Quelle heure était-il ? Bon sang, impossible de me souvenir combien de temps j’avais passé ici. Je somnolais encore un peu, accoté à un arbre dans le parc de la ville, adjacent à la rue commercante. J’étais fatigué, mais en même temps je me sentais bien, depuis que j’avais retrouvé Auween. Notre rencontre dans les bois encore toute récente avait été magique, vraiment magique. Je prenais un peu de repos, au pied d’un très vieil arbre qui me procurait un peu d’ombre, car le soleil était encore bien présent, même en ce début d’automne. La légère brise s’associait parfaitement avec le tout, le climat était tout de même un peu plus frais qu’en été, mais fort agréable. Tout était calme, le parc était peu fréquenté, ce qui était rare, du moins dans mes souvenirs, il y avait souvent pas mal de monde ici.
Etrangement calme… ça oui, mais en même temps c’était vraiment sympa comme ça. Généralement on y croisait des gosses qui jouaient, des couples qui se bécotaient, des jeunes qui se racontaient des potins ou qui riaient bruyamment…
Un beau bordel, en somme. J’étais bien content que, pour une fois, ça soit sacrément calme. J’avais besoin de ce calme pour me remémorer tout ce qui s’était passé ces deux dernières semaines.

Un brin mélancolique cependant, je me souvenais de ce que ma sœur m’avait un jour écrit, qu’elle aurait été heureuse de connaitre celle que mon cœur avait élu. Malheureusement ce jour n’arrivera jamais… D’ailleurs je me demandais, est-ce que Ferris et Auween auraient été du genre à s’entendre, ou est-ce que ça aurait été la guéguerre permanente, un peu comme deux copines qui se jouent des petites blagues à longueur de journée. Je ne crois pas qu’elles se seraient détestées, Ferris était calme et souriante, Auween était, certes un peu moins calme mais souriante également. Cette pensée me fit sourire, Je me disais qu’Auween aurait également pu être l’apprentie d’Elenwë, si cette dernière s’était vu attribué un élève. Quoi que, non, elle n’était pas du même caractère qu’Auween, un peu moins impulsive mais terriblement plus expéditive, alors qu’Auween était plutôt douce et soucieuse des autres, ce qui faisait surement la différence entre la providence et les pilleurs.

Finalement je décidais de me lever pour m’étirer, laissant craquer mes articulations au niveau du coude, des poignets et des genoux. C’était la même sensation bizarre à chaque fois mais je me sentais foutrement bien après ça. Mon oncle m’avait toujours répété que c’était mauvais et qu’une fois plus vieux j’aurais des problèmes d’articulations douloureuses, mais je n’en avais jamais tenu compte. C’était pourtant mon oncle, la seule personne de ma famille que j’acceptais encore d’écouter et envers qui je ne souhaitais pas un accident quelconque. En lâchant une pensée sinistre pour ma mère, je me rappelais d’ailleurs qu’un jour il faudrait que je passe la voir, depuis combien de temps n’avait elle pas vu son fils ? Et depuis combien de temps j’avais envie de la gifler et de lui hurler ma rage au visage ?

Par les dieux, comment avais-je pu passer d’une pensée si positive que celles qu’Auween m’inspiraient à des horreurs pareilles ? Enfin, non, en fait c’était assez normal je pense. Cela fait bien des années que j’aurai du résoudre ce problème mais j’avais passé tellement de temps à fuir mon passé que j’en avais oublié l’essentiel.

Tout à coup, quelque chose attira mon regard, non loin de moi, je pouvais voir une silhouette dans un arbre. Je n’étais pas seul, finalement. Du moins pas autant que je l’espérais, seulement quelque chose d’étrange me laissait penser que la personne perchée dans cet arbre aimerait en réalité ne pas y être.
Attrapant mon bâton et mon petit sac, je m’approchais doucement de l’endroit où j’avais pu, il me semble, entendre des petits cris. Quelle ne fut pas ma surprise en découvrant la jeune fille qui était accrochée, crispée sur le végétal. Deuxième surprise, c’était une jinmen, ça alors. Il était rare de voir des jinmens dans le coin. La dernière fois que j’en avais vu une, c’était a Erathia, une femme de mon âge ou peut être plus qui avait foutu par terre un Almer un peu trop vantard. Je me souviens encore de la scène, comique à souhait. Si je me souvenais parfaitement du motif de la discussion, ils parlaient d’honneur et d’humilité, la jinmen avait pris la défense d’une mendiante.
Enfin, tout ce que je savais des jinmen d’une manière générale c’était leur sens profond de l’honneur, j’étais peu informé de leurs coutumes et encore moins du fonctionnement de leur politique. J’avais appris leur langue, probablement celle que je parlais d’ailleurs le moins bien mais juste assez pour pouvoir entretenir une conversation simple. Je lâchais d’ailleurs quelques mots à la demoiselle en détresse dans sa langue natale.

« - Besoin d’un coup de main ? »

Mon accent était moyen mais je pense suffisant pour qu’elle ait pu m’entendre et encore plus me comprendre…
J'essayais d'employer un ton rassurant, je crois que l'effrayer plus qu'elle n'était déjà n'était vraiment pas nécessaire et une blague n'aurait pas été vraiment appropriée. Comme à mon habitude j'avais pris soin de poser ma main sur la pierre runique de mon bâton, la rendant invisible et me laissant passer pour un simple voyageur avec sa canne de marche. J'avais tellement l'habitude de le faire que javais oublié que j'avais enroulé l'endroit de la pierre avec un tissu léger qui la masquait déjà très bien...

Plus que de la peur, la demoiselle souffrait-elle du vertige ? Elle s’agrippait avec tant de hargne à sa branche, je me demandais même quelle réaction elle aurait eu si la branche en question avait cédé. Loin de moi l’idée de la voir chuter et risquer de se blesser, bien que je doute qu’une chute de cette hauteur soit si dangereuse, on ne sait jamais comment on se rattrape au sol. La situation était amusante en un sens, la voir ainsi accrochée tel un chaton apeuré, alors qu’en sautant simplement, elle pourrait se rattraper sur ses deux pieds sans le moindre problème. Allons bon, je ne souffrais pas du vertige, je ne pouvais probablement pas comprendre la peur que cela suscitais.
Ses yeux s’étaient fixés sur moi tandis que j’approchais, encore une fois il m’était difficile de savoir à quoi elle pouvait penser, m’enfin je pense que, probablement, sa première priorité était de trouver un moyen de remettre les pieds sur un sol quelques peu plus… Terre à terre.

Cette petite pensée me fit sourire intérieurement, je n’avais pas pour habitude de me faire des jeux de mots comme ça. Normal, d’habitude je n’étais pas si heureux, même si ça ne se voyais pas sur mon visage actuellement, je l’étais, heureux. Je prenais mon temps pour observer le petit oiseau sur son perchoir, arborant un sourire plutôt réconfortant avant qu’elle ne finisse par me répondre.

« -NON, je suis juste-... ROH et puis merde, le sarcasme c'est pas pour moi! OUI, aidez-moi pitié! »

Quelle surprise, n'était-ce pas une tentative de sarcasme ? Ce n'était pas très agréable tandis que je lui proposais mon aide mais je croyais que je n’avais plus qu’à agir, la voyant de nouveau se cramponner avec plus de force à la branche avec un nouveau gémissement et fermant les yeux un instant. Pour moi il n’y avait aucun doute, je ne pouvais pas la laisser là. Je posais mon bâton près de l’arbre avant de m’accrocher à la première branche à porté d’un bond maitrisé. Je me hissais habilement dans le végétal, gravissant les quelques centimètres qui me séparaient d’elle pour finalement arriver juste à côté d’elle. Je jaugeais la hauteur qui nous séparait du sol, à tout casser il devait y avoir deux mètres quarante ou cinquante, pas beaucoup plus. Je posais la main sur l’épaule de la jeune fille qui tremblait toujours comme une feuille avant de lui dire d’un ton rassurant.

« - C’est pas très haut, je vais t’aider à redescendre, mais pour ça il va falloir que tu me fasses confiance… Et que tu fermes les yeux un instant, je pense. »

Je ne sais pas si elle m’avait écouté tout de suite, mais elle semblait se décrisper un peu et je parvins donc à la prendre dans mes bras, faisant d’abord attention à ne pas lui faire peur et ne pas la laisser interpréter je ne sais quelles choses malsaines, ce n’était vraiment pas le but de la manœuvre et c’était loin d’être dans ma nature de profiter de ce genre de situations... Je le portais un peu comme une princesse, une petite princesse, légère comme une plume je dirais même. Je comptais amorcer ma descente, j’espère qu’elle avait vraiment fermé les yeux, parce qu’avec le vertige, je pense qu’elle allait avoir l’impression de faire une chute sans fin.
Elle était encore sous l’effet de sa phobie, elle me tenait assez fermement pour que je comprenne que son calvaire devait prendre fin avant qu’elle ne fasse un arrêt cardiaque. Je me redressais sur la solide branche, la serrant elle aussi fermement pour ne pas la laisser tomber et aussi lui faire comprendre que le moment de fermer les yeux, c’était maintenant, avant de me décaler pour nous laisser tomber. La descente ne pris pas plus de deux secondes, le claquement des plaques de mes bottes qui s’entrechoquaient indiquant que le sol était là, la hauteur de la chute m’avait cependant fait atterrir accroupi, mon poids et celui de la demoiselle pesant sur mes jambes qui étaient cependant assez robustes.

Je me redressais de nouveau pour la poser sur ses deux jambes, posant mes mains sur ses épaules avant de lui annoncer, tout naturellement.

« - Et voila, de retour sur la terre ferme. Rien de cassé ? »

Je pouvais sentir qu’elle tremblait déjà moins, mais elle avait surement besoin d’un peu de temps pour se remettre de ses émotions. Elle n’avait rien, c’était rassurant, j’avais horreur de savoir une demoiselle blessée ou terrorisée, c’était peut être mon trait de caractère le plus préférable et parfois celui qui m’attirait le plus d’ennuis, aussi. Je détachais mes mains de ses épaules et lui adressais un petit sourire amical avant d’aller récupérer le manche de mon arme toujours accoté près de l’arbre qui venait de torturer la jeune jinmen.
Quelques secondes passèrent, quelques secondes pendant lesquelles elle put remettre ses pensées en ordre, retrouver un souffle plus régulier avant que je ne réengage la conversation.

« - C’est pas commun de trouver des jeunes filles dans les arbres, surtout des jeunes filles sujettes au vertige DANS un arbre… »

Je laissais un petit rire amusé couper ma phrase, le genre de rire qui n’est pas moqueur cependant, plutôt du genre à vouloir mettre une bonne ambiance dans une conversation, quelque chose de franc, de sympathique. D’ailleurs je me demandais ce qu’elle pouvait faire ici, une jinmen à Tamawa, c’était pas commun. De plus en la regardant, je pouvais comprendre que l’adolescente en face de moi était encore loin de la vingtaine, peut être avait elle seize ans ou peut être quinze, je ne sais pas vraiment, mais pas loin j’en étais certain. Alors que faisait une si jeune demoiselle si loin de chez elle ? Ses parents l’avaient envoyée ici ? Peut être étaient-ils morts d’inquiétude de ne pas la retrouver tandis qu’elle s’était fichu dans ce sacré pétrin ? Peut être qu’elle était l’une des nouvelles apprenties du temple… ?

Oh, peut être était-ce cela, une apprentie, oui. Ça me semblait tout aussi cohérent qu’une jeune femme en voyage avec ses parents dans une contrée éloignée de la sienne. Mais je ne savais pas vraiment, et ce n’est pas le genre de questions qui se pose aussi abruptement, d’ailleurs elle ne m’aurait probablement pas répondu, peut être même m’aurait elle envoyé simplement bouler.

Je manquais à (presque) tous mes devoirs, j’avais complètement oublié de me présenter. D’un air un peu plus formel que précédemment, mais toujours avec cette dose de sympathie dans la voix, j’ajoutais, toujours dans la langue d’Oyashima.

« - Je m’appelle Ethiann. »

Elle était amusante. Maintenant qu'elle était revenue sur la terre ferme, la jeune jinmen était tout autre. Plus vivante, plus énergique. Et enfin cet air terrorisé qui l'avait quittée pour laisser place à un sourire agréable. Nul doutes qu'elle était bien mieux ainsi qu'avec un air traumatisé. J'étais rassuré de la savoir en parfaite santé tandis qu'elle me demandait également si je ne m'étais rien cassé. A priori non, j'allais plutôt bien, peut être que je sentirais légèrement plus tard mes jambes, un peu comme si j'avais des courbatures mais rien de cassé donc rien de grave.

« - Rien de cassé non plus, pas même le petit orteil. »

Un autre petit éclat de rire sincère et agréable qui s'échappait de mon être tandis qu'elle souriait, visiblement en constatant qu'elle n'avait pas été décoiffée... Ou je ne sais pas trop.
Un joli sourire, presque innocent qui me rappelait presque celui de Ferris. La jeune fille en face de moi, bien qu'elle soit plus jeune que Ferris si elle avait été encore vivante, avait un sourire radieux et réconfortant, ce genre de sourire qui agit comme un baume sur les âmes meurtries. Et quoi de plus adorable qu'une jeune fille qui rougit ? Ce petit air gêné qui rendait toute demoiselle craquante comme tout. Elle semblait perdue dans ses pensées, et pendant que je racontais ma petite boutade sur les jeunes filles dans les arbres, je constatais que ses cheveux brillaient et paraissaient doux. Une jeune demoiselle soigneuse, sans doutes. Le nouvel éclat de rire la tira de ses pensées, rire qu'elle me rendit avant de finalement répondre :

« - Je met ça sur le compte du fait que je suis spéciale, et non folle! »

Je n'avais rien dit, à vrai dire je n'avais même pas pensé qu'elle pouvait être folle, loin de là mais spéciale, sans aucun doute. Quelque chose semblait la perturber, sans doute mon accent, je n'étais pas jinmen après tout.
Finalement elle répondit quasiment au tac-o-tac lorsque je lui donna mon nom. Minatsuki, c'était joli comme nom, et ça se prononçait assez facilement, même pour un cydien. D'ailleurs ça me me rappelais que beaucoup de prénoms jinmens avaient un lien avec leurs kamis. Cependant la méthode de décomposition de leurs prénoms était compliquée pour un non-initié, Minatsuki se composait de plusieurs mots et je ne savais lequel était le bon. D'un part, Mi- avait un lien avec l'eau, Na signifiait « rien » mais Natsu signifiait « été » et Tsuki littéralement signifiait « Mois ». La complexité résidait dans le fait que les différentes syllabes pouvaient avoir plusieurs agencements. Et là, j'avais beau parler le jinmen, certains trucs m'échappaient COMPLETEMENT. Enfin, c'était un beau prénom, c'est tout ce qui comptais.

Sans le moindre mot et à ma grande surprise, elle me prit dans ses bras. Elle était vraiment petite, moins d'un mètre soixante. Sa tête arrivait à hauteur de mon torse, pourtant je pensais pas être si grand que ça. Elle me remerciait finalement je pouvais sentir qu'elle était vraiment soulagée d'être descendue de cet arbre.

« - Ravi d'avoir pu te rendre service. »


Je la laissais détacher son étreinte, je n'avais rien contre le fait qu'elle souhaite me remercier ainsi, même si je pense qu'Auween l'aurait littéralement incendiée de la même façon que la jeune cydienne dans les bois l'autre jour. Je me disais bien que je devrais y mettre un terme, mais ne sachant que très peu de choses des coutumes jinmen, je n'osais bouger, de peur de la froisser. Lorsqu'elle m'eut lâché, enfin, je lui adressais un autre sourire avant de finalement lui demander :

« - C'est d'autant plus étonnant de croiser une jinmen si loin de chez elle, tu as du faire un très long voyage. Ou peut être es-tu une des nouvelles apprenties du temple ? Je viens souvent à Tamawa et c'est bien la première fois que nous nous croisons. »

Pour moi il semblait plus ou moins évident que Minatsuki soit venue avec ses parents, qui devaient être marchand,s ou peut être de riches voyageurs qui souhaitaient découvrir le monde mais la possibilité qu'elle soit une sensible était tout de même envisageable. Il y avait peu de jinmens à Tamawa et beaucoup d'entre eux étaient des marchands ou des sensibles.

Je m'appuyais doucement sur le bâton que j'avais en main, la fixant avec un air déjà plus neutre. Non pas inquiétant ou interrogateur, peut être légèrement curieux mais très légèrement, après tout c'était compréhensible, c'est pas tout les jours que je trouvais une jeune femme dans un arbre. Je gardais mon esprit intact, m'interrogeant tout de même sur cette fameuse Minatsuki. C'était la première fois que je la croisais, et depuis le temps je connaissais déjà pas mal de monde dans cette ville. D'ailleurs si je l'avais déjà croisée, je crois que je m'en souviendrais.

Minatsuki était devenue plutôt loquace depuis qu’elle était revenue sur la terre ferme. Un point sur lequel elle me rappelait déjà Auween, qui elle aussi parlait beaucoup. Une curiosité que je ne trouvais, personnellement, pas gênante. Mais je savais aussi d’expérience que bien des gens seraient déjà exaspéré par l’adolescente. Ainsi elle était une apprentie, je m’en doutais, dans ce cas je me demandais qui pouvait être son maître. Cependant je ne posais pas cette question, c’était un détail que je ne jugeais pas bon de connaitre, d’autant que je n’étais pas du genre à poser des masses de questions.
Minatsuki m’avait adressé un sourire en répondant, mais j’avais clairement pu percevoir de la mélancolie un peu plus tôt. Néanmoins j’allais répondre à ses questions avant de savoir si elle accepterait de m’expliquer ce petit sentiment qui l’avait envahit un peu plus tôt, après tout je n’aimais pas voir les demoiselles souffrir alors le ressentir était tout aussi horrible à mes yeux.

« - Je suis… Enfin j’étais un Templier. Cela fait quelques années que je ne suis plus au temple. »

J’ai été idiot de dire ça. J’avais déjà oublié les tensions récentes entre les templiers de l’aube et les crépusculaires et Minatsuki n’était pas dupe ni idiote. Rien qu’en me regardant elle savait que j’étais bien trop jeune pour qu’on puisse songer un seul instant à une retraite. Il était évident que je venais d’avouer que j’étais templier crépusculaire ou un déserteur qui avait laissé de côté tout les principes même du temple. Cependant je ne laissais filtrer aucun sentiment, elle avait l’esprit mais j’étais entrainé et elle encore trop peu, il n’était pas dur pour moi de rester une boite à émotions hermétique. Mais bon, d’autre part je ne voulais pas mentir, j’avais beau ne pas être fier de ce que j’étais « officiellement », même si à mes yeux, je ne me considérais pas VRAIMENT comme un crépusculaire. Mon seul point commun avec eux était ma haine pour les zélotes mais jusqu'à présent, je n’étais pas particulièrement parti en croisade pour un dézinguer un maximum d’entre eux. J’étais qualifié de crépusculaire par les autres templiers parce que j’avais ma propre enquête à mener, rien d’autre. Et comme je ne voulais pas qu’elle pense que j’étais un déserteur, je me sentis presque obligé de préciser.

« - Je suis un Templier du crépuscule. »

J’avais cinquante pourcents de chance qu’elle détale immédiatement, ce que j’aurais compris après ce qu’Auween m’avait expliqué mais elle restait là, figée. Probablement songeuse, je ne sais pas, ou peut être tétanisée de peur à nouveau ? Non, elle ne tremblait pas ou alors ça ne se voyait pas.
Cependant je pris le temps de répondre à ses autres questions qu’elle avait débité aussi sec :

« - Je voyage pas mal, en effet. J’ai été à Silmarie quelques fois, c’est une ville très belle, à l’image de la grâce des elfes. Storghein jamais en revanche, je me ferais tuer avant même d’être arrivé à vingt mètres de la porte. Les Astorgs n’aiment pas les cydiens et pourtant je n’ai personnellement rien contre eux… C’est peut être du au fait qu’au Temple, on nous apprend la paix et la tolérance. Erathia est une ville assez accueillante. Enfin accueillante pour les âmes perdues, les déserteurs, les mercenaires… Les crépusculaires et les voyageurs. Tout le monde coexiste à Erathia, même les astorg et les cydiens. Bien que nous vivions dans des quartiers séparés, les habitants de la ville sont bien plus tolérants qu’ils ne peuvent l’être à Cydonia ou a Storghein. Enfin, dans leurs propres limites bien sur, les tensions sont toujours présentes et j’ai bien l’impression qu’elles perdureront éternellement. »

Voila qui devrait satisfaire sa curiosité, je pouvais voir un scintillement dans ses yeux au fur et à mesure de mes paroles, comme si ce que je racontais l’intéressait. Je concevais mal le fait d’être intéressé par les problèmes politiques des villes, m’enfin. Il me semblait logique pour cette jeune jinmen d’être si curieuse sur le monde qui l’entoure, elle ne venait pas de là après tout. La mienne, de curiosité, me titillais, je voulais vraiment savoir pourquoi j’avais pu sentir une once de mélancolie plus tôt, mais je ne voulais pas non plus lui faire se remémorer des souvenirs douloureux. Je savais mieux que quiconque la dureté de se remémorer des choses tristes, c’était d’ailleurs une pointe de tristesse que j’avais ressenti en parlant de Silmarie. J’y avais été pour annoncer à une amie d’Elenwë la mort de cette dernière, je me souviendrais toujours de la tristesse jaillissante et de ses pleurs, quelque chose que je ne voulais jamais revoir ni ressentir avec toute cette force.

Finalement, je la fixais toujours avant de continuer, toujours en parlant Jinmen.

« - Et sinon, tu ne veux toujours pas m ‘expliquer par quel miracle tu t’es retrouvée perchée là haut, malgré ton vertige plutôt évident ? »

Un autre sourire sincère lui était adressé avec une pointe de moquerie. Enfin par moquerie, je ne moquais pas d’elle, mais disons plutôt un air un peu amusé le genre qu’on utilise pour s’adresser à une personne gentiment sans pour autant la froisser. Mais alors, pourquoi avais-je l'impression que tout s'était passé à cause d'une petite bêtise ou d'un détail pour le moins banal ?

Mes révélations l'avaient perturbée, je l'avais vu. Minatsuki s'était bel et bien figée quelques secondes lorsque j'avais prononcé « crépusculaire » mais elle ne s'était montrée ni craintive ni agressive. Elle n'avait pas tenté de s'enfuir ou m'attaquer, au contraire elle semblait se détendre au fil de mes paroles. Mais je m'imaginais qu'elle avait quelques réticences à mon égard, après tout elle était sans doute au courant des récentes tensions entre les deux factions. Je la trouvais sympathique et même si je ne la considérais pas de la même manière qu'Auween, je n'avais pas envie qu'elle détale ou qu'elle se mette à pleurer.

« - Je n'ai pas choisi le crépuscule par plaisir et amour de la violence mais uniquement parce que j'ai besoin de réponses... »


Inutile d'en dire plus je pense, je voulais juste qu'elle ne me prenne pas pour une brute assoiffée de sang, ce que j'étais loin d'être, de toute manière. J'étais rancunier envers beaucoup de monde, je voulais traîner les assassins d'Elenwë devant la justice mais je n'étais pas du genre à partir en guerre tête baissée. Les templiers m'avaient enseigné la paix et la patience et j'aurais été un bien misérable templier pour renier ainsi les enseignements. Et comme je n'avais pas encore trouvé mes réponses, je ne pouvais me détourner de ma quête.
Enfin je la vit rougir a ma question concernant son vertige. Le sujet l’embarrassait, ou peut être était-ce le fait de se remémorer ses péripéties dans l'arbre plus tôt. Peut être se sentait-elle idiote de me raconter le pourquoi du comment.

«Ah! Euh oui je... euh... Je marchais dans la rue, et puis bam! J'ai accidentellement renversé un plateau de pâtisseries d'un gros bonhomme! Mais à peine eu-je le temps de m'excuser qu'il commença à me pourchasser jusqu'ici! Et euh... tu connais la suite!»


Je comprenais à présent, mais quel genre de type poursuivrait une jeune fille jusque dans un arbre ? Je m'imaginais la scène, Minatsuki qui présentais ses excuses mais le type visiblement en rogne qui ne la laissait pas en caser une et qui tentais déjà de l'attraper. Ça avait le don de m'énerver rapidement, profiter ainsi de sa force et son âge pour martyriser une jeune fille...
Je voyais qu'elle rougissait, très probablement de honte ou alors de timidité, bien que la timidité n'était a priori pas son trait de caractère le plus marquant. Je la regardais de nouveau, tentant de capter son regard, posant ma main sur son épaule de nouveau, je m'exclamais d'un air irrité.

« - Il ne manque pas d'air celui là ! Quel genre de monstre s'en prendrait à une jeune fille qui EN PLUS présente ses excuses ? »

Elle avait probablement compris que l'attitude de l'homme m'horripilais. Pour ma part, j'aurais vraiment voulu être là au moment pour remettre cet homme à sa place. D'ailleurs je me demandais bien qui il était. La description plutôt vague de Minatsuki ne m'aidait pas vraiment. Je regardais autour de nous, des fois qu'il eut été en train d'espionner le moment ou la jeune jinmen serait descendue de son perchoir. Mais je ne voyais rien d'autre que quelques personnes, le parc était au minimum de sa fréquentation. Dommage, ça aurait pu être amusant. Enfin, je savais tout de même me stopper avant que ça ne dégénère, enfin généralement, j'y arrivais. Les quelques cas exceptionnels ne s'étant pas encore présentés...

Finalement je la fixais de nouveau, souriant doucement avant d'ajouter :

« - Dommage que je n'ai pas été là, j'ai horreur de ce genre de comportements. »

Enfin bon, je voulais en savoir plus sur la demoiselle à présent, on discutais depuis déjà une bonne heure, peut être plus. Je tenais toujours fermement mon bâton, prenant toujours le soin de masquer la pierre runique sous ma main. D'ailleurs je venais de faire le mouvement d'un air si artificiel que je m'en étonnais moi-même, d'habitude c'était fait si naturellement que les gens n'y prêtaient pas attention. Minatsuki me regardait aussi, quelque chose semblait lui passer par la tête mais je ne savais pas quoi.


« - Et donc, tu es au temple depuis longtemps ? Je passe régulièrement à Tamawa mais je ne me souviens pas t'avoir vue avant aujourd'hui. Ou alors, j'ai peut être juste raté un épisode... »

Un petit rire temporisa ma phrase, je l'avais dite pour alimenter la conversation et aussi pour détourner son attention, j'avais remarqué que le léger bandage qui faisait office de marque pour la « poignée » de l'arme commençait à se dérober et Minatsuki semblait observatrice, peut être trop, mais c'était une grande qualité après tout. Je ne voulais pas qu'on en vienne à parler de mon arme, non pas que j'en avais honte ou quoi que ce soit, mais elle était assez imposante et assez peu conventionnelle. De quoi susciter des torrents de questions...

Minatsuki m’écoutait, elle ne parlait pas tant que ça et était plutôt attentive. Peut être cherchait elle quelque chose à dire, peut être analysait elle mes paroles, ou peut être ne savait elle juste pas quoi répondre. En même temps je n’étais pas sur moi-même de trouver quoi répondre à quelqu’un que je ne connaissais pas vraiment. Mais bon avec l’âge j’avais pris en assurance mais la jeune fille était encore adolescente et peut être gardait elle enfouie une part de timidité quelque part. Je remarquais qu’elle avait la manie de faire tourner une mèche de cheveux entre ses doigts, la dernière fois que j’avais vu cette mimique, c’était une jeune femme très soucieuse de son apparence qui faisait ceci, comme si elle attendait calmement que l’on remarque quelque chose. En effet j’avais remarqué depuis un moment que Minatsuki semblait porter une grande attention à ses cheveux. De plus il était visible qu’ils étaient soigneusement entretenus, brillants et doux qu’ils étaient. J’avais remarqué leur douceur au moment où je l’avais aidée à descendre de l’arbre mais sur le coup je n’avais pas noté ce détail.

Enfin, elle échappa un petit rire doux, quelque chose de vraiment adorable, de franc. Elle riait aux éclats, je comprenais que je venais de dire quelque chose soit d’idiot, soit de touchant, soit d’amusant…
Elle reprit finalement la parole pour répondre à ma question :

«- Eh bien... C'est que je suis arrivée au temple il y à un an déjà mais... Disons que je ne sort pas très souvent en Tamawa ! Je sort souvent pour...»

Elle s’arrêta nette pour une raison qui me semblait liée à un genre de honte ou peut être un secret qu’elle n’avait pas envie de révéler. Et pourtant je la voyais porter un regard sur une fleur non loin, une rose. Etait-ce ce secret dont elle avait honte ? Peut être que Minatsuki ne voulait pas être prise dans le cliché type de la jeune fille superficielle et amoureuse des jolies fleurs. Elle me regardait de nouveau et commença à prononcer quelques mots mais elle s’interrompit instantanément, comme si elle venait de voir un fantôme elle semblait complètement paniquée et se cachait derrière moi en ajoutant :

«- C-C'est lui, là-bas!»

En jetant un œil je voyais un homme assez imposant, probablement la quarantaine peut être plus visiblement énervée qui cherchait frénétiquement dans notre direction. Il approchait d’un air maussade, il avait visiblement vu Minatsuki. Je murmurais quelques mots à Minatsuki avant de faire face à l’homme déjà presque arrivé à ma hauteur.

« - Ne t’inquiètes pas, tout va bien se passer. »

Je n’étais pas quelqu’un d’horriblement éloquent mais j’avais le talent de faire circuler certaine émotions comme le réconfort au travers de mes paroles. L’homme s’arrêtait devant moi, me jaugeant du regard avant de prononcer d’un air désagréable et passablement agressif :

« - J’l’ai vue ! Bouge-toi de là gamin, j’vais lui apprendre les bonnes manières à cette effrontée. »

Je ne prononçai mot, j’avais juste entendu Minatsuki étouffer un couinement derrière moi, je la sentais effrayée et je n’aimais pas ça, je regardais l’homme, parfaitement stoïque. Il était très surement plus musclé que moi mais il était hors de question que je le laisse s’en prendre à une jeune fille. Ce type d’homme m’énervait au plus haut point, ces enfoirés abusant de leur force pour intimider les autres incarnait tout ce que je détestais. Voyant que je ne bougeais et ne bougerais pas, il m’empoigna pour me pousser sur le côté, ce qu’il n’eut aucun mal à faire et commençait déjà à tendre sa main vers Minatsuki complètement tétanisée. Un violent claquement retentit, je venais de descendre ma main sur mon bâton, donnant plus d’allonge afin de frapper la main de l’homme qui la retira aussitôt. Le linceul qui cachait la pierre runique de mon arme était tombé, la petite pierre verte pale complètement à découvert.
Il n’avait vraiment pas apprécié mon geste et avait visiblement envie de me « corriger » également mais j’avançais dors et déjà mes arguments, tout en replaçant ma main sur la pierre.

« - Il est hors de question que je vous laisse faire du mal à cette demoiselle.
- Tu t’prends pour qui gamin ? Tu fais l’mariolle devant ta copine ?
- Tout ce que vous avez besoin de savoir, c’est que je ne vous laisserais pas lui faire de mal.
- Tu t’fous moi ? T’es qui pour me filer des ordres comme ça ?
- Elle vous a déjà présenté ses excuses, inutile d’en rajouter. »

Voyant que je m’obstinais à défendre Minatsuki, il me lançait le même regard détestable que celui qu’il avait posé sur Minatsuki quelques secondes plus tôt. Je lisais facilement dans son esprit, il voulait lui faire payer ce qu’elle avait fait plus tôt. J’avais l’impression que l’homme devait être relativement xénophobe envers les Jinmens. Je pouvais sentir la colère et la violence émaner celui, peut être était il alcoolisé ? Ou était-il juste un vieux schnoque un peu trop facile à indisposer, aucune idée.
Je me replaçais juste à côté de Minatsuki, posant la main sur son épaule à nouveau et positionnant mon bâton en diagonale, comme un signe pour le défendre d’approcher. Ce geste aussi semblait attiser un genre de colère qui aurait presque pu sembler être de la jalousie, mais au vu de son âge et de celui de Minatsuki, il était peu probable qu’il y ait un lien.

La scène était fixée, aucun de nous deux ne voulions lâcher. De son côté, l’homme semblait prêt à vouloir la ramener de nouveau, avant que Minatsuki, pleine d’assurance ne fit le premier pas vers lui qui venait d’armer un geste offensif avant de finalement lui demander de la… Non, de nous laisser tranquille. J’étais un peu surpris de la voir faire cela après la peur qu’elle avait éprouvé quelques minutes avant. Cette ado’ était bien plus courageuse qu’elle n’y paraissait malheureusement cet élan de bravoure lui avait valu une nouvelle insulte en cydien que je tairais par respect pour Minatsuki.
La scène s’enfila d’une rapidité telle que je n’eus pas le temps de réagir lorsqu’il l’attrapa par les cheveux, la trainant au point de la déséquilibrer avant de finalement lui mettre un violent coup de poing au niveau de la nuque. La vision que j’avais de Minatsuki recroquevillée a terre attendant le coup avec toute la brutalité dont il était chargé m’insupportais au point qu’au moment ou il relevais son poing, je glissais rapidement, habillement mon bâton au devant de son bras et le passant derrière son cou, assénant un violent coup de botte derrière son genou pour le faire plier et avec l’effet de levier que mon arme avait, bloquant à la fois son bras levé et basculant sa tête vers l’avant, lui faisant perdre l’équilibre. Il s’effondra dans un hurlement à moitié étouffé de douleur car forçant sur son bras bloqué, il avait surement du se froisser un muscle en forçant comme un idiot. En même temps fallait-il être idiot pour forcer son membre ainsi pris dans une clé de bras et qui plus est, par un bâton bien plus solide qu’il n’y paraissait. L’homme vociférait toutes les insultes qui lui passaient par la tête, aussi bien sur moi, sur Minatsuki, sa mère, ma mère et je ne sais quoi d’autre.

Intérieurement j’étais en rage la plus totale, ma seule envie au moment était de lui faire payer ce qu’il venait de faire à Minatsuki, elle l’avait peut être senti, d’ailleurs. Cette façon de se protéger qu'elle avait me rappelait ma défunte soeur quand nous étions enfants, Minatsuki n'était pas ma soeur et pourtant, comme je l'avais fait avec Ferris, je comptais bien la protéger. J’avais envie de l’obliger à présenter des excuses, malheureusement il était impossible de lui faire entendre raison et il continuait d’insulter l’intégralité des personnes qui pouvaient de près ou de loin nous être cher.
J’essayais réellement de reprendre mon calme mais ce salopard m’avais littéralement sorti de mes gonds, j’articulais péniblement avec un faux air détaché teinté d’une agressivité nettement ressentie dans chacun de mes mots.

« - J’avais dit qu’il était inutile d’en rajouter et vous, vous osez lever la main sur une jeune fille ?! A votre place je la fermerais et remercierai les dieux de n’être tombé que sur deux templiers et non sur des criminels. »

Le brouhaha de la mêlée avait attiré quelques regards, il était probable que la milice ne tarde pas à rappliquer pour rétablir un semblant d’ordre dans ce bordel. Je ne pouvais lâcher cet abruti et pourtant ma seule inquiétude était de savoir comment allait Minatsuki. Encore une fois je cédais à mon inquiétude et lâchais l’autre abruti. Abandonnant mon bâton et m’approchant de Minatsuki toujours recroquevillée et sanglotant, je posais la main sur sa tête doucement avant de glisser quelques mots doucement grâce au peu de calme que j’avais pu retrouver.

« - C’est fini ma belle, tu n’as plus rien à craindre, c’est fini. »

Peut être avais-je parlé un peu vite, un choc se fit sentir dans mon dos, quelque chose de dur venait de me heurter de plein fouet. En effet, en me retournant après avoir repris mes esprits, un deuxième coup s’abattit avec autant de violence au niveau de ma tempe. Fort heureusement j’avais amorti l’impact en tournant la tête in-extremis mais je sentais mon sang couler le long de mon visage. Le perturbateur avait saisit mon arme et s’en servait à présent comme d’une batte. Je n’avais pas pensé qu’il était si tenace et Minatsuki était toujours plus ou moins sous le choc. Le regard de l’homme brillait d’une lueur malsaine et il était évident qu’il comptait me faire passer un sale quart d’heure avant d’ensuite s’en prendre à nouveau à la jeune jinmen.
Il armait déjà un troisième coup et c’est alors que je remarquais qu’il avait fait une erreur qui pouvait bien retourner la situation à mon avantage. Le coup détona comme les deux précédents, violent, imprécis mais dévastateur en direction de mes côtes. Heureusement, j’étais quelqu’un de stable et ce n’était surement pas dans les côtes qu’il fallait frapper pour me déséquilibrer, ça non. Bloquant l’arme entre mon corps et mon bras d’un geste rapide qui n’empêchait pas le coup d’être horriblement violent, je posais la main sur le manche de mon arme.
En l’espace d’une seconde l’imposante lame de la faux runique jaillit non loin de l’endroit ou l’homme avait posé les mains, il les retira en vitesse, surpris par l’éclat lumineux vert pâle de l’invocation qui venait de disparaître aussi vite qu’elle était apparue, un geste si vif que personne ne semblait avoir compris ce qui était arrivé. Retrouvant son aspect de canne, le manche partit avec une précision redoutable dans l’épaule de mon adversaire, claquant avec force sur son omoplate. Avant même qu’il n’eut le moindre réflexe, un deuxième coup s’écrasa sur son menton, lui faisant pivoter la tête, perdant de nouveau l’équilibre et étant très nettement sonné. Enfin c’était fini, et comme je m’en étais douté, les gardes avaient assisté à toute la scène tandis qu’ils accouraient dans notre direction. Il devait rester une poignée de secondes avant qu’il ne soit là et pourtant ma seule occupation était toujours de rassurer Minatsuki. Je posais un genou à terre, éprouvant un peu de mal à respirer. Je posai encore une fois mon arme au sol afin de pouvoir saisir Minatsuki par les épaules et la ramener près de moi pour la rassurer de nouveau, prenant le soin d’essuyer les larmes qui coulaient encore le long de son visage. Avec ce même air doux qui se voulait apaisant, je baragouinais maladroitement - toujours un peu sous le choc - dans la langue jinmen :

« -Tout va bien ? Minatsuki ? »

Instinctivement je regardais la zone ou le poing s’était abattu, prenant soin de ne pas la toucher ici, imaginant que le choc avait endolori la zone et la rendait assez désagréable. J’avais été négligent et Minatsuki en avait fait les frais. Je m’en voulais énormément de ne pas avoir été assez rapide pour éviter que cela n’arrive, j’avais sous estimé mon adversaire et fort heureusement que ce salopard n’était pas armé, qui sait ce qui serait arrivé à Minatsuki si il avait eu je-ne-sais-quoi dans les mains.
J’avais mal au niveau de l’épaule gauche et ma blessure au niveau du visage piquait, brûlait et saignait pas mal, mais j’allais plutôt bien malgré les circonstances. Ça aurait pu être pire… Bien pire, j’en étais persuadé.
Étrangement, quand je regardais Minatsuki ainsi, elle me rappelait de plus en plus ma petite soeur, c'était bizarre et nouveau pour moi, mais le plus bizarre pour moi était surement cette ressemblance frappante entre les comportements de Minatsuki et Ferris.

J'avais de la peine a voir de mon œil gauche, légèrement affecté par le coup, la vision en était trouble. Pourtant l'état de Minatsuki était plus préoccupant, elle avait de la peine à bouger ou même a regarder autour d'elle. Elle semblait avoir perdu ses repères, j'avais alors peur que ce coup ait été si violent qu'il ait causé un genre de commotion. Elle parvint tant bien que mal à m’agripper et me serrer dans ses bras, j'avais l'impression qu'elle n'arriverait pas à se relever si facilement, son sens de l'équilibre devait également être atteint. Les gardes étaient arrivés et commençaient déjà à relever l'homme pour l'embarquer, étrangement ils ne me dirent rien de spécial, les spectateurs avaient sûrement du témoigner de la scène. Les trois gardes se dispersaient, deux s'occupaient de l'homme et le dernier s'approchait de moi, qui ne lui prêtait aucune attention, jusqu'au moment ou elle m'adressait la parole avec une fois calme et neutre :

« - Suivez moi, je vais vous conduire à un guérisseur et vous en profiterez pour me raconter toute cette histoire dans les moindre détails. »

Sans un mot je me relevais péniblement avec Minatsuki dans mes bras, elle avait sûrement plus besoin que moi de soins. Elle qui avait à l'instant essayé de me soigner cette petite blessure au visage. Minatsuki était elle aussi une soigneuse, je venais de l'apprendre, ce petit bout de femme était vraiment courageux. Elle n'en avait peut être pas forcément conscience, mais ce qu'elle venait de faire était vraiment quelque chose. Elle avait voulu prendre soin de moi alors que son état ne lui permettait pas et ce simple geste renforçait ce lien que j'avais fait entre elle et Ferris. Escortés par la femme en armure qui avait pris le soin de me retirer mon arme, nous passions par les diverses rues de Tamawa pour atteindre une maisonnette modeste. Ma blessure avait complètement obscurcit ma vision de l’œil droit, le sang coulant non loin du coin de l’œil m'enquiquinant pour le garder ouvert facilement. Minatsuki bougeait peu et semblait complètement amorphe, un instant j'ai même cru qu'elle avait perdu connaissance mais je comprenais vite que non lorsque qu'elle remua légèrement dans mes bras, essayant de bouger.

Nous entrions dans le bâtiment tout les trois, la femme qui nous accompagnait interpella le guérisseur qui était resté plus ou moins figé en voyant Minatsuki dans mes bras à demi consciente et mon visage en sang. Je déposais la jinmen là ou il me l'indiquait et tandis qu'il semblait penser que ma blessure allait être plus grave que celle de l'adolescente, je lui répondait simplement de s'occuper de Minatsuki en priorité car ma blessure était gênante mais plutôt superficielle.
Tandis que l'homme s’occupait alors de guérir l'apprentie, la garde se posa en face de moi, un air sérieux et interrogateur sur le visage, attendant visiblement mes explications.
Je prenais le temps de choisir mes mots tout en lui expliquant le trouble qui était survenu.

« - Il se trouve que la jeune femme qui était avec moi était pourchassée par cet homme sans raisons apparentes, je me suis interposé afin d'éviter qu'elle ne subisse pas ses coups. Elle à ensuite demandé qu'il nous laisse tranquille, il s'est énervé et l'a attrapé si rapidement que je n'ai pu l'empêcher de lui porter un coup violent à la nuque, j'ai d'abord neutralisé l'homme avant de retourner vers elle pour voir si elle allait bien. Il a saisit mon arme et m'a frappé a trois reprises, une fois dans le dos, une fois au visage et le dernier coup que je parvint à bloquer au niveau des côtes. Je l'ai désarmé et neutralisé un peu plus brutalement que la première fois, ensuite vous êtes arrivée avec vos collègues et voilà.
- Effectivement, les gens qui nous ont prévenus ont signalé que l'homme en question était armé et agressait deux personnes, on à fait au plus vite mais on imaginait sûrement pas tomber sur un Templier. Si j'en juge par les témoignages que nous avons reçu et votre version des faits, vous étiez seulement en position de légitime défense, dites moi, cette enfant est votre apprentie ?
- Ah... Non je n'ai pas d'apprentis, je l'ai rencontrée par hasard aujourd'hui. C'est la première fois que nous nous rencontrons.
- Je vois... Bon, étant donné que vous n'êtes en rien responsable de tout ce bazar, je vais tout de même vous restituer votre arme, mais faites attention tout de même, vous avez eu la chance d'avoir des témoins pour appuyer votre version des faits.
- Je comprend bien, navré d'avoir participé à un tel spectacle, je vous remercie. »


Après avoir récupéré mon bâton et constaté que le guérisseur avait fini de prodiguer les soins à Minatsuki, il revenait vers moi mais ma première occupation fut une nouvelle fois d'aller voir comment elle allait. Visiblement mieux, elle tremblait déjà moins et semblait moins sonnée que tout à l'heure. L'homme posait sa main sur ma blessure et celle ci cicatrisa bien vite, la plaie se refermant et disparaissant au point de ne laisser qu'une légère trace rosée qui n'allait pas tarder à disparaître elle aussi.

Le remerciant à son tour, je me penchais sur Minatsuki, allongée sur le petit lit moelleux avant de lui chuchoter doucement en jinmen :

« - Je suis désolé, je ne voulais pas que ça se passe comme ça. A cause de moi tu a été blessée, j'en suis vraiment désolé Minatsuki. »

Je me sentais coupable, toujours d'avoir laissé cette ordure la frapper. Elle qui n'avait rien demandé, se faire violenter de la sorte par un sinistre abruti me faisait mal au cœur, elle ne méritait pas ça. Elle pouvait sans doute sentir mon regret et mon inquiétude, au final j'avais presque l'impression de m'adresser à elle comme le ferait un grand frère avec sa petite sœur adorée.

Je pouvais lire l’incompréhension dans le regard de la jeune fille. Avais-je dit quelque chose d’idiot ? Que s’était elle imaginé à cet instant ? Que j’aurai pu m’enfuir de peur de prendre des coups ? Que j’aurai pu me retourner contre elle et la martyriser également ? Aucune idée mais une chose était sure, j’étais rassuré de la savoir tirée d’affaire, un instant, elle m’avait inquiété. Son corps était jeune et encore un peu frêle pour supporter un traitement pareil, qui sait dans quel état elle aurait été si je l’avais laissé faire. Voyant qu’elle bougeait, je posais la main sur son épaule de nouveau, lui faisant comprendre que pour le moment elle avait besoin de repos et de bouger le moins possible. Le soin était une compétence particulièrement intéressante malheureusement je ne la maitrisais pas et son apprentissage me prendrait probablement du temps, temps que je n’avais pas, pour le moment.

En même temps, je la sentais un peu hésitante, perdue dans ses pensées, peut être se sentait elle un peu coupable de ce qui s’était passé ? Je ne sais pas et j’espérais vraiment qu’elle ne pensait pas quelque chose dans ce registre. Elle avait été courageuse en de nombreux points, oser prendre le pas sur sa peur pour prendre la parole face à ce monstre, essayer de me soigner malgré son état, au risque même de l’aggraver… La jeune jinmen était quelqu’un de volontaire et dévouée à ce qui lui tenait à cœur visiblement, et c’était une grande qualité qu’elle avait là. Décidément, plus je passais du temps avec elle, plus j’avais l’impression de passer du temps avec une petite sœur. Cependant je ne pouvais passer à côté de ce petit sourire triste qu’elle m’accorde. Lui laissant le temps de s’exprimer, je voyais alors pourquoi elle semblait si chagrinée, mais elle n’y était pour rien. J’avais moi-même pris la décision de la protéger, sachant ce que je risquais alors pourquoi s’en voulait-elle ?
Passant doucement ma main dans ses cheveux en lui caressant la tête de manière sereine, je lui répondis calmement.

« - Ce n’est rien, tu as voulu bien faire, c’est le principal. Tu m’as fait un peu peur lorsque je t’ai vu essayer alors que ton propre état était tout aussi inquiétant tu sais. »

A ce moment je la sentais s’apaiser, peut être comprenait-elle ce que je ressentais à ce moment. En effet j’avais vraiment eu peur lorsqu’elle se battait contre la léthargie qui tentait de s’emparer de son corps, je m’en étais fait un sang d’encre même. En même temps, lorsque j’avais quelque chose en tête, il était souvent difficile de me faire changer d’avis. Dés le moment ou je m’étais dit que j’allais la protéger, j’étais prêt à tout, même si cela impliquait de perdre un combat, si cela me permettait de la défendre. J’avais perdu tellement d’êtres cher au long de ma vie que cette dernière m’importais moins que celle des gens que j’aimais. Si Auween m’avait entendu dire ça elle m’aurait probablement giflé, à juste titre, mais la réalité était là, si je pouvais donner ma vie pour la protéger elle aussi, je le ferais sans la moindre hésitation.
Minatsuki me tira de ma réflexion en changeant du sujet. M’assurant qu’elle allait bien, elle prit également des nouvelles sur mon propre état de santé. Les soins prodigués par le guérisseur m’avaient permit de me débarrasser de cette douleur à la tête et dans le dos, mais je pense que j’allais sentir un peu mon flanc pendant un moment encore. Néanmoins, je lui répondais franchement sur un ton amical et en joué.

« - Un petit bleu sur le flanc mais rien de bien méchant, je vais bien, ne t’en fais pas. »

A mon tour, je changeais le sujet de la conversation, ne voulant pas qu’elle s’inquiète d’avantage. Je la regardais tout en restant à son chevet, me disant que j’avais encore fait une rencontre hors du commun aujourd’hui encore. J’étais étonné de voir à quel point je m’étais attaché à elle en si peu de temps et autant de péripéties. Soupirant de soulagement une nouvelle fois, je la regardais toujours avant de finalement me dire que Minatsuki devait avoir à peu près l’âge que Ferris avait au moment où elle avait quitté ce monde. Une autre pensée mélancolique qui percuta mon esprit encore un peu embrumé mais je pris ma respiration une fois encore avant de finalement lui dire, le plus sincèrement du monde.

« - Tu sais, tu ressembles beaucoup à ma petite sœur, tu es une jeune femme de courageuse et appliquée, quelqu’un en qui on peut avoir confiance. J’ai beau ne pas te connaitre plus que ça, je pense pouvoir affirmer que tu deviendras une personne fiable et forte. »

Il n’y avait pas une pointe de mensonge ou d’hypocrisie dans ce que je venais de dire, c’était bien la sensation la plus pure que Minatsuki m’inspirait et je ne sais pour quelle raison, probablement parce que je lui faisais confiance, je me disais que lui dire franchement était nécessaire. Pour qu’elle prenne confiance en elle, qu’elle ne perdre pas de vue ce qu’elle souhaitait, qu’elle s’arme de patience et de courage et puisse faire face à tous ses problèmes futurs, pour qu’elle devienne une templière exemplaire.
Moi qui n’était pas spécialement pédagogue et n’avait jamais eu d’apprenti, je comprenais n néanmoins cette sensation qu’était d’encourager quelqu’un pour qu’il aille de l’avant et progresse, encore et encore jusqu'à transcender son art. C’est ainsi que Maître Ilya m’avait formé après tout…