Diane avait envoyé Imala et faisait confiance en l'animal protecteur de la forêt pour convaincre la princesse amazone de la rejoindre. Si Philéa était charismatique, Kiera relativement distante et discrète, Jelenna douce et innocente, Eléa était insaisissable. Elle sentait que la princesse amazone était un esprit libre certes, comme la plupart des amazones, mais surtout, un esprit instable. Sans doutes avait-elle eut tord de vouloir parler avec elle, de lui avouer à elle tout ça … La princesse n'était peut-être pas prête après tout. La déesse sylvestre attendait beaucoup de la louve et espérait qu'elle saurait convaincre la jeune femme de la rejoindre.

Elle n'eut pas à attendre bien longtemps. Imala foula rapidement les terres du songe de Diane, faisant presque sursauter l'ancienne amazone qui réfléchissait à ce qu'elle allait dire à Eléa. Lui annoncer que Nessa était de sa filiation ? Les raisons animant Azael ? Diane regrettait presque d'avoir eut l'idée de se confier à quelqu'un avant de partir.
A vrai dire, elle ignorait pourquoi cette pensée lui était venue, sans doutes était-ce parce qu'elle voulait que les choses soient dites avant de partir, avant de disparaître, ou alors était-ce pour soulager sa conscience ? En réalité, la déesse amazone penchait plus pour la deuxième solution. Elle voulait partir tranquille, loin des secrets de ce monde.

« Imala ? » appela-t-elle doucement, comme lors de leur première rencontre, de peur de la faire fuir.

La louve approcha encore, suivit de près par la princesse amazone. Le sol sous les pieds de la louve se teintait de fleurs délicates et blanches tandis que la lumière qui émanait naturellement du pelage de l'animal donnait un ensemble doux et délicat. La louve vint s'assoir aux côtés de la déesse et se coucha dans un même mouvement, posant sa tête sur les genoux de Diane.

« Je t'ai mené Eléa ma chère Diane, me permettras-tu de rester à tes côtés une fois encore ? »

Diane sourit.
Imala était libre comme l'air.
Si elle voulait rester, elle le pouvait, et bien évidemment, elle devait s'en douter. La main blanche de l'ancienne amazone

« Imala, toi qui partage mes songes depuis la première nuit, tu es la bienvenue dans ce qui en sera le dernier. »

Imala émit un jappement signifiant à la jeune femme qu'elle n'approuvait pas la tournure de la phrase mais Diane posa son attention sur la princesse amazone. Elle l'avait imaginé intimidée, comme Jelenna la première fois mais il fallait croire qu'Eléa tenait plus de sa mère que de sa cadette. Diane l'invita d'un geste ample et délicat à les rejoindre et la princesse s'exécuta.

« Bonsoir princesse Eléa. Vos ancêtres me nommèrent Diane, déesse sylvestre et protectrice de Muria mais je doutes que vous ne le sachiez déjà. »

Diane ignorait quel ton prendre, quelle phrase enchainer mais le silence de la princesse la conforta dans l'idée qu'elle ne s'y prenait pas de la bonne manière.

« Je vous ai fait venir en ces lieux pour vous parler de Muria et de Nessa ainsi que de votre soeur, Jelenna. »

J'avais suivi l'imposante louve à la robe de neige sans trop me poser de questions. L'idée d'un piège n'avait même pas effleuré mon esprit. Dans le monde des rêves, je me disais que je ne risquais rien, c'était ce que Jelenna m'avait soufflé un jour et j'avais tendance à croire la gamine naturellement. Elle semblait ritualiste donc elle avait un atout sur moi qui n'était qu'une novice en la matière et qui visiblement, n'avais pas ce talent. J'étais simplement portée par les rêves des autres au gré des envies de ces derniers. Pour l'heure, j'ignorais même comment j'avais pu suivre la louve. Comment s'appelait-elle déjà ? Je crois qu'elle ne me l'avait même pas dit. Peu importait, j'étais persuadée qu'elle ne me menait pas à ma perte mais auprès de quelqu'un d'importance, sinon pourquoi s'embêter avec autant de politesse ?
Je remarquais que le décor changeait au fur et à mesure que l'animal avançait.
Sous ses pieds, quelque chose se dessinait chaque fois qu'elle posait une patte en avant. Des fleurs naissaient comme par enchantement et je me demandais si l'animal en question n'était pas « spécial ».

La voix d'une jeune femme m'intrigua et je changeais de sujet, rencontrant le regard doux mais inquiet d'une jeune femme à la peau de pêche, à l'aspect juvénile et aux longs cheveux auburn. Je ne la connaissais pas.
Elle appela l'animal imposante « Imala » et une conversation s'en suivie entre elles. Hello ! Tu m'as fait venir, tu pourrais peut-être me dire pourquoi non ? Je calmais mes ardeurs, le sentiment qu'elle était importante me revenant en tête … J'attendais donc qu'elle s'adresse à moi, ce qu'elle ne manqua pas de faire.

Le ton qu'elle employait me tira un large sourire.
Depuis quand ne m'avait-on pas appelé comme cela dans la vraie vie ? Depuis quand ne parlait-on plus comme ça d'ailleurs tout court. Je suivais l'invitation de mon interlocutrice et m'asseyait en face d'elle. A vrai dire, je n'avais pas osé lui avouer que je ne l'avais pas reconnu. Les dieux et moi … ça faisait deux ! Je ne croyais pas en eux, les estimant orgueilleux et considérant les pauvres fous qui se perdaient dans la religion comme de parfaits crétins sans cervelle. Pourtant, je savais que les dieux existaient, même si c'était totalement paradoxal. Jelenna m'avait dit avoir rencontré Esra et Diane en songe et si jusqu'à aujourd'hui j'avais eu tendance à en douter, je ne pouvais plus maintenant qu'elle se trouvait devant moi.

Les noms de Muria, Nessa et Jelenna dans une même phrase eurent tendance à me faire faire un raté. J'eus même l'impression que mes yeux n'étaient devenues que deux minces filaments tels ceux des félins mais pourtant, je gardais mon calme. Déesse, c'était une déesse, si je lui sautait dessus sans prévenir, ça ne se passerait pas comme dans la réalité et puis … je n'avais pas ma rapière. Je forçais mon esprit à reprendre son calme et j'analysais la phrase.
Me parler de Muria ? Ouais pourquoi pas. J'y habitais et j'y vivais depuis plus longtemps qu'elle dans mes souvenirs alors quel intérêt ? Elle était morte depuis si longtemps de toute façon que je doutais qu'elle m'apprenne grand chose sur ma cité.
De Nessa ? Elle avait déjà tout dit à Jelenna. A moins qu'elle ne me dise qu'elle viendrait m'aider à lui pourrir la gueule, je ne voyais pas l'intérêt de m'en parler.
De Jelenna ? A la limite, je voulais bien entendre cette partie. Ma cadette me donnait souvent des nouvelles mais pas assez à mon goût. Si la déesse en avait, tant mieux, sinon, je préférais partir.

« Je vous écoute » me contentais-je de répondre.

J'étais vraiment peu convaincue de l'intérêt de cette discussion tout comme j'étais peu convaincue qu'elle m'apporte une quelconque précision sur ma soeur mais pourquoi pas … J'avais du temps à perdre visiblement puisque je rêvais.

La princesse n'était pas quelqu'un de facile, Diane l'avait su avant même d'effleurer son esprit et de pénétrer dans son rêve pourtant, elle avait espéré que la demoiselle serait … plus ouverte, plus apte à l'écouter et peut-être, plus réactive. La déesse amazone devrait se contenter d'une jeune femme rebelle à l'attitude détachée, si cela la décontenançait un tant soit peu, elle n'en fit pas état. Sa main se posa sur la tête de la louve immaculée tandis qu'elle jaugeait du regard la jeune princesse de son peuple. Elle n'avait pas l'intention de lui tenir rigueur pour ses propos que tout autre dieu aurait considéré comme irrespectueux. Eléa était naturelle et c'était une qualité que Diane appréciait déjà de son vivant. De toute façon, dans peu de temps, elle ne serait plus parmi les dieux, car tel était son choix. La jeune femme aux cheveux noir de jais pris la parole d'une voix solennelle, brisant le silence de plus en plus pesant qui flottait sur la scène :

« Jeune Eléa, je vous avoue ne pas savoir par où commencer. »

Diane surprit le sourire de la jeune princesse mais ne s'en offusqua pas. Il était vrai qu'en parlant ainsi, elle ne faisait pas vraiment déesse mais plutôt jeune première ne sachant pas quoi dire ou quoi faire. La déesse se reprit et ajouta d'un ton moins solennel et plus calme, plus posé :

« Je vous prierais de ne pas m'interrompre et d'attendre la fin de mon récit si vous avez quelque chose à dire. »

La jeune femme attendit que son interlocutrice opine de la tête pour poursuivre. Dans un premier temps, elle avait pensé lui conter l'histoire de la Prêtresse de Silmarie et d'Azael mais elle cherchait encore ses mots. Il lui fallu plus d'une minute pour se décider et finalement, elle opta pour reprendre l'histoire du début. Ainsi, elle révéla à la princesse amazone dont l'expression changeait au fur et à mesure du flot de paroles, l'histoire d'amour entre le dieu des morts et la belle Silmaria. Bien évidemment, elle s'était attendue à ce que la princesse l'interrompe et ce fut le cas.

« Vous êtes en train de me dire que ce taré a kidnappé Jel pour sauter la Prêtresse ? Vous êtes en train de me dire que ma sœur a été capturée pour les délires amoureux de ce chien ? »

La colère se lisait dans chacun des mots de la princesse mais Diane lui intima le silence. Elle n'avait que peu de temps à lui consacrer et la connexion entre elles était instable. Elle avait beaucoup trop de choses à lui dire pour se permettre d'essuyer la tempête des sentiments de la jeune femme. Elle reprit donc, d'un ton ferme bien que Eléa soit du même âge qu'elle lorsque la vie coulait encore dans ses veines.

« Jeune princesse, calmez votre colère sans quoi ma venue n'aurais eu aucun sens. Cette histoire se trouve dans les plus vieux grimoires et seule votre inculture vous la fait ignorer. Là n'est pas le problème, je suis venue pour vous conter une toute autre histoire que seules les plus anciennes de notre peuple peuvent connaître. Calmez donc votre colère et écoutez moi, cela pourrais bien changer votre façon de voir les choses. »

Diane attendit que la princesse se calme puis, lorsqu'elle fut certaine qu'Eléa était apte à l'écouter, elle prit une profonde inspiration et débuta son histoire :

« En l'an 90, la cité amazone fut fondée et pour éviter un pouvoir sans partage, le Conseil fut instauré. Cinq amazones parmi les plus sages furent désignées et élues par leur paires pour diriger la cité et parmi elles se trouvait Nessa. Durant les dix années qui suivirent, Nessa mit tout en œuvre pour les faire disparaître jusqu'à ce qu'un jour, elle se proclame elle-même reine de la cité des femmes. »

Diane reprit son inspiration avant de continuer, intimant une nouvelle le silence à la princesse qui n'avait de cesse que de vouloir l'interrompre à tout bout de champs.

« Nessa fut une reine cruelle pour la cité, traitant les Soumis comme des chiens et saignant ses propres rangs, je ne vous ferais pas l'affront de vous parler de ma mort. Cependant, ce que votre histoire a oublié, c'est que Nessa eut un jour une fille, confiée à son père, oubliant jusqu'au visage de la reine folle. »

Diane sembla hésiter un instant, consciente qu'Eléa était plus ou moins concentrée sur son histoire. Sans doutes la connaissait-elle jusque là ou alors n'avait-elle pas apprécié sa pique quelques minutes auparavant. Peu importait, il fallait qu'elle sache et Diane n'avait que peu de temps devant elle. Imala la pressa du museau de continuer.

« Nessa fut assassinée par les siennes et l'histoire raconte que Jenaa prit sa suite lors du second exode. En revanche, ce que l'histoire a omis de préciser, c'est sans doutes que Jenaa était la fille de Nessa, choisis par les anciennes de la cité pour d'obscures raisons, ignorant son affiliation avec la reine d'outre tombe. La triste vérité est là mon enfant, le destin tord les fils de vie et le votre est lié à celui de votre aïeul. Connaissant cette vérité, serez-vous prête à la combattre pour autant ? »

Diane avait posé la question dans un premier temps par commodité puis ensuite, parce qu'elle même aurait hésité en entendant ce récit à combattre un membre de sa famille. C'était l'image de sa jumelle, Travia, qui s'était imposée à elle en racontant cette histoire.

« Parce qu'être l'arrière grand mère de Jelenna l'a empêchée de la kidnapper, de jurer notre perte ou encore, de la torturer ? Que cette chienne aille crever en enfer, peu m'importe qui elle est, peu m'importe votre histoire, je la tuerais. Car tel est le destin que j'ai choisi. Et vous déesse amazone, vous battrez-vous à nos côtés ? »

Le ton de la princesse lui avait déplu mais elle n'avait pas tord. Il était admirable de voir qu'à son âge, elle ne craignait pas la foudre du destin en se retournant contre sa propre famille. Sans doutes Diane mit-elle trop de temps à répondre car déjà, le temps et l'espace se contorsionnaient autour d'elles et Eléa prit la parole :

« Je serais fidèle à Muria toute ma vie mais si la bruler me permets de sauver Jelenna, je le ferais. Sans hésiter. Si arracher le cœur de cette garce me permets de sauver ma sœur, je le ferais. Même sans ça, elle doit mourir. J'ai choisi mon destin, aussi funeste qu'il soit, si je dois mourir, ce sera le cœur léger. »

Eléa était exaspérante. Mais elle avait au moins le mérite de savoir ce qu'elle voulait faire de son avenir proche ce que Diane, même de son vivant, n'avait jamais su faire. Toujours à obéir aux ordres, faire des erreurs et recommencer. Le temps leur était compté, ce fut dans un dernier souffle que Diane mit en garde Eléa :

« Prends garde jeune princesse, tes paroles, aussi justes soient-elles, pourraient se retourner contre toi. Si ton destin est de tuer Mort, le mien est de protéger ma cité. »

[ Désengagées ]