Lilith naquit aux premières lueurs d'un jour du printemps de l'année 135 à Cydonia, dans une famille aristocratique. Dernière enfant d'une fratrie de quatre, trois garçons et une fille, elle fut gâtée dans sa prime enfance par ses parents et ses frères. En grandissant, son père lui mit à disposition les meilleurs percepteurs de la ville, à l'exception de certaines activités dites « masculines » qui lui furent interdites.
La petite fille grandit sans se demander pourquoi ses frères avaient des cours dont elle était exempt, elle imaginait qu'elle était trop petite encore pour pratiquer le tir-à-l'arc, l'escrime ou pour apprendre les sciences très compliquées. Pas un instant elle ne douta de les apprendre un jour, quand elle serait aussi grande que ses frères. En attendant Lilith les regardait tirer à l'arc, une activité dont la pratique lui semblait d'une grâce et d'une noblesse toute particulière... Rien à voir avec l'escrime où les garçons rivalisaient de force brute sans la précision des flèches. Plus que tout elle détaillait le moindre des gestes de ses frères, la courbe que prenait l'arc sous la pression des bras, la rapidité à laquelle filaient les traits, l'impact que pouvait avoir le moindre obstacle sur leurs trajectoires !
Lilith déchanta quand elle eut dix ans, et qu'elle parvint à demander à son père quand elle commencera son apprentissage du tir-à-l'arc et des autres cours dont elle était exempt. Son père s'offusqua : « Ce ne sont pas des choses qu'une fille de bonne naissance doit apprendre ! Si tu as le temps de penser à de telles inepties, c'est que tu es trop désœuvrée, je vais doubler tes leçons de langues et d'histoire et dire à ta mère de t'enseigner la gouvernance d'une maison. C'est là tout ce que tu as à savoir. En attendant je ne veux plus te voir à tourner autour de tes frères ! »
Tout était dit. Furieuse et frustrée, Lilith tenta d'abord de raisonner son père, soutenue par Galien, son plus jeune frère, mais en vain.
Depuis l'emploi du temps de la jeune fille fut surchargé et elle fut tenue à l'écart de arcs qu'elle aimait tant… Dès qu'elle le put Lilith se penchait par la fenêtre pour contempler ce qui la faisait rêver. Si son père ne voulait pas lui enseigner l'art du tir-à-l'arc alors elle l'apprendrait elle-même ! Et la voici devant le miroir à imiter les gestes de ses frères, si longuement étudiés, sa quenouille et un fil de laine faisant office d'arc improviser. Mille fois elle travailla le moindre geste, la moindre posture rêvant qu'elle bandait un véritable arc et tirait de véritables flèches.
Parallèlement ses frères, par ailleurs meilleurs tireurs à l'entraînement quand leur sœur les observait qu'à la chasse ou dans les jeux, perdirent de leur talent. Leurs traits portaient moins loin, atteignaient la cible avec moins de précision… Cette chute fut brutale et ne s'améliorait guère comme si l'absence de Lilith amoindrissait leur talent… Cette idée était toutefois trop ridicule pour l'envisager sérieusement.
Cette même année, Galien, le plus jeune frère de Lilith montra un don pour la manipulation de l'eau, comme à son habitude leur père lui offrit l'enseignement du meilleur percepteur de la ville ce qui eut pour effet de l'éloigner régulièrement de la demeure familiale. Aimant tendrement sa petite sœur et voyant bien sa tristesse de le voir si peu, le jeune homme lui fit cadeau de sa première leçon de tir-à-l'arc. Désormais, chaque soir où il était présent, le frère et la sœur s'éclipsaient, prétextant une promenade digestive, filaient s'abriter des regards et tiraient à l'arc ensemble.
Le rêve devenu réalité pour Lilith. La pratique devant le miroir se révéla efficace car la petite fille progressa rapidement. Galien ne manqua pas de remarquer qu'il tirait mieux lors de ces entraînements interdits, mais l'attribuait à la joie de ce temps privilégié avec sa petite sœur.
Une année et demi passa ainsi. Lilith progressait à vue d'œil que ce soit au tir-à-l'arc où dans ces autres leçons à l'exception peut-être de celles qui visaient à faire d'elle une bonne gouvernante de maison, qui titillaient bien moins son intérêt. Doucement ses formes commençaient à poindre, prometteuses d'un corps adulte à venir, son père s'avisa qu'il serait temps de commencer à lui chercher un digne prétendant… au grand déplaisir de sa mère qui murissait depuis quelques temps des projets de fuir à Muria cité bénie libérée du joug des hommes. Elle avait lu des récits relatant le départ de femmes seules et d'hommes partis en quête de la mystérieuse cité et jamais revenus. Un jour elle partirait à son tour et emmènerait sa fille avec elle, mais chaque jour elle repoussait la décision finale effrayée par le changement de vie auquel elle n'était pas habituée.
Un événement majeur accéléra ses plans. Galien et son maître devait présenter ses progrès à sa famille. Réunis autour d'un bassin d'eau le jeune homme entama sa démonstration, avant de s'arrêter quand il s'aperçu de l'absence de sa sœur. Lilith qui s'était éclipsée pour un petit entraînement solitaire arriva en retard, après s'être empressée de cacher l'arc qu'elle utilisait. Ravi de la voir, et fier de montrer ses propres talents à sa petite sœur, Galien recommença sa démonstration et au lieu d'une petite colonne d'eau parfaitement contrôlée, un geyser miniature jaillit surprenant l'apprenti qui tomba à la renverse. Son maître lui-même n'en revenait pas, cette brusque augmentation de puissance, c'était comme si, comme si…
- Un catalyseur, murmura-t-il d'un ton audible.
- Un catalyseur, répéta le père ahurit.
- Maintenant que j'y pense, intervint l'aîné des fils, il me semble que j'ai toujours été meilleurs les jours où Lilith était non loin de moi.
Tous les regards étaient tournés vers la jeune fille qui avait applaudit son grand frère sans se rendre compte de l'incident. Elle s'avisa qu'il se passait quelque chose mais ne pouvait dire quoi. Les yeux du père brillèrent d'un regard avide.
Le soir même, la mère de Lilith emballa en vitesse ses effets les plus importants et ceux de sa fille et, dès la nuit tombée, lui ordonna de la suivre sans mot dire. Dans le couloir elles furent surprises par Galien qui jeta un regard implorant à sa mère, disant : « ne pars pas, ne m'abandonne pas, ne me l'enlève pas ». Mais la mère avait pris sa décision et le dépassa sans lui rendre son regard, depuis quand savait-il ? Il attrapa le bras de Lilith et lui glissa dans la main un arc. Son arc. Un arc à double courbure, gravé d'arabesques de grande qualité.
Nous nous reverrons quand tu seras une grand archère.
C'était une promesse.
Lilith ne revit plus son père et ses frères.
Errant dans la direction que la mère estimait être celle de Muria, la mère et la fille traversaient un village lorsque trois bandits les attaquèrent attirés par leur richesse apparente. Incapables de se défendre Lilith et sa mère virent leur dernière heure arriver. Elles furent sauvées par l'arrivée de quatre femmes qui abattirent les bandits. Les inconnues écoutèrent le récit de la mère avec compassion.
- Vous êtes en sécurité à nos côtés, lui assurèrent-elles. Si vous le souhaitez, nous pouvons vous conduire en sécurité, là où les femmes n'ont plus rien à craindre des hommes.
La mère accepta sans hésitation, Lilith impressionnée par la prestance des Amazones avait hâte de découvrir leur cité. Les femmes libres les menèrent à Muria, en prenant soin de leur masquer les yeux.
La mère mourut quelques mois plus tard, trop affaiblie par le voyage et la maladie. Entourée de ses nouvelles sœurs, Lilith perfectionna son art et intégra les sentinelles. Malgré son amour pour cette nouvelle patrie et son désir de la protégée, Lilith ne pouvait oublier sa famille ni la promesse qui la liait à Galien. Le jour où elle irait le retrouver approchait.