A l'horizon se mêlaient le bleu de la nuit et l'orange de l'aube en un mélange aux proportions indistinctes. Bref, le jour le levait une fois encore, s'apprêtant à répéter une énième fois ce cycle que nul ne pouvait stopper. C'était par ailleurs l'unique chose qui se répétait dans la vie d'Ashrand, lui qui reconstruisait sa vie à Silmarie. Outre les escapades qu'il se permettait dans la région – il n'avait pas vraiment le temps de voyager beaucoup –, il passait ses journées soit à rénover la maison dans laquelle il avait emménagé soit à s'entraîner à manier l'épée et l'Esprit ou encore à gagner durement sa vie, car il devait travailler pour vivre, à l'instar de tout honnête homme. Il se livrait plus rarement qu'il ne l'aurait souhaité aux distractions et il savait que cela durerait jusqu'à ce qu'il retrouve une situation plus stable mais même ainsi, il consacrait encore beaucoup de temps à perfectionner ses talents de bretteur de même que son affinité avec l'Esprit, premièrement parce qu'il gagnait son pain à la force de sa lame et ensuite parce que posséder ce sixième sens était trop rare pour qu'il le gâche en ne l'exploitant pas au maximum. Jiven lui avait énormément appris, il ne l'oublierait pas, cependant il continuait à progresser dans les deux domaines, même sans instructeur ! Il était déjà très doué avec son épée courte en main et ce qui semblait lui manquer avec l'Esprit viendrait avec le temps et la pratique, comme l'avait souligné l'Almer.
Aujourd'hui, le jeune homme avait pris la route de Tamawa très tôt alors que les premières lueurs du jour venaient à peine de se manifester, il avait justement du travail ce jour-ci. Il avait hésité à reprendre le chemin de l'arène mais force était de constater qu'il s'agissait d'un moyen rapide, efficace et assez simple pour lui de remplir sa bourse. L'arène de Muria l'avait déjà très bien formé aux combats de gladiateur et il ne rencontrait donc pas les mêmes difficultés qu'à ses débuts. Pas que ceux qui venaient combattre à Tamawa étaient des incapables, loin de là, seulement il avait atteint un niveau où peu d'adversaires lui posaient de réels problèmes. Ainsi, ses premiers échanges à Tamawa furent réalisés contre des débutants. Faute de rapporter gros, ils furent néanmoins facile à écarter.
Ashrand parvint dans la cité neutre en fin d'après-midi et consacra le reste de la soirée à la bibliothèque qu'il affectionnait tant. La nuit, il la passa à l'auberge. Il se dirigea donc le lendemain vers l'arène où il s'occupa des formalités avec le contremaître et d'autres bonnes gens. Son combat à lui était prévu depuis une grosse semaine et le Cydien mettait un point d'honneur à se montrer très ponctuel pour cela. On lui parla un peu de celui qu'il aurait pour adversaire et il en retint qu'il aurait à faire à un certain Dante un colosse Astorg qui débutait dans l'arène et dont les talents de guerrier n'avaient d'égal que sa façon déplorable de mener les combats : En trois combats, il avait prélevé un membre à deux de ses opposants. Somme toute, une de ces brutes épaisses qui faisaient la relative mauvaise réputation des gladiateurs.
Plus tard dans la journée vint l'heure de la confrontation tant attendue. Ils foulèrent tout deux le sable et le garçon put détailler si Dante avait l'air si terrible que ça. Sa tignasse blonde retenue par une lanière de cuir trahissait ses origines nordiques et ses muscles saillants lui donnaient tout sauf l'air d'une crevette. Colosse ? Il méritait ce nom, oui, il le dépassait bien d'une tête et était presque deux fois plus large que lui ! L'Astorg tenait dans sa main une claymore peu ouvragée mais qui, en principe, aurait dû être maniée avec les deux ! Sur quel genre d'abomination de la nature était-il encore tombé ... ?
Ils commencèrent ce pour quoi ils étaient venu, se battre et mettre l'adversaire au tapis. Dans un premier temps, le Cydien évalua son ennemi, autant par la vue que par l'Esprit. Il se battait bien et comblait son manque d'agilité avec une force qui en aurait dérouté plus d'un. Mais ce qui émanait de lui, ce qu'Ashrand ressentait à l'aide de ses sens invisibles ... tout lui rappelait la sensation qu'il avait eue lorsqu'il avait combattu la Princesse amazone, en pire, et il savait ce que cela signifiait : Dante était habité uniquement par un désir meurtrier, tout dans sa tête et dans ses gestes le prouvaient. Il ne cherchait pas seulement à briser la garde de son adversaire puis de lui faire admettre sa défaite, il voulait juste mutiler le jeune homme ! Chacun de ses coups s'ils n'avaient pas été contrés visaient à le débarrasser d'un bras, d'une jambe, de la tête parfois. En continuant ainsi, qui sait quand est-ce qu'il finirait par tuer celui qui se trouvait en face ?
L'homme aux cheveux d'ébènes para, contra et frappa de nombreuses fois, parvenant tout juste à lui entailler sévèrement la cuisse. Dante était une vraie bête féroce, presque chacune de ses frappes ayant pour but un point vital sinon de quoi l'handicaper à vie. La vélocité de ses coups empêchait bien souvent le brun de répliquer comme il le voulait, ses poignets souffrant à chaque fois que les lames se rencontraient tant le bougre avait de la force. Ce qui devait arriver arriva, après un échange particulièrement violent le colosse explosa littéralement la garde d'Ashrand qui se retrouva à la merci du tranchant de la claymore. Celle-ci lui ôterait la vie sitôt qu'elle entamerait les chairs, il le sentait. Il savait aussi que la brute n'hésiterait sans doute pas une seconde pour rabattre sa lame sur lui. La terreur l’inonda instantanément : il ne voulait pas mourir, encore moins de la main de quelqu'un comme lui ! Une peur qu'il avait crû étouffée à jamais après tout ce temps resurgit et lui fit ressentir une formidable poussée d'adrénaline causée par l'effroi. Il plaça sa main devant son visage dans un geste vain qui était censé le protéger et, à l'instant même, Dante émit un grognement sourd en portant une main à ses yeux qui semblaient avoir été atteint tandis que l'ancien Soumis ressentit un tiraillement particulier sur ses bras. Ni une ni deux, le Cydien le désarma d'un habile mouvement de poignet et posa la pointe de son épée sur la gorge du géant qui dut s'avouer vaincu. Autour, du sable voletait encore comme si une brise soudaine avait décidé de déplacer chaque grain. L'Astorg avait les yeux rougis et des larmes avaient rendu du sable collant sur le pourtour de ceux-ci, Ashrand ne put s'empêcher de se questionner à propos de l'explication de tout ceci. Il y était chose, il en était sûr, mais dans quelles mesures ?
Une fois payé et longuement félicité, il quitta l'arène. Son cœur n'était étrangement pas aux réjouissances, pas après avoir été confronté à un tel adversaire mais surtout à un phénomène pareil. Il réfléchit longuement sur ce qu'il aurait pu avoir fait pour gagner ce duel : il avait bien senti quelque chose dans ses bras et ses paumes alors que rien n'aurait dû se passer et Dante perdit à ce moment même. Ces deux faits inexplicables étaient assurément liés, il en était persuadé. A l'instant exact où il pensait perdre – mourir – la providence en avait fait autrement. Longtemps il se questionna sans vraiment parvenir à une conclusion logique lorsqu'il se décida enfin à essayer de reproduire cela. Il avait l'air idiot à tendre ainsi les bras devant lui en pleine rue, bien que peu fréquentée mais il se sentait le besoin de mettre ça au clair, sans quoi il n'en dormirait pas cette nuit. Lentement il se remémora chaque instant du combat, ses doutes, craintes, ... jusqu'à cette scène qui l'avait terrifié l'espace d'une seconde et instantanément, une bourrasque caressa sans douceur aucune les pavés. L'air ainsi déplacé alla même jusqu'à soulever les jupes d'une jeune passante ! Bleue. Il l'avait vue, conclut-il, le teint ayant viré au pourpre du coquelicot.
La gêne céda rapidement place à l'émerveillement de ce qu'il venait de provoquer : il commandait au vent ! Sautillant presque de joie, il retenta l'expérience mais fut incapable de produire le moindre courant d'air. Sans doute la peur totalement effacée empêchait ce mécanisme de défense de s'activer, qui sait ? Une chose était sûre, c'était que même s'il venait de se découvrir des affinités avec cet élément, il n'était pas encore capable de le contrôler ni même de l'appeler à sa guise mais au moins, il savait que ce vent l'habitait aussi sûrement qu'il possédait l'Esprit...
[Désengagé]