« Comme d’habitude j’imagine. »

Lou jeta un regard à la serveuse qui l’observait de toute sa hauteur. Une femme à la peau mate, le visage rondouillard remplit de rides dûes à un sourire et des éclats de rires fréquents et épaisse comme deux hommes côte à côte. Elle lui adressa un sourire un peu moqueur accompagnant son affirmation qui avait été lancée d’une voie grave. Sa prestance, non due à sa carrure pourtant suffisante pour attirer l’attention, avait toujours été teintée de distance et de désintérêt. C’était pour ça qu’il aimait bien cette serveuse. Elle ne cherchait pas à se faire aimer à tout prix mais, jouait de ses charmes avec modération. Le genre de femme qui est tellement associée au décore qu’au final, elle en devient le centre.

« Comme d’hab. Et dit aux filles de me laisser en paix. »

« Tu devras bien sortir de ton coin un jour mon chou. Les muscles ça s’atrophie si tu ne les utilises pas assez !»

Dit-elle avant de rire grassement. Lou ne rit pas mais, eut tout de même un sourire amusé. Il supportait bien la compagnie de la femme. D’ailleurs, celle-ci avait la délicieuse habitude de ne jamais s’éterniser ou essayer de le connaître mieux que comme le client qui faisait fuir les autres serveurs. La femme repartit d’un pas lourd en faisant rouler ses hanches pour aller chercher d’autres commandes.

Ce fut ce moment que choisit un autre type pour entrer dans la salle. Lou lui jeta seulement un coup d’œil avant de reporter son attention sur le carnet qu’il avait ouvert devant lui. Un type flamboyant et peu discret, voilà tout. Il griffonna simplement du bout de sa plume sur ses feuilles sans plus s’intéresser à ce qu’il y avait d’autre. Il réagit seulement à la serveuse qui revenait et lui planta un verre de cidre sur la table. Elle avait agi en vitesse mais, en se penchant obligeamment en avant lui offrant un rapide et plongeant point de vue sur sa gigantesque poitrine. Elle repartit immédiatement sans plus s’occuper de lui. Il y eu un moment de calme relatif. Discutions diverses, il avait la paix et ne faisait aucunement cas des autres clients.

Puis, vint un moment de calme total. Lou s’interrompit pour regarder l’homme qui venait de faire taire le reste de l’auberge avec sa remarque. Il sourit et eut un petit rire amusé à peine audible en temps normal mais, bien claire dans le silence. Il n’avait pas tort. Quelques hommes commençaient à s’agiter, hésitant encore à comprendre qu’ils avaient été insultés, perturbés par le rire de Lou. Dans quelques secondes, ils allaient certainement comprendre et provoquer une belle engueulade qui finirait en bagarre générale. Lou ferma son carnet et le rangea calmement en attendant la tempête. Il croisa les bras et observa en silence ce qui allait de passer. Il était toujours amateur quand il y avait un bon spectacle.

Premier acte, le plus stupide et baraqué, rapport qualité-prix, venait de se lever pour provoquer l’étranger. Lou fut largement impressionné par le fait qu’avec une odeur de vin exhalant de tous les pores de sa peau, l’autre soit capable de se tenir droit et de parler sans bégayer. D’accord, certaines personnes étaient impressionnantes dans certains domaines. Il se cala un peu plus dans sa chaise en regardant l’ivrogne.

Acte deux, l’homme en rouge se levait et avec toute l’arrogance de ceux qui tracent leurs chemins, défiait son interlocuteur. Lou ne fut pas vraiment sûr que l’imbécile qui l’avait provoqué ait été capable de vraiment comprendre le vocabulaire élaboré du voyageur. Comme c’était prévisible, d’autres hommes se joignirent à la fête. Bien sûr, si un étranger rappliquait et commençait à faire des phrases auxquelles les encroûté du coin ne pigeaient pas un mot, ceux-ci avaient tendance à en déduire automatiquement que c’était une insulte et sortaient les poings de l’anse de leurs chopes.

Au final, le nouvel arrivant ne devait que venir chercher la bagarre car, il avait tiré toutes les ficelles pour provoquer une joute très sportive. Ceci signifiait soit, qu’il était très bête, soit, qu’il savait qu’il allait gagner et qu’il comptait sur sa petite représentation pour se forger une réputation lui donnant l’avantage dans toute relation sociable dans le coin. Lou soupira en silence. Un des hommes le regarda comme hésitant à prendre ça comme une autre insulte. N’ayant pas envie de se mêler à ça, Lou pris simplement une gorgée de son verre et regarda le voyageur belliqueux avec attention, redevenant inintéressant pour l’abruti qui l’avait regardé.

*J’espère qu’aucun ne viendra me saigner dessus.*

Dégainé et même pas frappé. Il y avait de quoi être déçu quand on s’attendait à une bonne vieille bagarre de taverne à faire trembler les murs. Mais Lou n’était pas vraiment de ce genre-là. Voir un groupe d’imbéciles se taper grassement dessus de manière désordonnée était d’un ennui sans fond à son goût. Par contre, le mouvement de l’homme. Claire, unique et parfaitement maîtrisé, c’était quelque chose de beau qu’il avait du plaisir à voir. Bon, le manieur d’arme aurait quand même pût éviter de congédier l’ivrogne avec une tirade bien au-dessus des moyens du pauvre homme.

Lou regarda les hommes partir précipitamment, l’un d’entre eux tentant de sauver son honneur avec une histoire de femme à surveiller et de voisin un peu trop sympathique. Ridicule, tout bonnement ridicule. Mais amusant, au moins, il ne regrettait pas de s’être laissé distraire. Il jeta un coup d’œil à la serveuse qui leur courût après pour des consommations impayée. La tigresse dû en rattraper un et lui faire payer la dette en entier parce qu’elle revint avec un beau pactole qu’elle donna au tenancier. En tout cas, il y en avait une qui ne perdait pas le nord.

Et un qui avait besoin d’une boussole. Lou regarda le bretteur lui demander s’il pouvait prendre place et s’installer sans attendre de réponse. Certes, il avait apprécié le spectacle mais, ce n’était certainement pas pour ça qu’il voulait de la compagnie de l’homme. Lui, semblait combatif et opportuniste ? Le chasseur se retint de lever les yeux au ciel et se contenta de ressortir son carnet et sa plume et de recommencer à griffonner avant de parler d’une voix posée masquant son agacement.

« Non. »

Il s’interrompit un instant pour regarder l’autre droit dans les yeux.

« Je ne vous permets pas. »

Précisa-t-il pour que l’autre n’ait pas l’excuse de mal comprendre la cause de son refus et qu’il s’en aille sur-le-champ. Il se replongea dans son carnet espérant que le belliqueux ait correctement compris le message.

Lou n’apprécia pas vraiment le petit jeu de l’homme avec la serveuse. Celle-ci, pas plus troublée que ça par l’interlude, repartait déjà d’un pas ferme. C’était sur qu’elle devait en avoir vu beaucoup d’autre après plusieurs années à servir dans ce bar et c’était peut être chose courante pour elle. Mais, le chasseur doutait fortement que l’autre soit réellement capable d’apprécier la beauté de la femme. Les personnes qu’il supportait bien étaient rares et si cette dame en faisait partie ce n’était certes pas pour sa banalité. D’une certaine manière, ça l’avait énervé. Il finit son verre d’une traite tout en écoutant son interlocuteur forcé. Déjà, le nom qu’il avait donné, qu’il soit vrai ou pas était…enfin bref, si c’était son vrai nom, il n’y avait plus à chercher bien loin d’où venait son penchant pour la bagarre et la fanfaronnade. Cob ? Coq plutôt. Le coq écarlate. Voilà un surnom qui irait bien. Après avoir renommé mentalement son voisin de table, il répondit d’un ton calme à sa question.

« Il y a bien un conflit dans le coin. Un quartier à deux rues d’ici et plus ou moins disputé par deux groupes. Les gars que tu as sortit tout à l’heure font partie de l’un d’eux. Mais face à eux, il y a Geoffrey, il tient tout une bande de gars prêt à en découdre. C’est un chic gars tant qu’on ne le provoque pas mais, je suis pas mal inquiet pour lui. La dernière foi qu’on s’est vu, il m’a avoué qu’il avait toujours ses problèmes d’insomnies et avec sa pauvre femme à moitié aveugle. C’est dur de s’occuper de ses deux enfants autistes et de son groupe de gros bras. »

Il finit avec un ton faussement mielleux, le regard dans le vide remplis d’une terriblement fausse émotion de charité. Pour peu, il aurait presque fait semblant de pleurer. Il défit son masque en une seconde et regarda le coq en retrouvant son expression franchement agacée et en faisant un geste de la main comme pour balayer son histoire.

« Non mais franchement, les têtes payantes sont sur les tableaux d’affichage et, je ne sais pas si tu l’as ne serais-ce que remarqué, mais j’évite le contacte avec les gens. Et c’est justement pour éviter ce genre de minauderie sur mon épaule. Il est méchant, il a encore volé mes clients. Oh mon dieu, ce voleur de bétail fait des ravages ! »

Il ponctua chacun de ses exemples en mimant avec satyre les paysans éplorés. Puis, il siffla la serveuse la plus proche. Une jeunot fine comme une guêpe avec une cascade de cheveux bruns et ouverte pareillement de manière sociale et vestimentaire. Il se leva et présenta son interlocuteur à la belle en tendant le bras vers lui.

« Petite, voici Cob. Cob, voilà le genre de personne qui a les infos que tu cherches. Et même plus si tu y mets le prix. »

Il posa un peu d’argent sur la table pour payer ses consommations avant de faire volte face en murmurant un vague, « bonne soirée », avant d’aller rejoindre le bar en vitesse fuyant avec ravissement pour retrouver la compagnie d’un nouveau verre de piquette.

Apparemment, le coq n’avait pas comprit l’ironie de ses propos et prenait au sérieux sa petite histoire. Lou leva les yeux au ciel même si, tournant en ce moment le dos à l’autre, celui-ci ne pût pas le voir. En tout cas, il l’avait énervé. Tant mieux, l’autre l’avait plus que largement cherché à son goût. Vivre avec trois gosses ? Lui ? Bon, il n’avait apparemment pas encore vraiment cerné le personnage. L’homme remonta légèrement dans son estime quand il rejeta la jeune femme mais cela l’énerva d’autant plus quand il mentionna sa génitrice. Il sourire mauvais orna ses lèvres un court instant au souvenir de la femme en question. Il avait vraiment envie de frapper quelqu’un maintenant.

« Je ne pense pas que les arrogants dans ton genre soient capables de comprendre quoi que se soit à ma vie. »

Dit-il d’un ton neutre sans élever la voix. Il était assez loin de l’autre maintenant et il se fichait clairement que l’autre l’ait entendu ou pas. Il se leva pour quitter l’établissement quand la porte de l’entrée s’ouvrit à la volée. A première vue, les gros bras de toute à l’heure avait prit leur courage à deux mains. Ils étaient revenus armés de pioches et de masses, le visage encore plus rouge qu’avant à cause de l’alcool. Lou se retrouva juste en face du meneur qui le regarda d’un air aussi bête que méchant, ses articulations blanches autour de sa pioche.

« Écarte-toi. »

« Même pas en rêve. Dégage. »

Grogna Lou de mauvaise humeur. L’homme parut surprit mais le chasseur n’était vraiment pas dans l’intention de faire preuve de patience. La brute prit quand même une seconde avant d’avoir le réflexe, stupide soit dite en passant, d’agiter son arme en l’air pour la lui envoyer sur la tête. Lou lui décrocha un violent et rapide coup de genoux dans l’entre-jambe et le poussa en arrière d’un coup de coude dans le plexus. L’homme heurta le gars derrière lui et la porte d’entrée fut bien vite un amas de saoulards énervés et déséquilibrés qui n’avaient pas finit de passer la porte. Lou recula d’un pas pour prendre un peu d’espace avant le début du réglage de compte. Il y en avait déjà un qui avait son compte.

« Parfait. Enfin de quoi s’amuser un peu. »

Lou attendit le premier coup pour réagir. Idiots comme ils étaient, aucun des paysans n’avait eut l’idée de le contourner pour l’encercler. Manœuvre pourtant évidente aux yeux du chasseur, mais il n’avait prit cette position que parce qu’il savait qu’il ne risquait rien de la part de tels adversaires. Ils hurlèrent tous avant de lui foncer dessus. Le spectacle fut tout bonnement pitoyable. Sur les quatre au seuil de la porte, deux se heurtèrent l’un contre l’autre dans l’espace étroit de l’entrée. Le choc suffit à les faire lamentablement s’encoubler dans leurs propres jambes et tomber sur le sol. Mais, les deux badauds chutèrent dans les jambes du troisième qui avait à peine franchit la porte et qui, suite au coup dans ses membres antérieures, s’effondra à son tour comme un domino ne laissant qu’un seul des belliqueux mener jusqu’au bout sa charge.

L’homme aurait eut au moins le mérite d’avoir fait un beau mouvement d’inconscience martial si il ne s’était pas arrêté net, le visage blanc et la bouche dans une parfaite imitation d’un poison hors de l’eau en voyant ce qui venait de se passer derrière le chasseur. Lou fit les choses dans l’ordre. Il donna un coup avec la base de sa main à plat dans le nez de l’homme, brisant le cartilage dans un bruit de bois mort. Il enchaîna en pivotant sur une jambe pour donner un coup de pied à l’arrière du genou de l’homme avec assez de force pour lui faucher la jambe et l’envoyant rejoindre ses camarades sur le sol.

Après son mouvement, Lou se trouvait face au coq écarlate qui se mit alors à hurler en dégainant son arme. La cause de l’arrêt brutal de son adversaire tituba en arrière et faillit le percuter alors que le sang s’échappait joyeusement de son cou comme une fontaine en perte de puissance. Lou le saisit par le col de sa main gauche et dégaina son couteau de la droite. Rapidement, il trancha la gorge de l’homme laissant le reste du sang partir sur le sol en un clin d’œil.

Les clients se mirent à hurler en prenant la fuite après s’être prit la douche chaude que Lou venait de déclencher. Les trois saoulards dont il n’avait même pas eu à s’occuper, qui se relevaient avec difficultés, furent heurtés en plein fouet par la foule apeurée pour sa vie et, il y avait fort à parier qu’ils furent bien vite piétinés de part leur position en plein centre de la sortie.

Le chasseur lâcha le cadavre de l’homme qui tomba sur le sol au milieu de sa propre flaque. Il jeta un coup d’œil vers le comptoir. Le patron s’était recroquevillé derrière avec la plupart des serveuses. L’imposante serveuse à la peau sombre était restée debout à les observer. Il n’y avait chez elle qu’une vague inquiétude et elle ne se sentait visiblement pas menacée. Son sang-froid était agréable. Lou regarda le bretteur dans la salle presque vide et pointa sur lui un doigt accusateur.

« Toi, tu as vraiment trop le goût du spectacle et je déteste les vantards. Si tu y vas avec une pique il faut l’enfoncer dans l’œil pour tuer rapidement ! »

C’était ce qu’il faisait de mieux en conseil amical. C’était bien une reproche mais celle-ci n’était pas vraiment méchante venant de sa part. Il avait utilisé juste un ton très légèrement énervé, sa colère ayant fichu le camp avec les paysans terrifiés. Il essuya son couteau sur le vêtement du corps pour en enlever le sang et rengaina.

« Vaut mieux y aller avant que la garde rapplique. »

Dit-il en se dirigeant vers la sortie.

Le temps passe et jamais ne s'arrête.

Le changement de saison s'annonce et bientôt, un blanc manteau recouvrira le monde, le chant joyeux des oiseaux cédera sa place au silence et le monde s'endormira petit à petit. Dans ce décor figé par le temps, le moment est venu de s'éclipser, de laisser la nature reprendre ses droits et le cours des choses se faire.

Désengagés : Abisheï, Lou