La jeune femme savait qu'elle devrait peut-être prendre plus de précaution avec sa prisonnière, pourtant, elle ne pouvait pas s'empêcher de compatir au sort de la métisse qui dormait dans ses prisons, même si les prisons en question étaient belles et propres. Il fut un temps où c'était elle, la prisonnière, et où la brave Thémis Clari était venue à sa rencontre, perchée sur sa fenêtre. Elle avait alors bravé tous les dangers pour prendre de ses nouvelles et les rapporter à sa grande sœur, à sa mère et, plus largement, à sa patrie. Y avait-elle eu un intérêt ? Jelenna n'avait jamais su mettre la main dessus dans ce cas. Elle avait cependant toujours admiré cette femme qui, malgré ses origines, malgré le fait qu'elle n'ai aucun intérêt à agir de la sorte, avait décidé de s'opposer à son père et de se rendre dans la Lumineuse alors aux mains des ennemis divins. La petite fille qu'elle était à l'époque s'était sentie ragaillardie de sa présence. Sans le savoir, la jeune femme lui avait transmis sagesse, espoir et courage en bravant tous les interdits. Quelle ironie du sort de savoir que, bien des années plus tard, c'était la princesse en personne qui avait suggéré de la faire prisonnière pour assurer la survie de son aînée au sein du Joyau. Jamais Jelenna n'avait pu se pardonner ce geste, s'il était justifié politiquement, il était inconcevable pour sa morale. Elle avait privé une femme si fière et si forte de la chaleur de son foyer, de l'amour de ses enfants et de son époux pour le bien-être de sa propre sœur dont elle savait parfaitement que l'opération était vouée à l'échec et muée par un esprit de vengeance. Cela faisait presque quatre ans que la fille du Consul était sa prisonnière et si Jelenna avait tenté de trouver tous les moyens de la faire sortir de ce mauvais pas où elle l'avait elle-même plongée, rien n'y avait fait, tout au plus avait-elle pu apaiser sa peine en lui proposant un poste d'enseignante au sein de l'école de Muria. C'était là un lot de consolation dérisoire par rapport à ce que la pauvre femme subissait mais la demoiselle ne savait quoi lui offrir de plus. A vrai dire, elle avait songé de nombreuses fois à la relâcher, y compris lorsque le gardien était venu lui annoncer qu'il ramenait son fils à Cydonia, mais elle avait du se rendre à l'évidence, en agissant de la sorte, elle signait à coup sur l'arrêt de mort de leur Reine. De sa propre sœur. Philéa avait eu raison de croire qu'elle serait une fine politicienne, qu'elle accomplirait des merveilles pour le bien de sa famille et de sa cité, mais Jelenna se prêtait à croire qu'elle se serait bien passée de ce cadeau empoisonné. Elle était certes plus douée qu'Eléa pour la politique, plus raisonnable sans doutes mais ses capacités héritées de sa mère lui faisaient peur, elle avait tendance à ne pas se reconnaître. Certes son plan était parfait et depuis lors, la Reine survivait en partie grâce à elle, également parce qu'elle était un otage intéressant surtout vis à vis de Storghein et de ses velléités, néanmoins, Jelenna ne cessait de s'en vouloir.

Thémis Clari avait été en grande partie sa sauveuse. Comme bien des personnes ce jour-là, elle avait pris les armes pour lui venir en aide, elle, la petite fille dont personne n'avait jamais entendu parler tellement elle était protégée et cachée par Philéa. La guérisseuse élémentaire avait pris son courage à deux mains pour affronter une armée sans âme au nom de sa propre liberté. Qu'avait-elle fait en remerciement ? L'enfermer. La priver de cette vie qu'elle avait tant mérité. N'était-ce pas cette femme qui avait fait tout ce chemin pour sauver son petit frère ? Certes cela avait-il été un échec, comme pour Jacen, Eléa et tous les autres soigneurs qui l'avaient vu, mais elle avait fait le déplacement, risqué à nouveau les foudres de son père pour aider cette famille à qui elle ne devait rien. Pleine de culpabilité, la Régente se dirigeait vers la demeure de la jeune femme, qui, comme toujours, l'accueillerait avec le sourire. Cette femme était forte, à n'en point douter, et Jelenna espérait sincèrement qu'un jour, elle pourrait la libérer. Elle en doutait cependant, car Eléa lui avait bien dit que la position de l'élémentaire était trop délicate … La princesse se refusait cependant à croire qu'elles devraient la tuer, c'était inconcevable et jamais elle ne le permettrait ! Pleine de ces noires pensées, la petite demoiselle frappa à la porte et y entra lorsqu'elle fut invitée. Elle s'inclina poliment devant la jeune femme et lui sourit tristement.

« Dame Thémis, vous êtes toujours aussi rayonnante.

Elle se trouvait tellement stupide de lui donner de ce genre de banalités alors qu'elle ne méritait que des vérités. Tristement, Jelenna alla s'asseoir et attendit qu'on l'invite à prendre la parole. Elle avait fort heureusement de bonnes nouvelles même si de son point de vue, cela lui rappelait toujours la position précaire de son interlocutrice, elle savait néanmoins que les quelques bribes d'informations sur ses enfants lui feraient plaisir et lui remonterait le moral. Fermant son Esprit pour ne pas importuner la dame, la jeune femme reprit la parole.

« J'ai pu obtenir quelques nouvelles d'Erys et d'Elios, je souhaitais les partager avec vous au plus vite. »

Elle lui raconta ce qu'Eléa et Aerin lui avaient rapporté et tendit un petit objet brillant vers la jeune mère de famille. Avec beaucoup de respect, elle lui raconta qu'il s'agissait d'un cadeau que son fils avait souhaité lui faire parvenir. La stricte vérité certes, mais Jelenna aurait tellement aimé ne pas avoir à être un messager …

[ Vraiment désolée du retard, j'avais complètement oublié que c'était à moi de le lancer ... ]

[ Vraiment désolée du retard !! ]

[ Pas de problème ! ^^ ]

Jelenna avait toujours trouvé cette femme forte et courageuse. Bien plus que la plupart de celle qu'elle avait eu l'occasion de rencontrer dans sa vie pourtant encore jeune. Thémis Clari était une femme qui ne laissait pas le destin jouer avec sa vie, elle prenait les choses en main et elle était actrice de sa propre destinée. Sa force de caractère, la force de ses convictions avaient toujours laissées la jeune princesse sans voix. Elle aurait aimé lui ressembler quelque part mais pour autant, elle admirait secrètement la demoiselle. Femme accomplie, mère protectrice, la Cydienne incarnait sans doutes l'idéal de beaucoup d'hommes. Leur première rencontre remontait à tellement d'années qu'elle apparaissait parfois un peu flou dans l'esprit de la Régente. Elle se souvenait principalement de son regard, sur d'elle, et de sa droiture. Elle se souvenait du feu qui vibrait en elle et c'était grâce à cela que la petite fille qu'elle était alors avait tenu dans sa prison. Thémis lui avait apporté l'espoir à l'état brut ce jour-là et jamais elle ne pourrait la remercier suffisamment pour ce précieux don.

Cette décision avait été la plus difficile de toute sa vie. Jelenna avait beau refaire les choses, elle ne voyait cependant pas comment elle aurait pu protéger mieux Eléa de sa folie qu'en agissant ainsi. Peut-être aurait-elle du essayer de la raisonner, de lui faire comprendre qu'il ne ressortirait rien de bon dans ce qu'elle entreprenait mais à vrai dire, la petite princesse n'en avait pas eu le courage. La détermination et l'impression de justice qui émanaient de sa grande sœur avaient su la convaincre. Elle n'attendait sans doutes que cela au fond de son cœur : la justice et ce, même si elle savait que cette dernière n'empruntait pas le bon chemin pour obtenir la justice. A l'époque, elle aurait pu essayer de la convaincre, de lui faire comprendre tout ce qu'elle perdrait si elle s'entêtait mais elle n'en avait pas eu envie. Elle avait été faible et quelque part, elle avait trahi autant Thémis que Eléa ou ses propres convictions. En refusant le trône comme le lui avait suggéré Eléa une fois par le passé, Jelenna avait épousé la voie de la paix. Elle s'était promis de tout faire pour que plus jamais le sang ne soit versé et que plus jamais un enfant ne grandisse sans l'amour de ses parents et la sécurité de son foyer. Elle n'avait même pas été capable de veiller sur sa propre nièce … Elle tentait aujourd'hui de réparer ses erreurs mais rien n'effacerait jamais les sacrifices qu'elle avait consenti pour cette folle entreprise. Deux enfants grandissaient également sans leur mère à cause d'elle, ce qu'elle ne pourrait jamais se pardonner.

La voix de la fille du Consul était douce, comme toujours, et elle ne portait aucune trace de colère ou de vengeance. La dame lui offrait ses doutes, ses sentiments, aussi naturellement que si elle avait été sa fille ou un membre de sa famille. Jelenna sentit son cœur se serrer mais elle garda bonne figure, elle savait que ce n'était pas respectueux de faillir face à celle qu'elle avait elle-même mit dans cette cage aux dorures plus que passées. Les mots étaient des armes et ils pouvaient apaiser la plus grande plaie malgré tout. Cette femme était vraiment … étrange. C'était le seul mot qui lui vint en tête pourtant, son comportement se résumait à de la force. Elle avait toujours cette farouche envie de vivre au fond des yeux mais elle avait aussi une part de résignation, ce qui ne manqua pas de faire peur à la Régente. Comment avait-elle pu se permettre de briser cette femme ? Non, elle ne voulait surtout pas voir s'éteindre cette flamme !

« Vous avez tord dame Thémis. Je savais ce que vivre sans les personnes chères à nos cœurs était difficile et je n'ai pas hésité à vous prendre à votre famille pour sauver la mienne. J'aurai du raisonner ma sœur, vous le savez aussi bien que moi et tout ce que je peux vous offrir dans cette cité n'effacera pas ma faute. »

Jelenna ne voulait surtout pas que sa prisonnière commence à devenir défaitiste car la situation actuelle était bel et bien de sa faute. De LEUR faute. Elle n'aurait jamais dû laisser Eléa réagir ainsi, elle aurait du être le calme dans la tempête ! Son père lui avait toujours dit qu'elle serait le calme dans la tempête au lieu de quoi, elle était devenue la tempête ! Ce qui suivit la déstabilisa d'autant plus.

Bien sur qu'elle y avait réfléchi.
Bien sur qu'Eléa y avait réfléchi.
Bien sur … elle savait tout cela mais elle ne voulait pas l'admettre. Eléa serait bientôt de retour, elle n'en doutait pas, mais cela signifierait sans doutes que Thémis allait devoir mourir. Pour l'exemple mais aussi pour être certain qu'elle ne puisse jamais révéler quoi que ce soit de leur cité et de ses failles. Cela, Jelenna ne pouvait pas l'accepter.

« Dame Thémis, je dois vous avouer qu'il y a longtemps que ma sœur aurait pu revenir parmi nous mais elle a une tâche à accomplir avant cela. Lorsqu'elle sera libérée, je vous libérerai, je sais que vous ne révélerez rien de nos secrets. Je sais aussi que votre mort plongera ma cité dans une guerre avec Cydonia. Je ne veux plus voir de sang couler … Je ne vous laissera pas mourir ici dame Thémis. »

Cela sonnait comme une promesse et une voix intérieure soufflait à l'enfant qu'elle était encore qu'elle ne pourrait jamais la tenir quand sa sœur serait rentrée. Elle savait qu'Eléa appréciait la métisse mais elle savait aussi qu'elle ferait passer le bien de la cité avant ses propres sentiments, comme le lui avait si bien appris Philéa avant sa mort. Elle savait aussi qu'elle ne pèserait pas grand chose dans la balance face aux risques de relâcher la Cydienne. Jelenna savait cependant qu'elle ne laisserait pas la fille du Consul mourir, parce qu'elle l'appréciait certes mais aussi parce que, comme elle l'avait dit, sa mort plongerait Muria dans la guerre. Si Thémis n'était pas grand chose pour Cydonia visiblement, elle demeurait la fille du Consul et sa vengeance ne se ferait pas attendre, à n'en point douter.

Elle ne pouvait pas mourir, c'était impossible, et c'était d'ailleurs pour cela que Jelenna l'avait choisie.