[FH] Ces lourds secrets que jamais je ne pourrais t'avouer (pv Jelenna) (fini)

Le soleil ne se lèverait pas avant deux voire trois bonnes heures et pourtant, le jeune homme était déjà réveillé depuis un bon moment. Sur le qui-vive, il sentait monter en lui une tension inexplicable qu'il ne parvenait pas à contrôler. Il lui avait fallu plusieurs minutes pour comprendre que personne n'était dans la pièce en dehors de la princesse et de lui. Il étendit son Esprit, doucement pour ne pas réveiller Jelenna qui dormait à ses côtés, et comprit que les petites sœurs de sa compagne dormaient paisiblement, il en était de même pour Lùkhas même si les rêves de ce dernier semblaient relativement agités. Les Amazones de garde étaient en poste, d'autres se levaient dans la cité pour vaquer à leurs occupations. Non, décidément, rien ne semblait anormal et l'Almer soupira de s'être encore réveillé pour rien. Il tourna alors son regard vers la jeune princesse endormie à ses côtés et ne put s'empêcher de sourire. Jelenna était magnifique lorsqu'elle dormait. Elle avait ce petit sourire qui étirait ses lèvres et certaines mèches lui barraient le front, retombant en douceur le long de son cou. Le métisse passa ses doigts dans les cheveux de sa belle et repoussa en douceur les mèches pour les repasser derrière ses oreilles. Il avait craint de la réveiller mais l'Amazone dormait à poings fermés, visiblement exténuée. La tension de ces derniers jours planait encore autour d'elle et il songea bien malgré lui que ce serait le cas pendant encore longtemps.

Les temps étaient durs, depuis la disparition de Philéa et de Jacen, les parents de la petite famille royale Amazone, Jelenna avait pris sur elle l'ensemble des responsabilités qui pesaient normalement sur les épaules d'Eléa, son aînée. Elle incarnait ainsi la souveraine par intérim de cette cité, la mère de l'héritière plus que sa tante, celle de ses jeunes frère et sœurs, Jelenna était partout à la fois et cela pesait sur sa santé bien qu'elle ne le dévoila à personne. Pour qu'elle lui ai demandé de la prendre dans ses bras avant de s'endormir, c'était qu'elle se sentait vraiment fragilisée pour autant, Aerin s'était exécuté. Il savait que la demoiselle tentait plus que tout de le protéger. Elle évitait de le toucher, de l'embrasser ou de lui réclamer des marques d'affection bien que tout son être en réclame ostensiblement. L'Elfe en souffrait mais comprenait également son choix. En sauvant Muria, Jel' avait renoncé à sa fertilité et elle croyait dur comme fer que ce genre de « relations » pouvaient attrister sa déesse. En réalité, tout cela n'était que façade, Diane elle même s'en foutait, il en aurait mis sa main au feu sinon pourquoi se réveiller maintenant ? Plus que tout, Jelenna ne voulait pas qu'il souffre de ne jamais pouvoir avoir d'enfant car elle-même en souffrait énormément. Ils n'en avaient jamais parlé mais Aerin le sentait.

Une nouvelle vague de tension interrompit le cours de ses pensées. Isis, allongée dans le fond de la chambre, soupira à son tour, comme si elle percevait le trouble qui régnait dans la pièce. Ce fut à cet instant que le jeune homme comprit de qui il provenait. C'était idiot, il avait sondé chaque âme du palais pour finalement en oublier la principale ! Jelenna cauchemardait ou du moins, elle rêvait de quelque chose qui la faisait souffrir au point que sa tristesse et sa peine aient réveillée Aerin. Il se sentait tellement stupide de ne pas l'avoir compris qu'il se serrait volontiers donné des claques! Il observa à nouveau le visage de sa douce et vit qu'elle respirait plus rapidement, que son front était perlé de sueur et que son sourire s'était éteint. Sans hésiter une seconde de plus, il passa son bras sous le corps de la princesse et posa sa main libre sur sa joue, la caressant en douceur. Il remonta ensuite dans les cheveux détachés de Jelenna. Il savait que la réincarnation s'apaisait lorsque son père lui passait les mains dans les cheveux. Il lui semblait même que l'ancien fiancé de sa sœur aîné faisait de même, quoi qu'il en soit, il savait qu'elle adorait ce geste et qu'il avait de grandes répercussions sur son moral. Il sentit le corps de la jeune fille se détendre et il ferma les yeux, tentant à son tour de l'apaiser par des ondes douces et chaleureuses. Il sursauta presque lorsqu'une petite voix s'éleva timidement.

« Je suis désolée, je t'ai encore réveillé ? »

Attendri par la voix comme par le visage désolé de sa compagne, le gardien déposa un baiser sur son front et répondit avec toute la douceur dont il était capable malgré son inquiétude.

« Je ne dormais pas, ne t'inquiète pas. Depuis combien de temps es-tu réveillée ? » il repoussa une mèche de ses cheveux et ajouta « Tu faisais un cauchemar ? »

Je ne serais jamais mère.

L'évidence était tombée comme un couperet sur ma jeune existence. Pour sauver les miens, je devais me sacrifier, offrir aux dieux, quels qu'ils soient, ce que j'avais de plus précieux en mon être, la fécondité, ce pouvoir merveilleux offert aux femmes que de donner la vie. Malgré mon jeune âge, j'étais tout à fait consciente de mon désir d'un jour enfanter. D'un jour donner la vie et offrir à un être innocent le don de lumière et d'espoir. Je sentais au fond de moi cette chaleur presque réelle et humaine de l'enfant qu'on m'enlevait et qui jamais ne verrait le jour. Cet être que je ne rencontrerais jamais et qui jamais, ne me connaîtrait.

J'ai toujours voulu être mère.

J'ai toujours senti ce besoin de transmettre la vie. Une évidence, un souhait et une déchirure. Je savais au fond de moi que j'avais ce désir. Aurais-je été une bonne mère ? Aurais-je su protéger mon enfant ? Je ne pouvais savoir par avance les réponses mais j'étais capable de sentir en moi le besoin irrépressible de donner la vie. Je voulais que cet enfant grandisse, le sentir à l'intérieur de moi pour le prendre dans mes bras ensuite. Le protéger de l'orage, sécher ses larmes de pluie et embrasser son front pour le rassurer.

J'étais amour et compassion.
Je suis devenue vide et néant.

Il n'y a plus rien, rien que ce choix horrible qui se dresse devant moi. Offrir la vie que j'aurais pu porter pour sauver celles de mes Sœurs restées dans la cité. Dois-je les sacrifier pour cet enfant à venir, ce destin incertain et cet avenir rêvé ? Je ne peux mettre en balance la vie de ces femmes avec la mienne. Ombre et lumière. Vie et mort. Je porte en moi le destin de tout un peuple, de toute une cité, comme je porte le fruit d'un amour à venir. Des larmes roulent sur mes joues tandis que mon cœur s'ouvre à la réponse que ma tête déjà, a formulé.

La vie prévaut.
La leur à la mienne. Le présent à l'avenir.

Je ne peux pas leur demander un sacrifice de plus. Le sang des Amazones coule en moi, chacune d'elles compte sur moi et c'est à moi et à moi seule que ce choix posé. Le Titan ne s'adresse à personne d'autre qu'à moi. Il ne teste personne d'autre que moi. Je suis sa proie. Moi. Moi et moi seule. Jelenna, deuxième fille de Philéa Ryran, reine Amazone. Je ne peux mettre leur vie dans la balance.

Mon cœur a déjà la réponse.
Je veux être mère.
Je veux donner la vie.
Je veux le voir grandir. Sourire. Jouer. S'épanouir. Vivre.
Je vous offre mon présent.
Je vous confie son avenir.

Je ne serais jamais mère.

Cette certitude s'était insinuée dans la plus profonde fibre de son corps et lorsque les nuits se faisaient agitées, Jelenna ne pouvait s'empêcher de revivre ce moment, celui où, dans une seconde elle offrirait de cet enfant qu'elle n'aurait jamais pour sauver sa chère cité. Le titan lui avait offert la reddition contre sa fécondité et elle n'avait hésité qu'une fraction de secondes qui lui avaient paru une éternité. Cette poignée de secondes où son destin avait basculé. Lorsque ses parents, sa sœur aînée et le reste de ses amis l'avaient appris, ils avaient loué son courage et vanté sa bravoure même s'ils ne s'étaient pas gênés pour la blâmer également de son sacrifice. Eléa aurait donné sa vie s'il l'avait fallu et Philéa sa fécondité mais la petite princesse bis savait pourquoi le Titan le lui avait demandé à elle et à elle seule. Pour sauver Muria, il fallait un sacrifice suffisant. Eléa n'avait que faire de sa vie ou du reste, quant à Philéa, elle avait déjà sept enfants, ce n'était donc pas un sacrifice mais une libération à ses yeux que de ne plus pouvoir en avoir. Chaque femme dans cette cité avait une raison de se libérer de ce poids tandis qu'elle, jeune fille de onze ans, n'en avait aucune. Le monstre avait testé sa fidélité envers Muria et seule l'âme de Diane à ses côtés avait pu la protéger de la folie.

Pourtant, ces nuits-là, Jelenna rêvait. Elle cauchemardait de ce terrible instant où sa vie avait basculé. Où son monde, lumineux et pleins d'espoirs à réaliser était devenu morne. Car la demoiselle se souvenait du regard d'Aerin ce jour-là. Compatissant, doux, terriblement doux mais tellement triste. Une douleur insondable était née dans le cœur de son compagnon et avait achevé de créer un trou béant dans la poitrine de la belle. Ces nuits-là, Jelenna les sentait presque arriver et ce soir en particulier, éprouvée et fatiguée, elle avait senti le besoin d'avoir Aerin à ses côtés. Depuis ce jour et avec les années qui avaient suivi, la jeune Amazone n'avait pas voulu le blesser davantage. Elle savait que leur passion était bénie des dieux ou plutôt, de Diane, mais elle savait aussi qu'Aerin avait besoin de ce qu'elle ne pourrait jamais lui offrir.

Un enfant.

Jelenna sentait au fond du cœur de son amant qu'il désirait devenir père et que jamais, elle ne pourrait combler ce bonheur. Elle avait préféré sa cité et la vie de ses Sœurs et ne pouvait pas le regretter aujourd'hui. Blottie dans les bras de l'Almer, la Régente ne parvenait pas à trouver le sommeil. Ses songes demeuraient immatériels et, lorsque le titan obtenait sa réponse, elle ressentait la douleur, la solitude, le froid et la perte de l'être arraché une nouvelle fois pour se réveiller en sueur. Toujours le même rêve. Toujours le même réveil. Toujours la même sensation de froid. La main du gardien la culpabilisa, ainsi, elle l'avait encore réveillé. Plus que tout, Jel' se sentait coupable de lui avoir demandé de rester alors qu'elle tentait de s'en détacher, de le laisser reprendre une liberté amplement mérité. Le métisse avait souffert toute sa vie, elle ne pouvait pas égoïstement lui demander un nouveau sacrifice.

« Je suis désolée, je t'ai encore réveillé »

Jelenna se sentait coupable. Plus que tout, elle se sentait odieuse de toujours compter sur lui, de toujours avoir besoin de lui sans jamais pouvoir lui offrir quoi que ce soit en retour que son amour et sa loyauté. Ne se sentait-il pas lésé ? Ne lui en voulait-il pas ? Son cœur le trahissait parfois mais il se reprenait si vite et était devenu si habile dans l'art de lui cacher ses sentiments que la jeune femme ne savait plus vraiment où elle en était. La voix de son compagnon et la caresse de ses doigts dans ses cheveux la ramenèrent à la réalité une nouvelle fois.

« Pas longtemps, je te rassure »elle tenta de sourire mais le regard pénétrant de son compagnon la dissuada de mentir.

Elle avait passé les derniers mois, non, les dernières années à lui mentir. A nouveau Jelenna croisa son regard. Doux, interrogateur, inquiet, terriblement amoureux. Ce regard et cet homme qu'elle avait toujours aimé. Qu'elle aimait cruellement mais qu'elle ne pouvait pas s'accaparer. Dans un soupir, presque dans un murmure, Jelenna demanda alors

« Tu ne m'en veux vraiment pas ? »

Le jeune métisse sentait que quelque chose faisait souffrir sa belle demoiselle. Pourtant, il avait beau essayer de comprendre ce qui la tracassait, il ne parvenait pas à saisir ce qui lui étreignait le cœur si bien qu'il était contraint d'attendre qu'elle se livre d'elle-même et autant dire que ce n'était pas vraiment dans la nature de sa compagne. Aussi douce qu'elle soit, Jelenna était quelqu'un de secret, qui tergiversait la plupart du temps pour partager ses tracas. Elle était capable de porter la misère du monde sur ses épaules sans rechigner et sans jamais se plaindre, ne cherchant que le meilleur pour chacun, mais quand il s'agissait de sa propre personne, la princesse Régente demeurait une enfant, perdue et incapable de s'ouvrir sans avoir peur de blesser l'autre. Avec tendresse, il se contentait d'accepter ce trait de caractère. Il tentait de l'épauler de son mieux et de l'accompagner dans chacune de ses décisions. Ces derniers temps, quelque chose la réveillait en sursaut la nuit et force était de constater que cela n'avait rien à voir avec la mort de ses parents. Jelenna lui avait soufflé quelque chose du genre mais il sentait qu'elle lui mentait. S'il était blessé qu'elle se sente encore obligée d'agir ainsi pour le protéger, il préférait ne pas ajouter à sa tristesse et à son trouble. Pourtant ce soir, il avait l'impression qu'elle avait besoin de lui, qu'elle devait se confier sous peine de sombrer définitivement. Jelenna pouvait paraître forte, rassurante et extrêmement douce. A n'en point douter, elle avait réellement ces qualités mais il existait chez elle un gouffre qui ne tendait aujourd'hui qu'à se briser sous ses pieds. Plus les années passaient, plus la princesse avait tendance à laisser ces brisures devenir de véritables plaies béantes.

Sa voix était faible et il espérait que la tendresse non feinte dont il faisait preuve suffirait à calmer les émotions de sa belle. Il était perturbé lui-même de ne pas pouvoir faire plus pour celle qui partageait son cœur et sa vie. Le métisse lui avait offert son existence toute entière aussi ne comprenait-il pas vraiment cette réserve qu'il ressentait chez la prêtresse. La religion n'avait rien à voir avec ses humeurs et avec cette distance qu'elle lui imposait, il y avait sous ses agissements quelque chose de sous-jacent et quelque chose lui soufflait qu'elle allait enfin s'ouvrir à lui ce matin. Il remarqua la pointe de culpabilité qui émanait d'elle et cela le perturba à nouveau. Qu'est ce qui pouvait bien la triturer à ce point ? Il avait beau réfléchir, il ne parvenait pas à mettre le doigt sur ce qu'elle pouvait ressentir vraiment, sur ce qui la tracassait depuis tant de nuits ! Il aurait tellement avoir les dons de son père, suffisamment puissants pour découvrir tout cela et pourtant, il avait l'impression que s'il la pressait, quelque chose de plus allait se briser. Plus que tout, Aerin avait peur de la briser elle. Fragile, Jelenna était sur le point de sombrer, il le sentait au fond de lui, à chaque fois que son regard croisait le sien, il voyait l'ombre qui voilait ses yeux pourtant si heureux par le passé. Les adversités, l'Amazone les avaient toutes surmontées avec courage et fierté mais ce qui la grignotait depuis quelques mois semblait la dévorer littéralement. Si la jeune femme y faisait face, cela ne lui permettait plus aujourd'hui de trouver la paix dans son sommeil ce qui ne manquait pas de l'inquiéter. Il posa sur elle un regard certes plein de tendresse mais également inquiet et déterminé. Il fallait crever l’abcès sans quoi la jeune femme risquait de se briser et il n'était pas question. Il entendit à peine sa question.

Incompréhension.
C'était clairement le maître mot de la situation. Il la regarda, étonnée, tandis qu'elle fuyait son regard et qu'elle fermait doucement mais fermement son Esprit. Aerin ne comprenait pas, il essaya d'esquisser une réponse mais rien ne lui venait à l'esprit et le comportement de son aimée ne l'aidait en rien. Il ne comprenait pas du tout sa question, de quoi pourrait-il lui en vouloir ? De l'avoir mené ici à ses côtés ? N'avait-il pas prouvé qu'il était heureux à ses côtés et que cela lui suffisait ?

« Je n'ai jamais regretté de te suivre ... »

Le métisse se rendit compte en prononçant ces quelques mots que ce n'était pas ce qu'elle attendait. Jelenna referma violemment son Esprit, comme si elle avait voulu fermer la porte délicatement mais que le mouvement lui avait échappé. Sans comprendre ce qu'il avait déclenché, l'Almer posa un regard inquiet sur son interlocutrice et déposa à nouveau un baiser sur son front avant de relever son visage avec sa main libre, en douceur mais avec suffisamment de fermeté pour la forcer à le regarder en face.

« Je regrette juste que tu me caches des choses. Ne me ferme pas ton Esprit. » alors qu'elle s'entêtait et se refusait à lui répondre, il ajouta, plus fermement que jamais « Je n'hésiterais pas à forcer la porte Jel' si ça me permets de comprendre ce qu'il se passe. De quoi voudrais-tu que je t'en veuille ? Je n'ai jamais regretté d'être à tes côtés. »

Il l'aimait.
Il l'aimait à en crever pour elle. Il aurait volontiers offert sa vie pour la protéger. Il l'avait fait lorsque sa déesse lui avait ordonné de la tuer. Il avait refusé, se juchant face à celle qui aurait pu le terrasser d'un simple mouvement de doigts. Au lieu de quoi,Ilith s'en était allée, le laissant seul avec ses doutes et en proie à son destin. Jelenna avait été là, une fois encore, pour panser ses plaies, pour calmer ses angoisses. A son tour, il était venue à son secours quand elle en avait besoin. L'Elfe aurait donné n'importe quoi pour comprendre. Il l'embrassa avant d'ajouter :

« Je n'ai besoin que de toi Jelenna. »

« Les mots sont des armes » lui avait un jour dit sa mère mais en cet instant, il comprenait à quel point elle était loin de la réalité. Si les mots pouvaient être des armes, ils étaient également un merveilleux remède. Chaque mot, chaque parole qui sortait de sa bouche, le Gardien les pensaient, non parce qu'il était censé la protéger au péril de sa vie selon ses vœux mais bel et bien parce qu'il l'aimait.

« Est ce que tu m'aimeras toujours quand tu sauras ? »
« Est ce que je te mérite vraiment ? »
« Est ce que j'ai vraiment le droit de profiter de toi ? De ta gentillesse ? »
« Aerin … est ce que j'ai le droit de t'aimer ? »

Ces questions tournaient en boucle dans la tête de la petite princesse qui, malgré ses efforts, ne parviendrait pas à repousser éternellement les larmes qui tentaient de rouler sur ses joues comme la mer lèche les galets de la plage en été. Fatiguée, l'esprit embué, l'enfant qu'elle était encore tentait de se débattre dans ce méandre de sentiments. Avait-elle vraiment le droit de l'aimer, de profiter de lui sans jamais lui avouer ce qui pesait sur son cœur ? Quel avenir serait-elle en mesure de lui offrir une fois révélé son plus lourd secret ? Aerin serait malheureux à ses côtés, à jamais, il serait comme une âme en peine, à devoir veiller sur elle, lui rendre son amour mais ne jamais pouvoir donner la vie et transmettre son savoir. Depuis des années maintenant, Jelenna observait celui que tous qualifiaient d'homme de sa vie et depuis longtemps déjà, elle avait conscience de son désir le plus simple. Le métisse désirait une famille, comme celle que les livres offrent aux enfants pour les rassurer avant de s'endormir le soir. Un père, une mère, des frères et sœurs aimant qui veillent les uns sur les autres. Tout ce qu'enfant, il n'avait pas eu la chance de connaître, du moins pas exactement comme dans les ouvrages pour bambins innocents. Son père et sa mère l'aimaient, ses deux sœurs également mais le destin s'était joué de lui tant de fois qu'elle ne pouvait que trop bien comprendre son besoin d'être père. A le voir avec Lukhàs, il ne faisait aucun doute que l'idée commençait à faire son chemin.

Que pouvait-elle lui offrir dans ce cas, elle qui, pour sa cité, avait sacrifié le pire ?

La tendresse d'Aerin était son plus intime cadeau et la pire des épines dans le cœur de la demoiselle. Déchirée entre ses sentiments, elle ne se sentait pas d'y répondre. De quel droit pouvait-elle se l’accaparer quand le monde s'offrait à lui ? Il y avait tant de belles femmes tellement plus intelligentes, plus douces, plus... fertiles. Sans haine et sans reproche, Jelenna les avaient vu tourner autour de l'Almer et elle ne pouvait que les comprendre. Attirant, bienveillant envers son prochain et d'une maladresse maladive, le gardien était un parfait mélange de ce qu'une femme attendait, peut être même encore plus dans cette cité où la plupart avaient été un jour blessée par la main ou les mots d'un homme. Aerin comprenait les femmes, il sentait leur détresse et, à sa façon, y répondait. La voix de son amant brisa un silence trop lourd à porter pour les frêles épaules de la jeune femme.

Depuis combien de temps lui mentait-elle ?
Trop longtemps. En fait, elle n'avait jamais été capable de s'ouvrir et d'avouer ce qu'il s'était passé à qui que ce soit. La vérité qu'elle avait servie n'était jamais que partielle. Enfermée au fond de son âme, elle n'avait été qu'une gamine qui abandonnait quelque chose d'abstrait. Certes, même enfant, elle avait senti l'importance de son don mais elle n'avait pas hésité une seule seconde. Aujourd'hui encore, elle n'hésiterait pas. Muria était et demeurait le plus important, la cité devait survivre, pour toutes ces femmes qui cherchaient un havre de paix, et son sacrifice n'en était un que pour permettre à ses Sœurs de continuer à vivre en toute insouciance. N'auraient-elles pas fait de même si elles avaient été dans sa situation ? Elle était la Clé, autant pour Azael que pour sa cité natale. Mais avait-elle seulement pensé à lui une seconde ?

« Je n'ai même pas pensé à toi … je »

Ses mots l'apaisaient et l'angoissaient tout à la fois. Sa douceur, son amour étaient un baume comme le fer qui ouvrait la plaie, inlassablement. En réalité, seul son mensonge ouvrait la plaie, tel le sel sur les brûlures. Sans en avoir réellement conscience, la princesse avait fermé son Esprit à celui qu'elle estimait le plus et cela le blessait. La peur qu'il découvre ce qui la terrorisait lui faisait faire des choses si impensables dans son état normal. Le secret était trop lourd. Son visage était trop près … Elle l'aimait. De toute son âme, le jour même où elle avait posé les yeux sur lui dans ce songe si étrange. Elle avait su ce soir-là qu'il était son âme sœur, qu'ils seraient à jamais liés par le destin. Au fond d'elle, Jelenna avait compris qu'en lui tendant la main au travers du rêve, ils seraient à jamais ensemble de par le monde. Incapables d'être séparés, ils étaient comme deux âmes en perdition loin l'un de l'autre. Pourtant, c'était sans hésiter qu'elle lui avait tendu la main …

Sans hésiter.
Là encore. Elle avait fait le choix de l'emmener. De l'avoir à ses côtés et, sans hésiter, il avait décidé de la suivre. Ces mots n'étaient pas faux, ils reflétaient l'âme pure et bienveillance de son amant. Il était temps désormais de lui avouer la vérité car, si le destin les séparaient, la Régente aurait toujours ces souvenirs et le cœur rassuré de le savoir heureux, y compris loin d'elle.

« Je n'ai besoin que de toi Jelenna »

Savait-il que sa propre sœur avait prononcé les mêmes mots avant de partir ? Jelenna sourit et des larmes roulèrent sur ses joues, enfin libres. Elle les oublia, le cœur battant, comprenant qu'elle allait certainement briser quelque chose. Peu importait, son père lui avait appris que le mensonge n'engendrait que la douleur, seule la vérité la libérerait et ce, même si cela devait signifier qu'il parte.

« Je n'ai besoin que de toi Aerin ... » d'un geste doux, elle l'embrassa tendrement et, cette fois, senti sa force jaillir en elle, de tous, il était celui qui avait le droit de savoir, son ami, son confident, son âme sœur, « Je suis désolée. J'ai menti à tout le monde, toi le premier lorsque je me suis rendue là-bas... Je … je n'ai pas offert mon sang pour refermer la faille. » ne pas flancher, ne pas s'échapper une nouvelle fois, Jelenna plongea son regard dans celui du métisse et enfin, avoua ce qui avait été son plus lourd secret depuis tant d'années « Je lui ai offert mon futur. Notre futur. »

La belle affronta son regard, le cœur battant à tout rompre, attendant qu'il s'énerve, qu'il la repousse ou qu'il … peu importe en réalité, mais qu'il réagisse.

« Je ne pourrais jamais t'offrir ce que ton cœur désire le plus ... » lâcha-t-elle avec un sourire dégoûté.

Il savait désormais. Sans se sentir soulagée, Jelenna se sentait à tout le moins plus légère. Ce secret avait été trop lourd à porter au fur et à mesure qu'ils grandissaient ensemble et que les désirs du premiers devenaient les douleurs de l'autre. Désormais, elle lui rendait son futur, elle cessait de dessiner pour lui un destin sans descendance. Il était libre car elle venait d'ouvrir la cage.

Aerin sentait que sa compagne n'allait pas bien et ce qui le rendait fou, c'était de savoir qu'il ne pouvait pas du tout l'aider. Elle lui refusait l'accès à cette partie de ses souvenirs qu'il sentait lui creuser l'estomac et lui ronger le cœur. Il avait beau tout partager avec elle, il sentait que ce n'était pas réciproque. Jelenna n'avait-elle pas assez confiance en lui pour se confier et se livrer totalement à lui ? Le métisse pensait la connaître suffisamment bien pour deviner que là n'était pas la question, que le problème était bien plus profond, bien plus ancré en elle au point qu'elle ne pouvait plus ni l'oublier, ni s'en défaire et pour autant, elle demeurait incapable de le partager. L'Amazone avait toujours eu l'habitude de se confier à sa grande sœur, ou au gardien, mais depuis le départ de cette dernière, elle n'était plus la petite protégée mais bel et bien celle qui devait protéger. L'inversion des rôles, les responsabilités qui pesaient désormais sur ses épaules, tout cela faisait d'elle une Régente avant d'être « Jelenna Ryran », la petite fille aux boucles blondes et au regard si naïf et tendre qu'on ne pouvait que l'aimer.

L'Almer l'avait aimée au premier regard, la première fois. Un rêve certes, mais qui était devenu réalité lorsqu'enfin, ils s'étaient rencontrés. Il avait mis du temps à comprendre, puis à se l'avouer et enfin, à l'accepter. Aimer une femme autre que sa mère, plus encore même que Celyween d'ailleurs, avait été un choc. L'adolescent l'avait ressenti comme une trahison et plus encore lorsqu'il avait compris la place grandissante que la princesse prenait dans son cœur. Cette place qui jusque là n'avait toujours appartenu qu'à sa mère était désormais dévolue en grande partie à sa précieuse amie. Pourtant, son père lui avait expliqué qu'il était normal de grandir, d'aimer, et que cela ne lui ferait pas oublier sa mère. Une fois ce pas franchi, il s'était juré de veiller sur sa belle demoiselle et de toujours la protéger. Il n'avait pas hésité à se dresser contre un dieu pour elle et n'hésiterait pas non plus à donner sa vie si cela lui offrait quelques minutes de répits en plus. Dernièrement, il en était venu à vivre à Muria, dans cette cité où les hommes n'étaient rien de plus que des chiens à peine plus dressés. Peu importait, tout cela, il l'avait fait pour elle ! Parce qu'il l'aimait et qu'il ne remettrait jamais cela en doutes. L'inquiétude le rongeait au point qu'il avait envie d'exploser et pourtant, il savait que seule sa présence et son calme l'aiderait à s'ouvrir. Un sourire tendre naquit sur ses lèvres et il ne put s'empêcher de déposer un baiser sur son front. La princesse reprit la parole et il ne comprit pas où elle voulait en venir. Ne pas penser à lui ? C'était à n'y rien comprendre !

« Jel je ne comprends pas … ma belle, qu'est ce qui se passe ? »

Il ne comprenait pas du tout. Que voulait-elle dire par là ? Tout se chamboulait dans sa tête et il dut prendre sur lui-même pour ne pas exploser. La pression spirituelle qu'elle exerçait sans le vouloir sur son Esprit était difficile à maîtriser mais il se refusait pour autant à lui en fermer l'accès. Il patienta avec difficulté en faisant autant que possible le vide dans son esprit. L'Elfe savait que ses mots apaisait la jeune fille, tel un baume, ils suffisaient la plupart du temps à éloigner ses doutes et ses peurs. Sa révélation lui fit manquer un battement. Il était plutôt rare que Jelenna se confie sur ses sentiments et les expriment clairement à haute voix. Pourtant, la suite ne présageait rien de bon … L'homme l'écouta sans broncher, la serrant dans ses bras pour la rassurer jusqu'à ce que chaque mot qu'elle avait prononcé lui revienne en mémoire et qu'il en saisisse le sens. Chaque mot s'insinua dans son esprit et il eut un mouvement de recul. Il ne put s'empêcher de se sentir mal et il se rendit compte qu'elle pleurait qu'après avoir réagi.

« Tu … lui as offert quoi ? »

Les mots peinaient à sortir avec calme aussi se leva-t-il sèchement et fit-il les cent pas dans la chambre. Il avait du mal comprendre. Son avenir, ça pouvait être n'importe quoi n'est ce pas ? Aerin avait beau y réfléchir, il ne voyait qu'une chose. Elle n'avait pas pu … lui mentir sur CA !

« Tu lui as offert NOTRE futur ? Non attends … Comment peux-tu savoir ce que mon cœur désire quand tu m'as mentis pendant tout ce temps ? Jelenna, tu … »

Il ne parvenait pas à se calmer, il ne comprenait pas pourquoi elle lui avait menti tout ce temps. Il lui en voulait, plus que tout, de lui avoir menti. Comment avait-elle pu penser une seconde qu'il lui en voudrait pour son sacrifice ? Il ne le supportait pas certes, mais il supportait encore moins de l'apprendre comme ça. Après tout ce temps. Il ne le supportait pas et ça le mettait en colère. Il ne savait pas comment il devait réagir. Il ne savait pas comment il devait prendre tout ça. Aerin tenta de se calmer et, voyant la détresse de sa compagne, il se sentit d'autant plus coupable.

« Jelenna, pourquoi ? Pourquoi tu m'as menti ? Je … Je ne comprends pas. Pourquoi me le dire maintenant ? Tu n'as jamais eu assez confiance en moi pour me le dire avant ? »

Il ne savait pas où il en était, s'il était en colère contre elle, contre lui. Aerin était perdu. Alors que tout semblait si bien dans sa vie, voilà qu'elle s'effondrait à nouveau. Le métisse plongea son regard dans celui de la princesse et ne put s'empêcher de prendre un ton accusateur alors qu'il la voyait si triste, si seule :

« Pourquoi tu ne m'as rien dit ? »

Il s'en foutait des enfants, ce qui lui faisait le plus mal, c'était qu'elle lui avait menti. Plus encore, qu'elle n'avait pas eu suffisamment confiance en lui pour lui avouer le sacrifice qu'elle avait du consentir. Certes, il lui en voulait d'avoir offert leur avenir à cet imbécile de titan mais il la détestait surtout de lui avoir menti tout ce temps. Le fait de ne jamais être père n'était que partiellement présent dans son esprit. Il était jeune et pour l'instant, cette information ne faisait pas son chemin dans sa tête. Il ne s'agissait que de quelque chose de secondaire. S'il avait certes rêvé avoir des enfants avec elle, il pouvait tout aussi bien accepter de ne pas en avoir si ça lui permettait de rester à ses côtés, voilà ce que lui susurraient ses pensées à l'heure actuelle. Non, la vraie raison de sa colère était le mensonge. Il se sentait totalement incapable de lui pardonner ça et surtout, il ne comprenait pas ce qui avait pu la pousser à croire qu'il n'était pas prêt à faire ce sacrifice avec elle, à l'accompagner et l'épauler. Combien de temps avait-elle souffert de son désir d'avoir des enfants sans le lui avouer ? Quelle situation stupide !

Perdu, déboussolé, il la regarda fondre en larmes.
Son cœur se serra mais pour autant, il ne bougea pas, incapable d'esquisser un mouvement vers elle. Il l'aimait, mais pas assez pour lui pardonner. Pas encore. Il voulait comprendre.
En fait, il ne savait même pas ce qu'il voulait.
Il était perdu et une fois encore, elle était la seule à avoir les clés.

Elle avait enfin avoué ce qu'elle avait sur le cœur depuis tant d'années.
Mentir n'avait jamais été simple, surtout à celui qu'elle aimait. Petit à petit, le poids de ses mensonges était devenu bien trop important et, pour le protéger, la jeune femme avait pris la décision de s'éloigner de lui. Jelenna avait pensé sincèrement que ce comportement était le plus approprié pour protéger celui qu'elle aimait le plus. Aerin était l'homme de sa vie, elle n'en avait jamais douté, et la jeune femme était prête à tout pour qu'il soit heureux. Si cela devait passer par leur séparation, elle avait eu du mal à l'accepter mais aujourd'hui, elle était capable de le concevoir. Tant que le gardien était heureux, en bonne santé et en sécurité, alors elle pouvait être en paix et heureuse à son tour, même seule. Sauf que ce qu'elle pensait n'était pas la réalité. Son comportement avait attristé et inquiété le jeune homme et finalement, sa culpabilité n'en avait été que décuplée. Sa voix, ses caresses, sa douceur et sa compassion étaient des baumes bien plus puissants qu'il ne s'en doutait et pourtant, elle se sentait tellement coupable. Lui annoncer tout cela, lui avouer son mensonge soulevait tant de questions …

Jelenna ne put empêcher les larmes de rouler sur ses joues. Elle était bien incapable de se contrôler et n'en avait même pas envie. Elle avait tellement menti, sachant pertinemment qu'il n'en sortirait rien de bon. Par expérience, elle avait vu ce qu'un mensonge, même protecteur, pouvait briser lorsqu'il était révélé. Combien d'années Eléa en avait-elle voulu à leurs parents, et plus encore à Philéa, de lui avoir menti ? La Régente savait très bien le mal qu'elle le ferait si jamais ils apprenaient la vérité mais elle préférait ce mensonge à la dureté de la réalité. A peine adolescente, cette situation lui avait paru bien plus protectrice que de dire la vérité. Elle connaissait sa grande sœur par cœur, elle savait qu'en lui disant ce qu'elle avait sacrifié pour sauver Muria, Eléa s'en voudrait et en voudrait à la terre entière. Aerin s'inquiéterait et, sans doutes malgré tout ce qu'elle pouvait bien dire, avait-elle eu peur qu'il la délaisse et qu'il s'éloigne d'elle. Une fois un peu plus adulte, elle s'était rendue compte de son erreur et pourtant, elle n'avait jamais été capable d'avouer son honteux mensonge.

Mouvement de recul.
Jelenna s'y attendait mais cela lui fit mal. Sa mère avait raison, les mensonges, même énoncés pour de bonnes raisons, ne faisaient que le mal autour d'eux une fois révélés. Il était évident qu'elle aurait du l'écouter et, si elle s'était confiée à elle à l'époque, la Cydienne avait emporté son secret dans la tombe. La petite princesse comprenait maintenant pourquoi elle n'avait rien dit. Il était évident que Philéa voulait qu'elle comprenne par elle-même la réalité de ses choix et les conséquences de ses décisions. C'était pourquoi la souveraine n'avait jamais rien dit, pour que sa précieuse enfant comprenne ses erreurs seule et les répare ensuite à sa façon. Quelle sotte de ne pas avoir compris plus tôt cette leçon ! Aerin éleva le ton, ce qui ne manqua pas de l'apeurer mais, par ailleurs, elle comprenait tout à fait sa réaction. La colère était normale et elle comprit qu'il se renferme sur lui-même.

« Aerin, calme-toi, je vais tout t'expliquer ! »

La jeune princesse se redressa, s'asseyant sur le bord du lui, consciente qu'elle ne pouvait pas le toucher ou se rapprocher physiquement de lui dans de telles circonstances. Elle souffla deux fois pour reprendre un semblant de calme et essuya ses larmes d'un revers de main. Elle comprenait sa souffrance, plus encore ses questions … si elle s'y était préparée, elle ne pensait pas que cela lui ferait autant de mal. Il s'inquiétait presque plus du fait qu'elle lui ai menti que du fait qu'ils n'auraient jamais d'enfants ensemble ?

« Je … je n'ai jamais voulu ... »

La demoiselle perdait le fil des mots. Elle n'était pas capable de lui faire face alors elle baissa les yeux et tenta à nouveau de se calmer. Il lui fallut plusieurs minutes pour se faire mais elle parvint à retrouver ses esprits et tenta de lui expliquer. Elle ne comprenait pas pourquoi il lui en voulait de lui avoir menti et non pas de l'avoir privé de leur futur …

« Je n'ai jamais voulu te mentir, jamais ! Je savais que si je vous disais la vérité, Eléa se sentirait coupable et … et toi aussi ! J'avais peur Aerin, j'étais qu'une gamine qui croyait bien faire et, quand j'ai compris que j'avais tord, c'était trop tard ! Je ne pouvais plus vous dire la vérité ! »

Elle perdait son calme, sentant l'angoisse grimper en elle aussi sûrement que la colère qui noyait l'esprit de l'Almer.

« Je voulais tout te dire, encore plus quand tu es venu vivre ici … mais quand je te voyais avec mes frère et sœurs, j'ai compris que tu voudrais des enfants et je me suis rendue compte de l'ampleur de mes choix ! Je ne savais plus quoi faire, je t'avais privé de ce que j'avais le plus précieux à t'offrir alors que tu avais tout sacrifié pour venir vivre avec nous. Je me suis sentie tellement coupable que je ne savais plus comment te dire la vérité ... »

Elle marqua une pause. Releva la tête et poursuivit

« Je suis désolée Aerin, je voulais te le dire, je voulais tout t'avouer mais j'avais peur de te faire du mal et peut être peur aussi que tu … que tu ne partes. J'ai vécue toutes ces années dans la peur et la culpabilité, je pensais qu'en m'éloignant de toi, cela te protégerais mais j'avais tord. J'aurais du tout avouer, je … je comprendrais que tu partes. » la demoiselle s'arrêta, reprit son souffle et continua« Je voulais seulement te protéger, pas te mentir. »

Perdu, déboussolé, il la regarda fondre en larmes.
Son cœur se serra mais pour autant, il ne bougea pas, incapable d'esquisser un mouvement vers elle. Il l'aimait, mais pas assez pour lui pardonner. Pas encore. Il voulait comprendre.
En fait, il ne savait même pas ce qu'il voulait.
Il était perdu et une fois encore, elle était la seule à avoir les clés. Ce sentiment d'abandon, Aerin ne le connaissait que trop bien. A la mort de sa mère, il s'était senti seul, perdu et totalement privé de repères. Lorsqu'il avait été confié à Thémis Clari dans une cité dont il ignorait tout, il s'était à nouveau senti seul et terriblement abandonné. Les événements s'étaient succédés et finalement, le gamin avait compris qu'il n'était et ne serait plus jamais seul lorsqu'elle lui avait tendu la main. Cette petite main qui ne demandait rien de plus que d'être saisie. Sans arrière pensée, Jelenna lui avait simplement montré qu'il existait un chemin tracé pour lui, parfois difficile d'accès mais toujours là, derrière un buisson, au détour d'une route tortueuse, il y avait son destin. Il ne serait plus jamais seul, voilà ce qu'il avait pensé en la voyant et en la suivant.

Elle avait tout gâché. Comment avait-elle pu lui mentir autant de temps ? Qu'avait-il fait pour qu'elle décide qu'il n'était pas prêt à partager ce secret ? Il lui en voulait, terriblement, horriblement. Il était incapable de la regarder autrement que par le prisme de la colère. Plus que blessé par ce qu'elle venait de lui avouer, le métisse se sentait trahi par la personne la plus chère à son cœur, ce qui devait être la pire des trahisons. Ses larmes lui faisaient mal au cœur mais il avait tellement de mal à comprendre pourquoi elle avait agi de la sorte que son corps refusait d'avancer vers elle pour la réconforter. A l'heure actuelle, Aerin était le seul à avoir besoin de réconfort. Son esprit tout entier assimilait avec difficulté ce qu'elle avait avoué et, bien entendu, il ne cessait de se poser les mêmes questions en boucle. Pourquoi les femmes de sa vie manquaient-elles de confiance en lui ? Faisait-il quelque chose de mal qui laissait penser qu'il pouvait les trahir ? Sa mère avant lui avait refusé de lui avouer les raisons pour lesquelles elle détestait le Joyau, la fille du Consul, celle pour laquelle elle l'avait rendu à son père et aujourd'hui, Jelenna. Sa précieuse princesse pour qui il aurait offert jusqu'à son âme si sa vie n'avait pas suffit … Il sentit qu'elle tentait de l'approcher et son corps réagit malgré lui. Il ne voulait pas lui faire de mal, même dans une telle situation, il en était incapable, même s'il lui en voulait terriblement, jamais il n'aurait pu la toucher ou la blesser. Il eut un mouvement de recul qui ne manqua pas de tirer une grimace compréhensive mais blessée à l'Amazone. Aerin l'entendit lui demander de se calmer. Cette voix qui l'avait toujours apaisé, qu'il aurait suivi jusque dans les bas fonds des enfers, cette voix magnifique qu'il aimait ne parvenait pas aujourd'hui à calmer ses angoisses. Elle creusait bien au contraire des sillons profonds dans son âme pour y laisser de larges cicatrices. Lui avait-elle menti sur d'autres points ?

Le jeune homme plongea son regard dans celui de sa compagne. Il sut y lire à quel point elle était désolée, et, chose surprenante, à quel point elle semblait croire qu'il allait l'abandonner. Etait-ce sa destinée ? Il remarqua à quel point elle était affectée, à quel point elle souffrait non pas de lui avoir avoué tout ça mais d'avoir gardé ce secret si longtemps. Pourquoi ? Il avait envie de hurler sa colère, de comprendre ce qui avait pu se passer dans sa tête ce jour-là et tous les jours qui avaient suivi. Elle n'avait jamais voulu quoi ? Lui faire du mal ? Bah c'était mal barré désolé. Elle croyait qu'en lui mentant, il n'apprendrait jamais la vérité ? Qu'elle pourrait mettre cela sur le compte des dieux et déesses et sur l'infortune ? Le garçon se força au calme parce qu'au fond de lui, il y avait toujours ce sentiment atrocement fort qui lui aurait fait perdre la tête dans d'autres circonstances. Il l'aimait. C'était une vérité absolue, pleine et entière. Même ce mensonge, aussi cruel soit-il, n'avait pas réussi à ébréché ce sentiment si pur.

Alors il l'écouta.
Il était en colère certes, mais il trouva la force de l'écouter. Sa voix ne parvenait pas à l'apaiser mais il sentait vibrer les échos de la vérité dans chaque mot qu'elle employait. Pour la première fois, Jelenna ne choisissait pas les termes qui sortaient de sa bouche, elle parlait librement, sincèrement et lui avouer tout ce qu'elle avait sur le cœur. Ce qu'elle aurait du faire des années plus tôt ne put-il pas s'empêcher de penser malgré tout. Et pourtant, plus elle parlait, plus il était à même de comprendre et, sans dire qu'il pouvait lui pardonner, il commençait à recouvrer un semblant de calme. Eléa aurait sûrement brûlé la terre entière pour venger le sacrifice de sa petite sœur, c'était certain. Même si elle l'apprenait aujourd'hui, nul ne savait qu'elle réaction elle aurait, ça, il était tout à fait à même de le comprendre. La jeune femme avait retourné ciel et terre pour retrouver sa petite sœur enlevé par le plus puissant des dieux. Elle n'avait pas eu peur d'affronter quatre de ses Cavaliers uniquement pour les beaux yeux de l'enfant qu'elle chérissait. Aerin s'était même demandé plusieurs fois si elle aurait été capable de faire de même pour sa propre progéniture et, plusieurs fois, il avait pensé que jamais Eléa ne consentirait un pareil sacrifice pour Aedan. Jelenna était particulière, il y avait un lien que jamais la reine n'aurait avec sa propre fille.

Jelenna lui ouvrit son cœur, lui expliqua sa peur tenace de l'avoir privé de sa paternité. Il était vrai qu'Aerin rêvait d'avoir des enfants mais, en acceptant de vivre à ses côtés, il avait déjà fait une croix sur ce destin inconsciemment. Pour lui, une réincarnation d'une déesse ne pouvait concevoir la vie quoi qu'il arrive. Il avait déjà mis un moment avant de suggérer leur passage à l'acte et la princesse avait accepté tardivement à son tour. Si Diane n'avait pas quitté le corps de la Régente, il n'avait jamais osé espérer avoir des enfants avec elle. Peut être aussi parce qu'il n'était pas prêt à la partager … Certes venait-elle de lui enlever l'espoir d'en avoir un jour mais l'Almer y avait déjà renoncé plus ou moins depuis longtemps. Son cœur commença à se calmer et la colère commençait déjà à céder sa place au pardon.

Elle avait eu peur qu'il parte.
Elle avait juste eu peur qu'il s'en aille en apprenant la vérité.
Aerin aurait pu lui en vouloir de ce manque de confiance mais il comprenait totalement ce qu'elle avait ressenti. De nombreuses fois, il s'était demandé pourquoi elle l'avait choisi, lui. Ce qu'il avait de si particulier pour qu'elle accepte qu'il vive à ses côtés et, de nombreuses fois, il avait eu peur que son comportement, ses remarques ou tout autre chose puisse lui faire du mal et qu'elle tourne les talons. Il avait eu peur de la perdre tant de fois qu'il ne pouvait même pas lui en vouloir d'avoir pensé ça. Bien au contraire, il se rendit compte lorsqu'elle avoua enfin tout cela qu'elle avait souffert des années durant du risque et de la peur d'être abandonnée. Ce fut la clé qui libéra son cœur du poids qui l'entravait jusque là.

Elle avait eu peur. Peur, comme lui. C'était tellement stupide !
Aerin se mit à rire nerveusement en la fixant. Jelenna crut sans doutes qu'il se moquait d'elle ou de ce qu'elle venait de lui avouer car elle soupira tristement avant de se lever. Son corps retrouva sa mobilité et le gardien la saisit en douceur par le bras.

« Ne pars pas »

Il relâcha son bras et à son tour, alla s’asseoir sur le lit. Il prit le temps d'inspirer plusieurs fois pour recouvrer totalement son calme et lorsque ce fut le cas, il commença à parler. Sa voix était calme, et son regard, protecteur, était posé sur la jeune femme.

« Le jour où je suis venu vivre ici, je t'ai promis de veiller éternellement sur toi, sur ta famille et sur tout ce qui t'étais cher. Je t'ai également promis que, quoi que tu puisses faire ou dire, je resterai à tes côtés. Ce n'était pas des paroles en l'air Jelenna. J'ai pensé chaque mot ce jour-là, comme je les penses encore aujourd'hui. Tu as eu tellement d'occasion de tout m'avouer, tellement que je ne pourrais pas les compter. J'aurais pu comprendre, j'aurais pu t'aider, je t'aurais soutenue, peu important le choix que tu avais du faire. Je suis sur qu'au fond de toi, tu le savais. Tu m'as menti, ça, je ne pourrais jamais te le pardonner je crois … Mais je sais aussi une chose, on ment pour protéger ceux qu'on aime. »

Il marqua une pause, l'invita à s'asseoir tandis qu'elle hésitait. Il dut répéter l'opération deux fois pour qu'elle accepte de venir sur le lit. D'un geste doux, il lui saisit la main avant de reprendre, l'obligeant à le regarder dans les yeux.

« Je ne pourrais jamais te le pardonner, pas d'avoir fait ce choix, mais de m'avoir menti. Je t'aime Jelenna Ryran, et je ne cesserais jamais de t'aimer. Je me moque de ne pas avoir d'enfants, si j'en veux, je n'aurais qu'à en adopter, les enfants seuls et abandonnés ne manquent pas dans les rues. Ce qui me fait le plus mal c'est que tu ai pu penser que je n'étais pas prêt à l'accepter, que tu ne pouvais pas me faire confiance. Tu peux avoir confiance en moi car je resterais toujours près de toi. »

Il déposa un baiser sur le front de la belle. Son cœur vibrait encore de la colère que ce mensonge avait éveillée en lui mais il était à même de comprendre ses raisons qui ne tenaient pas à sa personne mais aux propres peurs de la demoiselle. Il ne pouvait que la comprendre pour avoir ressenti presque toute sa vie durant ce sentiment, cette peur de l'abandon. Il la serra contre lui, sachant qu'il ne pourrait jamais la détester, qu'il ne pouvait que l'aimer et qu'il en serait toujours ainsi, quoi qu'elle dise, quoi qu'elle fasse. Certes cette vérité laisserait-elle des traces, il leur faudrait du temps pour que tout redevienne comme avant, pour qu'elle accepte de continuer son chemin avec lui et vice versa mais il était sur d'une chose, ils avaient le temps. Il l'aimait, elle aussi et le mensonge n'avait cherché qu'à les protéger.

« Jamais je ne partirai à moins que tu ne me le demande. Je sais que ce sera difficile mais je t'aime, et je sais que mon cœur saura te pardonner comme tu m'as déjà pardonné tant de fois par le passé. Je me souviens d'une promesse que je t'ai faite il y a maintenant fort longtemps, celle de ne jamais plus te mentir. Il est à présent temps de me faire la même. »

Il ne pourrait jamais l'abandonner. Malgré la colère qu'il ressentait encore, l'amour qu'il avait pour elle était plus fort. Il savait qu'il pourrait lui pardonner un jour et c'était pour cela qu'il restait. D'un geste tendre, il passa sa main dans les cheveux de sa dulcinée pour marquer un point final à cette histoire. Sa mère avait raison, le mensonge était destructeur mais ensemble, ils étaient plus forts que ça.

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