[DH] De l'autre côté du miroir (pv Jacen) (terminé)

Les nuits se ressemblaient toutes ou peu sans faute.
Jelenna allait et venait, cherchant sa famille au gré de leur rêves pour vérifier que tout allait bien pour eux. Chaque nuit, elle survolait les rêves d'Eléa, sentant chaque nuit des progrès dans le comportement et les sentiments de sa sœur qui devenaient de plus en plus calmes. Si elle tenait le responsable de cela, pour sur que la petite fille le remercierait ! Ensuite, elle allait rendre visite à sa mère, Philéa, reine amazone. Dans les rêves de cette dernière, Jelenna se retrouvait souvent confrontée à de sérieux problèmes. Philéa rêvait de choses étranges, d'intrigues politiques, de problèmes épineux mais surtout, de disparitions obscures. Jelenna sentait que cela avait un rapport avec elle mais n'osait jamais aller plus loin. Elle avait compris que chercher à entrer en contact avec les gens qu'elle aimait ne leur causait que d'avantage de souffrance. Les savoir en bonne santé lui suffisait pour espérer qu'ils la cherchaient et la trouveraient sans pour autant mettre leur vie en péril, le reste importait peu.

Asora fut la troisième cette nuit-là. En réalité, Jelenna ne ressentait rien de particulier à l'égard de la jeune femme mais elle avait compris depuis bien longtemps qu'un lien les unissait toutes les deux. Elle aimait à savoir que la jeune templière allait bien et se contentait de le vérifier presque toutes les nuits. Sans doutes Eléa n'aurait-elle pas appréciée ce comportement de la part de sa cadette, elle qui semblait avoir quelques …. réticences à l'égard de l'élève de leur père. Jelenna sourit à cette idée en quittant les songes de la jeune demoiselle. Elle poursuivit ensuite sa visite par le rêve de Kiera. La jeune archère amazone semblait en bonne santé et ses rêves étaient plutôt calmes. C'était étrange vu ce que la petite fille avait pu observer ces derniers temps dans les songes de cette dernière mais au moins, c'était rassurant.
Kiera était en forêt, arc en main, prête à tirer sur une cible imaginaire. L'image fit rire Jelenna. Même en rêve, l'amazone se voyait comme étant une guerrière, une archère et une Sentinelle ! Ce rire vite passé, elle comprit que quelque chose n'allait pas et décida de s'attarder, pour on ne sait qu'elle raison, dans le rêve de celle-ci.

Kiera cherchait quelque chose ! Et ce quelque chose c'était … elle ! Jelenna ! Elle la cherchait. Le cœur de la gamine fit un bond dans sa poitrine et elle en oublia qu'elle se trouvait dans un rêve. Tout lui était si familier. Sa forêt, sa cité juste là en arrière plan et sa chef des Sentinelle si protectrice et bienveillante à son égard ! La chose que tenait la jeune femme dans ses mains était sa veste, celle qu'elle portait à Tamawa quand tout espoir lui avait été retiré !

'' Kiera ! ''
La petite fille hurla malgré elle mais son interlocutrice ne l'entendait visiblement pas. Elle avait déjà changé de rêve sans s'en rendre compte. A présent, c'était Haiiro qu'elle suivait, dans une course effrénée au beau milieu des arbres qui l'avaient vu grandir ces dernières années jusqu'à ce qu'elle en soit arrachée. La louve cendrée avançait, courant, zigzaguant entre les arbres sans jamais s'arrête. Combien de temps dura la course ? En rêve, rien n'est jamais bien sur !

L'animal couleur de cendre s'arrêta net. Une porte se dressait à présent devant elle et ce ne fut qu'après avoir compris qu'elle était entrée dans un bâtiment sans s'en rendre compte, ce qui n'était pas possible dans la réalité, que la petite fille se rappela qu'elle était dans un rêve. Un instant, elle s'était vu rentrer chez elle, auprès des siens et maintenant, elle comprenait que tout ça n'avait encore une fois était qu'un rêve. Un simple et maudit rêve.
La petite fille faillit faire demi-tour et retourner sur les pas de sa conscience mais la porte l'intriguait un peu trop pour cela. Haiiro était devant, assise, et la fixait droit dans les yeux. Elle semblait lui dire ''mais entre, tu ne risques rien''. Au bout de quelques minutes où l'amazone hésitait, la louve gronda. Jelenna s'empressa d'ouvrir la porte.

Lorsqu'elle pénétra dans la pièce, elle sentit derrière elle la porte se refermer. A présent, elle était seule dans une vaste pièce qui pour autant, n'était pas si grande quand on la regardait avec plus d'attention. Un lit au centre, une table de bureau avec une chaise et de quoi écrire. Des papiers griffonnés dans un coin, et une large fenêtre ouverte sur le monde … elle savait où elle était et recula d'un pas en comprenant. Depuis qu'elle avait compris qu'elle pouvait voyager de rêve en rêve, Jelenna n'avait jamais tenté d'entrer en contact avec son père ou seulement dans des moments … d'extrême urgence si l'on pouvait dire. Alors pourquoi ce soir ? Pourquoi maintenant ? Que voulait la louve en l'emmenant ici ?
La petite fille ouvrit les yeux sur le plafond de sa cellule. Elle avait à peine eu le temps de sentir la présence de son père. Chez elle, rêve et réalité avaient tendance à se mêler. Avec l'Esprit, elle sentait l'aura des rêveurs et avait fini par croire que le rêve était une part de réalité, de vérité. C'était faux, mais maintenant que la dure réalité venait de refaire surface, la petite fille se sentait seule. Terriblement seule. Ce fut sans doutes le premier jour où elle pleura de se sentir aussi solitaire.

Une telle intrusion laissait forcément des traces. Aussi discrète que pouvait être la petite princesse, elle ne savait pas retenir ses sentiments. C'était comme cela qu'il l'avait senti.
Son Esprit l'avait-il refoulé? Avait-elle eu peur en entrant à son contact?
Jacen n'avait jamais rêvé aussi fort qu'il sentait la présence de quelqu'un. Même lorsqu'il avait rêvé de Philéa et de son ainée lors de sa disparition. C'était comme être relié par l'Esprit, mais seulement par le monde du rêve, dans un lieu onirique et hautement spirituel. Il avait entendu dire des choses étranges à propos de ces druides ou ritualistes, capables de prouesses en atteignant le rêve d'autrui et parfois même en le modifiant. Il avait, dans sa quête de la vérité philosophique qu'il transmettait aux élèves du Temple, essayait tant de fois de méditer sur sa condition, sortir de son corps et atteindre le monde au-delà de ses yeux. Celui que les Elfes avaient nommé "monde astral", là où toutes les âmes passent avant d'atteindre le Ciel et de retourner à Celestia. Tous les grands philosophes qu'Azthia avait abrité s'y étaient rendus un jour ou un autre, témoignant d'avoir accédé à une sorte d'illumination indispensable. Des révélations l'y attendait sur la vie après la mort, le monde des âmes, les frontières artificielles des nations que pouvait abolir l'esprit, le lien qui unit tous les êtres vivants. Tout ce qui manque à un être pour être complet à nouveau. A la fin de toute chose, un nouveau commencement serait trouvé. Voilà pourquoi, comme Jacen le disait souvent, la fin est importante en toute chose. Sa fin, la fin de tout n'était peut-être pas si lointain alors que d'amers vents apportaient la terreur sur le monde. Peut-être la solution viendrait du monde Astral, car des soldats n'ayant pas d'âmes avaient forcément dû y passer.

La situation le désespérait. Comment en vouloir à ces Erathiens, enveloppes vides voulant retrouver leurs âmes? Des femmes et des enfants, des vieillards à qui toute vie avait été aspirée, comment les blâmer de vouloir la récupérer?
Et en même temps, comment ne pas vouloir les voir tous brûler maintenant qu'ils détenaient sa propre fille?
Pacifiste avéré, ce conflit le dévorait. Mais ils ne lui avaient pas laissé le choix. Jusqu'à présent, son sang avait été épargné. Mais plus maintenant. Alors plus aucune discussion ne serait acceptable, sauf si elle incluait les yeux et le coeur fumant d'Azael embroché dans les négociations.
Ce qui le minait le plus, dans toute cette histoire, c'était de voir à quel point il avait été inutile à sa famille et à ses amis. Asora avait elle-même protégé Eléa, Jelenna et le temple. Elle avait occis un Cavalier, menait bataille sous sa bannière, alors que cent-cinquante ans de haine séparaient leurs peuples et qu'aucune goutte de sang dans son corps ne soit du sien. D'une certaine manière, elle était elle aussi une partie de sa famille, et une personne qu'il devait apprendre à protéger.

Mais avant de s'inquiéter pour les autres, la plus vulnérable de toute. Celle qu'il connaissait le moins, et pourtant celle avec qui il se sentait paradoxalement le plus proche. Sans se parler, juste échangeant des sentiments, il se sentait si proche d'elle. Jelenna avait semé ses petits cailloux derrière elle -elle en semait toujours chez les autres. Jacen sentait à présent qu'il avait une piste à suivre, et il ne la perdrait pas cette fois.
Il la chercha, remontant le fil de son voyage, voguant sur les eaux tumultueuses qu'elle avait navigué, les chemins sinueux qu'elle avait emprunté. Assez étrangement, il déboucha dans une pièce sombre, où rien ne perçait. Sa cadette ne s'était peut-être pas encore rendormie? Ou ses rêves étaient-ils emprisonnés tout comme elle?

"Ma fille?"

Sa voix hésitante déchira la voile, sépara les eaux, fit voler le chemin de poussière. Il ne connaissait rien à ce qu'il faisait. Si Jelenna ne le rattrapait pas vite, il s'enfoncerait il ne savait trop où. Et c'était assez angoissant.

Jelenna avait eu du mal à s'endormir cette nuit-là, comme chaque soir, elle avait passé son temps à contempler les étoiles malgré le ciel voilé ici et là. Comme chaque soir, la petite fille avait espéré que ce soit le dernier où elle dormirait dans cette immonde prison aux allures de château. Pourtant, la petite princesse bis n'était pas idiote, elle savait parfaitement que personne ne viendrait la chercher, ni aujourd'hui, ni demain. Ce n'était pas qu'elle désespérait de se voir délivrée un jour, loin de là, mais elle savait que la bataille était pour le printemps, elle l'avait vu dans un rêve d'Eléa. Cette dernière passait son temps à rêver de comment elle tuerait Nessa et la petite fille trouvait cela autant jouissif que dommage. Le Cavalier de la Mort avait-elle seulement choisi de vivre ainsi ? Sans doutes sa méchanceté et sa rancœur envers les amazones du passé étaient-elles si tenace pour des raisons que les mortels ne pouvaient savoir …
Lorsqu'enfin ses yeux se furent habitués à l'obscurité environnante, la petite princesse amazone se souvint avec amertume de son rêve de la veille. Elle y avait vu son père ou plutôt, elle avait senti la présence de ce dernier et elle craignait de réitérer l'expérience. Ce n'était pas que la petite fille n'aimait pas son père, bien loin de là, même si elle ne le connaissait que peu, elle l'appréciait car comme toutes les petites filles, elle rêvait d'un père comme lui, mais plus exactement avait-elle peur de sa réaction à son encontre. Petite fille peu courageuse et plutôt discrète, sans doutes n'était-elle pas ce que désirait le Templier. Eléa était tellement plus charismatique, tellement plus douée qu'elle ! Ce n'était pas de la jalousie mais une simple constatation.

Ce fut sur ces entrefaites que la gamine s'endormit.

Elle s'éveilla dans la forêt, comme elle l'avait voulu et Imala avait une fois de plus répondu à son appel. La petite fille affectionnait particulièrement l'esprit louve à la robe immaculée, elle lui rappelait tellement Haiiro qui lui manquait cruellement. Sans parler que la louve était d'une sagesse infinie et que ses conseils rassuraient toujours l'enfant. Ce soir-là, ce n'était pas des conseils que Jelenna était venue chercher mais plutôt du réconfort et l'esprit le sentit immédiatement.

« Et bien mon enfant, tu me parais particulièrement affectée ce soir. »

Jelenna émit un soupir et remplaça son air attristé par un sourire de faux semblant. La louve grogna et la petite fille s'installa, la tête posée sur le flanc étrangement chaud de l'animal.

« J'ai confiance en ma sœur et ma famille, mais j'ai peur qu'ils finissent par m'oublier, par ne pas venir me chercher. C'est idiot quand on connait Eléa et l'obstination de maman mais j'ai peur ... »

« Ne serait-ce pas plutôt ton rêve de la veille qui te préoccupe mon enfant ? »

La louve devinait toujours tout, comme si elle pouvait lire en Jelenna comme dans un livre ouvert. La petite fille enfouit un peu plus son visage dans le pelage magnifique et doux de l'esprit forestier avant d'acquiescer. Elle craignait en effet de revoir son père, pourquoi ? Elle l'ignorait. La petite fille écouta la respiration posée de la louve pour caler la sienne dessus et écouta ce que cette dernière avait à lui dire. Ainsi, Imala lui expliqua qu'elle ne devait pas craindre l'inconnu et que dans ses rêves, elle ne devait pas craindre non plus les rencontres. Personne ne lui ferait de mal et sans doutes découvrirait-elle plus de choses qu'elle ne le pensait dans ce monde. La demoiselle écouta avec attention les conseils rassurants de l'esprit lorsqu'un murmure lui parvint. « Ma fille ? ». Ce ne pouvait être que … La louve émit un grognement, sans doutes consciente que Jelenna faisait semblait de ne pas avoir entendu l'appel. Les oreilles dressées sur son crâne, elle ajouta d'une voix douce :

« Va Jelenna, il t'attend. »

La petite fille sentit le museau de la louve la pousser avec douceur et elle se retrouva. Dans le noir. Le noir total.
La petite fille ne comprenait absolument pas ce qu'elle faisait là. Etait-ce un piège de Nessa ? Non, Imala ne l'aurait pas poussé sinon. Elle chercha quelque chose sur quoi poser ses pieds et se rendit compte qu'elle ne chutait pas comme elle le pensait de prime abord mais en réalité, qu'elle stagnait au dessus du sol. Elle posa alors un pied sur le sol et le monde s'anima autour d'elle. Le sol se couvrit d'un plancher verni aux teintes mi-sombres tandis que les murs autour d'elle se bâtissaient comme par magie et pourtant, Jelenna ne connaissait pas les lieux. Devant elle, une porte entre-ouverte fit son apparition. La petite princesse bis appréhendait ce qui allait se passer mais pour autant, elle se décida à tirer la porte vers elle, se cachant à demi derrière cette dernière. Elle murmura alors avec hésitation :

« P...papa ? »

« Ma petite... »

C'était tout ce qu'il parvenait à sortir à présent de sa bouche. Il avait lutté si longtemps pour ne pas être aspiré, pour ne pas perdre ce lien, que sentir d'un seul coup la présence de sa fille le libéra de toutes ses souffrances. Pourquoi, au nom de quoi était-il si attiré par elle? Qu'est-ce-qui justifiait qu'il est si besoin de la sentir, de la toucher, de la protéger? Pourquoi aimait-il autant cette enfant qu'il n'avait jamais vu grandir mais dont la disparition lui avait arraché le cœur?
Aucune philosophie, aucune médecine, aucune religion n'avait d'explication. L'amour qu'il portait à Jelenna était pur et neuf, il n'était fondé ni influencé sur aucun véritable moment en commun. C'était de l'amour à vif, le plus simple et le plus honnête qui soit, un amour qui n'avait connu ni déception, ni attentes, ni monotonie. Un sentiment pur qu'il lui offrirait aussi longtemps que leurs cœurs battraient à l'unisson.

Il tendit la main, sentant la chaleur se rapprocher de lui. Il ne voulait l'effrayer, elle vivait certainement assez de chose horrible pour qu'il ne vienne la harceler dans ses courtes nuits. Il mourrait d'envie de la serrer, de l'enlever avec lui comme si, à son réveil, elle apparaitrait à ses côtés. Il voulait abolir ces distances et ses souffrances, rendre sa fille aimée à sa femme et à Eléa qui dépérissait tant sans elle. Jelenna n'était pas la clé d'Azael, non. Elle était la clé de sa famille, celle autour de qui l'amour se faisait, celle autour de qui tout allait se reconstruire.

« Ma petite princesse, que le temps fut douloureux jusqu'à ce moment »

Il osa un pas vers elle.

Jelenna se cachait toujours à demi derrière la porte lorsque la silhouette de son père fit son apparition, plus nette, plus vivante, dégageant une chaleur que la petite fille, même de là où elle était, pouvait sentir. Pourtant, elle hésitait encore à approcher de lui. Elle n'avait jamais eut de père, Philéa lui ayant toujours fait croire que ce dernier était un Soumis et lorsqu'il était parti deux ans auparavant, elle n'avait que de rares souvenirs de lui. Ce n'était pas bien important aux yeux de la petite princesse car après tout, elle avait l'amour de sa mère et de sa sœur ainée et cet amour valait tout les autres. Alors pourquoi était-elle attirée par le Templier ?
Dès qu'elle avait su qui il était, elle s'était blottie dans ses bras au Temple, par envie, par besoin, pour tous ces sentiments qu'elle ne comprenait pas toujours.

La voix de son père fut comme une pique dans le cœur de l'enfant.
Elle eut l'impression qu'il était transpercé de part en part et pourtant ...
Pourtant, elle ne se sentait pas mal, au contraire, elle sentait plus que jamais son palpitant battre à tout rompre.

La dernière réplique de son père acheva de convaincre la gamine qu'il était pour elle, que tout ce temps, elle n'avait eut de cesse que de le chercher, de lui courir après jouant au jeu du chat et de la souris. Tout ce temps, elle avait voulu le voir, n'osant pour autant toucher ses songes de peur d'être déçue, de ne pas avoir sa place auprès de lui. Mais maintenant, elle savait qu'elle avait sa place, elle savait qu'il l'attendait. Qu'il lui tendait la main. L'enfant la saisit, plongeant son visage sur le torse de son père, ne pouvant retenir ses larmes.

" Papa ... " murmura-t-elle pour se convaincre que tout ceci était peut-être un rêve certes mais tout de même bien réel.

La petite fille releva la tête pour fixer son père.
Elle était perdue, elle ne savait pas quoi faire ni quoi dire et à vrai dire cela importait peu. Elle était triste, elle était perdue et sans attache aucune.

" Toutes les nuits, je vais voir Eléa et maman, et toutes les nuits maman me promets qu'elle va bien et Eléa me dit qu'elle viendra bientôt me chercher. J'attends papa, parce que je sais que maman veut que je sois une petite fille courageuse et que je sais que ça lui fera du mal si je lui dis que je suis seule, qu'elle me manque. Mais ... je suis seule là-bas, Nessa passe son temps libre à m'enfermer dans ce labyrinthe et même si je sais m'en sortir, je suis fatiguée ... "

Les larmes perlèrent à nouveau sur ses joues.

" Je suis venue te chercher ce jour-là n'est-ce-pas ? Alors ... quand viendrez-vous me chercher ? Je suis toute seule ici. Tu m'as dit un jour que je devais me forger mon opinion pour savoir à qui faire confiance, je t'ai fait confiance, je vous fait confiance à tous mais je finis par croire que personne ne viendra me chercher ... "

Entre les larmes, les mots et la voix brisée, il ne savait ce qui lui faisait le plus mal. Il serra la petite du plus fort qu'il put.
Oui, qu'avait-il donc attendu pour aller la chercher? N'était-ce pas son rôle à lui, son père, lui qui disait l'aimer que d'affronter toutes les armées du monde pour sa fille? Qu'avait-il dit à Eléa à ce sujet? Attendre le bon moment, avoir confiance en la force de Jelenna, et ne pas se sacrifier inutilement. Mais comment pouvait-il dire à la petite que des querelles et des alliances de grandes personnes retardaient sa sortie. Qu'est-ce-que le pouvoir en échange de sa vie? Rien. Le pouvoir faisait souffrir sa fille, sa princesse. Ces dirigeants, quelle place attribuaient-ils donc au pouvoir? N'avaient-ils donc aucun coeur, ou était-il englué et confis dans l'auto-satisfaction.
Jacen s'était mis à haïr ces politiques. Tous, pas un seul pour rattraper l'autre. Seule sa femme avait eu le courage et l'intelligence d'affirmer les vraies valeurs, de tendre la main vers les autres. Mais c'étaient des mains pleines d'argents et gainée de fer qu'on lui avait rendu jusqu'à présent. Allait-il encore mentir à sa fille pour se protéger lui?

"Tu n'es pas obligé de mentir, ma puce. On sait combien cela est difficile. Tu parlais de confiance: on a confiance en toi, on sait que tu tiendras coute que coute jusqu'à notre arrivée. Ce n'est pas facile de venir à Erathia, on doit être beaucoup car on ne veut pas que quelqu'un soit blessé. On y presque ma belle, on ne leur laissera pas une chance de te garder. Alors dis-moi, quelle est la première chose que tu feras quand tu seras libérée?"

Il essayait de lui demander cela avec un ton enjoué, pour lui remonter le moral, lui faire oublier ce quotidien.

La petite fille qu'était Jelenna avait toujours su tenir son rang. Depuis le jour où elle avait commencé à marcher et à formuler des phrases à peu près intelligibles, elle était devenue une princesse à part entière, que ce soit dans la forme ou dans les règles. La petite princesse bis avait appris le code de bonne conduite par cœur contrairement à Eléa, son ainée. Plus que tout, elle avait cherché à faire bonne figure même lorsque ses camarades avaient appris sa nature de princesse et s'étaient éloignées d'elle, sans doutes craignant que son statut ne lui offre des privilèges auquel elle n'aspirait pas. Jelenna avait tout fait pour plaire à tout le monde, à sa mère qui voulait voir en elle une enfant calme et habile au combat, capable de réfléchir plusieurs coups à l'avance dans le jeu qu'était la politique, à sa sœur ainée qui vouait sa vie à la protéger, à ne pas la faire grandir trop vite. Jelenna avait fait des efforts pour plaire à Philéa et Eléa puis pour plaire à son père mais finalement, elle finissait par croire que tous ces efforts n'avaient servis à rien puisque personne ne l'appréciait suffisamment pour venir la sauver.
Jelenna avait la foi, plus que quiconque dans la cité des femmes, elle avait foi en Diane. La déesse malheureuse lui avait promis de ne pas la laisser mourir sans rien faire et Imala lui avait assurée que la déesse sylvestre faisait tout de son côté pour lui venir en aide. Si la petite en doutait, pour autant, elle souriait et attendait, patiemment, jour après jour, nuit après nuit. Elle savait que la reine et la princesse héritière de sa cité natale ne la laisseraient pas tomber, pour rien au monde. Alors une question seulement subsistait dans la tête de la gamine … pourquoi les secours mettaient-ils autant de temps à arriver ? Pourquoi personne n'avait rien tenté jusque là ? Pourquoi était-ce toujours à elle de donner de bonnes nouvelles quand rien au monde ne parvenait à lui rendre le sourire … le monde des adultes était peuplé de guerres, de violence et de sang et Jelenna se rendait à présent compte de tout cela. Elle se rendait compte à quel point elle n'était pas préparée, à quel point elle se montrait forte quand son cœur et son corps étaient détruits par les évènements.

« Je ne veux pas qu'on offre sa vie pour moi papa. Je ne veux perdre personne, je ne veux plus sentir les morts dans ma tête ! »

Elle avait à demi hurlé le dernier mot, se souvenant avec horreur de la bataille de Tamawa. Elle savait que son père tentait de la réconforter mais le réconfort ne changerait rien à sa situation, même s'il l'aidait à supporter tout ce qui lui arrivait.

« Je suis fatiguée tu sais … je ne suis pas aussi forte que vous le pensez et je suis lasse … mais je sais que vous allez venir me sauver, je le sens, à chaque battement de mon cœur, à chaque souffle qui m'est encore permis d'avoir, je sens en moi que je serais bientôt libre, je ne comprends juste pas pourquoi vous êtes aussi longs à venir. Ne m'aimez-vous pas suffisamment ? »

Jelenna regretta aussitôt cette phrase et ajouta dans la précipitation :

« Désolée ! Je ne pensais pas ce que j'ai dit c'est juste que … c'est … »

Les larmes roulèrent sur ses joues et elle hoqueta un instant avant de reprendre :

« Juste que c'est dur et qu'à force d'être enfermée, je vais devenir folle. »

Elle sourit à l'idée et se força à réfléchir à la dernière question de son père. Elle repoussa avec douceur son étreinte pour réfléchir avec sérieux à sa demande … la première chose qu'elle ferait une fois libérée ? Elle le savait déjà, son cœur le lui hurlait depuis le premier jour où elle avait été enfermée dans ce donjon, dans cette chambre où elle s'éveillait chaque jour. La petite fille eut un sourire tendre avant de répondre :

« Je veux te voir, pour de vrai, et passer du temps avec toi enfin … si tu veux bien ... Dis ... maman va bien ? Eléa m'a dit qu'elle était fatiguée, je m'inquiète mais maman me dit toujours que ça va alors je ne sais pas quoi penser ... »

La petite fille eut un sourire triste et pourtant, c'était l'espoir qui animait ses traits depuis le début du rêve. Avoir des nouvelles du monde et être sure qu'ils viendraient la chercher ranimaient un tant soit peu son cœur.

« Tu sais, j'ai réfléchi et je pense que je ne serais jamais une amazone digne de ce nom. Je serais toujours une enfant et je n'aurais jamais le talent de maman ou d'Eléa pour être reine. Cela ne m'attriste pas, je sais qu'Eléa sera à la hauteur et Kiera sera là pour elle mais je sais également que je ne supporterais pas de voir des morts. Ces batailles, ces vies qui s'éteignent, j'entends encore le chant des morts dans ma tête avant de m'endormir. Chaque soir. Alors, je crois que ce que je ferais en sortant d'ici, c'est de sauver des vies. »

Elle hésita une seconde avant d'ajouter, les joues marbrées de rose :

« Je voudrais être Templier, pour préserver la paix. Je ne veux plus voir de morts, je ne veux plus les sentir dans ma tête. Plus jamais. »

Jelenna était spéciale, il l'avait su dès les premiers jours et bien avant qu'elle ne se fasse capturer. Mais de là à penser qu'elle avait développé des pouvoirs assez puissants pour intéresser un dieu, c'était beaucoup trop. Et voilà qu'à présent elle lui révélait une bien étrange manière de ressentir l'esprit, sentir les morts intimement. Et suivant le ton employé, elle parlait évidemment de personnes qu'elle ne connaissait pas. Quels étaient les limites de l'Esprit de sa fille? Cela avait-il un lien avec les pouvoirs d'Azael? Quel effet aurait donc une défaite du Dieu sur sa petite? Et surtout, comment arrivait-elle à garder encore toute sa tête sans avoir eu une seule formation pour fermer son Esprit à l'extérieur?

"Il y a des personnes, Jelenna, qui méritent qu'on se sacrifie pour. Qui sont plus importantes que moi ou une rivalité de cités."

Il ne pouvait vraiment lui expliquer les problèmes politiques derrière cette capture. Même lui n'y voyait pas une seule justification valable. Était-ce réellement de l'amour que de la laisser souffrir dans cette tour pendant que les loups et les lions se battaient pour une part de gâteau? Avait-il peur? De quoi avait-il peur, n'aimait-il pas assez sa fille pour sa sacrifier pour elle? Ne l'avait-il pas déjà fait pour protéger Eléa en allant au devant de l'arme de sa femme?

"Il te faut accepter que tu es différente ma puce, et que tu es de ces personnes pour lesquelles des gens vont se sacrifier. Mais pour en avoir le moins possible, il faut que tu tiennes encore un peu. Séparément, nous ne sommes que des brins de pailles..."

Il attrapa de la paille par terre, tombée des sacs isolants du toit. Il en cassa une pour montrer la faiblesse d'une brindille. Puis il en saisit une énorme poignée, qu'il eut beau tordre, qui ne cassa pas.

"Mais quand les brindilles sont ensemble, en un seul être, aucune ne casse. C'est cela que ta maman est en train de faire: rassembler les brindilles pour en faire une tresse incassable. Cela la fatigue bien sûr, mais elle n'est pas seule: je suis là avec elle".

Il lui passa la main dans les cheveux blonds, démêlant la tignasse légèrement frisée.

"Et si tu veux rejoindre les Templiers, j'en parlerai à maman. Je pense qu'elle comprendra que ce que tu as vécu te met sur cette voie. Et je serai là pour veiller sur toi. Je pense que je peux déjà t'aider un peu à ne plus entendre ces voix. Vois-tu, j'ai moi aussi un peu de ces pouvoirs, j'ai vécu la même chose que toi. J'ai appris à Asora à se protéger de l'Esprit, je peux te l'apprendre aussi. Les résultats arriveront très vite, même si la formation sera longue. La première chose, c'est de ne pas refuser ce pouvoir, de comprendre les limites qu'il a, de le pousser à son maximum.
Lorsque tu comprendras ses limites, tu sauras comment les saisir et les ramener aux frontières de ton Esprit pour n'y laisser qu'une porte. Visionne, vois ton pouvoir comme un mur, un gros mur de brique. Construis ce mur dans ta tête tous les soirs avant de dormir. Puis, quand tu n'entendrais plus les voix, construis une porte dans ce mur. Je peux t'aider à le bâtir si tu le souhaites!"

Il se concentra, poussant avec son Esprit. Il entra en effet très facilement dans l'Esprit de sa fille, trop facilement, et modifia le rêve: à la place de la maison se matérialisa le pouvoir de sa fille, une grande plaine aux couleurs de l'arc-en-ciel sous un ciel bleu. Un immense arbre vert clair trônait au milieu, le vent faisait changer les couleurs des fleurs à chaque souffle, tantôt transformant les pétales en papillons. Alors, Jacen montra à sa fille une immense carrière de pierres polies, légères comme une plume et solides comme une montagne.

[DH] De l'autre côté du miroir (pv Jacen) (terminé) Fond-ecran-paysage-fantastique

"Tu vois ces pierres? Ce soir, on va commencer à les poser et les cimenter autour de ton jardin. Une muraille pour que rien ne puisse abimer ces fleurs et cet arbre. Ne t'en fais pas, ce sera beaucoup moins fatiguant que tu ne le penses!"

Puis, empilant quelques briques dans ses bras:

"Tu m'aides?"

Jelenna ne voulait plus de morts, plus jamais. Elle voulait entendre les voix des vivants et non celle des trépassés. Lasse et fatiguée de partager son esprit avec ceux des disparus qui se refusaient à quitter ce monde, la petite fille espérait qu'en devenant Templier, les choses s'arrangeraient. Mais pour l'heure, elle écoutait surtout son père, cherchant dans chacune de ses paroles l'espoir et le réconfort qui finissaient par lui manquer de plus en plus dans cette chambre dans laquelle dans peu de temps, elle devrait se réveiller. Cependant, la petite princesse ne trouva aucun réconfort dans les premiers mots de son père. Il y aurait des sacrifices, il y aurait une nouvelle fois des morts. Encore une fois, son esprit serait condamner à entendre le chant triste et solitaire des âmes errantes.

« Non ! » hurla-t-elle presque malgré elle.

Elle craignait d'avoir blessé son père mais sans doutes ce dernier s'attendait-il à sa réaction. Il prit le temps de la réconforter, de lui expliquer les choses aussi simplement que possible. Ce ton apaisant, Jelenna aurait donné n'importe quoi pour qu'il ne cesse jamais de combler le silence de son existence. La petite fille observa le brin de paille et frémit malgré elle lorsqu'il se brisa entre les doigts du Templier. Lorsqu'il refit la même expérience avec plusieurs brins, elle comprit enfin où il voulait en venir. Philéa, sa mère, était en train de rassembler les gens pour sa cause, elle était en train de monter une armée puissante, un seul corps dont elle serait la tête et Eléa, la main. Jelenna sourit mais ne put s'empêcher de réfléchir à l'allusion de son père. Elle n'avait certes pas l'esprit tactique de sa mère ou l'impétuosité de son ainée mais elle était intelligente et calme, ce qui lui permettait de réfléchir aux situations et comprendre plus de choses que le commun des mortels. Si sa mère assemblait une armée et que Jacen devait être à ses côtés, si à cela s'ajoutait le fait que ça fatigue sa mère, le tout ne pouvait vouloir dire qu'une seule chose : Muria n'était pas la seule concernée.
Jelenna se demandait pourtant vers qui avait pu se tourner sa mère. Elle savait en étant allé aidée son père que nombre de gens étaient morts à Silmarie. Eléa le lui avait confirmé dans un de ses rêves, l'armée de la cité des elfes n'était plus et cela avait dévasté son Capitaine. Dans ses souvenirs, Eléa lui avait même confié que Feanaro n'était plus que l'ombre de lui-même et si Jelenna avait tenté d'entrer en contact avec le fiancé de sa sœur, elle n'y était jamais parvenue … La petite fille avait également appris de la bouche de l'amazone que Ptot Tàh avait succombé à la Maladie … Vers qui Philéa avait-elle pu se tourner pour demander de l'aide ? Kriisten avait disparu depuis si longtemps maintenant et Meliant, le Consort, n'était pas prêt de vouloir aider Muria, Jelenna savait parfaitement que l'alliance ne liait que sa mère et l'Oblat de part leur grande amitié. Philéa détestait le Consort et c'était réciproque alors pourquoi l'aider ? Surtout quand Muria était affaiblie par son absence et la grossesse de sa mère … a moins que Kriisten ne soit revenue ! L'enfant failli poser la question mais se ravisa. Quoi que …

« Kriisten est revenue ? »

Sa voix était timide et son regard encore perdu dans ses pensées.
Jelenna savait que Storghein seule ne suffirait pas … Sa mère était-elle suffisamment folle pour s'allier à Cydonia ? L'aimait-elle suffisamment pour le faire et bafouer son honneur et sa fierté ? La petite princesse en doutait. Si Philéa l'aimait, ce n'était certainement pas au point de se ridiculiser en admettant l'aide des Cydiens.

« Père … es-tu en train de me dire que ma mère fait la paix avec les ennemis d'antan pour venir me sauver ? »

La petite fille était incrédule.
Elle devait se tromper.

La jeunette sentit la main de son père ébouriffer ses cheveux et une vague de chaleur parcouru son corps. Elle manquait de tendresse, de cette douceur que seule sa famille pouvait lui apporter. Comme elle regrettait d'avoir fait ces choix aussi stupides qui avaient causés sa perte …

Sa mère ? Philéa n'accepterait sans doutes pas que sa fille si longtemps disparue parte chez les Templiers. Toutes l'appelaient « la petite Diane » en raison de son don manifeste pour le tir à l'arc mais Jelenna ne souhaitait pas devenir une amazone, une Sentinelle, et encore moins leur chef même si tel était le destin choisit par sa cité pour sa petite personne. Elle voulait la paix et non plus les conflits. De toute façon, même si sa mère donnait son accord, la petite savait pertinemment que ce ne serait pas le cas de sa princesse de sœur. Jamais Eléa n'accepterait que sa précieuse cadette parte loin d'elle et comme elle ne pourrait pas la suivre … Jelenna se doutait déjà de la réponse.
La suite du monologue de son père traversa son esprit comme une onde d'espoir. Ne plus sentir ces âmes mortes frôler son esprit sans qu'elle ne puisse rien faire pour elles ?

« Je ne le repousse papa, j'aime ce don parce que grâce à lui, je peux vous sentir, savoir que vous êtes en vie, comme si vous viviez à l'intérieur de mon esprit. C'est mon seul héritage de toi et il m'a permis de survivre jusqu'à aujourd'hui. Ce don m'est plus précieux que tu ne le crois. » ajouta-t-elle avec un sourire timide.

Le reste en revanche était comme toucher l'inconnu. Voir son don comme un mur … était-ce possible ? Jelenna en doutait. Si elle parvenait à comprendre certains affres de ce précieux don, elle ne parvenait pas à en faire le tour et le manipuler à sa guise. L'idée évoquée lui semblait impossible à réaliser. Oh oui, elle avait besoin d'aide pour bâtir le mur dont parlait son père …
Le rêve se modifia sous les pieds de la petite amazone. La maison céda sa place à une immense plaine où l'herbe poussait, grasse et fraiche. Les brins chatouillaient ses pieds nus. L'herbe était multicolore, et le ciel, d'un bleu pâle, ne souffrait d'aucun nuage. Enfin, trônait droit devant elle un arbre majestueux. Jelenna se prit au jeu de voir les fleurs changer de couleur à chaque souffle du vent, de voir leur pétales devenir papillons … Quel était cet endroit ? Jelenna se souvenait de l'avoir foulé une fois auparavant, en compagnie d'Imala, la louve au pelage de neige, mais depuis, elle n'avait pu y avoir accès. D'ailleurs la première fois, c'était l'animal qui l'y avait convié. Elle allait poser la question lorsqu'il lui montra une carrière de pierres polies. Ce qu'il lui expliqua la surprit. Si elle comprenait bien … s'il fallait monter le mur ici cela signifiait qu'ils étaient dans son Esprit ? La petite fille était perplexe.

« Je suis déjà venue ici, une fois, avec Imala. Est-ce mon Esprit ? »

Ce ne pouvait être que cela après la leçon qu'il venait de lui faire. La petite se saisit d'une brique qui lui paraissait lourde au premier abord mais qui se révélait légère bien qu'elle soit persuadée de sa solidité. Elle sourit à son père, finalement, pas besoin de réponse, elle avait comprit.

« Oui mais je ne suis pas sure d'y arriver. » murmura-t-elle pour toute réponse.

Et elle commença à ériger les bases de son mur. Toutefois, elle doutait de pouvoir le faire chaque soir … vu la surface … elle y passerait toute une vie non ? N'osant faire part de ses doutes à son père, elle se contenta de lui demander :

« Asora a l'air gentille mais elle ressemble beaucoup à Eléa non ? »

Elle eut un petit rire en repensant à ses rencontres avec la jeune Astorg. Elle se souvenait de la fougue qu'elle avait pu y lire et de la mésentente entre les deux filles. Comme pour continuer la conversation, elle hasarda alors :

« Dis papa, tu n'aimais pas assez maman et Eléa pour rester avec elles ? »

Jelenna baissa les yeux, il n'y avait pourtant aucun reproche dans sa question, puis murmura d'une voix à peine audible :

« Tu ne m'aimais pas assez ? »

[DH] De l'autre côté du miroir (pv Jacen) (terminé) B6054a9bd510741af7ada0d2153bd53a-djnxej

Jacen connaissait l'importance de la tache, il savait que cela était long: ne lui avait-il pas dit qu'elle verrait rapidement des améliorations mais que cela était très long? Cependant, il fallait avouer que l'étendue de l'Esprit de sa fille était ahurissant: exploiter ce potentiel lui prendrait la vie entière. Il avait participé à la construction de celui d'Asora et de quelques jeunes élèves: rien n'était au niveau de celui de sa fille.Effectivement, le travail serait long: mais les portes de sorties énormes. S'il devait veiller à ce que Jelenna protège bien son monde, il allait devoir aussi porter son attention et sa vigilance sur les ouvertures qu'elle allait laisser: à tomber dans l'excès de protection. C'était arrivé à Asora, qui avait à présent besoin de beaucoup de concentration pour détecter les Sensibles. S'il était difficile de se fermer, il l'était encore plus de s'ouvrir par la suite.

"C'est vrai, ta soeur ressemble beaucoup à Asora sur certains points: elles sont fières et ne supportent pas d'avoir tord. Mais tu lui ressemble aussi beaucoup: comme toi, Asora a beaucoup souffert de son Don. Elle a fait l'erreur de le rejeter dans son adolescence, rendant son travail encore plus difficile: je suis heureux de voir que toi, tu ne le rejette pas."

Signe que Jelenna acceptait de travailler sur son Esprit, des briques apparaissaient au fur et à mesure qu'ils montaient le mur, les dispensant d'aller les chercher à la carrière. Bientôt, en continuant sur cette lancée, sa fille serait capable de monter son mur juste par sa volonté, terminant ce travail qui pouvait sembler interminable. Mais cela, seule la petite saurait quand elle serait prête.
Sa question sur l'amour qu'il portait à sa famille l'arrêta dans son geste, la brique dans les
mains. Bien sûr que ce moment allait arriver, mais le plus tard aurait été le mieux. Comment expliquer à sa fille qu'il ne connaissait pas son existence, que sa mère était partie en le laissant pour mort, qu'il n'avait su l'arrêter?

"Ta maman est partie de la maison il y a bien longtemps, alors que ta sœur n'était qu'un petit enfant. Tu n'étais même pas encore née. Comme tu le sais, il est difficile pour un homme de s'approcher de Muria: je vous ai protéger du mieux que je pouvais de l'extérieur, attendant le jour de vous pouvoir à nouveau vous serrer toutes les trois dans mes bras. Comme c'est le cas encore aujourd'hui..."

Jelenna avait pensé lorsqu'elle avait entrepris de protéger son Esprit que le mur ne se monterait jamais. Elle avait beau voir des pierres et sentir petit à petit la base devenir un muret solide, la petite fille avait l'impression qu'elle passerait la nuit à faire tout ça. Jacen lui avait soufflé qu'elle verrait vite des résultats mais également qu'elle stagnerait vite à un certain niveau seulement il fallait bien l'avouer, aux yeux de la petite fille, elle voyait surtout cette immense plaine et son mur ridicule, à peine plus long que trois hommes couchés. Pour autant, son père semblait satisfait et la petite demoiselle commençait à comprendre pourquoi. Inconsciemment, elle avait commencé à créer d'elle-même des briques aux couleurs arc-en-ciel. Jelenna s'arrêta un instant et se rendit compte du fil qui se mettait en place dans son Esprit, ténu et presque invisible, c'était lui qui permettait sans trop d'efforts de créer une brique à chaque fois qu'elle en posait une autre provenant de la carrière. La petite princesse bis sourit à son père, fière de constater les quelques progrès dont elle était capable.

Le rapprochement entre la jeune élève de son père et sa sœur ainée la fit sourire. Si Eléa entendait cela un jour, sans doutes le prendrait-elle mal vu comment Jelenna la connaissait. L'amazone semblait détester Asora alors que si tout les opposaient selon elle, en réalité, il n'y avait pas besoin de gratter bien loin pour comprendre qu'elles se ressemblaient énormément. Jacen semblait du même avis que la petite fille qui ne put s'empêcher de sourire à nouveau. Elle fut par contre étonnée de voir qu'il faisait également un rapprochement entre Asora et elle. Jelenna s'en sentie flattée, Asora comme Eléa étaient des personnes importantes pour elle et synonymes de grandeur, de courage et de force. Si on faisait le rapprochement entre la timide princesse qu'elle était et ces deux jeunes femmes, elle ne pouvait en être que plus fière !

« J'aime ce don et je pense qu'Eléa ressemble d'autant plus à Asora que je ne le pensais. Elle n'aime pas l'Esprit, peut-être parce qu'elle n'a pas encore compris certaines choses à ton sujet, peut-être aussi parce qu'elle est trop perdue pour voir certaines choses mais elle n'aime pas cet héritage. J'espère qu'elle ne fera pas comme Asora … et que tu l'aideras autant que moi. »

La petite fille posa une brique sur le mur qui prenait maintenant bien forme. Dans peu de temps, il serait suffisamment haut et solide songea-t-elle.

« Ce jour viendra bientôt pas vrai ? Tu me l'as promis ! »

Elle sourit, la tristesse serrant son cœur à la pensée qu'elle se réveillerait bientôt seule dans sa chambre-prison avec pour seule compagnie Kiki, qu'elle appréciait beaucoup, et Mort, qu'elle redoutait plus que tout, même si heureusement, ses visites se faisaient de plus en plus rares.

« Maman t'aime beaucoup, je le sais, je l'ai vu ! Eléa aussi, ne t'en fais pas papa. Et puis moi ... »

Ses joues rosirent avant qu'elle n'ajoute tout bas :

« Et puis moi aussi je t'aime beaucoup papa ... »

Ce fut à cet instant précis que Jelenna se rendit compte que la prairie s'éloignait d'elle sensiblement, que la brique qu'elle tenait dans la main lui échappait malgré sa volonté de la tenir fermement. Quelqu'un la réveillait de force dans sa chambre, sans doutes Kiki. Avait-elle dormi trop longtemps ? La silhouette de Jacen se fit plus floutée, plus vague et Jelenna lui cria de toutes ses forces :

« Je t'attendrai tu sais ! »

Elle n'était même pas sure qu'il ai entendu. Lorsqu'elle s'éveilla, Jelenna sentit une vague de tristesse déferler dans sa tête. Kiki se tenait devant elle et par la fenêtre, la petite fille pouvait voir le soleil pointer timidement le bout de son nez. Malgré les larmes qui montaient, Jelenna sourit à la Cavalière, visiblement, la bonne humeur de cette dernière était contagieuse mais au fond de son cœur, dans un coin de son Esprit, la petite princesse bis se sentait éperdument triste et seule …

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» [151-DP] (flashback DH) De l'autre côté du miroir. (Angèle, Damatit, James)
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