Chaque nuit transportait la petite princesse bis vers un nouveau rêve et chaque nuit, elle rencontrait la destinée d'inconnus mêlées à celle des gens qui lui étaient chers. Jelenna était spéciale, son père le lui avait répété maintes fois, sa mère également … ainsi que sa sœur ainée, il fallait croire que c'était vrai. Si elle tentait de se préserver de la destinée des autres, ses rêves la menait toujours vers un même endroit, soir après soir, nuit après nuit. Chaque fois qu'elle fermait les yeux, la petite fille se voyait à l'orée d'un bois, plusieurs chemins se dessinant devant elle, tels des labyrinthe infinis pouvant la mener vers d'autres cieux. Chaque nuit, elle suivait les sentiers battus qu'elle savait surs et qui la menaient à sa famille mais depuis une semaine maintenant, la jeune amazone se sentait attiré par un nouveau chemin, insidieux, sombre, embrumé …
Depuis une semaine, alors que ses envies la poussaient à suivre ce chemin nouveau mais si terrifiant, sa tête lui hurlait de ne pas le arpenter, comme si un danger pouvait l'y attendre. Cette nuit-là, la voix se fit plus forte, plus pressante, le chant qui s'élevait de ce chemin sinueux se fit plus attirant, plus doux et à la fois plus fort. Jelenna frémit dans son rêve ne sachant que faire. La voix se faisait pressante et la petite fille se sentait comme obligée de suivre ce chemin, aussi douteux soit-il mais pour autant, son corps semblait comme figé. Cloué sur place. Il refusait de lui obéir comme pour lui signifier qu'elle ne devait surtout pas suivre ce chemin …

Jelenna hésita encore une seconde, peut-être plus puis détourna ses pas du chemin, laissant derrière elle la voix entonner un chant à déchirer le cœur d'un insensible. La petite princesse bis se sentait irrémédiablement attirée par le chant, comme si au bout se jouait sa liberté, sa vie mais la brume et les cailloux sur ce chemin ne lui disaient rien qui vaille … Elle préféra s'éloigner et son esprit la mena dans une forêt qu'elle connaissait si bien pour la arpenter chaque nuit en rêve. La petite fille croisa Haiiro qui chassait un lapin en silence sur sa gauche. Jelenna se prit à partager son rêve … elle lui manquait tant. Sa fourrure douce et pleine de chaleur, sa force, sa musculature, ses parties de course avec l'animal et surtout, l'amitié qu'elle éprouvait pour la boule de poils qui le lui rendait si bien … Jelenna était seule. Attristée par cette constatation, elle laissa l'animal poursuivre seule son rêve, ne pouvant le partager davantage. Si la petite demoiselle appréciait grandement les parties de chasse de Haiiro, jamais elle ne parvenait à se faire entendre de la louve au pelage cendré et jamais elle ne parvenait à la toucher, que ce soit par le corps ou par l'esprit.

« Tu me sembles fatiguée petite princesse. » murmura une voix bien connue à son esprit.

Jelenna se tourna dans la direction de la voix en douceur. Déjà, le sol changeait sous ses pieds à présent nus. La forêt avait laissé place à une vaste plaine d'herbe verte bien grasse. Le ciel était à présent visible et bleuté, parsemé de quelques nuages desquels tombait une neige fraiche mais appréciable avec la chaleur ambiante. Nul doutes que Jelenna était dans un rêve, le sien cette fois-ci.

« Je vais bien, merci Imala. » répondit-elle avec douceur et politesse.

La petite princesse, malgré son rang, s'inclina avec politesse devant l'animal symbole de sa déesse et attendit que cette dernière l'invite à s'asseoir près d'elle. Sans se faire prier, Jelenna s'assit et posa sa tête sur le pelage immaculé de la louve. Elle réfléchissait à cette chanson qu'elle entendait, tel un requiem.

« Imala, est-ce possible de croiser les morts en ce monde ? » se risqua la petite fille.

« Petite princesse, tu m'as déjà posé la question et ma réponse reste inchangée. Tu croiseras dans ce monde toute sorte de personnes. »

La réponse était toujours la même et n'aidait guère la petite fille, perdue entre les morts et les vivants. Elle ne parvenait plus à savoir où était le rêve et la réalité. Où étaient les vivants et le chant des morts. Où était Mort elle-même. Si elle parvenait à échapper à sa vigilance, il n'en était pas toujours ainsi.

« Tu fais toujours ce rêve n'est-ce-pas ? » demanda la louve avec calme, sa queue se posant sur l'épaule de la petite qui avait l'esprit ailleurs.

Jelenna s'excusa du regard de ne pas avoir écouté l'esprit ancestral et répondit, soudain perplexe :

« Il y a toujours ce chemin, toujours ce chant. Crois-tu que je devrais le suivre ? » hasarda-t-elle, s'attendant déjà plus ou moins à la réponse de la louve des neiges.

Elle ne répondit pas tout de suite, semblant elle aussi voguer vers d'autres cieux. Lorsque ses yeux pâles se posèrent sur la petite fille, ils étaient sereins mais une vague de tristesse les parcourut.

« Si tu es attirée par ce chant, c'est peut-être que tu dois prendre ce chemin ma petite. » conclut-elle avant de se lever en douceur.

Imala la regarda une dernière fois, posant son museau sur son front comme pour y déposer un baiser et quitta les lieux. Elle disparut tel un mirage, petit à petit, son ombre se fondant avec le reste du paysage. Jelenna resta donc seule, allongée dans l'herbe fraiche et douce comme la soie. Au bout de quelques minutes, le chant se fit de nouveau entendre, d'abord faiblement puis distinctement. Le cœur de la petite fille se mit à battre la chamade. Elle se leva, décidée à suivre le conseil de l'esprit. Peur rassurée, elle vit alors le chemin brumeux et sinueux se dresser devant elle. Sans attendre, sans se laisser le temps d'hésiter, la petite fille posa un premier pas sur ledit chemin et avança. Malgré l'impression du temps qui passait, le paysage ne changeait pas.
Ténèbres.
Humidité.
Solitude.
Tels auraient été les adjectifs que Jelenna aurait choisi si on lui avait posé la question.

La marche dura longtemps, trop longtemps pensa la petite amazone. La demoiselle aux cheveux d'or se demandait si elle ne ferait pas mieux de revenir en arrière mais au fur et à mesure qu'elle marchait, elle sentait disparaître le chemin sous ses pieds et n'osait pas de ce fait se retourner, de peur de constater la terrible vérité. Bien longtemps après le début de la marche, la princesse haute comme trois pommes se rendit compte que le chemin menait à un mur.
Une immense muraille.
Une seule et unique brique avait été retirée du mur à hauteur de sa tête et une main pendait mollement de cet interstice. Jelenna se précipita près du mur et le monde changea autour d'elle. Le mur, impénétrable, ne bougea pas, en revanche, une lanterne s'alluma sur au dessus de sa tête, seule source de lumière sous le ciel ténébreux. Sans y réfléchir, Jelenna saisit la main.

C'était une main d'enfant.
Nul mot n'osa sortir de son gosier.

Aerin n'aimait pas dormir. Il détestait dormir.
Chaque nuit, il la voyait. Il la sentait près de lui sans parvenir à la rattraper. Jamais.
Elle fuyait, encore et toujours, comme si la présence du petit garçon était la pire chose qu'elle puisse concevoir. Comme si elle avait peur de lui … Aerin détestait peu de choses mais chaque fois qu'il fermait les yeux, il détestait ce qui suivrait. C'était sans doutes pour cela que le gamin se refusait à dormir le plus longtemps possible, ne s'octroyant que le plus petit nombre d'heures possible de sommeil chaque nuit, au grand damne de son père. Chaque nuit était le même cauchemar, les mêmes sensations ou encore, les mêmes émotions et toutes les nuits, le fils des Templiers se réveillait en sueur et en hurlant, faisant trembler les murs de sa chambre et le cœur de son vieux père. Cette nuit-là, le jeune Aerin s'endormit malgré lui aux premières lueurs de la lune, la fatigue emportant son jeune esprit vers le monde des songes malgré toutes ses tentatives d'entrave. Il était temps pour lui de replonger dans les ténèbres de son propre piège …

Le jeune homme frissonna, le vent hurlant caressant violemment sa peau mais il réprima un nouveau frisson en voyant le monde qui l'entourait. Ce même paysage qui le hantait depuis … combien de temps ? C'était comme être pris au piège d'une torture perpétuelle, d'un labyrinthe duquel il ne pouvait pas sortir. Jamais.

Le petit garçon décida pourtant d'avancer malgré la noirceur du paysage. Sous ses chaussures, il sentait la cendre craquer dans un bruit macabre, tel un requiem. Le vent hurlait de douleur et le ciel, noir comme la nuit, ne parvenait pas à trouver de compagnie avec la lune ou les étoiles. Devant lui, Aerin pouvait voir une nouvelle fois l'immense muraille à l'horizon et devant lui …
Elle était là.
Son regard posé sur le sien, si doux.
L'instant suivant, ce fut la colère qui le transforma.

« Aerin ! Promets-moi de ne plus grimper ! » avait prononcé la jeune femme d'une voix qui n'admettrait pas qu'on la contredise.

Si l'inquiétude perlait dans la voix de la silhouette aussi fragile que le sable, de sorte que le vent aurait pu la détruire, ses yeux trahissaient sa colère et son corps brulait surement de l'envie de le gifler. Le petit garçon s'entendit répondre :

« Oui maman, je te le promets. »

La silhouette, comme chaque nuit, s'approcha de lui, toute colère disparue. Elle se pencha et déposa un baiser sur son front.
Froid comme la mort.

« Tu es un bon petit » murmura-t-elle à l'image de ce jour-là.

Et soudain, comme chaque soir, le vent changea. Au lieu de lui arriver de face, il fouettait désormais son dos. Le visage de sa mère se fit inquiet, puis la colère put s'y dessiner à nouveau. Elle murmura quelque chose que comme chaque fois, le gamin ne put pas comprendre.

« Maman ? » s'entendit-il une nouvelle fois murmurer tandis que le vent ébouriffait ses cheveux avec violence.

Comme chaque nuit, elle chevauchait son cheval sortit de la brume qui se levait et partait au galop en direction de la muraille. Et le petit la suivait en hurlant, tandis que le vent cachait le son de sa voix. L'espace et le temps n'existent pas dans les rêves et Aerin s'en rendait compte avec autant d'étonnement chaque nuit car déjà la muraille était devant lui et sa mère venait de la passer en silence.

« Maman !!! »

Aerin hurlait tandis que dans la réalité, son corps se contorsionnait. Il essaya comme chaque nuit de grimper le long de la muraille mais retomba encore et encore, s'écorchant, laissant ses chairs à vif.

« Maman !!! Reviens ! » hurlait-il.

Il savait qu'elle était morte. Il savait qu'il ne pouvait pas la suivre mais il s'obstinait. Pour un dernier baiser, un dernier câlin, une dernière parole. Il était tellement désolé qu'elle ai du se sacrifier, tellement désolé de ne pas avoir la force de la venger, de donner sa vie pour elle. Cette nuit-là, alors que le vent hurlait dans ses oreilles et qu'il était couvert de poussière, de terre et d'égratignures, il décida de longer la muraille. Elle devait avoir une fin.
Il marcha, encore et encore.
Pendant des heures.
Il marcha jusqu'à épuisement.
Dormait-il encore ? Oui, quand il rouvrit les yeux, il put voir la muraille se dresser face à lui. Fière, droite, intacte. Il entendit alors un bruit étrange, celui d'une pierre que l'on retire de l'édifice. Il leva les yeux en direction du bruit et ne bougea pas lorsque la brique tomba lourdement sur le sol. Cette partie du rêve lui était inconnue mais il était épuisé.

« Aerin ? »

La voix de sa mère.
Il se leva avec l'énergie du désespoir.

« Maman ! Je suis là ! »

Il ne pouvait pas vraiment la voir, la brique était à hauteur de sa tête une fois debout mais il ne percevait qu'une ombre.

« Promets moi de ne plus grimper. » murmura la voix.

Les forces l'abandonnèrent.
Sa main resta prisonnière de la muraille tandis que la réalité du rêve le prenait. Il était condamné à revivre la scène c'était bien cela ? Tout ceci n'était qu'un rêve, il allait se réveiller. Celyween n'était plus là, il devait le comprendre. Son esprit le savait mais son cœur se refusait encore à y croire. Le rêve en était la plus parfaite des preuves.

Une douce chaleur le saisit.
Elle venait de sa main restée de l'autre côté.
Elle était revenue.

« Mom ? »

La main sembla s'éveiller d'un long sommeil engourdissant.
Jelenna sursauta presque.
Un instant, elle avait cru que la petite main, à peine plus grande que la sienne, appartenait à un corps sans vie. Sans doutes aurait-elle du prendre peur de voir que ce n'était pas le cas tout comme elle aurait sans doutes du avoir peur de saisir la main d'un inconnu, morte ou vive, dont elle ne pouvait voir le visage. Jelenna avait confiance ou peut-être se doutait-elle tout simplement qu'elle ne risquait rien. Les rêves ne pouvaient blesser, ils ne pouvaient tuer alors à quoi bon être méfiante n'est-ce-pas ? Tandis que la main s'éveillait sous ses doigts, qu'elle commençait à sentir la chaleur émaner de cette dernière, la petite jeta un coup d'œil sur l'épaisse muraille de laquelle elle émergeait. Une muraille épaisse certes mais plus solide que le diamant surtout. Pourquoi se dressait-elle en plein milieu de ce paysage sinistre ? La petite l'ignorait mais elle se demandait tout de même pourquoi sa conscience l'avait menée jusque là, pourquoi cette voix l'avait-elle attirée et surtout, pourquoi le chemin avait-il disparu sous ses pieds ?

« Mom ? »

La voix la fit sursauter, réellement cette fois.
Si elle avait senti la vie reprendre ses droits dans la main qu'elle serrait avec douceur, elle ne s'attendait pas à ce que la personne à qui elle appartenait parle. C'était une réflexion idiote à bien y réfléchir mais en réalité, Jelenna n'avait pas pensé un instant à la suite de son rêve. La petite princesse bis se savait en sécurité et se sentait comme obligée d'être là, comme si cette main qu'elle serrait appartenait à quelqu'un qui appelait à l'aide de toute son âme. Il lui avait fallu une semaine pour trouver le courage de venir, une longue semaine de torture à entendre ce chant si triste, une longue semaine d'agonie à être rongée par les remords de ne pas venir à la rencontre de celui, puisque la voix était celle d'un garçon, qui l'appelait au secours.
Un instant, l'image de l'assassin, d'Ilian, marqua l'esprit de la petite amazone mais elle s'effaça aussi vite qu'elle était venue. Il était adulte et même si le monde des rêves était un univers étrange et excitant, il ne permettait pas de mentir sur son âge ou son apparence du moins pas à ce point. Enfin … en fait, Jelenna n'en était pas si sure. Elle se promit de poser la question à Imala lorsqu'elle retrouverait la louve immaculée.

Jelenna se focalisa sur le mot prononcé par ce qui devait être un garçon de son âge.
« Mom » … de l'elfique, c'était sur.
Jelenna était amazone, en tant que tel, elle connaissait l'Astorg et le Cydien pour les avoir appris à l'école et dans ses lectures. Les Almers parlaient la langue des signes même si elle en ignorait les rouages … ne restait donc que l'elfique. Sauf que la gamine ignorait totalement ce que ce mot voulait dire …
Jelenna se força à réfléchir.
Elle avait sentit de l'amour, de la peur émaner de cet enfant. Ce mot …. la petite était sure de l'avoir déjà entendu. Elle ferma les yeux, se forçant à réfléchir un peu plus et la mémoire lui ouvrit les bras. Ce mot, c'était de la bouche d'une enfant de Muria qu'elle l'avait entendu et dans ses souvenirs, c'était à la sortie de l'école. La petite, haute comme trois pommes et tout juste âgée de trois ou quatre ans, s'était blottie dans les bras de sa mère en prononçant ce mot. « Mom » … maman ?
Le choc.
Il la prenait pour sa mère !
Jelenna sourit malgré elle, amusée par la situation. Elle était bien incapable de répondre en elfique aussi, elle se décida à dire, en Cydien cependant :

« Désolée, je ne suis pas ta maman. »

C'était idiot comme réponse et la petite princesse aux boucles d'or s'en voulut immédiatement. Elle sentit une vague de tristesse traverser son esprit et Jelenna n'eut pas besoin de réfléchir pour comprendre qu'elle ne venait pas d'elle. Elle grimaça.

« Je m'appelle Jelenna, et toi ? » tenta-t-elle de se rattraper.

Elle n'était même pas sur qu'il la comprenne mais le silence lui faisait soudain peur. La petite amazone serra la main un peu plus fort, comme pour transmettre à l'inconnu avec lequel elle parlait, enfreignant toutes les règles de sécurité et de survie apprises par le passé à Muria, un peu de courage, d'amour ou de n'importe quel sentiment qui l'aiderait. Jelenna était perdue, elle posa ses yeux sur la muraille avant d'ajouter, d'une voix à peine audible :

« Où sommes-nous ? »

Ce fut malgré elle que Jelenna avait demandé cette question. En réalité, elle se la posait depuis qu'elle avait foulé le chemin suspendu si l'on pouvait dire et les lieux la terrifiaient. Non, elle n'était pas terrorisée par le paysage, en réalité, elle était apeurée par le paysage du seul fait que normalement, le rêveur le modelait. Ici, il n'y avaient que ténèbres, humidité, froid et solitude. Qu'une grande muraille impénétrable. Ce garçon ... était-il vraiment possible qu'il cherche à être sauvé ? Etait-ce vraiment lui qui l'avait appelée ?

Jelenna avait presque immédiatement regretté ses questions mais pour autant, elle avait senti qu'il était nécessaire qu'elle se fasse insistante. Que pour aider ce garçon, elle devait le mettre face à ses propres doutes et ses propres erreurs mais en aucun cas elle ne s'était attendue à sa réaction. Certes la petite fille s'était dit que Aerin allait lui en vouloir mais s'il l'avait appelée, elle estimait qu'il ne pouvait que comprendre ce qu'elle dirait. Ce n'était visiblement pas le cas.
Son ton sec la surprit et elle sursauta presque, se sentant stupide. Jelenna n'osa pas répondre à la première interjection. Elle n'avait pas besoin d'enfoncer le couteau dans la plaie, d'autant que la princesse amazone savait parfaitement qu'elle avait vu juste, de part l'ambiance et de part la réponse du gamin. Ils étaient dans son cauchemar, ni plus ni moins.

La rupture du contact physique fit grimacer la petite fille, ayant l'impression d'avoir perdu bien plus par ce geste qu'elle n'y aurait songé de prime abord. La petite princesse voulut l'appeler et lui dire qu'elle était là pour l'aider, qu'elle avait senti qu'il était seul et qu'elle était venue, tout simplement, mais l'orage gronda au dessus de sa tête et le jeune homme laissa éclater sa colère.

Sa mère était morte.
Jelenna commença à comprendre pourquoi elle avait entendu le chant d'une femme la mener ici et non celui d'une voix masculine. Elle comprenait également à présent l'état de fatigue avancée et pire que tout, de tristesse profonde de ce garçon à peine plus âgé qu'elle.
Jelenna l'écouta épancher sa soif de violence et de colère, chacun de ses mots traversant son cœur comme une pointe de flèche. Une pointe de ses flèches. Des larmes roulèrent sur les joues de l'enfant, incapable d'en vouloir à celui qui la faisait souffrir. La petite princesse bis avait toujours été comme cela, incapable de détester quelqu'un pas même Mort qui la torturait dès qu'elle le pouvait. Jelenna aimait le monde et était persuadée que dans la pire des personnes réside du bon. Aerin n'était pas une mauvaise personne, il souffrait, tout simplement, mais il n'était pas le seul.

« Tu te trompes » murmura-t-elle, incapable de savoir s'il l'avait entendu.

A présent, outre la tristesse, c'était sa propre colère que Jelenna sentait pointer en elle.

« Je ne suis pas une princesse pourrie gâtée, je suis une enfant et si mon destin était d'être princesse de Muria, regarde où cela m'a mené. Je suis enfermée dans cette tour depuis des jours et des nuits durant, trouvant mon seul échappatoire dans les rares visites nocturnes que je m'accorde, par le biais des rêves. Je vis ma vie à travers ces rêves, trouves-tu cela juste ? »

Le ton de la petite fille n'avait pas une seule fois était accusateur, pas une seule fois, elle n'avait laissé sa colère prendre le dessus et sans même y penser, elle l'avait chassée. Aerin était seul, elle savait mieux que quiconque ce que la solitude pouvait provoquer.

« Je suis venue ici parce que j'ai senti que tu avais besoin de moi. Tu me demandes de partir … mais comment le pourrais-je alors que tu m'en empêches ? »

Son ton se fit à la fois plus doux et tout aussi étrange que cela puisse paraître, plus dur.

« Le sentier que j'ai emprunté pour venir ici a disparu sous mes pas. Je suis venue parce que tel était mon choix mais je ne pourrais repartir que lorsque tu auras décidé de me laisser partir. Tu es le seul à pouvoir décidé de ma présence, ce choix ne m'a jamais appartenu. »

Cette fois, son ton se fit plus doux, plein de compassion certes, mais surtout, d'inquiétude.

« Aerin, tu es dans un cauchemar, le cacher serait idiot, et si ta mère a voulu m'amener ici, parce que je sais maintenant que le chant qui m'a conduit devant cette muraille était le sien, c'est parce qu'elle voulait que tu t'en sortes. As-tu seulement envie de t'en sortir ? Toi seul a les clés. »

Jelenna hésitait mais finalement, osa :

« Aerin, prends ma main. »

Elle la tendit autant qu'elle le put à travers le mince trou dans l'épaisse muraille puis ajouta :

« Prends ma main et raconte-moi. »

Malgré elle, la petite fille sourit lorsque son interlocuteur s'excusa.
Depuis qu'elle était enfant, Jelenna n'avait jamais réussi à en vouloir à qui que ce soit et si des excuses aidaient souvent à ce qu'elle reprenne comme avant avec la personne, elles n'étaient pas nécessaires. La rancune ne faisait pas partie des défauts de la petite fille. La princesse amazone sentit ensuite les larmes du jeune homme couler sur sa main tandis qu'il l'avait appuyée sur son front, à nouveau, elle sentit cet étrange malaise qui étreignait son cœur. Elle se tut, consciente que ce moment n'appartenait qu'à Aerin, qu'il fallait qu'il accepte ce qu'il avait vécu sans quoi, jamais il ne pourrait avancer. Il parla sans que jamais elle ne l'interrompe, Jelenna préférant laisser le jeune homme parler pour évacuer sa tristesse et sa douleur plutôt que de vouloir lui faire la morale ou autre. Elle n'était pas là pour cela … Lorsqu'il se fut plus ou moins calmé ou tout du moins, qu'il eut déversé toute sa colère et sa tristesse, elle affermit sa prise sur sa main, attendit encore l'espace d'un instant puis ajouta d'une voie douce :

« Toute ta vie tu regretteras de n'avoir rien pu faire pour elle, ta maman te manquera également toute ta vie. »

Ses paroles pouvaient paraître dures, mais il était nécessaire qu'il ouvre les yeux, qu'il comprenne que la culpabilité qu'il ressentait n'était pas fondée, mais qu'il devrait toutefois apprendre à vivre avec. Peu importait de lui dire que ce n'était pas de sa faute, il le savait déjà dans un coin de son esprit, mieux valait le confronter à la réalité.

« Aerin, c'est ta maman qui m'a conduit ici » continua-t-elle avec douceur, « penses-tu vraiment qu'elle l'aurait fait si elle t'en voulait ? Je crois surtout qu'elle t'aime beaucoup et certaines choses sont immuables. » ajouta-t-elle avec un sourire qu'elle aurait voulu qu'il voit.

La petite fille réfléchit un instant, elle avait l'impression que ce n'était pas vraiment elle qui parlait mais plus qu'on lui soufflait les mots, les idées. Cela ne la gênait pas, au contraire si ses mots pouvaient sauver Aerin.

« Je crois que ta mère t'as choisi, toi, et non cette cité. Elle a combattu Mort pour te sauver, comme ma sœur la combattra pour me sauver, parce que c'est ça aimer. Aerin, je crois que tu te trompes sur les motivations de ta mère. Nul doutes que Celyween était une mère avant d'être une elfe. »

Au fur et à mesure qu'elle parlait, Jelenna sentait la fureur du vent se calmer et le ciel s'éclaircir. Visiblement, le gamin n'était pas insensible à ce qu'elle lui disait toutefois, la petite princesse bis sentait à regrets le sommeil la quitter. Il devait faire jour dans le monde réel et dans quelques minutes, elle devrait partir. Son cœur se serra à cette idée, elle ne voulait pas quitter le gamin. Voyant comme un progrès dans le changement de décor, Jelenna se concentra pour tenter de pénétrer dans l'esprit du jeune homme. Elle n'avait suivi qu'un seul cours avec Jacen mais savait que la muraille représentait la limite de l'esprit d'Aerin. Petit à petit, elle créa une brèche suffisante pour pénétrer en partie dans l'esprit du jeune elfe et changea le sol en herbe grasse ainsi que le ciel qui devint bleuté et parsemé de quelques nuages. Le sourire aux lèvres, elle ajouta :

« Je trouve cela bien mieux, pas toi ? »

Puis, un air attristé gagna son visage et la demoiselle ajouta :

« Je dois partir maintenant, mais … tu veux bien me promettre qu'on se reverra ? » demanda-t-elle timidement.

La première réplique de la petite princesse amazone résonna dans son esprit comme une claque, déstabilisant par là même le gamin qui ne s'y attendait pas. Elle qui s'était montrée si patiente et si douce avec lui jusque là venait en quelques mots de l'enfoncer. Pour autant, Aerin fut incapable de lui en vouloir, peut-être parce qu'il n'avait justement perçu aucune méchanceté dans les propos de Jelenna et que ses mots sonnaient avec une telle justesse qu'il n'osait pas les contredire. Au plus profond de lui, Aerin était conscient qu'il lui faudrait apprendre à vivre avec ce nouveau fardeau mais peut-être n'en était-il pas encore tout à fait prêt.
La réalité faisait mal, lui pinçait le cœur mais le gamin savait qu'elle avait raison.
Il ne lui en voulait pas.
Il entendit la voix chantante et si douce de Jelenna reprendre comme une histoire à laquelle il avait plus qu'envie de croire. La jeune amazone, la petite prisonnière comme on l'appelait parfois, était bien placée pour savoir ce qu'était la solitude mais finalement, Aerin le sentait, elle avait raison. Sa mère n'avait jamais été capable de lui en vouloir de son vivant, même quand elle était en colère contre lui, elle finissait toujours par oublier, alors pourquoi lui en voudrait-elle de son trépas ? De quoi pourrait-elle lui en vouloir ? D'être resté en vie ? Peut-être qu'au contraire, et même surement, elle était heureuse de le savoir en vie, de savoir qu'à chaque minute qui passait, il gagnait du temps, il vivait.

Sa mère s'était sacrifiée certes mais Jelenna avait raison, ce n'était pas pour une cité, pas forcément pour un idéal, juste pour lui.
Aerin.
Parce qu'elle était sa mère et parce qu'elle l'aimait plus que sa propre vie.
Son cœur se fit plus léger, au fur et à mesure, le petit garçon commençait à perdre pied. Il commençait à se pardonner et l'atmosphère s'en trouva changée petit à petit. Au dessus de sa tête, le ciel se fit de plus en plus bleu, des nuages blancs comme neige et non noirs de pluie, le parsemaient. Sous ses pieds, le sol poussiéreux avait cédé face à l'herbe bien verte et bien grasse. Aerin se sentait léger, presque heureux et il le fut d'autant plus lorsqu'il entendit la question de la demoiselle.

« Merci Jelenna. »

Il était conscient qu'elle était intervenue et il ne l'en aimait que plus. Ne l'en aimait ? La réflexion le fit sourire. Ce n'était pas de l'amour, simplement de la reconnaissance parce qu'elle avait su calmer son cœur et toucher son esprit torturé. Il aimait la jeune fille comme on aime une sœur et pourtant … il ne l'avait rencontré que depuis quelques minutes à peine. Pire que tout, il avait été odieux envers elle ! La dernière question de son interlocutrice le fit tomber de son nuage.

« Tu dois partir ? » s'empressa-t-il d'ajouter.

Il était soudainement stressé à l'idée qu'elle le quitte.
Il avait peur de perdre le peu de repères qu'elle venait de lui donner, le peu de certitudes qu'elle lui avait offert. Il avait peur qu'elle parte, elle.
Pourtant, il savait qu'il ne pouvait pas la retenir car telle était la loi des rêves. Il se résigna donc à lui promettre :

« Nous nous reverrons, je viendrais te chercher petite princesse. »

Le ton malicieux tranchait nettement avec le début de leur conversation. Il repoussa avec douceur la main de la demoiselle par le trou de la muraille et l'observa un instant. De là où il était, il ne voyait que ses yeux et s'y perdit quelques instants. Du peu qu'il voyait, elle était magnifique.

« Je viendrais. » ajouta-t-il tandis qu'il voyait son reflet disparaître.

Aerin était seul.
Mais ce n'était qu'une impression, à présent, il l'avait compris.

[ Désengagés ]