Faelin. Une personne jadis, une toute autre aujourd’hui.
Abandonnant sa pâleur, ses tremblements et ses pleurs, elle arbore désormais de courts cheveux aussi noirs que le plumage d’un corbeau. Parsemant sa chevelure, des reflets d’argent, héritage familial, sont toujours présents ; mais le passé est vaincu. Ses yeux bleus, vidés de leur mélancolie maladive, ont retrouvé l’éclat de leurs jeunes jours, l’éclat du ciel dégagé de ses nuages, l’éclat de la mer brillant sous le soleil d’été. Les traits de son visage sont relâchés ; son teint a recouvré ses nuances d’antan. Le blanc a fui, laissant place à une couleur plus confirmée, criant « Je vais bien ! Tout est fini ! ». Nul besoin désormais d’artifices en tout genre comme elle en avait l’habitude pour montrer au monde un visage respirant la vie. Tout rictus a désormais disparu de ses lèvres : les sourires peinent encore à étirer cette bouche, mais les sanglots se sont exilés dans les terres du passé. Les lèvres se retroussent, et l’on aperçoit ce que rarement l’on avait vu auparavant : un visage rayonnant. Désormais, le regard droit tourné vers l’avenir, la jeune femme cesse de fuir, et affronte.
Durant ses mois de retrait, Faelin n’a eu de cesse de s’entraîner. Ouvrir les yeux sur son état, sur la vie qu’elle menait, ne l’a pas poussée à la paresse, loin de là : s’entraîner, devenir meilleure, tel avait été son objectif. Chasser l’ancienne, la frêle, la faible Faelin, pour la remplacer par une jeune femme forte, déterminée, qui n’a peur de rien ni personne. Ainsi, pour se mettre à l’épreuve, veut-elle intégrer les soldats de Cydonia, où elle pourra trouver des objectifs, de la satisfaction, dégager le meilleur de son potentiel. Elle a ainsi exercé son corps autant qu’elle le put, développé ses muscles, sa souplesse, sa vitesse. Adieu les vêtements féminins qui soulignent ses délicieuses courbes féminines, adieu les coiffures complexes et lourdes en parures. Désormais, seules comptent l’efficacité, la réussite.
L’arc et le carquois au dos, la dague à la ceinture, la jeune femme est prête. Du haut d’un promontoire rocheux, elle contemple le vide, la mer de nuages, elle contemple la vie qui s’offre à elle. Le passé à grands pas s’éloigne, et il est l’heure de profiter du présent.
Faelin se transforme, elle devient une autre. Elle renait de ses cendres, prête à reprendre sa vie là où elle s’était arrêtée.

Il était une fois une jeune fille frêle, faible, pâle et impressionnable. Une jeune fille qui avait trop vécu pour son âge, chez qui la vie avait fait des ravages. Elle se contentait d’attendre le lendemain, recroquevillée sous une carapace protectrice. Elle fuyait. Aux aléas de la vie elle tentait par tous les moyens de se soustraire, sans y parvenir. Alors, elle pleurait, puis retournait se terrer dans son trou. Il était une fois, une jeune fille sans existence, qui avait vécu sans vivre, et qui avait disparu.
Une nouvelle personne était née.
Aujourd’hui, je ne suis plus celle que j’étais. Désormais, trêve d’enfantillages. Je ne comptais plus fuir ; je ne comptais plus me cacher aux yeux du monde, non. Tout ceci était fini. Aucun miracle n’était survenu, je ne m’étais pas transformée en quelqu’un d’autre. Mais j’avais désormais réalisé que la vie n’attendait que moi ; que les barrières qui se dressaient face à moi n’étaient érigées que par mes propres angoisses.
Un déclic. Une illumination venue de nulle part. Voilà ce qu’il m’avait fallu pour me relever. Le soleil avait posé ses rayons sur moi et m’avait dit : « Marche. » Alors je m’étais levée, et j’avais enfin pris la décision d’avancer. J’étais désormais dotée d’un flegmatisme à toute épreuve. Disparus, ma faiblesse, mes larmes, mes remords. Il me fallait avancer. Il me fallait vivre, désormais. La vie me tendait les bras, pourquoi refuser de la saisir ? Une lueur d’espoir flamboyait en moi, et je m’accrochai désespérément à elle. Je n’avais que trop attendu, il était temps pour moi de quitter le nid sécurisant du passé pour faire un pas dans l’inconnu.
Intrépide ? Aventureuse ? Ces mots ne me correspondaient pas. Toutefois, un goût pour l’aventure m’avait saisie. J’avais passé tant d’années repliée sur moi-même, et ce déclic avait dégagé de mes peurs un sourd désir de combler cette existence vide de sens.
Il était temps.

Un beau jour, je partis. Un beau jour, aussi soudainement que m’était venue cette idée folle, je choisis de m’en aller, laissant tout derrière moi. Je fermai la porte de chez moi, et laissant la vie que je n’avais plus le courage d’affronter en l’état, je partis. A peine harnachée, ma jument partit au galop sur les routes poussiéreuses, tandis que s’éloignait derrière moi ma cité natale, ma belle Cydonia. Je ne lui jetai pas un regard. Lorsque j’entrai dans les bois touffus et épais, enfin je me retournai, mais la cité avait déjà disparu derrière les feuillages épais des chênes.
Nous chevauchâmes toute la nuit durant. Les heures avaient défilé, le soleil avait fait sa révolution, et je n’avais plus conscience du temps. Les heures s’égrenaient comme des minutes, et lorsque je fus sûre d’être assez loin de mon chez moi, j’avais perdu mes repères temporels.

- « Qu’importe. Au moins suis-je assez loin. »

En effet, c’était tout ce que je recherchais : de la distance. Un endroit au calme pour réfléchir à tout ceci, quelque part qui me permettrait une réflexion objective. C’est ainsi que je pris conscience de la réalité.

Je ne sais combien de jours j’ai passés ainsi, allongée dans l’herbe, les yeux plongés dans le bleu vibrant du ciel. Alors que mes prunelles suivaient du regard la course infinie des nuages cotonneux, mes pensées vagabondaient au hasard, s’organisaient, se désorganisaient, pour prendre une forme nouvelle. Et plus les heures défilaient, et plus je réalisais la futilité de ma vie jusqu’alors.

- « Une vie vouée à la vengeance ? Passée à se morfondre sur les évènements ? Etait-ce vraiment une vie que j’ai vécue jusqu’à présent ? » pensais-je tout haut.

Jusqu’alors, j’étais faible. J’étais une jeune femme qui passait son temps à subir la vie, à se plaindre de ses maux. Il est vrai, je jugeai ma vie avec une sévérité prise, à tort, pour une sagacité nouvelle. Mais cette rigueur imposée à moi-même ne précipita que plus mes réflexions.

- « Mon quotidien n’était que fuite. Quel comportement lâche … »

Voilà ce que suscitait ma soudaine prise de conscience. Certes, mes mots étaient crus, mais c’était ceux qui venaient frapper aux portes de mon esprit lorsque le passé me revenait en mémoire. Mais maintenant, je le savais. Maintenant, je m’en étais rendue compte. Désormais, je n’étais plus étrangère à moi-même. Désormais, j’allais changer.
Je me redressai, remis en place quelques mèches anarchiques de ma chevelure, et me levai. A présent, je me dressais face à l’avenir. La bise caressa ma peau, me faisant frémir, mais je ne sourcillai pas : je contemplai le soleil achever sa course, et alors qu’il disparaissait derrière des monts lointains, je lui fis une promesse muette.
Celle de révoquer mes peurs infantiles, et de me battre. Lutter contre mes faiblesses, abandonner ma candeur, oublier mon cœur meurtri, et vivre. Tel était le serment dont le soleil fut témoin. La nuit tomba, réveillant en moi une tendre amertume.