant se débattre, on leur passa un tissu autour de la bouche pour les empêcher de crier. Après, c'était tout noir...

Lorsque Coryambe se réveilla de cette torpeur, le climat, la température, même le paysage avait changé. Il ne reconnaissait plus rien et surtout, qui était tous ces gens ? Ils n'avaient pas la peau mâte comme lui, leur habits étaient différents... Mais où était-il ? Et pourquoi il ne sentait pas la mer au loin ? Il tourna sa tête et là, il vit des jeunes, comme lui, le regard perdu. En bas, des gens criaient, annonçaient des prix exorbitants. On était en train de les vendre ! Cependant, les mains comme les pieds étaient attachés, Coryambe ne put s'échapper et finalement, quelqu'un imposa son prix... Ptot Tàh, la cité des enchères ou bien le droit à l'esclavage. Le jeune homme en avait vaguement entendu parler, ne pensant pas que cela puisse exister, une telle inhumanité. Malheureusement, il était bel et bien plongé dans ce trafic d'esclavagisme... Puisse-t-il s'en sortir...


Depuis l'abolition de l'esclavage, Coryambe a cessé d'avoir des « maîtres ». Son dernier était le chef d'un atelier qui ne se plaignait pas de son travail ni de son caractère. C'était un vieille homme touchant bientôt la retraite mais qui voulait encore le former pour éventuellement, reprendre le flambeau. Oui, ce vieillard n'avait pas de famille et lorsqu'il a logé le jeune homme, battu par ses anciens maîtres, il l'a de suite considéré comme un fils, bien qu'ils ne partagent pas le même sang.

- « Maintenant que tu es « libre », pour quoi ne retournerais-tu pas chez toi ? 

- Peut-être un jour... Pour le moment, je suis libre ici. »

Pourquoi s'encombrer d'un passé quand celui-ci a été détruit il y a peu ? Coryambe s'en fichait, son père, ses frères... plus personne n'était là pour le gêner. Il était libre.