Et en effet, lorsque Joris pénétra dans l'immense salle du trône, son coeur rata un battement. Le corps de Kriisten était là, étendu à même le sol. Inanimé et sans la moindre trace de vie. En bon Capitaine, Joris prit la peine de refermer la porte monumentale qu'il venait de franchir avant d'avancer vers le corps inerte de sa Reine. Ses deux mains plaquées contre son arme, près à dégainer, il balayait la salle du regard d'un oeil expert, à la recherche d'un mouvement suspect. De ce qui pouvait expliquer pourquoi la belle Kriisten gisait ainsi sur le marbre glacé. Alors qu'il était assez près pour mieux la voir, il risqua un coup d'oeil sur l'Oblat. Et remarqua que sa poitrine, à moitié dénudée, se soulevait très faiblement. C'est alors qu'il se rendit compte qu'il avait arrêté de respirer. Il poussa une profonde inspiration et lâcha le manche de son épée. Soulagé.

Joris avait pris le temps de remarquer le front perlant de sueur de sa Reine, et son sabre à son côté. Elle venait de terminer son entraînement, à bout de force. Il profita un bref instant de l'absence de sa propriétaire pour caresser du regard la silhouette envoutante de sa bien aimée. Il ne s'attarda qu'une seconde sur le décolleté, largement ouvert sur des seins d'une blancheur parfaite, dont on devinait sans peine la douceur infinie et la chaleur sensuelle. Il la désirait pourtant. Voir ainsi son corps somptueux, détendu après l'effort intense, couvert de sueur... Non ça ne le laissait vraiment pas indifférent... Pourtant c'est vers son visage que ses yeux améthyste se tournèrent. Encadré par sa chevelure dorée. Emmêlée et sauvage.

« Ma Dame. »

Le Capitaine inclina légèrement la tête sans savoir si elle verrait son geste derrière ses paupières closes. Il patienta quelques secondes et finalement s'assit aux côtés de sa Reine. Sans y être invité. Il avait hésité, mais il avait estimé que rester debout et la regarder de haut alors qu'elle, n'avait visiblement pas la force de se lever, serait un affront bien plus grand que de se mettre à son niveau. Malgré l'intimité que cela impliquait.

« Vos Compagnons réclament leur Reine pour un entraînement. »

Il était assis en tailleurs, un genou remonté sur lequel il s'accoudait négligemment. Le cuir pourpre de sa tunique mettait en valeur sa carrure athlétique, sans pour autant jurer avec ses cheveux roux. Joris ne la regardait plus, il estimait cela plus respectueux. Il fixait le trône, en souriant. Du moins à sa manière. Ses yeux souriaient pour lui. Ses lèvres ne se tordaient que très rarement en une telle grimace...

« Ils vont être déçus lorsque que je vais leur rapporter que ce n'est pas possible. Que l'Oblat a été mise au tapis par... quelqu'un de très redoutable je suppose... ? »

Une lueur moqueuse illumina son regard. Il savait pertinemment qu'elle était seule et qu'elle s'entraînait seule. Qu'elle soit dans un tel état après s'être battue contre le néant... il y avait de quoi se moquer ou du moins, et Joris s'en tiendra là, la taquiner gentiment.

Le Capitaine lança un regard amusé à la jeune femme. Peu pouvait se vanter d'avoir une telle relation avec l'Oblat. Même si elle restait très professionnelle, il arrivait à Joris de se risquer sur un autre terrain, et tenter quelques signes amicaux, voire complice. C'est qu'ils en avaient partagé des choses durant ces dernières années. Et ce temps passé ensemble avait détendu leurs relations, si bien qu'on pouvait à présent parler d'amitié sincère.

Mais pouvait-on aller jusqu'à la confidence... ?

[Arf, c'est vraiment dur en fait XD ! J'espère que ça te va, je m'échauffe un peu à vrai dire, j'espère que les prochains seront mieux...]

Bien que totalement sous le charme, le trouble de sa Reine ne put échapper à Joris. Elle semblait soucieuse, hésitante. Ses lèvres entrouvertes tentaient le maître d’arme d’en goûter la douceur et de se saisir au passage des mots restés en suspens. Si difficiles à prononcer, qu’ils restaient là, sur ses lèvres désirables à le narguer. Mais Joris était un gentleman. Il n’allait pas forcer Kriisten à parler, si elle ne le faisait pas elle devait avoir ses raisons, inutile d’insister, au risque de passer pour un gros lourd quelqu’un d’indiscret. Pas plus qu’il n’allait succomber à la tentation et l’embrasser fougueusement. Non, Joris était un gentleman… Malheureusement.

C’est bien pour cela d’ailleurs qu’il l’avait laissée faire lorsqu’elle l’avait mise à terre. Il est vrai qu’il ne l’avait pas vue venir et qu’il s’était retrouvé sur le dos, l’Oblat le surplombant, tout sourire, sans comprendre comment cela était arrivé. Mais il lui avait laissé croire qu’elle gardait le dessus alors qu’il aurait pu tenter de s’en défaire à tout moment. Voire réussir. Cependant pourquoi aurait-il fait une telle chose ? Alors que la plus belle femme d’Azthia, se tenait là, sur lui, si attrayante. Et envoûtante. Elle était à présent allongée à ses côtés. Songeuse.

« Non, pas les Cydiens, Ma Dame. »

Si Joris ne pouvait pas décemment lui tirer les vers du nez, il jouerait une autre carte. Il fallait la distraire. Et pour cela, il y avait un jeu qui marchait à coup sûr. La provocation.

« Il ne s’agissait que d’un échauffement. Ils voulaient commencer, comment dire… gentiment. En douceur, vous voyez ? »

Il arqua un sourcil ironique, guettant du coin de l’œil la réaction de la belle Kriisten.

« D’où ma proposition, Ma Dame… »

Quel culot ! Cette fois-ci, il ne put s’empêcher de sourire. Il se régalait à la provoquer. Elle ne résisterait jamais à un tel affront et il allait certainement passer un mauvais quart d’heure. Ne dit-on pas, qui aime bien châtie bien ? Joris l’aimait. Eperdument.

Il roula sur le côté, par prévention d’une nouvelle attaque du même genre que la précédente. Il s’accroupit, près à esquiver la violence vengeresse de la Reine. Le Capitaine des Compagnons était loin, très loin. Un enfant avait pris sa place. Joueur et taquin. Si l’un de ses camarades était passé par là, il n’aurait jamais voulu croire que l’homme accroupi, souriant était son Chef, Joris Dehlior. Envolé le maître d’arme exigent, acariâtre, rugissant plus qu’il ne parle, sévère et souvent injuste. Pour faire sourire sa Reine, Joris était prêt à tout.

Et s’il ne pouvait lui dire expressément qu’il lui prêterait volontiers une oreille attentive, il pouvait toujours l’inviter sur un autre terrain, avant qu’elle ne succombe au besoin de se confier.

« Laissez moi voir un peu, ce que cet adversaire avait de si… redoutable ? »

Il sauta sur ses jambes et dégaina son épée en un seul geste, fluide et silencieux. Il invita l’Oblat à en faire de même en se courbant ridiculement, révérence tout aussi sarcastique que ses derniers mots. Il se mit ensuite en garde. Et même si ses yeux brillaient de malice, sa garde n’en était pas moins impressionnante. Tout son corps n’était que souplesse, agilité, précision et force. Si Kriisten voulait se détendre, elle n’allait pas être déçue !

Le rire de Kriisten s'éleva alors, tandis qu'elle rejoignait le Compagnon, devenu fou du Roi, sur les marches du trône. Elle s'étala non loin de lui et le remercia d'un sourire. Un sourire triste qui se reflétait dans le bleu de ses yeux, ombre nostalgique ou soucieuse, il n'aurai su le dire, elle obscurcissait le regard de glace de la Reine. Joris laissa échapper un soupir déçu. Ses pitreries n'avaient servi à rien, déjà l'Oblat retombait dans ses sombres pensées. Sa carrière de fou du Roi venait de prendre fin, tant pis pour les Compagnons qui auraient peut-être préféré les acrobaties et les mimiques grotesques aux entraînements exigeants et inhumains de leur Capitaine.

Kriisten dut arriver à la même conclusion car elle prit la parole. Et le ton qu'elle prit n'était de ceux que l'on emploie avec un clown. Ni même avec son Capitaine d'ailleurs... Non, sa voix posée et son air fragile laissaient supposer qu'il s'agissait plus d'une confidence. Faite à un ami. Joris reprit son sérieux tandis que la Reine s'ouvrait à lui. Se dévoilait. Hésitante d'abord, elle évoqua à demi-mot le décès de sa soeur huit ans auparavant. Il ne comprit d'abord pas où elle voulait en venir, se demandant bien pourquoi maintenant, la douleur d'un deuil relativement ancien, accablait ainsi Kriisten. Il la laissa continuer. Elle lui révéla alors ses doutes sur sa compétence de Reine, se comparant sans arrêt à son aînée, qu'elle disait si proche de son peuple que mieux que le comprendre elle le ressentait. Même si cette notion était obscure pour le Maître d'arme, il approuva d'un signe de tête, se souvenant malgré son jeune âge des années de règne de l'ancienne Oblat. Il n'était pas rare de la voir parmi les paysans pour filer un coup de main, au chevet d'un malade en attendant un médecin, un gamin dans les bras en cherchant sa maman...

Mais tout cela, Kriisten le faisait. Elle se coupait en quatre pour son peuple, ne s'autorisant aucun répit, faisant en sorte d'être à la hauteur de l'exigence Astorg, avec une grâce et une force incomparables. Comment pouvait-elle douter de ses qualités ? Comment penser qu'elle n'était pas la meilleure Reine qui n'ait jamais existé ? Alors qu'elle achevait son récit, elle planta ses yeux bleus dans les siens. La tristesse, la douleur, mais aussi la colère et surtout l'impuissance s'y mêlaient avec rage. En silence elle attendait un mot de son Capitaine. Afin de savoir si oui ou non elle avait bien fait de se confier ainsi...

« Je comprends vos doutes et même si je ne peux partager votre souffrance concernant la perte de votre soeur, je peux néanmoins affirmer que pour le peuple astorg, elle n'a pas laissé le vide qu'elle a laissé en vous. »

Voyant les sourcils de la belle se froncer Joris s'empressa d'ajouter, avec un calme déconcertant.

« Non pas que nous l'ayons oubliée. Comment pourrait-on alors qu'elle vous a influencée vous, que vous êtes ce qu'elle a été. Vous occupez ce vide et si nous pensons à elle avec le plus profond des respects nous ne regrettons pas le temps où elle a été Oblat. Elle n'a pas été mieux ou moins bien que vous. Ce qui est sûr c'est que maintenant, les Astorgs sont fiers de vous avoir comme Reine. Tous sans exception. Ne doutez pas de votre compétence à régner. Vous le faites merveilleusement bien. »

Ses mots auraient pu sonner creux. C'était sans compter le dévouement et l'adoration sans limite qu'on pouvait lire dans ses yeux violets. Il parlait avec une passion qu'il ne prit pas la peine de dissimuler. N'était-il pas normal d'être sincère alors que Kriisten s'était mise à nu ?

« Douter n'est pas une faiblesse, Ma Dame. Vous seriez le pire des tyrans si vous n'étiez pas enclin au doute, si vous ne vous remettiez pas en question. Vous êtes humaine, cela sous-entend tous les sentiments que cela accompagne. C'est votre sensibilité qui fait votre force, votre imperfection qui vous rend parfaite. »

Joris allait peut-être un peu loin. Il ne pouvait cependant pas s'arrêter.

« Vous êtes à la fois la plus généreuse, la plus forte et la plus fière des Astorgs. Soyez-en sûre. »

Le regard tendre qu'il lui lança en disait plus long encore... La plus ravissante, la plus désirable. Ses mots s'arrêtèrent là cependant, laissant ses yeux finir sa tirade. Passionnés. Amoureux.

Un homme fit irruption dans la salle.

« Capitaine ?
- Qu'y a-t-il, Salem ? »

Envolés le regard tendre et le sourire bienveillant. Le Capitaine était de retour, et avec lui le sérieux, le calme et l'imposant charisme que ce titre supposait.

« Ben l'entraînement alors ? On devait pas se mettre sur la gueule ? »

L'expression fit sourire l'Oblat et froncer les sourcils à Joris. C'est elle qui répondit, un regard en coin vers son ami.

« J'arrive ! Et vous allez voir, je n'ai rien d'un Cydien ! »

Joris sourit au clin d'oeil de sa bien aimée avant de répondre sur un ton plus grave :

« Nous n'en doutions pas... »