[DH] Un seul être vous manque et tout est dépeuplé (pv Philéa) (fini)

Maladie.
Son souvenir hantait encore ma mémoire.
Mort.
Son souvenir me donnait des envies de meurtre.
Bête.
Son souvenir me donnait envie de pleurer.

Philéa.
Ma mère.
J'ignorais qu'elle était mon envie à son égard mais surement pas celle de lui sauter au cou. Devais-je lui en vouloir de m'avoir menti toute mon enfance ? D'avoir créé en moi ce trou béant qu'un idiot tentait maintenant de combler avec sa gentillesse écœurante ? Devais-je la tuer pour avoir laisser Jelenna aux mains de l'ennemi même si, sur ce point, c'était plus ou moins ma faute ? Pour ne pas dire totalement. Devais-je lui en vouloir de s'être fait engrosser à nouveau par le père de ses filles ? Celui qu'elle était censée avoir banni de sa vie, de la notre, celui duquel elle avait voulu nous protéger de part ses mensonges ? Les questions tournaient en boucle dans ma tête et revenaient toujours au même point : comment devais-je réagir face à ma mère ?
Durant le trajet qui séparait Muria de Ptot Tàh, j'avais eu tout le temps d'y penser. Et plus j'y pensais moins je ne trouvais de réponse. Dans un premier temps, j'avais pensé retourner à Tamawa, car là bas, je savais que j'avais un allié en la personne de maitre Jiven mais également en celle, plus improbable au départ, d'Asora. Mais je savais également qu'il serait là et je n'étais pas prête à l'accepter. Même si Jacen commençait à prendre une certaine place dans mon cœur, ce dernier n'était pas prêt à lui concéder la place de père qui devait visiblement être la sienne. Alors Muria était venu en second choix. Là-bas, j'espérais retrouver le calme et le réconfort d'antan et Haiiro avait besoin de retrouver un environnement qui lui était familier. La jument nous mènerait donc vers la cité amazone même si ce choix m'entrainait vers des affres certains.

Le voyage fut long, non pas à cause du temps qui passait, mais parce que les minutes me semblaient justement ne pas passer assez vite. A chaque pas, à chaque seconde, une nouvelle question pointait le bout de son nez dans mon esprit et la réponse éventuelle qui en découlait entrainait une nouvelle interrogation comme un cycle sans fin, tel un serpent qui se mordrait la queue éternellement.
Il me fallu près de six jours pour retourner à Muria, non pas que je me sois perdue mais sans doutes y allais-je à reculons, inconsciemment. Je craignais, plus que de revoir ma mère et de savoir qu'elle en serait ma réaction, de retourner là où Jelenna avait vécu. Plus les jours passaient, plus je me disais que mon rapport serait inutile, que ma présence en serait gênante, moi, l'ainée qui avait abandonné la cadette à son triste sort. Moi qui la voyait en rêve si souvent sans pouvoir la sortir de son tourment. Sans pouvoir sortir du mien. Mais Muria était ma cité, celle qui m'avait vu grandir et si mon serment de fidélité envers sa souveraine faiblissait, ce n'était pas le cas de celui que j'avais fait envers mes sœurs. J'avais promi, je tiendrais au moins cette promesse.
En quelques mois, j'avais appris des choses, vécu des choses ... je devais les partager. Malgré mes différends avec Philéa, elle restait ma mère et la connaissant, elle devait se faire du souci pour moi. Comme quoi, les séances avec maitre Jiven avaient du bon ! Il y a peu de temps, j'aurais laissé ma colère me submerger plutôt que de tenter de la contenir pour voir où était la raison.

Muria.
Ma maison.
Ma cité.
Elle était là, devant moi, intacte, toujours aussi fièrement dressée.
Les Sentinelles aux portes n'en crurent pas leur yeux. J'étais partie depuis si longtemps qu'elles ne s'attendaient pas à me revoir visiblement. L'une d'entre elles n'hésita pas à m'accoster pour me serrer dans ses bras. Ne comprenant pas, je laissais faire. Les amazones n'étaient pas liées par le sang mais par un pacte invisible de liberté. Lorsqu'elle eu fini, je lui demandais si elle savait si Philéa était dans la salle du trône et cette dernière me répondit que la reine était alitée depuis le matin. Ainsi, il y avait de forte chance que je la trouve dans sa chambre.

La Sentinelle à l'entrée de la chambre me laissa entrer, ce même sourire soulagé sur les lèvres que celui de l'amazone qui m'avait serré dans ses bras. Laissant couler, j'entrais. Philéa était là, étendue sur le dos sur son lit. Seule sa respiration régulière montrait qu'elle était encore en vie. La sueur sur ses tempes démontrait toutefois qu'elle souffrait et même si son ventre ne s'était pas beaucoup arrondi, nul doutes qu'il s'agissait de sa grossesse qui la faisait souffrir ainsi ! En colère à cette pensée soudaine, je me dis qu'il serait facile de la tuer, maintenant, ici, pour me venger de tout ce qu'elle m'avait fait subir et pourtant, cette idée s'effaça aussi vite qu'elle était venue.
Elle était ma mère.
Ce fut une main hésitante que je posais sur son ventre, fermant les yeux pour que le flux de soin passe de mon corps au sien et apaise sa douleur. Mon esprit était vide, seul comptait sa survie.

Une peur incontrôlée commençait à poindre en moi. Peut-être qu'au fond, Philéa avait fait cela pour me protéger. Peut-être qu'au fond, tout ce dont j'avais peur était qu'elle me rejette ...

Philéa était allongée sur le lit, alitée par la grossesse qui bientôt ne serait plus qu'un vague souvenir. C'était la troisième certes, mais avec trois petits bout de chou qui pointeraient bientôt le bout de leur nez, c'était sans doutes la plus éprouvante de tous. La reine amazone avait fermé les yeux un instant, allongée dans sa chambre. Elle ne s'était pas sentie glisser vers le monde des rêves ... La dame ouvrit les yeux sur un monde qu'elle reconnaissait bien. Elle était dans la clairière qui se trouvait non loin de la cité, celle où, un matin, elle avait mené une bataille pour sauver sa cité d'envahisseurs aux côté d'Eléa et de ses fidèles amazones. Aujourd'hui, elle était assise dans l'herbe fraiche, profitant du beau temps pour oublier ne serait-ce qu'un instant son rôle de reine. Elle était vêtue de blanc, telle une sainte, et ses mains allaient et venaient, coupant ici ou là un brin d'herbe quand l'envie lui en prenait. Jacen, à ses côtés, lui contait encore une fois une histoire qu'il avait vécu aux côtés de Jiven et de Celyween. Depuis combien de temps parlait-il ? Philéa l'ignorait mais elle ne voulait surtout pas l'interrompre, c'était ... si agréable ! Au loin, Jelenna jouait avec son nouvel arc. La petite fille était douée, c'était indéniable, bientôt elle aurait atteint le niveau de la Chef des Sentinelles. Philéa ferma les yeux, profitant de la douceur ambiante. Cette douceur qu'elle n'avait plus eu l'occasion de retrouver depuis bien des années. Son rôle de souveraine l'avait éloignée de toutes ces choses simples de la vie sans parler de ses choix quelque peu étranges aux yeux de certains. La souveraine le savait, elle n'avait pas toujours fait le bon choix et sans doutes avait-elle eu tord mais jamais elle ne pourrait revenir en arrière. Elle ne pouvait aller que de l'avant en espérant que les choses s'arrangeraient un peu. La jeune femme ferma les yeux tandis que la brise jouait tranquillement dans ses cheveux. La voix de Jacen la berçait et bientôt, elle s'endormit dans son propre rêve.

" Tout est de ta faute !! " hurla une voix derrière elle.

Philéa se réveilla en sursaut. La voix de Jacen s'était tue, Jelenna avait disparu de son champs de vision. La reine amazone se releva d'un bond, constatant avec effroi que l'herbe sous ses mains étaient devenue sèche et la terre craquelée. Que se passait-il ? Elle chercha des yeux sa fille cadette sans succès. Prise de panique car la situation lui rappelait sans doutes vaguement la réalité, Philéa se tourna alors dans la direction de Jacen.

" AAAAAAAAH ! " hurla-t-elle, tremblante de peur.

Jacen était là, étendu sur l'herbe, baignant dans le sang qu'une terrible blessure au ventre lui avait octroyé. L'herbe avait rougi autour de lui et la terre semblait boire avidement le sang qui s'écoulait de la plaie. Philéa saisit le corps de ce dernier, pleurant à chaudes larmes. Elle le gifla de toutes ses forces, hurlant son prénom sans que rien ne se passe.

" Tout est de ta faute ! "

A nouveau cette voix qu'elle ne connaissait que trop bien.

" Jelenna !! "hurla alors Philéa en se relevant. Mais la petite n'était pas là.
La souveraine amazone paniqua, cherchant désespérément du secours quelque part, mais il n'y avait personne. Elle était seule. Elle tomba sur le sol, pleurant sur le corps de Jacen, hurlant le prénom de sa fille.

" Tout est de ta faute. "

A cet instant; elle sentit la lame de l'arme qu'elle ne connaissait que trop bien pour l'avoir offerte à sa fille, sur sa gorge. Elle n'osa pas bouger. Elle n'avait pas peur, elle était simplement soulagée, aussi étrange que cela puisse paraitre. La lame tomba sur le sol dans un bruit sourd.
Eléa fit le tour, se retrouvant face à elle. Elle tenait dans ses bras le corps ensanglanté de la petite princesse bis. Si ses poignets n'avaient pas été ouvert et dégoulinant d'une substance rougeâtre à moitié coagulée, Philéa aurait pu pensé qu'elle dormait, tout simplement. Les vêtements de la princesse amazone étaient rougis par le sang du petit corps et le sourire éternel de la petite fille était figé à jamais sur son visage poupin. Philéa tendis les bras vers sa cadette, tremblante de chagrin, pleurant toutes les larmes de son corps.

" La ferme ! " hurla Eléa avec colère.

La jeune femme releva la tête en direction de sa fille. Malgré la tristesse, elle ne souhaitait pas que cette dernière lui parle de la sorte, elle restait sa mère après tout ! C'est alors qu'elle vit le visage de son interlocutrice. Pâle comme la mort, couvert de boue et d'éclaboussures de sang. Un léger filet rouge coulant le long de son cou et trouvant sa source aux niveaux des lèvres de son ainée. Philéa écarquilla les yeux, failli hurler lorsqu'elle la voix tranchante de sa fille s'éleva :

" Tout est de ta faute. C'est toi qui les as tué ! C'est de ta faute s'ils sont morts ! "

Les yeux de sa fille n'était plus que colère, rancune et haine. Comme si tout le reste avait disparu, comme si tout le poids du monde tombait sur les épaules de la reine amazone. Philéa tenta de se justifier mais elle enchaina aussitôt :

" C'est de ta faute s'ils ont brûlé mon corps ! ''

A cet instant, une flèche se ficha dans son ventre. Sa robe jusque là immaculée se teinta rapidement de rouge tandis qu'elle sentait sa conscience vaciller. C'était de sa faute, elle avait mérité tout cela. La jeune femme voyait sa fille ainée l'observer en train de mourir. Pas un mot, pas un sourire, rien, comme si elle-même avait été un pantin. Le monde devint ténèbres autour d'elle.

Lorsque Philéa ouvrit les yeux, en sueur, elle se retrouva face à face avec Eléa.
Un instant, elle se cru encore dans son rêve et faillit crier mais lorsqu'elle sentit que la douleur disparaissait au niveau de son ventre et lorsqu'elle vit le visage de la demoiselle, immaculé et simplement fatigué, elle comprit qu'elle avait repris conscience, que tout cela n'était qu'un mauvais rêve. Elle soupira en silence, soulagée. Eléa était là et elle ne cherchait pas à la tuer, au contraire, elle sentait un flux magique provenant d'elle qui envahissait tout son corps et faisait disparaître la douleur.
Philéa hésita longuement. Elle se doutait qu'Eléa savait qu'elle était éveillée et pourtant, cette dernière ne bougeait pas, continuant son travail les yeux fermés. Lui avait-elle pardonné ? Devait-elle comprendre cela dans son geste ? Et pourquoi était-elle là d'ailleurs ?
La mère posa alors sa main encore chaude de part la fièvre qui l'avait alitée jusque là, sur celle de l'ainée de ses enfants. Elle sentit une certaine tension sous ses doigts. Un instant, son rêve lui revint en mémoire mais elle le laissa de côté et souffla simplement :

" Tu es revenue. "

Une main se posa sur la mienne et la voix de Philéa s'éleva dans la pièce. "Tu es revenue". Si seulement elle savait à quel point ces mots me faisaient mal, à quel point ils me transperçaient le peu de cœur qu'il me restait. Pourtant, je décidais de garder mon calme, de me concentrer sur ce que Jiven m'avait appris durant mon séjour au Temple de Tamawa. Me concentrant sur le soin que j'étais en train de faire, j'en oubliais la présence de ma mère et de la pièce qui nous entourait. Sous mes doigts, je sentais le mouvement délicat de quelque chose qui se développait dans le ventre de cette dernière. Le pire dans l'histoire était sans doutes que Philéa n'avait prit que six malheureux kilos ... C'était dingue mais la physionomie de la jeune femme était comme cela. Par l'Esprit, j'avais ressenti la présence plus ou moins certaine de trois enfants, j'espérais me tromper d'ailleurs ce devait être le cas car, dans mes souvenirs, Jacen avait parlé de jumeaux. Il me fallut plus de cinq bonnes minutes pour conclure le soin et lorsque ce fut fait, je décidais enfin d'ouvrir les yeux, laissant ma main là où elle était.

" Oui. "

Je n'avais pas trouvé mieux comme réponse. En réalité, j'ignorais moi-même pourquoi j'étais revenue. Sans doutes m'étais-je dit que c'était mieux, que cette cité dans laquelle j'avais grandi saurais me faire retrouver le calme et la raison mais j'avais peut-être eu tord. J'ignorais totalement ce qui m'avait poussé à venir ici et quelque part, je commençais également à le regretter. A regretter ce choix en voyant les espoirs que Philéa avait placé en ma simple présence. Je n'étais pas rentrée pour lui pardonner, j'en étais incapable, non pas parce que je lui en voulais, même si je lui en voulais quand même un peu sur le coup, mais parce que j'étais moi-même perdue. Elle était là, fatiguée et sans doutes éprouvée par la grossesse tandis que moi ... j'ignorais quel était mon état d'esprit. Même si je pouvais me calmer grâce aux techniques enseignées chez les Templiers, je sentais une colère insondable en moi, pire que tout, je sentais du ressentiment et une infinie tristesse. C'était vraiment ... étrange en réalité de voir qu'on pouvait à ce point avoir conscience de ses sentiments tout en étant en même temps spectateur de ses propres sentiments.

Le temps passait et je sentais pas l'Esprit que Philéa n'osait pas parler, comme si elle respectait mon silence ou comme si elle avait peur également de découvrir la raison de mon retour. Quelque part, elle avait raison d'avoir peur. Je détestais ses mensonges, la réalité qu'elle m'avait offert pour mieux la briser ensuite, ce père qu'elle m'avait caché, Jelenna, ces enfants à naitre que je ne voulais pas voir. J'étais égoïste, monstrueuse ... mais elle m'avait rendue comme cela ! Faisant un énorme effort sur moi-même, j'ouvrais enfin la bouche, brisant le silence qui régnait ainsi dans la chambre.

" Comment te sens-tu ? Cela ne te fais pas trop souffrir ? "

Je ne souhaitais pas mettre un mot sur son état. Si je reconnaissais qu'elle était enceinte, une nouvelle partie de moi s'envolerait. Quelque part, je trouvais injuste que ces enfants aient un endroit pour vivre, un foyer avec un père et une mère aimants alors que je n'y avais pas eu le droit, du moins pas entièrement. J'étais jalouse et je me détestais de ce sentiment mais qu'y pouvais-je ?

" Je suis venue te faire un rapport, il peut attendre si tu te sens trop fatiguée. "

J'étais horrible. Lui faire croire que je me souciais d'elle pour enchainer avec cela ... qu'avais-je donc dans la tête ? Bien sur que j'étais inquiète pour elle ! Bien sur que j'avais peur pour sa vie surtout si il y avait plusieurs gamins dans ce maudit ventre ! Lui faire payer ce qu'on pourrait appeler des erreurs ainsi étaient monstrueux. Quelque part, je me disais aussi que je n'avais jamais eu que le côté de mon père, peut-être ma mère saurait-elle défendre ses choix. Je connaissais Philéa, je savais parfaitement qu'elle ne prenait jamais de décision à la légère mais je connaissais également son fichu entêtement et sa soif d'ambition qui la rendait prête à tout ... Raaaah et si je les détestais finalement tous les deux, ne serait-ce pas plus simple ?? Non, j'avais promis, c'était stupide d'agir ainsi ! Il fallait attendre la réaction de Philéa, il fallait attendre d'avoir les tenants et les aboutissants ... Raaah putain mais parle aussi là !

[ Désolée, c'était ... pourri ! XD ]

Sa fille ainée lui était revenue, Philéa se croyait dans un rêve éveillée malgré le cauchemar qu'elle venait de faire. Elle avait sa main posée sur son ventre et la soignait avec attention. La princesse lui aurait-elle donc pardonné ? Le temps qu'employa dans un premier temps la jeune femme le lui laissa supposer mais sa dernière réplique mis à mal la pensée soudaine de la reine amazone. Eléa n'était revenue que pour satisfaire son devoir envers la cité et non pas pour revenir en tant que princesse amazone. Visiblement, elle n'avait rien pardonné du tout à sa mère et pire que tout, elle semblait lui en vouloir vu le ton employé, comme si c'était au premier jour.

Philéa s'en voulut énormément. Eléa n'était pas revenue pour elle.

« Merci. » précisa-t-elle en retirant sa main de sur celle de sa fille ainée.

Elle se sentait mieux en effet. La douleur dut à la grossesse avait disparu. Eléa ressemblait décidément de plus en plus à son père, en tout cas, elle en avait de plus en plus les talents … Philéa sourit malgré elle à cette vision, si elle n'avait pas eut à faire des choix aussi catégoriques par le passé, sans doutes Jacen aurait-il pu lui faire la même réflexion en voyant grandir ensemble leur fille. Mais Philéa s'était promis de ne pas regretter le passé, elle avait fait des choix, elle avait gâché certaines choses et en avait créé d'autres. Elle avait retiré des vies comme avait permis d'en sauver d'autres. Tout cela, elle le savait et de toute façon, les regrets n'amenait rien du tout.
Quant à la présence ici d'Eléa, et à sa requête … Philéa n'avait vraiment pas envie de savoir ce que ce rapport contenait mais pourtant, elle se força à répondre :

« Je vais bien ne t'en fais pas, et eux aussi. »

Peut-être n'aurait-elle pas du préciser cela mais après tout, Eléa devait elle aussi prendre conscience que dans la vie, on ne pouvait pas toujours avoir ce qu'on voulait. Parfois, il fallait supporter les choses et prendre des décisions difficiles. La princesse amazone devait apprendre à vivre dans ce monde en tant qu'adulte, même si le moment était mal choisi pour cela.
Philéa se redressa dans le lit et posa son dos contre le rebord de ce dernier, bien calé contre un coussin de belle taille. Elle prit le temps de calmer son cœur qui s'affolait entre la grossesse et la présence inattendue de sa fille ainée à ses côtés et lui répondit enfin, d'une voix qui exprimait tout à la fois force et douceur, comme elle savait si bien le faire :

« Je vais bien, merci, je t'écoute. »

Quelles étaient les nouvelles du monde depuis ces dernières semaines ?
Philéa avait tendance à se dire qu'elle s'en moquait tant que cela ne la touchait pas directement, mais elle savait aussi qu'il lui fallait savoir ce que le monde préparait pour elle-même réagir de la meilleure façon qu'il soit. Devant la mine de sa fille, elle se doutait que quelque chose n'allait pas et espérait que ce ne soit pas encore quelque chose d'insurmontable … Pourquoi les dieux s'acharnaient-ils sur eux ?

'' Eux '' … le mot m'avait fait tiquer. Il était vrai que non contente d'être enceinte, elle avait multiplié les chances. Je préférais ne pas relever, me concentrant sur l'objectif de mon retour à Muria et surtout, sur ce que j'avais appris au Temple. Ne pas s'énerver, ne pas laisser libre court à ses sentiments et en perdre la raison. Il s'en était fallu d'un fil que je perde la raison et ce, à plusieurs reprises, alors ce n'était pas aujourd'hui que j'allais recommencer, surtout pas devant elle. Surtout pas à cause d'elle. Philéa me remercia pour le soin. Une pointe de fierté se dessina dans mon esprit tandis que je me rendais compte qu'elle provenait certes de moi-même, mais aussi de ma mère. Si elle ne le disait pas, ses sentiments ne pouvaient la trahir, tout comme le fait que j'étais en mesure de sentir sa peur. Visiblement, si elle était contente de me revoir à ses côtés, elle appréhendait ce que j'avais à lui dire ou plutôt, elle se demandait pourquoi j'étais revenue et quelque chose dans sa tête devait lui souffler que dans les deux cas, ce n'était pas bon signe.

Je regardais la jeune femme qui était ma mère se relever dans son lit pour paraître en forme et se mettre à ma hauteur. Même dans la maladie, la reine amazone avait toujours su garder sa superbe. C'était un tarit de caractère chez Philéa que j'affectionnais particulièrement, cette prestance, cette autorité naturelle qui émanait d'elle et en avait fait la femme la plus puissante de notre monde à mes yeux. Philéa était une excellente reine, piètre mère même si au fond, je n'avais que ses mensonges à lui reprocher, et j'espérais devenir aussi douée qu'elle en ce domaine, porter aussi bien qu'elle la cité à bout de bras et en faire la superbe ville qu'était Muria. Savoir conserver sa place privilégiée, son système tant critiqué mais qui nous offrait liberté et prospérité … serais-je un jour capable d'avoir autant de talent que ma propre mère ? Était-ce pour cette cité qu'elle avait vraiment abandonné mon père ?
Je m'éloignais du sujet. Certes j'étais sans doutes venue en ces lieux familiers pour mettre au clair ce qu'il se passait dans ma tête, mais avant tout, j'étais venue pour annoncer la triste nouvelle qui m'avait secouée ces derniers jours. Par où commencer ? Avouer à Philéa que j'avais rencontré Nalween suffirait à la calmer sans doutes, lui dire que j'avais de meilleures relations ou presque avec mon père aussi … lui avouer le reste sur Maladie et Lika était quand même plus risqué vu son état. Mais j'avais promis. J'avais beaucoup de défauts, mais pas celui d'être une traitresse et une menteuse. Il me fallait maintenant apprendre le tact ce que, dans mon état, je n'étais pas vraiment en mesure d'avoir.

'' Je … ''

Mauvaise entrée.
Çà allait forcément titiller son cerveau de politicienne que je me sois arrêtée en si bon chemin n'est-ce-pas ? Il fallait vite reprendre avant de l'inquiéter. Commencer par le positif, vite !

'' Je me suis beaucoup entrainée avec maitre Jiven au Temple, il m'a demandé de te passer ses amitiés. ''

C'était déjà une entrée en matière plus convenable. Maintenant, il me fallait poursuivre tout en occultant les passages de ma récente vie qui aurait pu mettre en danger la vie de ce qui serait mes frères et sœurs prochainement.

'' Je me suis rendue ensuite à Ptot Tàh avec Jacen car certaines choses nous laissaient penser que Jel' était là-bas. Je suis désolée, je n'ai rien trouvé la concernant, mais je te la ramènerai, je te le promets ! '' ajoutais-je aussi vite que je pouvais, pleine de conviction.

Retrouver Jelenna n'était qu'une question de temps. Le temps qu'il restait à vivre pour ses tortionnaires que je comptais bien exterminer jusqu'au dernier. Aucun ne se relèverait et je prendrais un malin plaisir à les découper, les faire souffrir autant que j'avais souffert de l'absence de ma petite tête blonde.

'' J'ai trouvé autre chose là-bas. ''

Était-ce vraiment nécessaire ? Oui. La réponse était évidente et mieux valait qu'elle l'apprenne par ma bouche. En tant que souveraine, elle devait avoir besoin d'informations, surtout depuis qu'elle s'était mis en tête de faire des alliances avec nos ennemis !

'' Maladie était là-bas. Jacen a emmené la Prêtresse Nalween en lieux surs, et … je suis restée pour combattre la chose. ''

Devant l'air affolé de ma mère, je me sentis obligée d'ajouter :

'' Je vais bien, ne t'inquiète pas mais … ''

Dernière hésitation. Il le fallait. J'avais promis.

'' Je n'étais pas seule là-bas. ''

Pourquoi était-ce si dur d'annoncer ce genre de choses sans sentir ma gorge se serrer ? Plongeant mon regard dans celui de ma mère, je sentis les larmes rouler le long de mes joues, incapable de les retenir. Je pleurais comme une enfant la mort de la Sentinelle …

'' Lika est … elle est morte là-bas, je n'ai … je n'ai rien pu faire pour la sauver. Je suis désolée. ''

Ce sentiment d'avoir été impuissante, ce sentiment d'injustice. Toutes ces choses qui faisaient que la mort de Lika n'avait pas eu de sens, avait été brutale et injuste, tout ces choix que j'avais fait qui l'avait conduit à sa fin. A cette fin que j'avais causé ! Elle laissait par ma faute ses filles sans personne pour veiller sur elle. A cet instant précis, je compris le sentiment d'inquiétude qu'elle avait eu en quittant ce monde : qui veillerait sur ses filles après son départ ?
Je laissais les larmes couler le long de mon visage, incapable de réagir en adulte, après tout, je n'avais que 16 ans.

Philéa était inquiète. L'attitude de sa fille ainée ne promettait rien de bon, en réalité, pire que tout, elle l'inquiétait. La reine amazone connaissait la colère que sa fille nourrissait envers elle depuis quelle avait découvert la vérité ou presque toute la vérité aussi, elle craignait sans cesse sa réaction, d'autant plus depuis qu'elle était enceinte. Elle savait pertinemment que Eléa n'approuvait pas son état et encore moins qu'elle n'aimait la savoir enceinte de son propre père. Mais Philéa n'y pouvait rien, elle aimait le père de ses enfants, ni plus ni moins.
La reine amazone attendait que sa fille prenne la parole, pleine d'appréhension. Lorsqu'elle parlait de Jiven, Philéa fut surprise. Elle avait pensé que Jacen lui-même se serait chargé d'apprendre les rouages de l'Esprit à la jeune fille mais il était évident que vu le caractère que cette dernière développait, sans doutes valait-il mieux que ce soit son parrain qui lui apprenne à se maitriser. Et son parrain avait fait des miracles visiblement car ce fut avec un ton parfaitement calme qu'elle lui annonça cette nouvelle.

« Tu l'en remerciera lorsque tu retourneras au Temple car, je me doutes que c'est ce que tu feras sous peu, me trompe-je ? »

La jeune femme sourit faiblement, hésitant à l'attitude à adopter face à sa fille. Elle ignorait ce qu'elle devait faire mais quelque chose lui disait que sa fille ainée n'était pas venue ici par hasard, pour lui annoncer simplement que le Templier la saluait. Non, Eléa était sans doutes là pour autre chose. Et Philéa craignait de savoir pourquoi, d'autant plus depuis ses choix récents concernant la politique de Muria. Comment Eléa accueillerait-elle la nouvelle de l'alliance avec Cydonia ? Mal. C'était à parier.
La suite du récit attira l'attention de la jeune femme. Ptot Tàh, c'était une cité lointaine dans laquelle Philéa comptait se rendre pour nouer une dernière alliance avec le P'yra d'ici peu de temps. Depuis combien de temps sa fille voyageait-elle autant ? Mais ce qui fit le plus réagir la reine amazone fut surement d'entendre le nom de « Jacen » dans la bouche de sa fille ainée. Elle n'avait pas dit père certes mais d'ordinaire, Philéa était habituée à plus d'ardeur envers son père.

Encore et toujours retrouver Jelenna, quand comprendrait-elle que cela n'était pas de sa faute ? Philéa allait réagir sur ce point mais la jeune femme ne lui en laissa pas le temps. Elle poursuivit son monologue, ne cherchant pas à voir les réactions de sa mère. La suite de récité déplu à Philéa qui se raidit. Maladie, le Cavalier ? La Prêtresse ?

« Eléa, explique-toi, je ne comprends pas. »

La demoiselle ne se fit pas prier et poursuivit, l'air inquiet.
Elle tenta de protéger la reine amazone en ajoutant qu'elle allait bien mais cela ne convint pas sa mère qui garda ce visage marqué par l'inquiétude. Sa fille ainée avait donc bien un don pour s'attirer des ennuis. C'était le troisième Cavalier qui croisait la route d'Eléa, ou le quatrième à bien y réfléchir.

« Dois-je comprendre par ta présence que tu l'as vaincu ? »

Elle n'était pas seule, voilà qui avait rassuré Philéa mais qui alors ? Ce fut lorsque la nouvelle tomba que la jeune femme comprit. Lika, ce nom ne pouvait lui être inconnu. Il lui évoquait tant de choses.

« As-tu ramené sa dépouille ? »

Il fallait que la jeune femme ai un enterrement digne.

« J'irai prévenir ses filles. Sa mort ne restera pas impunie. Raconte-moi comment cela s'est passé. »

Les questions de ma mère fusèrent.
Je me doutais bien que la situation telle que je l'avais exposé ne suffirait pas à satisfaire les inquiétudes d'une mère mais je me doutais que si j'étais allée plus en détails, sans doutes aurait-elle fait une fausse couche immédiatement. Elle venait déjà de perdre sa cadette, autant éviter de lui laisser croire qu'elle avait aussi failli perdre l'ainée même si, quelque part et elle devait s'en douter, elle m'avait perdu dans un autre sens du terme et que je n'étais pas prête de lui revenir. J'attendis qu'elle eu posée toutes ses questions avant de réfléchir à ma réponse. Si nous l'avions vaincu ? A quel prix. Et à quoi bon ? Je n'avais rien appris de plus sur la présence ou l'absence de Jelenna, je ne savais rien d'utile à la cité et j'avais perdu l'un des meilleurs éléments de cette dernière. Pouvait-on vraiment parler de victoire ? Si j'avais ramené la dépouille de Lika ? Je n'avais pas pu. La chaleur ambiante malgré l'hiver dans la cité était telle que j'avais du l'enterrer là-bas sous peine de ramener une momie plus qu'un cadavre à la cité amazone et plus particulièrement, à ses pauvres filles. Raconter comment cela s'était passé ? A quoi bon, c'était terminé ... La colère m'envahit un instant sans savoir réellement pourquoi mais je décidais de me calmer. Philéa n'y était pour rien. Dans son état, elle ne pouvait que se ronger les sangs pour les siens sans pouvoir agir. Je devais compatir à son inquiétude plutôt que d'égoïstement penser qu'il n'y avait que moi qui souffrait.

" Oui mère, nous l'avons vaincu, mais au prix de nombreuses vies aussi je ne peux m'empêcher de penser que cette victoire n'en est pas une tant elle me laisse un gout amer. "

Je réfléchissais aux bons mots, aux bons termes qui ne risqueraient pas de la choquer ou de l'inquiéter plus qu'elle ne l'était déjà. A vrai dire, rien de ce que je ne pourrais dire ne la rassurerais, je le savais, et rien de ce que j'avais à lui raconter ne se prêtait non plus à la calmer. Mieux valait tout lui avouer et aviser ensuite.

" La cité a été ravagée, le Cavalier a décimé toute la population à de rares exceptions près quant à l'armée et au P'yra ... "

J'hésitais.
Mieux valait tout dire. Elle saurait quoi faire de ce flot d'informations contrairement à moi qui était totalement dépassée par la situation et me demandait encore comment j'avais pu revenir "en vie".

" Je suis venue à Ptot Tàh en compagnie de Jacen pour trouver des informations sur Jelenna mais en réalité, lorsque nous sommes arrivés, je suis tombée malade. Le Cavalier était déjà passé. Jacen m'a soignée et notre première inquiétude en voyant les morts joncher les rues a été de nous rendre au palais. Le P'yra n'y était plus, il avait déjà été enlevé par la chose et il a refusé de nous dire où il l'avait conduit. Restait la Prêtresse Nalween au palais que nous avons du soigner. Elle m'a confié la bague de Silmarie que voici pour vaincre le monstre mais j'ignorais comment faire et Maladie était introuvable. C'est en le cherchant que j'ai trouvé Lika, elle allait mourir et je... je l'ai soigné. "

Quelle ironie du sort. Je ne l'avais soigné que pour mieux la tuer par la suite. Sans moi, elle aurait sans doutes pu vivre une longue vie et voir ses filles grandir. J'aurais mieux fait de ... non, je devais continuer. Ravalant mes larmes, je poursuivais comme si de rien n'était, bien trop fière pour avouer ma faute et mon mal être.

" Le Cavalier est revenu le lendemain. Entre temps, j'avais trouvé l'aide de trois valeureuses personnes et ensemble, nous l'avons vaincu. C'était idiot, il fallait soigner Maladie pour le tuer ... "

Je lui expliquais alors toute l'histoire, comment nous avions tenté de le vaincre chacun notre tour, nos échecs. Le sacrifice de Lika. La lance salvatrice, tout sans omettre un détail. Lorsque mon récit fut terminé, je lui annonçais.

" Mère, c'est à moi de prévenir ses filles. "

Je n'avais pas voulu donner d'ordres et ce n'était pas le but du ton employé, j'avais simplement voulu expliquer par là qu'il m'incombait de les prévenir. Que c'était mon devoir et j'espérais qu'elle le comprenne. Au vue de la pâleur de ses traits, j'étais surtout consciente qu'il fallait que je lui annonce des nouvelles plus réjouissantes sans quoi, elle risquait de tourner de l'œil !

" Jacen est parti à Silmarie avant tout cela ! Je suis sure qu'il va bien ne t'inquiète pas. "

Bon, tentative moyenne pour la rassurer.

" Et toi mère, que ... qu'as tu fais durant mon absence ? "

Aïe.
Mauvais plan.
J'étais partie pour découvrir la vérité, l'avait découverte, lui en avait voulu à la détester et la vouloir morte et maintenant que j'étais revenue, si ma colère ne m'avait pas quittée bien loin de là, voilà que je lui demandais des choses aussi stupides. Complètement perdue sur ce que je devais faire ou dire, je cherchais désespérément un sujet de conversation plus joyeux qui détournerait son attention des éventuels périls que son mari ou moi-même avions du traverser.

" Comment comptes-tu les nommer ? "

La question était tellement stupide et tellement déplacée que j'en rougissais presque.

La reine écouta sa fille et plus cette dernière parlait, plus elle s'inquiétait. Comment avait-elle pu subir autant d'épreuves en si peu de temps ? Comment elle, en tant que mère, avait-elle pu laisser sa précieuse héritière aller au devant de la mort sans réagir ? Était-elle donc une si mauvaise mère ? Elle écouta avec attention ce qu'Eléa lui disait sans savoir ce qu'elle devait dire. Visiblement, sa fille tentait de lui épargner les détails les plus fâcheux mais c'était sans doutes pire que de tout lui raconter car Philéa s'imaginait à présent des choses étranges. Elle n'avait encore jamais eu l'occasion de voir un Cavalier de ses propres yeux et ne tenait pas tellement à en rencontrer un avant bien longtemps. Quand bien même, elle se demandait si elle avait bien fait de laisser la princesse faire autant de choses, prendre autant de risques … mais que pouvait-elle faire d'autre que de se plier aux choix d'Eléa ? Avait-elle encore droit à son rôle parental après ce qu'elle avait découvert ?
Philéa acquiesça lorsque la gamine lui dit qu'elle irait prévenir les enfants de la défunte. Finalement, c'était sans doutes plus à Eléa d'y aller qu'à elle. Là dessus, elle ne pouvait qu'être d'accord. Pourtant, elle avait l'impression que ce n'était pas suffisant mais que faire ? Elle avait autant de pouvoir sur la princesse que sur la mort !

Philéa prit le temps de digérer toutes ces informations avant d'esquisser quoi que ce soit. Un pâle sourire à l'écoute de la nouvelle concernant Jacen fut tout ce qu'elle pu offrir à son interlocutrice. Quant aux deux questions qu'elle lui posa, Philéa n'y réfléchit pas immédiatement. Elle cogitait encore sur les informations données par sa fille.

« Y avait-il des survivants ? » demanda-t-elle laconiquement, presque par réflexe.

Sa fille hocha tristement de la tête et lui répéta le triste constant qu'elle avait déjà du lui faire quelques minutes auparavant. Tutnesi enlevé. La population décimée à de rares exceptions près. L'armée disparue. La cité était devenu un tombeau à ciel ouvert. A cette réflexion, la reine tiqua. La dernière fois qu'elle avait entendu cette réflexion dans la bouche de sa fille, cette dernière avait eut la bonne idée de ….

« Eléa, qu'as-tu fais des morts ? »

Elle espérait que la gamine n'ai pas réitéré son œuvre de Tamawa. Elle n'était qu'une gamine, qu'une enfant de seize ans, elle ne pouvait pas côtoyer la mort de si près ! C'était … malsain ! Le visage de sa fille lui répondit plus que ce qu'elle bredouilla. Philéa ferma les yeux.
Avait-elle offensé les dieux pour qu'ils s'acharnent ainsi sur sa progéniture ?
Elle réfléchit un instant, mieux valait ne plus parler de tout ça.

Ce qu'elle avait fait depuis la disparition de sa fille ? Si elle avait été méchante, Philéa lui aurait répondu qu'elle n'avait cessé de s'inquiéter pour elle, pour sa santé comme pour le reste mais leurs relations étaient déjà si tendues que mieux valait éviter d'aggraver les choses. Elle préféra s'abstenir et réfléchir à ce qu'elle allait répondre. Visiblement, certaines nouvelles ne plairaient pas à son ainée. Mais elle n'avait pas eu le choix, pour sauver la cité, elle avait du sacrifier sa fierté et ses convictions les plus intimes et se rendre chez l'ennemi.

« Beaucoup de choses ont changé mon enfant depuis ton départ ».

Elle hésitait. A présent, elle comprenait pourquoi sa fille avait choisi ses mots pour lui donner des nouvelles du monde.

« Je vais être honnête, je suis lasse de devoir toujours réfléchir avant de parler. Tu es ma fille, tu es à même de comprendre ».

La jeune femme sourit faiblement et poursuivit :

« Je me suis rendue avec ton père à Cydonia pour nouer une alliance avec Anatoli Clari. Ne t'offusque pas, je comprendrais parfaitement que tu ne cautionnes pas cet acte mais je n'avais guère le choix. Seule, je ne pourrais ramener ta sœur saine et sauve à la maison. Il faut que les peuples s'allient pour vaincre Azael, il me fallait donc sacrifier ma fierté pour sauver Jelenna ».

La pire des informations était passées.

« Ce n'est pas tout, laisse-moi finir je te prie ».

Philéa attendit que sa fille se taise pour poursuivre.

« Je ne suis pas partie sans rien non plus, la fille même d'Anatoli est partie avec Kiera et une templière du nom de Siobhan en direction d'Erathia pour découvrir si ta sœur est là-bas. En parlant de la gamine, elle ne manque pas de courage. Cette templière est venue jusqu'à Muria pour m'offrir son aide. »

Philéa sourit.

« En parlant de courage. Connais-tu la pirate Cassandra ? Figure-toi qu'elle est venue jusqu'ici. Kiera l'a trouvé en compagnie de l'Oblat dans la forêt. Kriisten restera ici jusqu'à ce qu'elle décide de rentrer à Storghein, traite-la avec respect ».

Elle ne doutait pas d'Eléa mais mieux valait rappeler les bases. Elle leva la main en signe de paix et pour finir de parler. Elle ne voulait rien oublier.

« Ereine et Adéla ».

Elle hésita une dernière fois avant d'ajouter :

« Je suis contente que tu sois revenue, nos discussions me manquaient ».

"Aucun mis à part mes compagnons d'infortune et quelques personnes sauvées ici et là. Tout au plus cent ou deux cents personnes."

Je n'étais pas sure de devoir être aussi cruelle mais après tout, à quoi bon cacher la vérité ? Philéa l'aurait appris tôt ou tard. C'était inutile de le lui cacher et en prime, cela pourrait l'aider peut-être que de savoir que la cité du désert avait disparue de la carte. Qu'elle était devenue un tombeau à ciel ouvert et que plus jamais elle ne serait une menace, du moins pas avant un moment en tout cas ! La seule chose qui m'importait n'était pas cette donnée mais surtout les pauvres personnes disparues à cause d'un Cavalier égoïste et cruel ! Peu importait, j'avais donné l'information, le reste importait peu.

La question suivante de la souveraine amazone me fit froid dans le dos. Ce que j'avais fait des morts ?
Je côtoyais la mort depuis tant de temps maintenant que j'en avais oublié qu'elle pouvait être crainte du commun des mortels. Non pas que je ne la craignais pas, bien au contraire, j'étais terrifiée à l'idée un jour de ne pas savoir ce qui m'attendrait le lendemain, terrorisée à l'idée de voir la grande faucheuse au coin d'un couloir prélever ma vie comme on prélève du grain pour faire de la farine et par la suite du pain. C'était juste que je devenais habituée à la côtoyer. Même si je détestais cela, j'y prenais "gout", je m'y "habituais". Je n'étais plus aussi terrorisée à l'idée de me trouver à côté d'un corps sans âme. Alors oui, j'avais une nouvelle fois aidé à enterrer les morts avec mes dons naturels, une nouvelle fois, j'avais jouer au fossoyeur contre mon gré mais je n'avais pas le choix. Si nous avions laissé les corps pourrir au soleil, la maladie aurait pu se propager. Je ne répondis pas à ma mère, de peur qu'elle se mette à penser que je ne sais qu'elle malédiction m'avait atteinte mais ma tête suffit à lui faire comprendre ce que j'avais fait. Elle ne dit rien mais je comprenais que sa tête cogitait à je ne sais qu'elle malédiction. Comme si les dieux en avaient quelque chose à faire de nous ! Comme si les dieux avaient du temps à perdre à s'occuper de ma destinée de petite fille pourrie gâtée ... mais je n'ajoutais rien.

Je préférais de loin écouter ce qu'avais à me dire Philéa, d'autant plus que cela nous permettrait de changer de sujet et ça, ce n'était pas plus mal. Beaucoup de choses avaient changées ? Sans blague ... J'étais partie depuis tellement longtemps en même temps que je me doutais bien que les choses avaient évoluées sans moi. Sa réflexion me fit un drôle d'effet. Certes ma mère avait rarement eu de secrets pour moi concernant la gestion de la cité mais de là à dire qu'elle me faisait confiance, que j'étais sa fille et que cela induisait qu'elle me disait tout. J'avais envie de rire mais je m'abstenais.

La première information me fit froid dans le dos. Quoi ? Une alliance avec Cydonia ? Et puis quoi ? Elle avait perdue la tête ? Philéa m'empêcha de parler et poursuivit. Qu'avait-elle de pire à m'annoncer ?
Attendez attendez ... Cydonia, maintenant Cassandra, Kriisten, une organisation montée avec la fille de Clari pour nous aider à retrouver ma cadette. Mais je ne comprenais pas vraiment pourquoi elle avait fait cette alliance. C'était complètement stupide après tout ... mais en même temps, je comprenais la position de ma mère. Contre un ennemi aussi puissant, il fallait faire de ses anciens ennemis ses nouveaux alliés de demain. Personnellement, je n'aurais jamais eu le courage de faire ce sacrifie mais en même temps, je pense sincèrement que nous aurions pu passer outre l'aide de qui que ce soit. Non, j'avais tord, c'était de la fausse modestie que de dire que l'armée amazone suffirait. Philéa avait bien fait, je le savais parfaitement, mais ma fierté d'amazone en prenait un sacré coup. Pour le reste, je me moquais parfaitement que l'Oblat soit présente au palais. Je savais qu'elle et mère étaient des amies d'assez longue date, qu'une alliance existait entre nos deux cités mais je savais également que tout cela ne me concernait pas. Elle était ici, c'était sans doutes un atout pour la cité mais peu m'importait. Tant qu'on ne me dirait pas que Jelenna serait bientôt là, je m'en foutais totalement et ce, même si Diane en personne venait au palais !

" Tu as bien fait mère. "

C'était tout ce que j'avais trouvé.

Adéla ? Ereine ? De quoi parlait-elle ? Ah oui, les enfants.
Des jumeaux ? Enfin jumelles ? Comment pouvait-elle en être sure ?

" Tu penses vraiment que ce sera des filles ? "

La réaction de Philéa m'amusait. Comme si c'était automatiquement des filles qui naitraient. Mais ce qui me fit le plus sourire était certainement la dernière remarque de ma mère. Nos discussions lui manquaient ? Vraiment ? Personnellement, elle ne m'avait pas manqué, loin de là.
La colère se fit sentir au fond de moi.
Cette fois, j'explosais !

" Te manquer ? "

Je riais d'un rire plutôt nerveux.

" Sans doutes ta grossesse te fait-elle perdre la tête, pour ma part tu ne m'as pas manquer, ni toi, ni tes mensonges. "

C'était ... sorti tout seul. Mes mots avaient dépassés ma pensée.

" Excuse-moi. " ajoutais-je à la hâte sans savoir quoi dire d'autre.

La civilisation Almer s'en était allée, frappée par la Maladie. Les dieux étaient parfois bien cruels envers les leurs. C'était quelque peu ... cruel et triste en réalité, d'autant plus que cela n'arrangeait en rien les affaires de la reine amazone. En effet, les dieux avaient prédis qu'il faudrait un membre de chaque peuple pour venir à bout de Guerre ... Si les Almers avaient disparu, comment faire en ce cas pour sauver le reste d'Azthia ? C'était sans doutes égoïste de penser ainsi mais la reine amazone n'en avait cure. Pour elle, seule comptait la survie des amazones et sans la présence des Almers, c'était impossible. A moins que ... Eléa avait parlé de Tutnesi et de Talia. Ces derniers étaient encore en vie. C'était une information précieuse. Philéa la garda en tête, il lui faudrait faire preuve de tact pour mettre au point quelque chose contre Azael prenant en compte ce facteur.

Philéa fut quelque peu ... étonnée de la réaction de son ainée. Eléa avait toujours été hostile à l'ouverture de Muria sur le monde extérieur. Pourquoi était-elle si encline à comprendre le choix de sa mère ? La souveraine ne put s'empêcher de penser qu'elle avait bien grandi ces derniers temps. Sans doutes bientôt serait-elle prête à assumer quelques responsabilités de plus que celles d'être simplement princesse de la cité des femmes libres.
Eléa semblait avoir muri, avoir gagné en sagesse. Finalement, ce n'était pas plus mal songea la dame sans pour autant relever la pointe d'amertume dans la voix de sa fille. Il était vrai qu'au final, les Cydiens étaient les ennemis héréditaires des amazones mais cette alliance était plus que nécessaire à la survie de la cité en ces temps de guerre. Pour la suite, il faudrait aviser et cela, la reine n'en était que consciente. Pour le moment, les choses semblaient tout à fait parfaites.

" L'idée d'avoir un garçon serait mal venue, j'aimerai autant que ce soit des filles en effet. "

Avoir un garçon à Muria serait en effet mal venu. Certes les amazones n'étaient pas prédestinées à avoir des filles, nombre d'entre elles avaient d'ailleurs des garçons, mais ces derniers n'avaient pas droit à un statut particulier. Si un garçon venait à naitre parmi la famille royale, même si les amazones prônaient l'égalité entre elles, aurait pour conséquence d'obliger Philéa à modifier les règles de la cité. Elle ne pourrait pas laisser sa progéniture être traitée en dessous de ses filles. Enfin même si elle ne changeait rien, il était évident que cela poserait problème et qu'elle préférait éviter d'y penser. Les jumeaux qu'avaient senti son époux étaient des filles, c'était évident, de toute façon, depuis le début, la jeune femme n'avaient eu que des filles.

La dernière remarque de la princesse amazone acheva presque le moral déjà en berne de sa mère. Philéa lui lança un regard plein de colère avant de se raviser. Eléa n'avait pas tords, elle lui avait menti et elle savait également que cette conversation devait avoir lieu. Si c'était aujourd'hui, elle s'y était préparée. Malgré les excuses de sa fille, elle avait eut toute l'occasion de percevoir sa colère et sa haine. Il lui fallait donc au plus vite mettre les choses au clair ou tout du moins essayer.

" Je n'ai menti que pour te protéger. "

C'était la vérité et si Eléa la voulait, elle l'aurait.

" A l'époque, tu n'étais qu'une enfant et tu adorais ton père. J'aimais vivre à Cydonia avec vous deux mais il me manquait quelque chose. Lorsque Jenaa, ta grand-mère, m'envoya cette lettre pour m'inviter à lui succéder à Muria, j'ignorais quoi faire. Mon cœur me disait de rester avec ton père et toi mais ma tête me hurlait de partir pour la cité cachée. "

Le regard de Philéa se fit plus doux, cela la soulageait sans doutes de pouvoir avouer la vérité sans craindre une réaction pire que celle que son ainée avait déjà.

" J'ai décidé de partir pour suivre ma propre ambition, je le reconnais mais je voulais te laisser avec ton père, j'aurais pu venir te voir facilement ainsi et tu n'aurais pas eu à subir cette vérité. Seulement ... peu de temps après la missive, j'ai vu ce que les hommes pouvaient faire. La bataille à Tamawa débuta et je savais que ton père devrait y aller. J'ai décidé de t'emmener pour te protéger de leur cruauté ... par la suite, j'ai pensé te ramener, mais je ne pouvais imaginer être séparée de toi, égoïstement, je t'ai gardé en me disant qu'une vie de princesse serait beaucoup mieux pour toi qu'une simple vie de fille de fleuriste. Je ne t'ai pas laissé le choix certes mais tu n'as jamais eut à t'en plaindre, tu as toujours eut ce que tu voulais ! "

Philéa sentit qu'elle ne devrait pas s'engager dans cette voie si elle voulait arranger les choses mais elle ne supportait pas d'être considérée comme la seule fautive. Elle l'était, c'était évident, mais quand même.

" Je t'ai menti parce qu'en grandissant, j'ai compris que tu souffrirais de mes choix. C'était plus simple de te laisser vivre dans l'ignorance avec Jelenna. "

Elle n'avait menti que pour me protéger ?
A nouveau, une colère sourde gronda en moi et, malgré mes efforts pour la laisser là où elle était, je la sentis gronder encore et encore, prête à exploser. Je la sentis monter encore, inlassablement sans que mes efforts ne parviennent à l'annihiler totalement. Me protéger ? De quoi ? De l'espoir d'avoir une famille ? Une vie normale ? Non, il ne fallait pas que je me pose de questions, sinon, je ne pourrais pas maintenir ma colère bien au fond de mon âme et si jamais elle explosait comme je le craignais … Philéa avait menti toute sa vie, elle m'avait menti à moi, sa propre fille. La chair de sa chair, son propre sang. Qui pouvait m'affirmer qu'elle ne continuait pas à me mentir maintenant encore pour se protéger une nouvelle fois ?

Lorsque la jeune femme évoqua l'idée de Jenaa, je compris qu'elle ne mentait pas. Je connaissais suffisamment ma mère pour savoir qu'elle était ambitieuse au point d'avoir hésité entre sa vie Cydienne apparemment et celle qu'elle pourrait mener ici, en grande pompe. Ainsi, elle n'avait choisi que pour elle. Que pour sa petite personne. Egoïstement. Elle était partie pour vivre son rêve d'enfant bercé d'illusions et d'ambition. Elle m'avait emmené pour satisfaire ses désirs de mère qu'elle ne pourrait plus assouvir loin de sa famille. Elle avait quitté mon bâtard de père qui n'avait jamais cherché à me retrouver ! Ils étaient coupables tous les deux de leur égoïsme !

Me laisser vivre dans le mensonge était plus simple ? Pour me protéger ? Mais de quoi bordel ! Du monde extérieur que je finirais par côtoyer un jour ? N'avait-elle donc jamais pensé qu'au fond, j'aurais peut-être préféré vivre comme une pauvre fleuriste que j'étais malgré tout devenue tout en étant princesse, avec mon père et ma mère plutôt qu'une vie de princesse solitaire et pleine de questions sans réponses ? Et Jelenna ? Avait-elle pensé une seconde à elle en lui mentant sur l'identité de son père ?

« Tu n'es qu'une menteuse ! » hurlais-je comme pour trouver un exutoire.

J'étais capable de comprendre les choix de Philéa et peut-être aurais-je fait les mêmes à sa place mais il était tellement facile de rejeter la faute sur quelqu'un d'autre …

« Toute ma vie, tu m'as élevée en me mentant, toute ma vie, tu m'as affirmé que mon père était parti alors que c'est toi qui t'es enfuie comme une lâche ! Toute ma putain de vie a été construite sur votre mensonge mutuel ! Sur votre égoïsme ! »

Je commençais à perdre pied.

« Tu voudrais quoi ? Que je souris en faisant semblant de ne pas savoir la vérité ? Etre heureuse en apprenant que j'ai un père et que Jel est ma vraie sœur ? Que croyais-tu ? Que j'allais vous sauter dans les bras comme si nous n'avions jamais été qu'une famille ? Croyais-tu que j'apprécierais que tu donnes naissance à ses bâtards qui eux connaitraient leur père là où je n'ai pas eu droit à cette chance ? »

Je mélangeais tout.
Il fallait que ça sorte.

« Mais bordel, à quoi avez-vous pensé tous les deux ? Vous nous détestiez donc tellement pour nous mentir si longtemps ? Tu as eu maintes fois l'occasion de me dire la vérité, pourquoi ai-je du la découvrir par moi-même ? Ton courage ne vaut-il donc que pour tes amazones ? N'y ai-je pas le droit moi, ta fille ? »

Les larmes commencèrent à affluer malgré moi. Non seulement je mélangeais tout, mais je perdais pied. Je confondais tout, la colère et la tristesse m'aveuglant. J'en voulais certes à mes parents de ne pas m'avoir laissé le choix de vivre normalement mais je savais également que Philéa avait raison. Jusque là, je n'avais jamais eut à me plaindre de ma vie de princesse, toute aussi solitaire soit-elle. J'avais moi-même fait ce choix.
J'avais moi-même décidé de croire les choses telles qu'elles étaient. J'avais décidé de laisser les choses telles qu'elle même quand je sentais qu'il y avait des secrets dessous les apparences. Philéa avait fait des choix certes mais qu'en était-il de moi ? N'avais-je pas choisi de savoir à tout prix en sachant pertinemment que cela pourrait me détruire ? N'avais-je pas décidé de haïr les hommes par ma propre volonté ? Je ne me souvenais pas que ma mère, une seule fois, n'ai dénigré Jacen. Non, visiblement, ma mère n'était pas la seule fautive mais c'était encore trop tôt et trop difficile de l'avouer.

J'étais perdue.
Perdue de ne savoir quoi faire et qui croire.
J'étais jalouse.
Jalouse de ces vies nouvelles qui connaitraient ce que je n'avais pas pu connaître.
J'étais une égoïste.
Avais-je pensé une seule fois à mon père qui avait vécu loin de son enfant ? Avais-je pensé au sacrifice de Philéa qui, je ne pouvais le nier, avait continué d'aimer mon père en secret toutes ces années durant. Avais-je seulement pensé à Jelenna, qui avait retrouvé un père que je ne cessais d'insulter devant elle.
Je regrettais de ne pas avoir l'innocence de ma cadette. Elle m'aurait permis d'accepter aussi facilement qu'elle la situation.

« Tu m'as trahie. Vous m'avez trahi et laissée seule avec toutes ces questions, avec tous ces sentiments inassouvis. »

Ce n'était plus la colère mais le trou béant laissé dans ma poitrine qui parlait à présent.

« Je me suis posée des questions si souvent. Je me suis si souvent demandée si ce n'était pas ma faute si mon père avait quitté les lieux. J'ai si souvent voulu être à la place de Jelenna. J'ai si longtemps été perdue sans que personne n'y prenne gare. Alors pourquoi … POURQUOI devrais-je te pardonner ? »

Mes yeux se posèrent sur Philéa.
Si un regard pouvait tuer, sans doutes serait-elle morte sur le champs devant la noirceur de mon regard.

« Tu veux savoir le pire ? » commençais-je avec plus de calme, riant presque d'ironie.

« C'est que je sais que je te pardonnerais, que je pardonnerais à ce père. Parce qu'au fond, je crois que je suis toujours cette enfant pleine d'espoirs qui n'attendais qu'un je t'aime. »

Par le passé, Philéa avait tenté d'être honnête envers Jacen le jour où elle l'avait retrouvé, aujourd'hui que la vérité éclatait enfin aux yeux de sa fille ainée, elle se devait d'être la plus honnête possible également envers elle. Eléa avait sans doutes raison, elle devait avoir droit à la vérité, à toute la vérité, qu'elle soit bonne ou mauvaise à avouer. Philéa avait conscience que de cette vérité dépendait l'amour de sa fille et la bonne entente de leurs relations.
Eléa était précieuse aux yeux de Philéa, comme l'était Jelenna mais avec l'ainée, elle avait toujours eu du mal à lui faire comprendre ses sentiments. La reine amazone avait beau être une bonne oratrice, force était de constater qu'elle ne l'était pas envers sa fille. Sans doutes le tissu de mensonges qu'elle avait pris soin de créer autour de cette dernière ne l'aidait-elle pas à avoir des relations filiales simples et pleine de la douceur qu'elle aurait toujours souhaité. Avec Eléa, la dame avait du se montrer parfois dure et même froide mais jamais ses sentiments de mère ne s'étaient éteint à son égard. Philéa aimait sa fille et aurait été prête à vendre son âme pour la sauver du mal comme de la tristesse. La voir dans cet état pliait le cœur de la pauvre jeune femme.

« Eléa, je ne t'ai pas trahie, je n'ai jamais cessé de croire qu'un jour me viendrait le courage de t'avouer la vérité. Si ce jour est venu, grand bien m'en fasse. Il est désormais temps en ce cas que tu connaisses toute la vérité pour savoir si tu as réellement envie en effet de nous pardonner. Lorsque tu sauras la vérité ma fille, j'ose espérer que tu sauras te forger ta propre opinion. Maintenant, assieds-toi mon enfant, et écoute-moi sans m'interrompre. »

Philéa n'était pas sure de ce qu'elle devait dire mais si la vérité avait fonctionné avec Jacen, son époux, cela aiderait sans doutes dans une telle situation. La reine amazone n'avait que rarement eu l'occasion d'être honnête dans sa vie, aussi n'était-elle pas forcément douée en ce domaine mais pour autant, elle se força à réfléchir à la tournure de ses phrases. Elle était fatiguée par la grossesse, cela n'aidait en rien la Dame à réfléchir correctement mais pour autant, elle se força à le faire. Fixant le mur opposé et la fenêtre qui lui faisait face, la souveraine mit quelques minutes à trouver ses mots. Par quoi commencer ?

« Je suis née à Cydonia, en 115 et à l'âge de douze ans, ma mère quitta le domicile familial. Je me souviens de la douleur de mon père quand ta grand-mère nous quitta, je me souviens de la haine qu'il lui voua toute sa vie durant. Elle nous avait abandonné pour suivre son désir de liberté. Pour autant, je n'ai jamais eu le courage de lui en vouloir, au contraire, j'en ai voulu à ce père qui l'avait forcé à m'abandonner, à me laisser à cette triste vie sans lendemain autre que ceux qu'attendent les gens simples. Ne m'interromps pas je t'ai dit. »

Philéa observa sa fille avec appréhension, doutant du bien fondé de ce qu'elle s'apprêtait à faire. Alors la dame usa de sa magie, de son chant plus précisément pour forcer la demoiselle à l'écouter en lui intimant un sentiment de calme. Elle voulait simplement qu'Eléa écoute jusqu'au bout avant de dire quoi que ce soit, avant de se forger sa propre opinion.

« Ton père est arrivé dans ma vie comme une lueur d'espoir, comme la brise changeante. Il était pour moi la liberté. Je me suis amusée de lui au début, trouvant bien plus drôle l'idée de me servir de lui comme je me servais de mon propre père pour arriver à mes dépends. En écoutant ses récits d'aventure, je vivais par procuration cette soif de liberté qui m'animait. Et je crois que je suis tombée amoureuse de ton père, simplement. Je l'ai aimé plus que tout, tout comme il t'a aimé au premiers instants de ta vie. »

Philéa se souvint avec émotion du regard émerveillé de son époux devant la petite frimousse de la demoiselle qui n'avait alors que quelques heures. Maladroit, il craignait de la briser telle une précieuse porcelaine. L'image fit sourire Philéa. Jacen avait été un père si doux avec Eléa, si bienveillant et plein d'un amour qui surpassait le sien de loin.

« Ton père t'a aimé de toute son âme Eléa et lorsque j'ai du faire ce choix terrible, il a tenté de m'en empêcher. »

C'était désormais la partie que Philéa craignait le plus … Elle préféra l'éluder le temps de raconter à la demoiselle à quel point elle avait été entourée d'amour enfant, à quel point elle comptait à leurs yeux.
Jiven avait été un fabuleux parrain, Jacen un père merveilleux. Elle avait tout gâché. Après quelques anecdotes sur leur vie passé, sur les premiers pas de la demoiselle, sur son premier mot qui avait été « papa » à la grande fierté de ce dernier, ses premières bêtises … tout ce qui avait su faire la fierté de ses parents, Philéa se rendit à l'évidence. Il fallait avouer la vérité.

« Je me suis enfuie ce soir-là Eléa, j'ai poignardé moi-même ton père pour disparaître telle une voleuse. Je n'ai pas su t'abandonner, je n'ai pas eu la volonté de te faire subir ce qu'enfant j'avais subi. L'absence d'une mère était un poids si lourd sur mes frêles épaules que je ne voulais pas qu'il pèse sur les tiennes. Jacen t'aimait au point de sacrifier sa vie pour toi, crois-tu toujours que cet homme que tu renies ne peut t'apporter soutien et bonheur ? Tu as raison de m'en vouloir, j'ai fait ces choix seule et sans doutes égoïstement mais as-tu jamais été heureuse ici ? Je me souviens de la première fois que tu as vu une arme, la première fois que tu as eut l'occasion de te battre, d'apprendre à lire, à écrire. J'ai accueilli tes échecs comme tes prouesses avec la fierté d'une mère et d'un père réuni. Je n'ai certes fait que réitérer l'erreur de ma mère et je le regrette aujourd'hui, mais je ne regrette pas tant que ça mes choix en voyant la belle demoiselle que tu es devenue. Tu n'es pas seulement le fruit de notre amour Eléa, tu es le fruit de ta volonté. Peu importe mes choix, je suis fière de ce que tu es devenue aujourd'hui et quoi que tu décides, je respecterais ton choix. Mais par pitié, n'en veut pas à ton père, il est le seul à avoir subi cette trahison de ma part, parce que je t'ai éloignée de lui sans son consentement, parce que tu as grandi sans lui sans qu'il ne le veuille, sans qu'il ne puisse s'y opposer. Il t'a cherché ma fille, il n'a jamais cessé de te chercher. Tout comme il n'a jamais cessé de t'aimer. »

Philéa se tut, elle se sentait épuisée. Son chant faible cessa définitivement et elle reprit la parole avec calme.

« Je suis sans doutes une mauvaise mère, mais sache que j'ai été fière à chacun de tes pas en cette vie. »

La reine amazone tendit sa main vers sa fille ainée en ajoutant simplement :

« Je t'aime Eléa, quoi que tu fut été, je t'aurai aimé, parce que je suis ta mère. »

Je me doutais de ce qu'elle allait dire, je me doutais de ce qu'elle allait me raconter et pourtant, j'obéissais. Je savais pertinemment qu'elle me raconterait encore son enfance, le départ de sa mère et qu'elle m'expliquerait à quel point les choses avaient été difficiles pour elles et pourtant, je me doutais aussi qu'elle ferait un parallèle avec notre situation. Sans savoir pourquoi, je m'asseyais pour l'écouter, n'osant l'interrompre.
Philéa parlait encore et encore.
Elle parlait tant et si bien qu'elle en vint à me parler de mon père. J'ignorais depuis toujours comment elle l'avait rencontré et comment Jelenna et moi avions pu arriver dans ce décor qui me paraissait chaotique. J'écoutais avec plus d'attention ce qu'elle me disait.

Je reconnaissais dans la réaction de ma mère ma propre réaction lorsque j'avais rencontré Feanaro. Sans faire un parallèle entre nos deux couples, car le mien n'en était pas vraiment un, je me reconnaissais dans les réactions de ma mère. Elle avait voulu jouer avec les hommes, avec l'homme qui serait celui qui partageraient toute sa vie, toutes ses folies, qui partagerait son corps et son âme, un cœur battant à l'unisson. J'étais bien loin de cela avec le Capitaine et à vrai dire, je ne comptais pas un jour devenir comme ma mère, follement amoureuse mais tiraillée entre deux mondes. Je ne comptais pas non plus baser ma vie sur des mensonges. Mais j'étais tout de même amusée de voir que Eléa, première princesse de la cité des femmes, était belle et bien la fille de sa mère.

Le passage sur mon père ne m'étonna pas non plus. A vrai dire, j'avais eut toute l'occasion de comprendre que cet idiot m'aimait comme il avait surement aimé la petite fille que j'avais été un jour à ses côtés seulement de mon côté, j'étais incapable de me dire qu'il était mon père. Qu'il n'avait pas abandonné ma mère comme j'avais pu le penser durant seize longues années. Pour moi, il était plus facile de le détester plutôt que de l'aimer. La suite en revanche, je ne la connaissais pas. Ce fut en écoutant le récit de ma mère que je compris que le choix qu'elle avait du faire avait été le plus cruel et le plus difficile de sa jeune vie. Je compris également qu'en de telles circonstances, sans doutes aurais-je fait la même chose à sa place et pourtant, je lui en voulais. Plus elle parlait, plus je comprenais et plus je lui en voulais de façon tout autant contradictoire.

Elle m'avait trahi mais au delà de ça, elle m'avait volé une enfance heureuse auprès de mes parents. Elle l'avait en partie volé à Jelenna et l'offrirait sans arrière pensée à ceux qui allaient naitre. Je la trouvais injuste, tellement injuste que cela m'énervait. Pourquoi eux auraient ce qu'elle même m'avait enlevé ? La déclaration de ma mère eut pour effet de faire faire un raté à mon cœur. D'aussi loin que je me souvienne, jamais elle ne m'avait dit être fière de moi, jamais non plus elle m'avait souffler m'aimer avec autant de conviction.

J'oubliais bien vite les sacrifices que Philéa avait toujours fait pour nous. Certes elle m'avait privé d'une vie de famille mais j'avais eu il fallait bien l'avouer une enfance privilégiée. Troublée de mille et unes questions sans réponses, mais privilégiée. J'étais la princesse d'une fière cité, j'étais la soeur d'une gamine prodigieuse, la fille d'une reine charismatique et puissante. J'avais pu faire ce que je voulais, apprendre à maitriser les éléments, me battre dans l'arène quand cela me chantait, voyager, vivre, rire, pleurer, j'avais eut l'occasion de faire le tour des sentiments humains dans cette cité. Philéa m'avait privé de quelque chose mais m'avait offert tant d'autres choses. Tout cela était donc bel et bien de sa faute, en mal ou en bien.

« Tu n'es pas une mauvaise mère. Tout comme tu n'es sans doutes pas une traitresse. Tu as simplement fait des choix à un moment donné de ta vie. Je ne peux pas te pardonner, pour l'instant, je suis incapable de te pardonner, mais sache au moins que je comprends. »

Je fermais les yeux.
Le monde adulte était encore bien loin mais quelque part, je commençais à l'appréhender un peu mieux. Je commençais à comprendre à quel point j'avais été préservée. Et de cela, je ne pouvais qu'en remercier Philéa.

« Tu sais, en revenant ici, je ne pensais qu'à une chose, fuir. Je me rends compte aujourd'hui que c'était là encore une réaction de gamine. J'espère ne jamais avoir à faire les mêmes choix que toi tout comme j'espère un jour être digne de ta fierté. »

Philéa n'eut pas le temps de répondre que déjà, on frappait à la porte. Je me levais pour voir de qui il s'agissait et une amazone apparu dans l'embrasure de la porte, un message cacheté à la main. Elle me fit savoir qu'il venait de Cydonia, sans attendre, je le tendais à ma mère en ayant pris soin de refermer la porte derrière moi.

« Mère ? » osais-je enfin lorsqu'elle en eut fini la lecture.

Ce mot me paraissait étrange dans ma bouche, comme s'il y avait trop longtemps que je ne l'avais pas prononcé. Dans un coin de ma tête, je compris qu'il était la première clé sur le chemin de la guérison, sur le chemin du pardon. La seconde, je le savais, serait de parler à mon père, mais pour l'heure, j'en étais incapable. J'avais déjà trouvé le courage de venir ici, de parler à Philéa, je savais que quelque part, je trouverais le courage de me rendre à Tamawa pour parler avec lui. Je savais également que je leur pardonnerais, je l'avais déjà plus ou moins fait aujourd'hui mais sans doutes étais-je encore incapable de me l'avouer.

La guerre était aux portes de sa cité natale et il n'était pas bien difficile de savoir qu'elle avait déjà décidé de s'y rendre pour la défendre.

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