[DE]La nuit de toutes les libertés. [Libre] (fini)

Siobhan aimait vivre la nuit. C’était un moment de la journée calme, silencieux où elle n’avait pas besoin de se faire discrète. Certes, ses origines étaient plus ou moins dissimulés par cette peau brunie par ses voyages et sa parfaite maitrise de la langue cydienne, mais la jeune fille n’en restait pas moins étrange pour les gens de cette race. Cheveux blond, de grands yeux bleus, une allure de garçonne et de forte tête. Elle semblait moins frêle qu’eux et se préoccupait peu de l’art. Enfin, elle aimait beaucoup la poésie et le chant, mais pour le reste, l’architecture, la peinture, la sculpture… ça la laissait assez indifférente. Ce qui n’étais pas toujours aux gout de certains. Après tout, l’art, c’était leur vie et ne pas s’en soucier, c’était ne pas s’intéresser à eux. Une étrangère, voilà ce qu’elle était. Peut être était-ce à cause du peu de temps qu’elle y vivait, ne s’étant pas encore habituée aux uses et coutumes du pays, ou parce qu’elle avait un sang trop chaud. La jeune fille bouillonnait de l’intérieure. Elle avait besoin de vivre, de bouger. La oisiveté et la passivité n’avaient jamais fait partie de son vocabulaire ni de ses habitudes. Siobhan débordait d’énergie. Les fêtes sportives, la danse, voilà ce qui la faisait vibrer, ce qui lui donnait envie d’exister.

Les yeux rivés vers le ciel, les mains appuyées sus les dalles qui recouvraient le port et les pieds pendant dans le vide, au dessus de l’eau, la jeune fille savourait la tranquillité de son esprit. C’était la nuit qu’elle était le plus en paix. Aucune émotion étrangère forte à repousser. La demoiselle pouvait même se permettre de s’ouvrir un peu, ne pas se protéger quelques instant et évacuer toute la tension accumulée dans la journée, en remerciant sa race de ne pas avoir besoin de dormir beaucoup.
Il y avait, cependant, une chose qui lui manquait plus que les autres ici et ailleurs. Un temple. Le temple de sa déesse Hilina. Siobhan aurait voulu aller se recueillir, la prier comme il se devait, mais n’en avait pas la possibilité. Storghien, c’était loin et sa formation était loin d’être finie pour pouvoir se permettre de retourner seule dans sa contrée natale. De plus, Maître Kyle semblait pressentir des choses graves, il fallait donc surveiller les zélotes. La jeune apprentie ne partageait pas particulièrement la vision de son tuteur. Les erreurs de nos ancêtres n’étaient pas forcément les nôtres.

Sio se releva et poussa ses mains vers le haut, s’étirant et admirant une dernière fois le ciel magnifiquement étoilé. Un sourire se dessina sur les lèvres de la jeune femme. Elle avait envie de faire quelque chose et peut être que c’était le bon moment. Sa petite tête tourna à gauche, puis à droite. Cette partie du port semblait être déserte. La jeune fille fit quelques pas pour s’éloigner de l’eau, vêtue, comme à son habitude, du stricte minimum. Sa jupe noire élimée, son espèce de soutien-gorge et ses bottes de cuir qui lui montaient aux genoux. Elle ne cachait pas son corps et puis, il fallait bien qu’elle bronze.
Un petit murmure s’échappa d’entre ses lèvres. Une mélodie presque inaudible au début, devenant un peu plus forte par la suite. Tandis que son corps se mettait en mouvement, esquissant quelques pas de danse, tout d’abord timides, incertains, puis plus assurés.

Je ne suis pas la mieux placée pour chanter tes louanges,
Oh toi, si fière et si belle, à l’allure d’un ange.
Je me permet, cependant, cette modeste prière,
Pour que tu saches que où que je sois, je te reste fidèle.

Hilina, Déesse de la joie, de la musique et des sports,
Apprends que grâce à toi, je déjoue tous les mauvais sorts.
Ta présence me rassure et me donne la foi,
Alors, je t’en prie, veille encore un peu sur moi.

La petite voix de Siobhan était douce, pas particulièrement belle, mais aux sonorités agréables. Ses mouvements étaient emplis de grâce, tandis qu’elle terminait sa chorégraphie, en fredonnant la mélodie sans les paroles, comme elle avait commencé. Elle joignit enfin les mains près de son cœur, pour faire une prière muette.
La jeune fille n’était pas particulièrement douée pour la composition, mais avait tenu à écrire ça pour celle qu’elle vénérait. Dans tous les cas, elle espérait ne pas avoir été vue et entendue de qui que ce soit, car c’est en astorg que Sio avait fredonné.

C'était une de ces nuits qu'Edna passait en ville, une de ces nuits où elle dormait dehors, où elle dormait avec les vagabonds, avec les traînes misères.
Une de ces nuits où elle rendait à la vie les bienfaits qu'elle lui avait accordée.
C'était ainsi qu'elle le voyait.
Après tout, n'était-elle pas encore en vie?
N'avait-elle pas, à chaque fois qu'elle sombrait, rencontré la personne capable de la remettre sur le bon chemin?
Oh oui, elle avait souffert.
Une souffrance qu'elle n'aurait parfois préféré ne jamais connaître.
Mais elle avait connu la joie aussi.
Ainsi perdue dans ses pensées, elle rêvait, et son rêve lui sembla d'un coup devenir plus tangible.
Elle s'était assise ici, sans doute pour regarder les étoiles, dans ce ciel si pur.
Demain serait magnifique.
Elle avait du s'assoupir un instant... Somnoler.
Mais le chant qui avait troublé la fin de ses rêves.
Un chant qui n'était pas Cydien.
Elle n'en savait pas les paroles, ne savait pas plus traduire son propos, ce n'était pas son domaine.
En revanche, ce qu'elle savait, c'est le danger qu'il y avait à chanter cela ici.
De l'astorg.
La vieille avait assez roulé sa bosse pour reconnaître chaque langue de ce monde à sa sonorité.
Elle maîtrisait même deux trois mots de certaines, mais n'avait jamais pris peine d'apprendre autre chose que sa langue natale, qui avait toujours suffit.
Elle ramassa son bâton, et avec une grimace douloureuse, venue directement de ses articulations vieillies, elle se redressa, se remit sur ses pieds.
D'où venait ce chant?
Elle se guida à l'oreille, mais...
Elle l'avait pensé juste à côté... Et voilà qu'elle traversait une nouvelle rue, puis une autre.
Elle, qui avait bien pris garde à rester assez loin de la mer, pour s'épargner l'humidité du matin, se retrouva bientôt sur le port, appuyée sur sa canne noueuse.
Dans l'ombre.
Le gens cessait, quand elle parvint à son origine.
Une jeune fille.... Court vêtue.
Elle cracha par terre, d'une manière tout sauf amicale.
Cette gamine était une petite sotte!
Chanter en Astorg, en pleine Cydonia... Vêtue aussi légèrement sur le port!
C'était des coups à terminer en fille à soudards, pour un tendron comme ça.
Encore qu'elle n'était pas non plus aller se planter juste en face des bars.
Edna s'avança légèrement, faisant résoner sa "troisième jambe" sur le pavé.
Elle n'était pas obligée de le faire... de se montrer. D'intervenir. De ramener sa grande gueule, de chercher les embrouilles, ou quoi que ce soit.
C'était venu comme ça pourtant.

"Et bien, je dois dire que ça, c'était tout sauf prudent, fillette."

Elle se redressa légèrement, juste assez pour être à peine moins grande que celle qu'elle venait d'interrompre... Euh, de toute sa hauteur, donc.
Seuls ses yeux vert pâle d'une étrange lueur, et ses cheveux gris blancs reflétant la lumière la distinguaient clairement, dans la pénombre.

La bouleeeeeeeeeeeeette. Elle allait se faire tuer. Trucider. Décapiter. Subir le pire entrainement de la mort qui tue, si son maître venait à savoir ce qu'elle avait fait. Déjà qu'en général, il faisait peur, mais là... Siobhan n'osait même pas imaginer la tête qu'il ferait en apprenant qu'elle avait, non seulement parlé Astorg à Cydonia, mais qu'en plus c'était pour rendre hommage à une déesse de cette même cité. Et qu'en plus, pour le comble du comble, la jeune fille s'était faite surprendre par quelqu'un. Pour le coup, elle ne pourrait rien répondre à Kyle s'il décidait de la réprimander...
La gamine dé-joignit ses mains, laissant ses bras ballants le long de son corps à moitié dénudé. Une expression de surprise totale venait de se peindre sur les traits de l'enfant en voyant la vielle femme. Sio s'était faite avoir comme une bleue. Pourquoi n'avait-elle pas, avant de commencer sa prière, inspecté les alentours ? En plus, la demoiselle n'avait même pas besoin de marcher, juste ouvrir son esprit et se laisser effleurer par les sentiments des gens, plus ou moins puissants, selon l'endroit où ils se trouvaient. Ce n'était pourtant pas compliqué, mais petite idiote qu'elle été, Siobhan avait trop fait confiance à la nuit, pensant être protégée par le sombre voile de cette dernière. Le silence est parfois trompeur, tout comme cette noirceur qui dissimule ce que la ville a de plus sale.

L'enfant déglutit avec difficulté, essayant de calmer les battement de son cœur. Cette vielle femme aux cheveux argentés, dont le regard vert était une sévère réprimande, savait. Parlait-elle astorg ? Peut être. Dans tous les cas, avant même que l'inconnue ne prenne la parole, Siobhan su qu'elle avait commit une grossière erreur qui allait lui coûter cher. Très cher même. De plus, son acte n'allait pas seulement avoir des conséquences sur elle, mais aussi sur son maître. On allait accuser Kyle d'avoir introduit une Astorg à Cydonia. Si la femme venait à dénoncer la gamine, était-ce la mort qui attendait les deux templiers ? Fallait-il la faire taire pour le bien de leur mission ? Le cœur de la blondinette se serra. Elle ne pouvait faire une chose aussi cruelle. Chaque vie avait son importance et puis, il ne fallait pas sous-estimer ses adversaires en les jugeant sur leur apparence physique. Il fallait cependant admettre que l'interlocutrice de la petite apprentie n'avait pas l'étoffe d'une puissante guerrière, mais bon... Qui sait, quels genres de pouvoirs elle pouvait dissimuler.
Siobhan fit donc ce qu'elle savait faire de mieux : ouvrit la bouche...

« Je ne vois pas de quoi vous voulez parler, madame. J'étais là, tranquillement sur le port à regarder les étoiles et le sol, à rêvasser un peu, les mains jointes, quand vous êtes arrivée. Vous m'avez d'ailleurs fait très peur. Il ne faut pas s'approcher des gens comme ça, par surprise. Rendez vous compte, j'aurais pu avoir une crise cardiaque et mourir. Une mort sur la conscience aurait était dur à porter, je pense, pour vous. Surtout que je ne suis encore qu'une enfant. Il est certes vrai qu'à cet âge là, les adolescents sont assez robustes, mais j'aurais pu, par exemple avoir un problème au cœur qui peut le faire arrêter de battre à tout moment. Un petit choc émotionnel et hop ! Plus de Siobhan. Mon pauvre maître se serait retrouvé tout seul et aurait fini par mourir d'une intoxication alimentaire, car faut dire qu'il cuisine atrocement mal. Enfin, je ne suis pas morte, ce qui est plutôt bien, mais pensez à faire attention la prochaine fois, car des accidents comme ça arrivent tous les jours et je ne voudrais pas vous voir vous sentir coupable pour le reste de vos jours. »

La jeune fille s'était exprimée dans un Cydien parfait, reprenant, au fur et à mesure qu'elle parlait, un peu plus confiance en elle, pour finir par adopter un air totalement dégagé, dénué de la moindre culpabilité. Certes, le discours avait été complétement dénué de sens. Du charabia qui ne voulait rien dire, mais bon... L'apprentie espérait détourner l'attention de la vielle femme de ce chant qu'elle avait entendu. Ce qui n'était pas gagné, car l'inconnue avait l'air d'avoir un sacré caractère. Mais comme on dit : Qui ne tente rien, n'a rien. Il fallait espérer que les choses allaient en rester là et que ça ne parviendra jamais aux oreilles de son maître ni d'une quelconque autorité cydienne.

« Puis-je faire quelque chose pour vous, madame ? »

Gentille et serviable, les mots de la nuit. Pour vu que la vielle femme éprouve un peu de sympathie et de pitié pour la pauvre gamine qui voulait échapper à la colère d'un maître qui, quand il se mettait, pouvait être tyrannique dans ses entrainements.

Une moue sceptique ornait le visage de la vieille, à la fin de tout ce baratin.
La gamine avait peur.
Edna pouvait le sentir rien qu'à son attitude, sa posture...
L'empressement dans son propos.
Peur de se faire dénoncer?
Que faisait-elle ici?
Elle fronça les sourcils, et renifla bruyament avant de faire claquer sa langue.

"Tu peux m'épargner tes simagrés, je n'suis pas dupe.
Tu as peur?"

Elle eu un sourire cynique.
La fille semblait plutôt orgueuilleuse, au fond. Elle n'apprécierais sûrement pas d'être humiliée. Et elle devait déjà se sentir humiliée d'avoir été prise.
Mais que fichait une Astorg en plein milieu de la nuit dans le port de Cydonia?
Non qu'Edna eut beaucoup d'affection pour les Cydiens, et puis, l'étrangère semblait bien peu faite pour un travail d'espion.
Mais seule une raison notable pouvait l'avoir amenée ici... Et quand on aime fouiner, les raisons notable, c'est un régal...

"Avoir peur est peut-être bien l'action la plus sensée de ta soirée.
Qu'est-ce que tu fiches par ici dans cette tenue? On dirait une putain égarée!
Tu t'es enfuie?"

Son ton était sec, presque agressif.
Elle se permit un sourire méprisant et leva la main.
Elle étendit le bras vers la jeune fille, et tendant le doigt, elle en posa le bout sous le menton de l'imprudente, son regard pâle fixé dans ses yeux...

"A moins que tu ne sois qu'une putain en devenir? Quand on s'habille comme toi, on les cherche, ces ennuis là.
Alors?"

Le regard était hautain, la moue méprisante, et le ton impératif et acerbe n'admettrait aucune réplique autre que la réponse à sa question.
Etrangement, ses lèvres se détendirent en un sourire un peu plus amical, et elle retira son doigt, assez abruptement d'ailleurs, en reprenant d'une voix adoucie.

"Et tu as de la chance d'être tombée sur moi et pas sur un garde, petite idiote..."

Wow ! Pas commode la vielle. Et ses manières n'étaient pas celle d'une bourgeoise, loin de là. Méprisante. Acerbe. Elle crachait bien se venin sur la pauvre gamine. Mais d'un côté, elle n'avait pas totalement tort. Siobhan avait peur. Elle ne voulait pas que des ennuis arrivent à son maître à cause d'une bourde qu'elle seule avant commit. Parce que bon. Mine de rien, elle y tenait à cet homme au visage effrayant et dur et ce, malgré les entrainements qu'il lui faisait subir, les uns plus horribles que les autres. Elle ne voulait pas, non plus, mourir. Trop jeune pour ça. Elle n'était même pas encore Templier, ni avait réussi à battre Kyle. Pas question de crever avant d'avoir réalisé cela.

Les joues halés de la gamine se teintèrent de rouge, même si dans la nuit, ce n'était pas vraiment visible. Les dures paroles de la femme venaient se planter dans son cœur comme des flèches. De quel droit osait elle l'humilier de la sorte. Siobhan serra les poings, réprimant un élan de colère. Ce sentiment n'était pas bon pour ce qu'elle avait. Lorsqu'elle se laissait aller à la rage, la demoiselle ne contrôlait plus son don, laissant les sentiments des gens la transir jusqu'à la moelle, et pour le coup, la jeune fille n'avait aucune envie de se laisser envahir par ceux de l'inconnue qui lui faisait face. Ils ne devaient pas être très beaux au vu de l'expression de son visage.

« Vous croyez tout savoir de part votre âge ? Je m'attendais à faire face à quelqu'un de plus sage. Juger les gens sur leur apparence est un défaut que vous feriez mieux de corriger. La tenue d'une personne n'a rien avoir avec ce qu'elle est réellement. »

Le ton de la petite se fit aussi dur que celui de la femme. Sio n'aimait pas se faire marcher sur les pieds et n'avait pas l'intention de laisser l'étranger la ridiculiser de la sorte. Après tout, qui était-elle pour venir lui faire des leçons de moral alors qu'elle ne savait rien sur l'enfant.
La jeune fille fit un pas de défiance. Elle voulait montrer à la vielle que malgré le danger qu'elle en courrait d'agir de la sorte, Siobhan n'allait pas se laisser faire. La peur, ce sera pour plus tard et puis, elle avait un bon moyen de faire taire la vielle femme et ce, sans aucune violence.
Un doigt vint se loger sous son menton, la faisant déglutir d'inquiétude, mais Sio ne recula pas. Le ton de la femme était impératif, mais la Astorg avait plus de caractère qu'il n'y paressait. Lorsque la vielle enleva enfin son doigt, la blondinette reprit la parole.

« De toute façon, que je sois ce que vous dites ou non, ne change rien. Ma vie ne regarde que moi. J'ai certes commis une erreur, mais je suis loin d'être sotte et je ne suis plus une enfant. Je ne cherche pas les ennuis et je ne m'habille pas comme cela pour attirer à moi les gens. C'est ma façon d'être. C'est comme ça. Je sais me défendre. »

A vrai dire, Siobhan, n'avait pas vraiment comprit ce que le mot « putain » voulait dire. Elle savait juste que c'était une insulte grave, mais sur tout ce qui touchait à la sédition, la jeune femme était complètement ingénue. Qu'on puisse vendre son corps lui passait au totalement dessus.

« Je ne suis pas, non plus en fuite. Et je doute qu'être tombée sur vous soit vraiment une chance....
Que comptez vous faire ? Me dénoncer ? »

C'était la réponse à la dernière phrase de l'inconnue. C'est là où la fillette allait savoir si celer quelques mots allait être nécessaire...

Le temps passe et jamais ne s'arrête.

Le changement de saison s'annonce et bientôt, les feuilles aux couleurs d'or remplaceront la verdure des champs, le chant joyeux des oiseaux cédera sa place au silence et le monde s'endormira petit à petit. Dans ce décor en mouvement, il est temps de s'éclipser, de laisser la nature reprendre ses droits et le cours des choses se faire.

Désengagées : Siobhan, Edna.

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