Lilith contempla la cité qui s'étendait devait elle. Ça y est, elle y était. Cydonia, sa ville natale. L'odeur iodée de l'océan l'emplissait de joie et l'animation de la cité l'excitait. Mais plus perturbant, elle n'avait qu'une vague sensation de déjà-vu ! Bref face la cité portuaire elle n'était pas sûre de la direction à prendre.

Après toute la difficulté que l'Amazone avait eu pour se décider à venir enfin, elle avait l'intention de passer sans plus attendre à son ancienne demeure, sa mère étant morte elle avait des questions à poser à son père. Elle ne voyait pas qui d'autre que son père pouvait lui expliquer pourquoi sa mère avait voulu quitter le domicile familial en l'emportant. Avec un peu de chance elle y croiserait Galien aussi…

Cette idée l'excitait et lui faisait peur en même temps.

« Suis-je donc si lâche ? » Soupira-t-elle.

Aller au quartier noble, certes, mais par où ?

Lilith choisit d'avancer le long de l'artère qui s'offrait à elle en estimant qu'elle reconnaîtrait un bâtiment ou une rue qui saurait la mener au quartier de la noblesse. Au bout d'une bonne dizaine de minutes il fallut se rendre à l'évidence, à part cette impression de déjà-vu elle ne reconnaissait rien de manière suffisante pour s'orienter.

« Et zut »

Lilith ne pouvait s'empêcher d'avoir honte de s'être perdue dans sa ville natale, pourtant cela n'avait rien d'étonnant puisqu'elle n'avait que douze ans quand elle l'avait quitté et qu'auparavant elle n'avait peu eut le loisir de se promener dans les quartiers populaires de la ville.

Le temps était doux en ce début d'automne et l'animation de la ville l'excitait. Souriant aux anges, Lilith prit la décision de visiter la ville paisiblement et d'aller voir son père quand elle approcherait du quartier.

En fin de compte, la jeune était devenue une étrangère à cette cité et il lui fallait la redécouvrir.

Lilith avança le long de l'artère. La joie de revoir Cydonia atténuée, elle s'évertua à regarder les Cydiens eux-mêmes. Les femmes ne paraissaient pas malheureuses et les hommes non dominateurs. *Je savais que Deva exagérait* pensa la jeune Amazone. Deva, une voisine d'un certain âge, parlait de Cydonia comme d'une terre misogyne où les femmes étaient toutes traitées comme des esclaves sans exceptions et les hommes des monstres suffisant. Lilith n'était pas naïve au point de croire que tout les humains étaient bon de nature et généreux, en revanche elle n'avait jamais éprouvé la souffrance provoquée par les hommes comme beaucoup de ses sœurs à Muria, aussi elle n'éprouvait aucune haine envers eux. Au contraire elle était bien décidée à se faire sa propre idée, idée qui dépendrait en grande partie de l'attitude et des réponses de son père, à n'en pas douter.

Au bout d'un moment à tourner en rond dans les rues, Lilith se décida à demander son chemin à un habitant. Elle laissa porter son regard au hasard des personnes qui arpentaient la rue, occupés pour la plupart par leurs tâches quotidiennes. Sur le côté de la rue, une échoppe de forgeron affichait en enseigne le nom de « L'arme enchantée ». *Voilà un joli nom*, se dit-elle. Elle accrocha les rênes de Jâani à une saillie du mur et entra.

Le propriétaire n'était pas dans la pièce.

« Bonjour, est-ce qu'il y a quelqu'un ? [i]demanda-t-elle. Je suis une touriste un peu perdue, pourriez-vous me renseigner ? »

La femme la regarda encore un peu pensivement, Lilith s'assura mentalement qu'elle n'avait pas fait d'impairs propres à trahir son appartenance aux Amazones. Non c'est bon, les Amazones ne sont pas les seules à quitter Cydonia. D'ailleurs le regard de la forgeronne ne démontrait aucune suspicion, juste une naturelle curiosité.

« Excusez moi pour le petit rire de tout à l’heure, je ne voulais pas vous offenser, je pensais au début lorsque je sui venu m’installer ici. Je n’arrêtais pas de me perdre, et comme vous je demandais sans cesse mon chemin, il m’a fallu trois bons mois pour mieux me repérer et encore maintenant je découvre certaine partie de la ville. »

Elle se retourna, comme pour chercher quelque chose.

« Si vous voulez, je peux vous y conduire, j’ai quelques épées d’ornement à remettre à un noble là-bas. Il adore tout de qui concerne les lames exotiques diront nous, beaucoup de lame sortant de l’esprit du forgeron et j’ai pas mal d’imagination. »

Lilith lui rendit son sourire, ravie de la proposition, elle appréhendait tellement la possible rencontre avec son père qu'elle ne se sentait pas le courage de tourner dans la ville comme une âme en peine. La forgeronne sortit de sous son comptoir quatre armes plutôt originales au regard de la petite Amazone, dont une dont la lame avait une forme d'éclair. Les nobles avaient-ils tous de tels goûts particuliers ? *N'es-tu pas censée en être une ?* se dit-elle. À bien y réfléchir Lilith se rappela une fête dans la demeure familiale où tous les invités étaient déguisés en poisson…

« Bien si vous voulez bien, je vais vous y conduire et je vous montrerais les différentes parties de la ville que nous allons traverser. »

La forgeronne fixa son regard dans celui de Lilith en attente de sa réponse. Un regard gris perçant… *Cette femme a un charisme certain*

« J'accepte votre proposition avec joie. À vrai dire je n'osais en demander autant, mais cela m'arrange bien. »

Lilith se mit de côté pour laisser passer la forgeronne avant de se rappeler sa jument dehors. Elle n'avait pas pris de chambres en auberge ni de place en écurie et pour ce qu'elle envisageait, un cheval à attacher sans cesse ou qui pourrait attiser la convoitise serait une gêne.

« Hmm, j'abuse peut-être de votre générosité mais j'ai une jument et j'aimerais savoir si vous disposez d'une écurie ou d'un endroit où je pourrais la laisser le temps de la visite ? S'il le faut je suis prête à vous payer un loyer. »

« Hmm, j'abuse peut-être de votre générosité mais j'ai une jument et j'aimerais savoir si vous disposez d'une écurie ou d'un endroit où je pourrais la laisser le temps de la visite ? S'il le faut je suis prête à vous payer un loyer. »

Lunielle réfléchit un instant, elle avait bien un endroit ou laisser un animal, elle espérait seulement que cette vieille grange attenante à la maison ne soit pas trop poussiéreuse pour cette pauvre jument.

« J’ai peut être quelque chose pour vous »

Elle se dirigea vers le côté gauche de la maison et ouvrit une grande porte à la volée. La pièce était assez lumineuse et il y avait de la paille par-ci par là, juste assez pour un cheval de loger ici ne serait-ce que pour quelques heures.

« Voilà, c’est un peu sommaire, mais c’est une vieille grange qui m’appartient au même titre que la maison, cependant comme je n’ai pas d’animaux, je ne l’entretiens pas vraiment j’espère que ça ira. »

Elle se retourna vers la jeune femme. Elle savait que ce n’était pas grand-chose et au vu des récents évènements, elle se demandait d’ailleurs s’il ne serait pas plus malin pour elle de l’aménager, après tout elle pourrait tout aussi bien adopter un cheval. Il faudrait vraiment qu’elle y pense, cela ne li ferait pas vraiment de mal de temps en temps de s’occuper d’autre chose que du métal. Elle sourit à cette pensée, repensant à ses formes animales. Oui, cela ne lui ferait pas trop de mal de pouvoir s’occuper de quelqu’un même s’il s’agissait d’un animal.

Elle vit la jeune fille mettre la jument dans la grange, la forgeronne ferma la porte mais laissa une petite ouverture au niveau de la tête, ainsi la jument ne serait pas totalement dans le noir et cela lui permettrait de vérifier le retour de sa propriétaire. Elle sourit ensuite à la jeune fille et l’invita à la suivre. Leur voyage commençait maintenant.

« Bien comme tu dois le savoir, ici, c’est l’agora marchande. On trouve de tout, l’auberge sur ta droite, la boutique d’antiquité, une boutique de vêtement et tout ce qui s’ensuit. »

L’elfe continua à marcher tranquillement expliquant les différentes choses de Cydonia.

« Si tu veux des fleurs et autre, il y a une boutique près des portes de la ville, il y a pas mal de chose. »

Lunielle s’arrêta un instant de parler, puis elle reprit.

« Je ne sais pas vraiment comme c’était quand tu es partit, moi-même je ne suis pas là depuis très longtemps il y a encore des moments ou je ne me répère pas totalement, connaitre une ville parfaitement ça demande du temps surtout que parfois j’ai l’impression de vivre dans un vrai labyrinthe. »

Elles arrivèrent finalement à une intersection.

« Alors par ici il y a le port et pas loin le district religieux, pour t’avouer je ne vais vraiment que rarement par là bas. Ensuite par ici et c’est par là que nous allons, il y a le quartier noble. »

La forgeronne prit la direction du quartier et avança encore pendant cinq bonnes minutes. Elle se demandait d’ailleurs pourquoi les nobles avaient besoin d’être aussi loin et avaient besoin de tellement d’espace, la plupart du temps, ils n’étaient même pas chez eux et s’ils étaient chez eux, ils ne bougeaient que rarement de pièce. Enfin à dire vrai, elle pensait cela mais ce n’était pas tout à fait exact après tout elle ne connaissait pas la vie d’un noble, mais de ceux qu’elle avait pu voir, il s’avérait que beaucoup était comme cela. Elle s’arrêta au départ du quartier noble, se tourna vers la jeune fille.

« Voilà, ici commence le quartier noble. Je dois aller tout au fond pour livrer ceci, je ne sais pas trop vers qui tu veux aller, mais si tu veux que je te montre le quartier noble, je suis d’accord. Peu de chose change ici, a croire que seul le reste de la ville vie. »

Lunielle s’arrêta de parler. Elle attendait que la jeune fille dise quelque chose. Elle ne savait pas ce qu’elle devait faire ici mais d’après les sentiments qu’elle percevait ça n’avait pas forcément l’air de l’enchanté. Si elle avait besoin d’aide, Lunielle n’hésiterait surement pas à la soutenir du mieux qu’elle pouvait.

La forgeronne réfléchit un instant, avant de répondre.

« J’ai peut être quelque chose pour vous »

Ravie de cette possibilité Lilith la suivit dehors. Elle vit la forgeronne se diriger vers le côté gauche de la maison, avant de la suivre elle prit les rênes de Jâani qui frotta sa tête contre elle. La forgeronne avait ouvert la porte d'une grange, ravie de l'espace que cela fournirait à sa jument, qu'elle n'aurait pas besoin d'attacher.

« Voilà, c’est un peu sommaire, mais c’est une vieille grange qui m’appartient au même titre que la maison, cependant comme je n’ai pas d’animaux, je ne l’entretiens pas vraiment j’espère que ça ira. »

« C'est parfait, merci. »

Lilith fit entre Jâani dans la grange. La pièce était visiblement inusité, mais une rapide inspection visuelle assura l'Amazone qu'aucun objet dangereux n'était caché. Rassurée elle lui ôta rapidement sa bride et sa selle pour que la jument puisse être à l'aise. Ceci fait elle sortit de la pièce. Elle vit la forgeronne fermer la porte en laissant une ouverture au niveau de la tête, elle fut touché par cette attention.

Après un sourire la forgeronne l'invita à la suivre. Tout au long de leur trajet dans Cydonia elle lui présenta les quartiers, les rues, les magasins. À chaque fois Lilith regardait attentivement le lieu présenté. Elle voulait pouvoir graver dans sa mémoire les moindres recoins de la ville, mais surtout mémoriser la route qu'elles prenaient afin de pouvoir revenir à sa guise.

« Je ne sais pas vraiment comme c’était quand tu es partit, moi-même je ne suis pas là depuis très longtemps il y a encore des moments ou je ne me repère pas totalement, connaître une ville parfaitement ça demande du temps surtout que parfois j’ai l’impression de vivre dans un vrai labyrinthe. »

« Un vrai labyrinthe, oui, soupira Lilith. Je te le confirme. »

Elle renonça à repérer son chemin, il faudrait compter sur sa bienveillante guide pour le retour. Parvenues à une intersection la forgeronne elfique lui désigna dans une direction le port et le district religieux dans une direction. Lilith eut une vague sourire amusé quand elle l'entendit dire qu'elle ne s'y rendait pas souvent. Les rues et les bâtiments lui semblaient de plus en plus familiers, la jeune Amazone en eut la confirmation quand son guide lui dit que l'autre partie de l'intersection menait au quartier noble.

Plus elles s'approchaient du quartier de son enfance et plus Lilith était envahit de souvenirs. Finis les déjà-vus, elle reconnaissait réellement l'endroit. Avec les souvenirs revint les sentiments d'angoisse et d'appréhension, le quartier noble était un pas de plus l'approchant de son père. Comment allait-il réagir ?

Au départ du quartier, la forgeronne se tourna vers Lilith.

« Voilà, ici commence le quartier noble. Je dois aller tout au fond pour livrer ceci, je ne sais pas trop vers qui tu veux aller, mais si tu veux que je te montre le quartier noble, je suis d’accord. Peu de chose change ici, a croire que seul le reste de la ville vie. »

Lilith sentait son cœur battre la chamade et pourtant elle n'était pas encore devant son père. C'était idiot, de quoi avait-elle peur ? Qu'il ne la reconnaisse pas ? Qu'il ne veuille plus la voir ? Qu'il s'en prenne à elle de fureur ? * Non, tout de même, il ne fera pas ça * se dit-elle sans vraiment en être sure. Elle se secoua mentalement pour répondre à sa guide.

« Je te remercie. À partir d'ici je reconnais parfaitement les lieux, je saurais retrouver la maison que je cherche et à vrai dire, j'ai besoin d'y aller seule. Je te propose que nous nous retrouvions ici dans deux heures, si jamais je n'y suis pas. Mais avant que nous nous séparions peux-tu me dire ton nom ? Le mien est Lilith. »

« Enchanté de te connaitre, je me nomme Lunielle. Et d’accord pour se retrouver ici dans deux heures. »

* Lunielle, voilà un joli nom * se dit Lilith avant de se concentrer sur ce qu'elle allait faire.

Lilith s'avança le long des demeures qui avaient côtoyées son enfance. Elle se souvenait encore du nom des propriétaires de certaines d'entre elles. Elle les avait parfois croisés au cours de bals ou de festins, entre deux battants de portes ou dans les couloirs car elle était alors trop jeune pour y assistes. Elle se demanda un instant si elle regrettait son ancien train de vie. Peut-être un peu… mais entre une vie de luxe et la joie de tirer à l'arc l'Amazone n'hésitait pas un instant. L'arc l'emportait.

Son arc justement, Lilith y avait réfléchit, si son père ne la reconnaissait pas, il reconnaitrait sans doute l'objet. Un vieil arc d'excellente facture orné de fines arabesques qu'il avait offert à son troisième fils Galien à la demande du garçon lors de son entrée en apprentissage.

Enfin Lilith se retrouva face à un portail qu'elle connaissait par cœur. Celui du mur d'enceinte de sa maison d'enfance.

Le cœur de la jeune fille s'emballa. Huit ans d'attentes allaient enfin prendre fin. En bien ou en mal ? Elle allait bientôt le savoir.

Lilith serra le manche de son arc pour y puiser son courage. Elle inspira un grand coup. Le va la main et marqua un temps d'hésitation : allait-elle sonner la cloche ? Elle décida que oui.

La cloche était sonnée, qui viendrait ouvrir ?

Un homme sortit de la maison. Lilith eut le temps de le détailler tandis qu'il traversait l'allée jusqu'au portail. C'était un homme trapu et distingué dans la quarantaine, le majordome. Elle le connaissait assez bien, l'homme était entré dans la maison une dizaine d'années plus tôt. Il lui jeta un regard circonspect en la voyant vêtue comme une vagabonde, la cape de Lilith masquant son arc et ses flèches.

« Que désirez-vous ? »

Distingué et méfiant, il détailla discrètement le visage de Lilith, elle cru voir dans son air qu'elle lui disait quelque chose.

« Je suis Lilith Grandvin. » le visage du majordome s'éclaira de surprise, il l'avait reconnu. « Je viens voir mon père. »

« Bien sûr mademoiselle, pardonnez-moi si je ne vous ai pas reconnu de suite, c'est que vous avez tellement grandit en huit ans ! Mais entrez donc, monsieur est au salon, il sera enchanté de vous revoir, nous vous croyons morte. »

Lilith entra et lui fit un grand sourire en passant. Elle était heureuse, toute l'appréhension qu'elle avait éprouvée jusqu'à présent s'était envolée. Son père serait ravi de la revoir, avait-dit le fidèle majordome.

Il la conduisit à travers la maison, Lilith se sentait comme dans un rêve de revoir ces pièces dans lesquelles elle avait grandit. Devant la porte du salon, le majordome lui demanda de patienter le temps qu'il l'annonce à son père. Elle s'exécuta impatiente. Elle entendit des voix de l'autre côté de la porte en bois massif sculpté et le majordome en ressortit.

« Monsieur vous attends. » dit-il en lui tenant la porte.

Lilith pénétra dans le salon fébrile. Elle scruta l'homme que se tenait là, debout, lui-même la dévisageant incrédule. Son père avait pris l'âge et du poids au niveau du ventre mais surtout il lui paru plus petit et moins impressionnant que dans ses souvenirs. Mais après tout, en huit ans elle était passée de l'âge d'une enfant à celui d'une adulte.

« Lilith, c'est bien toi, je te croyais morte ! »

« Il paraît. Si je suis bien vivante, mère est décédée il y a de ça sept ans. »

« Humpf, je vois. »

Un frisson de méfiance lui parcouru l'échine. Lilith n'aimait pas l'expression qui s'affichait sur le visage de son père.

« Parle-moi plutôt de toi, où as-tu passé ces derniers années et pourquoi tu ne reviens qu'aujourd'hui ? »

Il jeta un regard désapprobateur sur la tenue de Lilith mais n'en dit rien. La jeune femme entreprit de lui raconter sa fuite avec sa mère et ce qui lui était arrivé lors des ces dernières années. Bien évidemment Muria et les Amazones furent transformées en un petit village perdu en pleine campagne et des chasseurs. Elle ne se présenta donc pas comme Sentinelle mais comme chasseuse. Et justifia l'aide indispensable qu'elle apportait au villageois pour expliquer qu'elle ne reviendrait pas vivre à Cydonia.

« Tu préfères donc vivre avec ces villageois plutôt que ta propre famille ? grogna le père. Enfin, oublions tout ça pour l'instant, je vais demander à ce qu'on nous apporte des rafraichissements. »

« Que deviennent mes frères ? Galien est-il devenu un élémentaire ? » demanda Lilith avide de savoir.

Son père fit un geste pour dire “un instant”. Lilith balaya la pièce du regard pensive. Elle était dans la maison de son enfance, son père était heureux de la revoir, alors qu'est-ce qui n'allait pas ? Car quelque chose clochait, elle le sentait. Dans l'attitude de son père dans ces propos… il se moquait de la mort de sa femme.

Son père revint dans le salon satisfait et rasséréné.

« Les boissons arrivent. Tout le monde va bien, oui. Parle-moi encore un peu de ce village où tu as vécu. »

« Je n'ai malheureusement pas le temps de discuter longuement, on m'attends. Alors j'irais droit au but. Vous m'aviez demandé pourquoi je ne revenais qu'aujourd'hui, parce que j'ai des questions à vous posez. »

Son père eut un rictus agacé, mais elle l'ignora. Décidément son comportement était suspect.

« Mère est morte avant de pouvoir répondre à ces questions, alors vous le ferez pour elle. Pourquoi est-elle partie de la maison ? Que voulait-elle fuir ? »

Le rictus se transforma en grimace.

« Ta mère était folle. Elle s'imaginait que j'allais te faire du mal, à toi, ma propre fille. »

Sa voix trahissait un filet de rage.

« Quel mal pensait-elle que vous me feriez ? Pourquoi cette nuit plutôt qu'une autre ? » Insista Lilith méfiante

« Ça suffit cet interrogatoire absurde, tonna son père. Je t'ai dit qu'elle était folle, elle s'était mis en tête que je voulais me servir de toi, t'emprisonner. Le rôle d'un enfant est de servir sa famille avant tout, elle n'a jamais pu le comprendre. »

« Comment vouliez-vous qu'une fillette de douze ans serve la famille ? »

Lilith sentait son sang se glacer. La raison de la fuite de sa mère était donc pour la protéger ? De son père ?!

Son père siffla de rage.

« Ton pouvoir, ton pouvoir de catalyseur. Quoi d'autre petite insolente. Qui s'intéresserait à une gamine qui se prend pour un homme et se présente devant son père en tenue de vaurien ? Alors qu'en mettant ton pouvoir au service de la famille, nous pourrions devenir la famille la plus puissante de Cydonia. Grâce à ta présence tes frères verront leur force décuplée et obtiendront les plus hauts postes politiques et militaires de la ville ! C'est ton devoir de nous y aider. »

Lilith saisit son arc et une flèche et dans le mouvement ample pour le bander elle rejeta le pan de sa cape qui le masquait. Elle pointa la pointe de la flèche vers son père. Elle mit de côté la surprise d'entendre qu'elle était un catalyseur pour se concentrer sur l'idée que son père voulait se servir d'elle pour prendre le pouvoir à Cydonia. Son père se raidit stupéfait.

« Merci, grâce à vous je comprends pourquoi ma mère est partie. À vrai dire je pense que moi aussi je ne vais pas rester ici plus longtemps, si vous voulez me revoir il faudra revoir vos ambitions et apprendre à respecter les gens. »

« Cet arc ? »

« Vous le reconnaissez ? Galien me la donné. Est-ce nécessaire de vous préciser que je sais parfaitement m'en servir ? »

« Aussi bornée que ta mère à ce que je vois, grogna-t-il. Soit si tu ne veux pas rester de toi-même je saurais te retenir de force. Eh vous autres saisissez la ! »

La porte s'ouvrit sur trois hommes armés. Lilith tira dans la fenêtre pour briser la vitre et sauta à l'extérieur, heureusement le salon donnait sur le rez-de-chaussée, elle se réceptionna sans trop de mal et couru vers le portail. Les murs entourant la propriété étaient trop hauts pour qu'elle puisse espérer passer par-dessus, elle comptait donc sur le fait que le majordome n'ait pas fermé le portail à clef.

Un mouvement à la périphérie de son œil lui indiqua la présence d'autres hommes qui lui tentaient de l'encercler. Preste, la Sentinelle arma son arc et tira plusieurs flèches, chacune frappa sa cible en pleine jambe. Ralentis les hommes ne purent la rattraper avant qu'elle atteigne le portail. Elle eut l'immense soulagement de voir la porte en fer s'ouvrir sans difficulté et se glissa à l'extérieur.

Courant de toute sa vitesse Lilith reprit le chemin en sens inverse pour rejoindre l'intersection. Elle ne savait ce qu'elle préférait : y retrouver Lunielle qui pourrait l'aider à semer ses poursuivants dans la ville ou ne pas la trouver et lui éviter des ennuis.

Lilith aperçu Lunielle un peu avant d'atteindre l'intersection. Elle affichait une expression grave, mais non surprise.

« Vite suis-moi »

Lilith s'exécuta sans tergiverser, elle n'avait pas le temps de douter. Pas le temps non plus pour se laisser affecter par ce qu'elle avait entendu jusque là. La forgeronne l'entraîna d'un pas rapide et soutenu vers le port. Elle ne pouvait que lui faire confiance. Elles coururent une bonne dizaine de minutes et les poursuivants ne les lâchaient pas. Lilith savait ce qu'était un catalyseur, elle connaissait leur valeur et savait qu'ils étaient très recherché en guise d'objets rares. Cependant, là, c'étaient les hommes de mains de son père qui tentaient de l'attraper.

Lilith commença à s'essouffler doucement, où Lunielle l'emmenait-elle donc ? Elle comprit quand elle vit sa compagne accélérer soudainement en direction d'un passage. Malheureusement une charrette fut arrêtée juste devant les prenant toutes deux au piège. Lilith analysa la rue en quête d'un secours. Peine perdue, elles ne pouvaient que revenir sur leurs pas et risquer de tomber sur leurs poursuivants.

« Je parie que tu es un catalyseur et que c’est pour cela qu’ils te veulent je me trompe ? Mon amie est comme ça aussi sauf qu’elle n’a pas conscience de ce pouvoir. Bon, je vais utiliser ta capacité de catalyseur si ça ne te pose pas d’inconvénient, ainsi je pourrais changer sans être vu. »

Lilith rendit le regard de Lunielle sans répondre, perplexe. Comment savait-elle ? Lilith venait d'apprendre qu'elle était un catalyseur et à ce qu'elle savait cela ne se devinait pas.

Lunielle paraissait pressée.

« Si tu pouvais juste récupérer mes vêtements une fois que ce sera terminé je t’en remercie. »

Récupérer ses vêtements ? Lunielle avait donc le don de se changer en animal. Lilith ne parvint pas à retenir un sourire satisfait, elle avait une alliée de choix.

La forgeronne claqua ses mains l'une contre l'autre et au moment où elles les écarta un mur de feu jaillit face aux femmes et bloquant à l'entrée de la ruelle trois hommes qui venaient d'arriver. Lilith encocha une flèche et banda son arc, prête à décocher sur le premier à passer malgré le mur enflammé.

Lunielle laissa place à un magnifique loup qui bondit dès que le mur de flamme disparu. Concentrés sur Lilith ils ne virent pas l'animal qui fit payer à l'un d'eux son erreur. L'Amazone ne resta pas en reste, elle décocha sa flèche qui fila en sifflant se ficher dans l'épaule droite d'un autre homme. Une seconde suivit qui se planta dans sa cuisse. La sentinelle ne tuait que par nécessité. Le loup, ou plutôt la louve, se chargea du deuxième homme qui tentait de protéger son compagnon, un peu éberlué tout de même de trouver un animal sauvage en pleine ville.

Puisque Lunielle se débrouillait bien, Lilith ne chercha pas à tirer une troisième fois. Elle se saisit des vêtements de sa compagne – la transformation en animal avait des désavantages – et couru en direction des hommes pour quitter la ruelle. L'homme qu'elle avait blessé tenta courageusement de l'attraper au passage, mais elle lui donna un coup de pied sur sa blessure à la cuisse.

« Navrée, je n'ai rien contre vous mais vous tentez de me priver de liberté et je l'aime trop pour vous laisser faire ! » Dit-elle à peine compatissante.

Lunielle semblait en avoir fini avec ses proies malheureuses, mais ni l'une ni l'autre n'eurent le temps de planifier la suite de leur fuite car d'autres hommes arrivaient, deux proches d'elles et un autre un peu plus loin. Encombrée par les vêtements de la forgeronne Lilith ne put se servir de son arc, maladroitement elle s'échina à les fourrer dans sa besace pour avoir les mains libres. Elle perçu un mouvement vers elle et dut à ses réflexes d'éviter un fouet d'eau qui s'apprêtait à s'enrouler autour d'elle en se jetant sur le sol. Pas douée pour les acrobaties et les mains prises Lilith s'affala par terre. Priant pour que Lunielle lui gagne un peu de temps pour qu'elle puisse ranger ses vêtements et se relever prête aux affrontements.

Lilith regarda du coin de l'œil Lunielle affronter les hommes tandis qu'elle casait une bonne fois pour toute les habits de la forgeronne dans sa besace. Elle entendit une homme s'exclamer:

« Un change-forme, sais tu que ce que tu fais va signer ton arrêt de mort. »

Elle s'activa, un peu inquiète pour sa compagne de fortune et se releva pour constater qu'elle allait bien, elle avait assommé l'élémentaire, mais se retrouvait menacée par les deux autres hommes. Sans traîner davantage Lilith les immobilisa à coups de flèches aux articulations stratégiques. Ils gémissaient, impuissants, aucuns autres hommes n'arrivaient.

Lunielle lui mordilla le bas de son pantalon et s'en fut. Lilith la suivit sans attendre, elles remontèrent le port au pas rapide. Lilith n'était pas convaincue de l'idée revenir sur leurs pas car si d'autres hommes de mains arrivaient elles leurs tomberaient dans las bras, toutefois elle ne dit rien confiante en son guide. Elle guetta, anxieuse, quand elles arrivèrent au niveau de l'intersection, elle perçu une agitation plus haut dans le quartier, heureusement Lunielle la mena sans attendre de l'autre côté.

L'Amazone suivait la louve en aveugle scrutant par moment par-dessus son épaule si elles n'étaient pas poursuivies. Personne. Au bout d'un moment elle vit la silhouette canine foncer sur une plaque de bois sur un mur et le gratter. Elle se demanda ce qui arrivait à Lunielle quand elle la vit pivoter. La louve entra dans le passage libéré et Lilith s'y glissa à sa suite en jetant un dernier regard en arrière de sécurité. Elle pénétra dans une petite cabane et vit la une touffe de poil disparaître par une fenêtre. Derrière elle la plaque de bois se remit en place. Lilith enjamba la fenêtre par laquelle avait disparut la louve. * J'espère que ce sera la dernière pour aujourd'hui * se dit-elle.

Avec surprise, Lilith s’aperçut qu'elles étaient dans une forge, certainement celle de Lunielle. La louve l'attendait la langue pendante et haletante. Lilith ne put retenir un petit rire nerveux.

« Désolée, c'est nerveux, mais il y a un tel contraste avec l'agitation précédente et cette scène de forge paisible avec un loup au milieu que c'en est comique. Enfin je suppose que tu attends tes vêtements, les voilà, j'espère que je n'ai rien perdu. »

Lilith fouilla sa besace et déposa soigneusement les habits qu'elle en sortit sur une petite table. Au moins elle n'avait pas oublié les chaussures. Lunielle attrapa ses vêtements de ses crocs et s'en fut dans une autre pièce pour se changer en toute pudeur. Lilith refusa de s'asseoir malgré l'opinion de ses jambes fatiguée afin de ne pas laisser son adrénaline chuter et alla vers la fenêtre toujours inquiète de voir apparaître un homme de main de son père dans la rue. Après tout, une fois qu'elle serait sortie de Cydonia elle saurait bien semer tout poursuivant, mais la forgeronne vivait ici, si quelqu'un l'avait vu l'aider elle aurait des ennuis.

Dans le calme après la tempête, les souvenirs de sa discussion avec son père lui revenaient insidieusement en tête accompagnés d'un sentiment de rage mêlé de détresse. Pour la première fois de sa vie Lilith se sentit seule au monde, à la mort de sa mère la présence amicale des Amazones et l'idée fiable et rassurante de son père quelque part sur Azthia lui donnait la sensation de ne pas être seule, mais aujourd'hui son père l'avait lâchée et les Amazones n'étaient pas là.

Elle se força à penser à autre chose. Au fait qu'elle soit un catalyseur. Grande surprise, elle l'ignorait totalement… d'ailleurs Lunielle l'avait deviné, avait-elle sentit sa puissance augmenter à ses côtés ? C'est parce qu'elle est un catalyseur que sa mère avait fuit il y a huit ans, parce que son père voulait se servir d'elle. Qu'aurait été sa vie si elle n'était un catalyseur ? Peut-être que sa mère serait encore en vie…

« Ça suffit ! » s'exclama Lilith pour se secouer. Elle n'avait pas de temps à perdre en lamentations. Pas maintenant en tout cas. Elle devait partir de la cité sans tarder.

Lunielle revint en forme humaine, ou elfique, habillée.

« Il ne vous manque rien ? [i]demanda-t-elle. Je vous remercie de votre aide, sans vous je pense que je me serais perdue dans la cité en tentant de les fuir. Je suis d'ailleurs navrée de vous avoir impliqué. Pensez-vous qu'on vous aura reconnue ? »

La forgeronne lui fit une esquisse de sourire à laquelle Lilith répondit d'un air las.

« Ne vous inquiétez pas, vous n’avez rien perdu, c’était seulement pour mes clés que je craignais mais elles sont bien là. Elle montra les clés. Et puis pour ce qui est de m’avoir reconnu, il n’y a aucun problème, personne ne connait cette entrée et personne ne sais que je suis une change-forme donc ça ne crains rien du tout. Par contre je crains pour vous. »

Un change-forme, oui ainsi les risques étaient réduits pour Lunielle. La forgeronne quitta la pièce et Lilith l'entendit monter des escaliers. Constatant que la rue était vide d'individus suspects, l'Amazone se décida à quelques exercices pour se détendre ses muscles fatigués.

Lunielle redescendit les bras chargé de deux plateaux remplis de gâteaux et de boissons. Lilith regarda les mets avec désir, sa cavalcade l'avait affamée. La forgeronne posa les plateaux sur la table.

« Un petit remontant ne nous ferait pas de mal, servez vous, il y a de tout. Les gâteaux sont fait maison, recette de ma mère adoptive et ici il y a du chocolat, du thé, du café comme vous le souhaitez. »

Lilith ne se le fit pas dire deux fois.

« Merci, tout ceci à l'air bien bon. »

En effet, ça l'était. L'Amazone se servit de divers gâteaux et prit du thé et du chocolat. Les boissons chaudes lui firent un bien fou accompagnées des douceurs qui lui remplirent le ventre. Lunielle semblait aussi être affamée. Elles mangèrent sans parler, perdues dans leurs pensées. Lilith se lécha les doigts voluptueusement et se les essuya sur un mouchoir.

« Je connais un passage qui part de la forge et se dirige vers la forêt non loin de là. Le passage n’est pas entretenu donc c’est un peu sale, cependant ça te permettra de sortir de la ville sans être vu. Moi pendant ce temps je récupère ta jument et je te l’amène comme si de rien n’était, ainsi tu pourras repartir sans soucis. »

Un passage secret, c'était une bonne idée et Lilith ne craignait pas la saleté. Ce qui la gênait davantage était le fait de laisser sa jument en arrière, non pas qu'elle ne fit pas confiance à Lunielle.

« Tu sais, cette capacité de catalyseur, il faut que tu fasse attention. Je ne sais pas comment cela se manifeste chez les autres, mais chez moi j’ai le bout des doigts qui chauffe et qui picote, comme quand j’augmente la puissance de mon feu. Certains ne voudront que ce servir de toi du à ce pouvoir et d’autre s’en ficheront totalement. Il faut que tu évite absolument les gens un peu trop pressant et louche. »

Les doigts qui la picotaient ? Voilà donc comment la forgeronne savait que Lilith était un catalyseur. Ce qui voulait dire que d'autres pourront aussi le découvrir d'une manière similaire.

« Je n’aimerais pas qu’il t’arrive quelque chose, même si ce fut bref, je me suis bien amusée. Et puis tu es quelqu’un de sympa. Ton père quand à lui est un crétin borné et arrogant qui plus est. »

Lilith sourit quand Lunielle lui dit qu'elle l'appréciait. Elle se força à garder le sourire pour la dernière phrase, elle n'avait pas envie d'y penser maintenant. Sinon elle serait prise d'une envie de crier fort.

Lunielle acheva sa boisson tranquillement. La forgeronne s'était montrée une amie fiable et zélée.

« Le passage que je te parle et sous cette trappe. »

Lilith regarda le bloc de pierre que lui désigna Lunielle, elle vit distinctement dessus un léger creux gravé. Elle suivit ensuite des yeux la forgeronne sortir un anneau d'un tiroir et l'emboîter dans le creux de la pierre qu'elle souleva ainsi. * Voilà un mécanisme ingénieux * se dit Lilith amusée. Pour qu'elle raison une forgeronne possédait-elle une trappe menant dans la forêt dans sa forge ?

Lilith se leva pour s'approcher de l'escalier révélé par l'ouverture. Les marches se perdaient dans une obscurité trop dense, même pour les yeux perçants de la Sentinelle. Lunielle revint avec des bougies qu'elle lui tendit.

« Quand tu seras prête, tu n’auras qu’à passer par cette trappe, moi je m’occuperais tranquillement d’amener ta jument à la sortie. »

Lilith analysant encore la situation pendant quelques secondes. Puis elle convint que pour l'heure, le mieux était encore de se reposer une fois de plus sur la forgeronne.

« Je crois qu'il vaut mieux que je ne tarde plus. Je te confie donc Jâani, mais avant cela je voulais te remercier. Pour tout ce que tu as déjà fait pour moi et tout ce que tu vas faire encore. Sache que tu es pour moi une amie. Et rassures-toi, je connais les risques qu'encourent les catalyseurs, je suis simplement abasourdie car je viens d'apprendre que j'en étais un, je saurais me tenir sur mes gardes désormais. Je te le dit maintenant au cas où je n'aurais pas l'occasion de le faire plus tard. »

Lilith lui fit un grand sourire pour souligner la sincérité de ses paroles et lui tendit la bougie pour qu'elle l'allume. Elle regarda la forgeronne faire apparaître une flamme qui s'accrocha à la mèche de la bougie. Ceci fait, Lilith entreprit de descendre les marches et Lunielle remis la pierre en place dès qu'elle fut assez loin. L'obscurité vint rapidement la happer et la lueurs de la bougie, bien que faible et tremblante, l'enveloppait d'un halo doux et protecteur.

L'escalier se déroula encore sur quelques mètres avant de déboucher sur une porte en bois. Lilith la poussa précautionneusement et arriva dans un recoin sombre où une odeur forte et assez désagréable la prit au nez. Elle entendait derrière le mur creusé un bruit d'eau et contournant la paroi qui laissait un mince brèche sur le côté elle vit ce qui confirma sa supposition. Elle était dans les égout de la ville. En se retournant pour aller fermer soigneusement la porte l'Amazone s'avisa que la brèche était peu visible et la porte derrière, parfaitement masquée par la paroi à moins de se placer à un endroit précis, très restreint.

Assurée que la porte restera close malgré les rats et les courants d'airs, Lilith s'avança sur le rebord le long du canal d'eau. Elle était trop loin des bouches d'entrées et de sorties de l'eau pour recevoir un peu de lumière et la bougie lui fut très utile pour éviter de glisser dans l'eau sale quand le rebord s'amincissait. Dans le silence de ces couloirs étroits et noirs, ses bruits de pas paraissaient marteler le sol comme un tambour et les gouttes d'eau qui ruisselaient le long des murs chutaient dans un son cristallin qui se répercutait sur la paroi.

* Si quelqu'un venait à passer par ici je l'entendrait de loin. * cette pensée la rassura un peu et lui permit de résister à l'odeur d'eau stagnante et de moisissure qui régnait. Par moments Lilith percevait des piétinements accompagnés de couinements de rats, mais les rongeurs charognards ne vinrent pas s'approcher de l'intruse.

À force de marcher dans l'obscurité, Lilith en vint à perdre la notion du temps. Depuis combien de temps était-elle dans ces égouts ? Là encore la bougie fut une alliée précieuse : l'Amazone pouvait estimer le temps écoulé en fonction de la longueur qui lui restait et qui diminuait inexorablement. Elle espéra que la sortie ne fut plus loin.

Lilith parvint à une salle creusée à même le roc, le canal d'eau la traversant. Ici des escaliers menaient de part et d'autre à la surface. Le passage que Lilith cherchait devait se trouver quelque part sur sa gauche. Elle tâta le mur et scruta la moindre anfractuosité. Là ! Un petit creux à peine perceptible signlait à l'œil attentif une ouverture derrière le rocher. L'Amazone tira et parvint à le déplacer suffisamment pour pouvoir se glisser dans le passage révélé. Elle dut se mettre à quatre pattes, ce qui posa un soucis par-rapport à son arc et son carquois, pour lesquels elle dut les faire passer dans le bon sens. Le creux était toutefois assez grand pour se retourner et retirer la pierre contre l'entrée. Ceci fait, Lilith avança.

À peine un mètre après l'entrée cachée, la hauteur du passage revenait à une taille normale. Décidément : comment Lunielle avait-elle eut connaissance de cet endroit ? Lilith le lui demanderait peut-être. Elle poursuivit son chemin toujours illuminée par la seule grâce de la bougie.

Elle marcha ainsi encore un bon moment et commençait à s'inquiéter de la longueur restante de la cire qui fondait sur sa cape – pour ne pas se brûler Lilith tenait la bougie avec un pan de sa cape de laine. Puis la flammèche vacilla sous l'effet d'un souffle imperceptible pour la jeune femme. Un souffle d'air ! Le signe qu'elle n'était plus loin d'une aération. Lilith accéléra le pas, il lui semblait qu'elle montait doucement.

Petit à petit l'obscurité se dissipait jusqu'à ce que Lilith puisse souffler la flamme de la bougie en la remerciant de sa lueur bienveillante et s'avancer à la lumière du jour. Un légère bise se fit sentir sur le visage de l'Amazone qui l'aspira avec soulagement. Au détour d'un virage du couloir, Lilith la vit : la bouche d'aération, l'ouverture vers la sortie !

Encore quelques pas, et la voilà. Une odeur d'humus et d'air frais lui emplit les narines. L'ouverture débouchait entre deux énormes rochers en surplomb du sol. Lilith grimpa au sommet du plus haut et vit la cité à un kilomètre de là. Elle était sortie. Soulagée de retrouver un espace ouvert elle s'assit sur le rocher, l'arc à la main, et attendit Lunielle et Jâani.