[151][F-A] Le hasard [ Ithilion] [Fini]

Sfriedwick était sorti de bon matin et pourtant le ciel était déjà chargé de pluie.
Dans les rues encore vides de Tamawa, sa salopette jaune poussin détonait avec force en apportant une touche de couleur aux allées grisâtres.
Mais où donc allait le clown si tôt?
Après cinq minutes de marche rapide en essayant de passer entre les gouttes d'eau, on vit l'excentrique bonhomme pousser une lourde porte de bois, celle d'une maison qui faisait le coin d'une ruelle et à laquelle pendait, branlante sur la façade, une enseigne où l'on pouvait lire: APOTHICAIRE.

Le logis ne payait pas de mine, mais y rentrer ne pouvait que vous surprendre.
A l'intérieur en effet, un mobilier cossu et raffiné, tout en bois finement travaillé. L'entrée donnait sur une grande pièce au plafond haut au milieu duquel trônait un lustre émerveillant de beauté. Les stalactites de verre scintillaient de mille feu, reflétant les teintes chaudes qui émanaient de l'âtre déjà allumée. L'air était chaud, enveloppant, et fleurait bon l'eucalyptus. La salle était emplie d'armoires hautes, toutes criblées de petits tiroirs d'une quinzaine de centimètres de large, et qui faisaient comme une haie d'honneur pour aller jusqu'à un comptoir massif, en bois rare, tout laqué, tout brillant. Là, debout et souriante, une jeune fille d'à peine vingt ans, le visage frais malgré l'heure très matinale, et les cheveux tirés en un chignon de danseuse dont deux mèches s'échappaient de part et d'autre. Quand elle vit entrer Sfriedwick tout mouillé, son regard s'ouvrit largement et un sourire éclaira sa face. Elle se ressaisit vite cependant, et patienta jusqu'à ce que le vieux clown s'avance jusqu'à elle.

Bonjour, monsieur, dit très poliment la demoiselle.
Bonjour Suzie! répondit Sfriedwick, l'air enjoué. Je vous ai apporté quelque chose, regardez! Et avant que la dénommée Suzie n'ait eu le temps d'ouvrir la bouche, le clown lui tendait déjà un petit objet qui tenait au creux de sa main: une petite chaussure en bois sculpté. Je l'ai fait moi-même voyez-vous, je sais que vous aimez les chaussures. Non non non, interrompait-il déjà la demoiselle qui rougissait, Ne me dites rien! Donnez-moi plutôt la commande que je vous ai passée. Sans un mot donc, la jeune femme partit vers l'arrière-boutique, serrant bien fort dans sa poche la chaussure en bois que Sfriedwick lui avait offerte.
Elle revint quelques minutes plus tard, avec trois petites bourses satinées. L'une était violette, l'autre verte, et la dernière arborait un jaune rutilant, assorti à la tenue de Sfriedwick.
Vous êtes fort bonne, mon enfant. Merci beaucoup. Y'a-t-il là toutes les herbes que je vous ai demandées? questionna le clown dont le visage tout peinturluré lui donnait une figure aimable et bizarre. Il toussota discrètement.
Bien sûr, monsieur. Comme d'habitude, vous trouverez dans la poche violette le millepertuis pour ses brûlures, dans la verte il y a le fenugrec, pour la prise de poids et dans la jaune, de la camomille, pour l'apaiser. Puis le demoiselle d'ajouter timidement : Comment va votre amie, cette semaine?
A merveille, merci. Je pense qu'elle reprendra bientôt ses esprits, très bientôt! Je dirais même qu'elle....ARRG Sfriedwick fut pris d'une quinte de toux phénoménale, qui l'obligea à se saisir d'un mouchoir bariolé et gigantesque de sa poche. Il dut attendre quelques secondes avant de pouvoir reprendre: Sale temps! Il me fait tousser, excusez-moi. En tout cas Suzie, merci pour tout ce que vous faites pour nous depuis tout ce temps. Quand Elly sera sur pied, j'aimerais qu'elle vous rende visite. Et le vieux clown sourit, et fit rougir la timide Suzie.

Sfriedwick était de nature insouciante, et il ne s'était pas aperçu qu'un autre client était dans la boutique ce matin-là. Le saltimbanque avait l'habitude de ce rendez-vous hebdomadaire, et depuis les quelques mois qu'il soignait Elly, jamais il n'y avait eu âme qui vive dans la boutique avant que le pain ne fût sorti du four du boulanger.
Aujourd'hui pourtant, la boutiquière et son client n'étaient pas seuls. Et l'homme qui flânait entre les armoires pleines de plantes médicinales avait eu l'oeil et l'oreille attirés par cet étrange personnage qui venait d'entrer et par ce qu'il disait à la jeune vendeuse...

Camamelum nobile, erythroxylum coca, valeriana officinalis... Profitant de chacune de ses visites dans cette apothicaire histoire de faire ses réserves de plantes médicinales, ithilion en profitait pour se remémorer leurs noms savants , de leurs effets et de leurs applications. Un petit rafraichissement de temps à autre ne faisait jamais de mal. Seulement, ses révisions furent troublées par l'entrée d'un homme dans les lieux. Non que ce soit le fait qu'il puisse y avoir deux clients en même temps dans une apothicaire, mais plutôt le fait que cet arrivant en question soit un clown. Et un clown dans les règles de l'art. En dessous d'un visage maquillé de blanc et de bleu au milieu du quel ressort l’indémodable nez rouge, une longue salopette jaune canari attirait l'attention. Les multiples couleurs vives de personnage burlesque créaient un paradoxe avec l'endroit ou il se trouvait.

Sans se soucier de sa présence, le bonhomme s'approcha du comptoir et commença à converser avec la propriétaire, avec laquelle il semblait entretenir quelques liens particuliers. Lorsqu'il sortit un sabot en bois, qu'il avait soit disant fabriqué de ses mains, pour en faire cadeau à la dénommée "suzie", Ithilion décida de ne plus se préoccuper de cette situation lamentable ne méritant vraiment pas que l'on s y attarde. Sauf évidemment si l'on voulait se taper un bon fou rire tout seul, à l'intérieur d'une boutique ou l'on vendait toutes sortes de médicaments ou de plantes.
Malgré cela, ses oreilles tirèrent la sonnette d'alarme lorsqu'elles filtrèrent un mot particulier dans la conversation du bouffon. Ce mot était en réalité le nom d'une personne que le hasard avait souvent placé sur son chemin et qu'il commençait à apprécier. Vous l'aurez compris, il ne s'agit en effet donc pas de Yuuhi. Mais plutôt d'une saltimbanque au mystère qu'il n'avait jamais su déchiffrer jusqu'a aujourd'hui ; la sulfureuse et énigmatique Elly. La pique fusa malgré lui :

pour qu'une femme de la trempe d'elly demande à un homme tel que vous d'aller lui chercher ses médicaments, c'est vraiment qu'elle doit être mal en point.

Voyant les deux visages, dont l'expression de surprise n'étaient pas feinte, se tourner vers lui, ithilion n'eut d'autre choix que d'assumer sa gaffe et se justifier. Sinon on allait l'emmerder dans son entreprise et lui poser pleins de questions. Autant prendre l'avant :

-Pardonnez moi, si cela se trouve, nous ne parlons pas de la meme personne. Je ne sais pas ce qu'il m'a prit. j'ai une personne proche qui porte le même nom , et jetrouvais cela étrange qu'elle envoie un...clown...pour se faire soigner...A moins que vous ne fassiez partie de la troupe?

L'intervention du nouvel arrivant fit sursauter Sfriedwick, qui, maladroit comme il l'était, manqua de faire tomber les plantes médicinales qu'il venait d'acquérir. Quelle surprise!
Il se détourna de la gentille Suzie pour faire face à l'inconnu. La couleur bleue de ses cheveux surprirent le clown, qui retenu de justesse une expression d'étonnement.
Alors ce monsieur connaissait Belly? Sans aucun doute, ils parlaient bien de la même jeune femme; et ce qui troubla le clown, qui s'occupait de la Nùa depuis 1 an déjà, c'était de se dire que sa protégée avait des contacts à l'extérieur de La Troupe, dont elle n'avait jamais parlé. Il mourait de curiosité concernant cet homme: où Elly l'avait rencontré? Quand? Que pense-t-elle de lui? Il aurait aimé le presser de questions car, malgré les nombreuses années de connaissance mutuelle, Elly et lui n'avaient jamais réellement échangé.

Mais pour l'heure, Sfriedwick devait répondre à ce monsieur pressant. Ce dernier avait parlé d'un ton acerbe, et pourtant le saltimbanque ne parut pas s'en formaliser. Après que le trouble-fête eut tenté de justifier son intrusion d'une manière relativement adoucie, le vieux bonhomme afficha un grand sourire qui allait jusqu'aux oreilles.
Il écarta les mains en direction d'Ithilion, comme pour l'enlacer et avança d'un pas avant de se stopper, de regarder Suzie qui sourit timidement et de dire la voix haut-perchée:

OOohhh! Un ami de Belly! OOohH! Enchanté, enchanté! Il s'avança en direction du nouvel arrivant, lui saisit la main qu'il serra avec force, en faisant des gestes amples de bas en haut. Mon nom est Sfriedwick, enchanté. Je fais partie de La Troupe, bien sûr, sinon pourquoi aurais-je ce maquillage? haha! Alors vous connaissez Elly? Elly Sora? Bien sûr qu'il s'agit de la même personne! Qui d'autre cela peut-il être? hein? L'inconnu semblait surpris de cette réaction démesurée, et se laissa ballotter quelques secondes. Puis Sfriedwick desserra son étreinte, fit un pas en arrière, regarda l'homme bleu en souriant. Il était si content de s'apercevoir que la femme panthère avait des connaissances... Et quelle connaissance! Ce monsieur qu'il avait en face de lui paraissait étrange, mais déterminé. Tout à fait le genre de personne qu'elle aurait pu côtoyer.

Pourrais-je savoir à qui ai-je l'honneur? Vous êtes un ami de ma Belly?

Et bien c'était raté, il n'allait plus pouvoir s'amuser tranquillement. Le clown s'avança de quelques pas en sa direction en écartant les bras. Cela provoqua un mouvement de recul chez le cydien qui faillit basculer en arrière lorsque son pied rencontra une pile de bouquins déposés au sol. Mais l'idée semblait lui être passé aussitôt, heureusement pour lui, sinon Ithilion l'aurait soumit à une torture sans nom à l'aide de sa prison sensorielle. Toutefois, il s'approcha quand même et lui prit la main pour la lui serrer énergiquement en ajoutant avec hystérie :

OOohhh! Un ami de Belly! OOohH! Enchanté, enchanté!

Mais bon sang ! Il le prenait pour un gosse ou quoi ? D'ailleurs a la vue de ce visage ahurit arborant cet immense sourire interminable, il se demanda si ce genre de personne pouvait déprimer. Un clown triste, une erreur dans les erreurs de la nature.

Mon nom est Sfriedwick, enchanté. Je fais partie de La Troupe, bien sûr, sinon pourquoi aurais-je ce maquillage? haha! Alors vous connaissez Elly? Elly Sora? Bien sûr qu'il s'agit de la même personne! Qui d'autre cela peut-il être? hein?

Évidemment, il fallait qu'il porte un nom imprononçable. D'habitude l’excentricité ne le gênait pas mais la, cela devenait presque trop pour lui. Sa main n'avait qu'une seule envie, se planter dans la tronche de cet énergumène et voir si après cela il garderait toujours son sourire idiot. La seule chose qui l'en empêchait, c'est que cette homme connaissait Elly, et qu'au fond de lui, bien qu'il ne sache pas vraiment pourquoi, il avait une envie étrange de revoir cette femme.
Enfin il relacha sa poignée de main interminable et recula de quelques pas, ce qui provoqua un sentiment de soulagement chez ithilion.

Pourrais-je savoir à qui ai-je l'honneur? Vous êtes un ami de ma Belly?

-Je me nomme Ithilion. lâcha le cydien à contre coeur. Un grand ami ouais, nous avons eut l'occasion de partager ensemble des aventures peu communes. Je serais d'ailleurs ravie de la revoir. Y aurait il moyen que tu me conduises à elle ?

Chez Ithilion les décisions aux coups de têtes étaient plutôt rare. Pourquoi cette soudaine envie de revoir une personne qu'il n'avait croisé que sur quelques coups du hasard. Cette dernière lui avait laissé plus d'empreintes lors de leur conversation qu'il ne l'imaginait. Une sorte d'attirance mystérieuse à son égard face à une telle femme. Ce n'était pas de l'amour, il s'agissait la d'une impression tout autre. Indescriptible. Il avait l'impression qu'elle cachait quelque chose qui lui changerait sa vie. Qu'elle était une sorte de clé lui ouvrant sur une porte sur de larges possibilités. Bien qu'inconnu. Encore fallait il que ce clown sache reellement ou se trouvait elly, et veuilles bien lui y conduire

Un grand ami? OOohhh! J'ignorais qu'Elly avait de grands amis! Quelle bonne nouvelle.

En réalité, Sfriedwick était un peu piqué d'apprendre que cet homme étrange connaissait Elly, et que cette dernière, aussi froide qu'elle l'était, était son amie.
Lui, il côtoyait la jeune femme depuis des années et pourtant, rien ne les avait jamais réellement rapprochés. La panthère lui avait toujours paru distante et ce malgré tous les efforts que Sfriedwick pour la toucher. Que l'homme qu'il avait en face de lui ait réussi à se lier d'amitié avec l'assassin... Cela le dérangeait.
Le clown s'occupait de la Nùa depuis un an bientôt. Un an qu'il la veillait, qu'il s'épuisait à la guérir, à la soigner, occultant ses propres maux. La santé de la jeune femme s'améliorait chaque jour et très bientôt elle serait debout. Qu'est-ce qui se passera alors? Est-ce qu'Elly le remerciera? Aura-t-elle eu conscience de tous les sacrifices qu'il avait dû faire? Tout son temps (pourtant compté) qu'il avait usé pour la Nùa? Plus la date fatidique approchait, et plus ces interrogations se faisaient pressantes. Et rencontrer aujourd'hui cet Ithilion, cela atteignait le saltimbanque.
Il allait conduire cet homme à Elly, pour lui faire plaisir, bien sûr, mais aussi pour lui montrer que pendant les 11 mois qui avaient précédés, la jeune femme avait été seule, ou presque, et que c'était lui, Sfriedwick, saltimbanque et soigneur, qui avait été là, et pas ce prétendu grand ami.

Vous conduire à elle? Hum... Je ne sais pas, je ne crois pas que cela soit une bonne idée... dit le clown en haussant les sourcils et en se frottant les mains les unes contre les autres. C'est que son état... c'est que je ne sais pas si... Qui me dit que vous êtes bien un ami? Et pas quelqu'un qui lui voudrait du mal? Dites-le-moi. Le vieux clown affichait un sourire narquois et usait d'un ton mielleux. Ithilion n'eut pas le temps de dire quoi que ce soit, que Sfriedwick annonçait déjà, en faisait de grandes enjambées vers la porte:
Allez, suivez-moi Sir Ithilion! et couvre-vous: il pleut comme un murlok qui pisse!
Suzie, ne vous en faites pas pour moi! Si cet homme a de mauvaises intentions, je saurais le neutraliser sans coup férir! Haha! ne jamais douter des capacités de Sfriedwick! et merci encore pour les herbes! à bientôt!
Et d'un coup sec il poussa la porte d'entrée, et sortie de la jolie boutique pour s'enfoncer dans les rues grises de Tamawa, talonné de près par Ithilion, qui ne devait pas dû saisir tout le raisonnement clownesque.

[Désengagés : Sfriedwick & Ithilion.]

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