Seul un illusionniste plus puissant peut prendre le contrôle de l’illusion d’un autre. C’était une des règles de base de cet art et visiblement elle venait d’être à nouveau vérifiée.

Si elle s’était attendue à une telle chose… Un simple promeneur en ces lieux à une heure aussi tardive, c’était déjà une surprise, alors un illusionniste, qui plus est joueur comme celui là… Car elle prenait cette insertion dans son œuvre comme un jeu, loin d’y voir du mal. Elle avait toujours été optimiste, voire un peu trop confiante en la bonté humaine, mais elle sentait qu’il n’y avait pas grand dangers à craindre du nouvel arrivant, du moins pas pour le moment. Pourquoi aurait-il sinon augmentée la féérie du moment, forçant d’ailleurs tout cela un peu trop à son gout. Cette assemblée des animaux… Cela l’impressionnait certes, elle sentait à quel point l’illusionniste devait être talentueux pour maintenir une illusion de cette qualité aussi longtemps. Les animaux avaient vraiment l’air vivant. Par contre, il y en avait tant… C’était un peu trop aux yeux de la conteuse qui trouvait cela certes mignon mais un peu trop cliché à son gout. Comme un de ces contes ou le prince tuait toujours le dragon, sauvait toujours la princesse et vivait pour toujours avec elle, éternellement heureux. Récit optimiste jusqu’à en être déformant, mensonger, d’une belle histoire d’amour.
Life is cruel you know ?

Le créateur apparu au milieu de ses créatures la surpris quelque peu. Après une telle image d’Epinal, elle s’attendait à peu de chose près à voir débarquer un nobliau précieux, tout de blanc vêtu sur son fier destrier. Que nenni. Ils n’étaient point dans un compte de fée, eux.
Life is real you know ? Encore heureux.

Elle mit doucement fin à la mélopée en détaillant son visiteur nocturne. L’allure négligé, il avait le teint blafard des personnes privées de la vue du soleil depuis un certain temps. Cette peau pale faisait ressortir les signes de fatigues sur son visage maculé de poussière. Il avait toutes les caractéristiques physiques d’un Cydien, sauf ses cheveux, d’un étrange bleu sombre. Une curiosité de la nature. Elle n’avait que rarement vu de pareilles tignasses. Admirable. Comme ses yeux : deux Lapis Lazulis incrustés dans cette face blême. La seuls touche de couleur chaude était la goute rouge sang dessinée sur sa joue. Contraste saisissant.

Malgré l’incitation a poursuivre qu’elle lu dans son regard, elle se permit une petite pause, le fixant de son regard gris pâle, gardant le silence une dizaine d’interminables secondes avant de sourire en lâchant ces quelques mots :

« Vous êtes plutôt doué. »

Puis elle reprit l’instrument entre ses lèvres et sous la caresse de ses doigts une nouvelle mélodie monta vers le ciel. C’était encore une improvisation, plus légère cependant, et inspirée des contrées qu’elle avait visitée ces dernières années. En modulant légèrement son souffle comme ils lui avaient appris, elle parvint à donner au son le timbre si particulier de ce pays. A travers sa complainte elle cherchait à décrire leurs paysages, l’esprit fier de leurs guerriers et le vol dans le vent des pétales de cerisiers.
Du bout de la flute naissait un long ruban d'un blanc lumineux dansant au rythme de la musique, dessinant d’abord quelques arabesques autour d’elle avant de s’approcher de Mister Blue. Le fil de lumière lui tournait doucement autour, effleurant parfois les mains ou les habits, dessinant comme une cage de lumière illusoire autour de lui avant que Coralynn en décide de s’en servir pour s’exprimer. Les lettres s’inscrivaient ainsi une à une, note après note.

« Que fait un maître illusionniste si tard en ces lieux ? »

Et la musique s'arrêta.
Dans le silence que seul perturbait à présent quelques côassements de grenouilles, le ruban s’éteignait lentement.

« Vous êtes plutôt doué. »

Les premiers mots que lui adressa l'elfe. A l'instar de son instrument, sa voix sonnait dans les aigus, un son clair et pure pourtant peu agressif aux oreilles. L'air de rien, elle rapprocha son instrument de ses lèvres et entama un nouvel air, un peu plus allègre que le précédant. Les modulations musicales étaient différentes de ce qu'il avait pu entendre. D'ailleurs lorsque son regard détailla d'avantage la musicienne, il remarqua que sous une cape marquée par les traces du temps, une somptueuse robe au motif de fleurs de cerisier recouvrait tout le long de son corps jusqu’à ses pieds, ou deux sortes de sabots de bois ouverts laissaient ses orteils profiter de l'air frais nocturne. L'expansion de la culture jinmen se diffusait vraiment à une vitesse incroyable depuis que l'on avait ouvert les frontières montagnardes. Si l'on ajoutait à cela ce nouveau genre de mélodie et d'instrument, il paraissait presque dédaignable que cette Silmarienne revenait du pays de l'autre côté. Tout comme Volesprit. L'image de la ministre des renseignements dans des atouts aussi léger et coloré lui tira un petit sourire.
Et son sourire s"élargit d'avantage lorsque la demoiselle du haut se son promontoire fit sortir de sa flûte un ruban de lumière, qui porté par la mélodie, se mouva harmonieusement dans l'air. Cette fois-ci l’illusionniste ne se permit pas d'agir dans l’œuvre de sa consœur. Curieux de voir ce qu'elle lui mijotait, il laissa la création s'enrouler autour de lui, l'enveloppant à l'intérieur d'une aura blanche le transformant aussitôt en un véritable phare humain au beau milieu de cette obscurité. Puis, lentement, les courbes que formaient le ruban se rejoignirent en boucle jusqu'à former des mots. Le regard pétillant d'Ithilion lu la phrase qu'il lui était destiné :

« Que fait un maître illusionniste si tard en ces lieux ? »

Un maitre illusionniste ? La qualification plutot vénérable que venait de lui attribuer cette brillante illusionniste le toucha dans un premier temps, puis le surpris. Le fruit de ses heures enfermées à repousser ses limites commençaient à murir. En effet, détourner la première illusion de la musicienne lui était apparut presque comme un réflexe. Pourtant, cette action demandait déjà en réalité un degré de maitrise très pointue.
Autour de lui, les animaux tout droit sortie du conte des " Musiciens de cydonia" se volatilisèrent dans un nuage de papillons arc-en-ciel, les mêmes qui avaient remplacés les lucioles tout à l heure. Les petits insectes tournoyèrent dans un ensemble cacophonique autour des lettres lumineuses qui s’éteignirent progressivement. La musique s'était estompée au même instant, la seul chose qui ne brisait pas ce charme créé entre les deux noctambules était ce vol multicolore resplendissant dans l'obscurité. Soudain, sous l'ordre inaudible du cydien, les papillons se rangèrent les uns à côtés des autres, puis formèrent la réponse qu'attendait silencieusement l'elfe toujours perchée sur son dolmen :

"La même chose qu'une musicienne exceptionnelle jouant pour les anciens"

Puis il rajouta à haute voix ;

-Est ce que cette charmante et talentueuse demoiselle offrira son nom au bien contenté Ithilion ?

Le temps passe et jamais ne s'arrête.

Le changement de saison s'annonce et bientôt, le blanc manteau de l'hiver qui recouvrait ce monde laissera place à l'herbe grasse et aux timides rayons du soleil. Le silence cédera sa place au chant des oiseaux et le monde s'éveillera petit à petit, sortant lentement de son cocon de glace. Dans ce décor que le temps semblait avoir figé, le moment est venu de s'éclipser, de laisser la nature reprendre ses droits et le cours des choses se faire.

[Désengagés : Coralynn, Ithilion ]