La nuit est depuis longtemps tombée sur la ville. Les travailleurs sont rentrés dans leur foyer, les enfants sont allés se coucher... et les célibataires flambent leur paye à l'auberge. Les tournés se sont succédées, quelques bagarres ont été évitées. Le feu de la cheminée rend l'ambiance chaleureuse, aidée par les rires gras et tonitruants, les jeux de cartes ou d'alcool. Un barde remballe sa lyre et ses chants torturés. Et Elena prend sa place sur la scène modeste de l'auberge du Pont Divin.

Les regards se tournèrent vers l'estrade, et certainement pas par intérêt pour le joueur de pipeau qui venait de commencer son morceau. Ses notes piquées, enjouées, ils s'en moquaient. Des sifflements aguicheurs accueillirent la danseuse, mais ils ne furent pas nombreux. Ils n'avaient d'yeux que pour la créature qui doucement se mettait en mouvement. Pas plus de vingt-cinq ans, des cheveux d’ébène, une peau de suie qu’une robe de soie rouge mettait élégamment en valeur. Et des yeux émeraude, à la fois mystérieux, envoûtants et inquiétants, il fallait bien l’avouer. Un regard qui vous dépasse, dépourvu de toute la légèreté que le métier de danseuse laissait supposer. Une dose de sauvagerie qui le rendait animal et qui inspirait méfiance. Pourtant cette méfiance ne faisait pas long feu et fondait aussi sûrement que la glace dans le désert almer lorsqu’on s’attardait sur les formes délicieuses, et on oubliait aussitôt l’irréalité de ce regard et le danger qu’il pouvait susciter.

Le corps d’Elena ondulait avec délice, au rythme des notes légères du pipeau. Un voile pourpre allait et venait au grès de ses envies, flottant tantôt dans sa chevelure de lionne, tantôt sur sa peau, profitant de sa douceur, rendant envieux tous ceux qui auraient voulu devenir ce foulard et caresser la danseuse. Le temps semblait s’être arrêté, tandis que la danse hypnotique s’éternisait, sans qu’aucun ne put détacher son regard de cette sensualité sauvage. Et lorsque le pipeau joua sa dernière note et qu’Elena acheva son numéro – de charme – un long silence suivit, puis quelqu’un commença à applaudir, bientôt accompagné d’un autre, lentement, comme si chacun s’éveillait d’un songe à regret.

Les Talents volèrent alors en direction de la scène sans qu’Elena n’y jète un simple regard. Elle avait déjà quitté les planches. Si elle s’était délectée de sentir l’assistance envoûtée par sa prestation, elle se moquait bien de l’ovation qui lui offraient à présent. Ah ça, elle aimait plaire.

Le joueur de pipeau la rejoignit tandis qu’elle s’installait, seule, à une table à l’écart. Il rougit en croisant son regard, baissa les yeux sur sa bourse et la tendit à Elena. Il s’agissait de l’argent ramassé sur la scène, une somme pas négligeable. Elle glissa le butin dans son corset avant de remercier son compagnon. En lui lançant un sourire coquin qui le fit passer du rosé au cramoisi. Il s’échappa comme s’il venait de croiser le diable en personne et Elena lui suivit des yeux, un sourire amusé sur les lèvres. Chaque soir c’était le même cinéma. Peut-être qu’un jour il prendrait son courage à deux mains, qu’il lui soutiendrait son regard et lui rendrait son sourire. Elle verrait alors ce qu’il a dans le ventre. Ou plutôt dans le pantalon, pour parler crûment.

Elle s’étira négligemment, rappelant étrangement un chat qui se réveille. Elle posa sa tête sur sa main, accoudée à la table, passant l’autre dans ses mèches sombres. Ses yeux verts sondèrent la salle. Quel serait le premier à lui payer un verre ? Les paris sont ouverts !

[J’en fais beaucoup, j’en suis consciente ^^. Mais c’est marrant !]

Cela faisait plusieurs années que le mercenaire était accroché à la taverne comme une moule sur un rocher, subissant les vagues des jours et des mois sans sortir la tête de l'eau. Depuis que sa cité s'était transformée en cimetière géant et jour de fête pour les corbacs, Ardeth n'avait plus vraiment de maison -et encore moins cette masure piteuse qu'il partageait avec des vauriens de la pire espèce. Il valait tellement, tellement mieux que ces types! Autrefois, Ardeth avait un code d'honneur, une famille, un nom. Il s'appelait Ardeth Oded Farah, comme son père, et aurait dû être le prochain Oded Farah de la lignée. Régner sur l'empire commercial de sa famille après avoir servi dans l'armée, loin de vouloir devenir le boudin obèse que son père était devenu. Voilà une chose qu'il n'aurait pas dû lui dire, entre autre, s'il avait voulu garder sa situation et ne pas être répudié par sa famille. Et depuis plus de quatre ans que sa seconde famille, l'armée, avait été disloquée par une affaire divine qui le dépassait, il n'avait plus personne. Son petit frère hériterait de l'empire, sa petite soeur s'était sans doutes déjà mariée par intérêt avec une puissance restante de Ptot Tàh émigrée à Erathia et plus personne ne s'intéressait plus à Ardeth. Certainement le croyaient-ils tous mort depuis belle lurette -et c'était certainement mieux ainsi!

Ces derniers temps, l'almer avait cependant trouvé sur quoi déverser un peu sa solitude. Il y avait une fille, et pourtant elle était Nùa et bien plus jeune qu'elle, qu'il désirait plus que tout au monde. Plus que le nom qu'il avait perdu et que le passé qu'il chérissait tant! Et les derniers contrats de mercenariat qu'il avait obtenu, il les avait dépensé dans un bracelet d'améthystes noires qu'il allait lui offrir, sans grande prétention si ce n'était....

"Si vous me le permettez ma dame, j'ai un cadeau pour vous. Mais je ne vous le remettrais que si vous... me promettez de danser avec demain."


[Taille moyenne, crâne un peu dégarni, proche de la quarantaine. Physiquement bien conservé, il n'est pas exactement bel homme mais il a un reste d'un certain charisme et une voix puissante]

Bingo. Sournoisement, le piège se refermait sur un Ardeth un peu désappointé. Ne cherche pas à comprendre, pauvre mercenaire. Ni vois rien de personnel. Tu verras, ce ne sera pas si terrible. Mais dorénavant tu es à moi. Un sourire énigmatique en guise de réponse. Un nouveau regard envoûteur.

« Eh bien je cherche en effet quelqu'un qui serait capable de m'enseigner l'art de manier le poignard. Voilà une arme qui m'a toujours fascinée, qui, bien manipulée, peut se révéler dévastatrice, j'en suis sûre. »

Devant l'air intrigué d'Ardeth, Elena ajouta, un sourire dans la voix :

« Oh, ce n'est pas que le métier de danseuse soit plein de périls et qu'il me faille de toute urgence une formation pour me défendre. Les hommes se montrent souvent insistants mais je n'ai pas encore eu à en venir aux mains pour me défaire même des plus collants. »

Et elle disait la vérité. Elena ne mentait jamais. S'il lui arrivait régulièrement d'user de ses pouvoirs d'envoûteuse pour prendre congé de certains ambitieux et stupides prétendants, ce n'était pas pour eux qu'elle voulait apprendre le maniement du poignard. Ou du moins pas pour se défendre contre eux.

« Que diriez-vous que nous poursuivions cette conversation dans ma demeure ? Je vis un peu à l'extérieur de Cydonia et ma soeur est une fine cuisinière. Nous serions ravies de vous avoir à dîner. »

Voyant l'Almer à nouveau désemparé, elle ne put s'empêcher de rire.

« Me voilà un peu trop directe. Ma foi, ce n'est pas mon genre de faire dans la dentelle. Vous me plaisez bien, Ardeth et je suis curieuse d'en savoir plus sur vous. Je ne vous propose qu'un repas et éventuellement quelques entraînements si vous êtes disponible. J'ai les moyens de payer vos services ne vous inquiétez pas pour cela. »

Elle guetta la réaction de son interlocuteur avant d'ajouter, plus prudente...

« Et puis... ce n'est pas les chambres qui manquent dans notre manoir. Vous seriez logé, nourri, payé, juste pour satisfaire mon caprice. »

Le terme était volontairement ambigu et la Nua prit un malin plaisir de l'accompagner d'un sourire aguicheur. Elle avait annoncé la couleur : c'était une épée sans fourreau qu'elle voulait.

« Que dites vous de mon offre mon cher ? Ou plutôt non, ne répondez rien. Pour l'instant je vous invite pour souper. Vous aurez le repas pour y réfléchir... Nous souhaiterions régler, lança-t-elle à l'adresse du tavernier, sans détacher cependant ses prunelles sombres de son compagnon. »

Maître d'arme à l'essai. Voilà à quoi serviraient ses propres entraînements. Elle apprendrait à le connaître, elle aurait le temps de le jauger, d'évaluer la confiance qu'elle pouvait lui donner. Et surtout elle prendrait le temps de se faire aimer de lui. Très peu d'artifices, très peu de chants envoûteurs qui trompent les sentiments. Celui-là devait être à elle, tout entier, sans mensonges, sans subterfuge. Il devrait l'aimer si passionnément, qu'il exécuterait le moindre de ses désirs sans chercher à savoir où est le bien et le mal. La réponse serait d'ailleurs sans équivoque. Et alors ce sera de tout autres élèves qu'il aurait à entraîner.

Peut-être se trompait-elle. Peut-être que ce gars-là n'était pas du tout fait pour ce qu'elle attendait de lui. Après tout, elle venait à peine de le rencontrer, là, dans cette auberge plus ou moins bien fréquentée. Il pourrait être n'importe qui. Mais ce bracelet d'améthyste n'était pas anodin. Et il y avait quelque chose dans la voix grave de l'Almer qui plaisait réellement à Elena. Une voix de confiance.

Peut-être se trompait-elle. Elle avait tendance à foncer sans réfléchir, suivant son instinct aussi sûrement qu'un lion suivant une bête blessée, avec autant de brusquerie et de sauvagerie.

Peut-être se trompait-elle. Pourtant, Elena était intimement persuadée que non, elle ne se trompait pas.

Sous un masque qu'il voulait imperceptible, Ardeth se décomposait de surprise et d'anxiété au fur et à mesure qu'avançait la conversation. Il n'avait pas tellement planifié ou réfléchi à ce qui aurait pu arriver après lui avoir offert le bijou, et voilà que le destin le précipitait loin en avant, bien plus loin que ses pensées pouvaient même l'amener. Qu'Elena veuille à ce point apprendre à se défendre pouvait signifier deux choses: soit elle avait besoin de se défendre, mais cela ne semblait pas être le cas.
Soit il ne restait qu'une solution: elle cherchait une sorte d'excuse pour passer du temps avec lui. Cela semblait tellement irréel qu'il ne pouvait y croire, et pourtant c'était la seule raison qui pouvait pousser cette jeune femme à agir de la sorte ! Comment réagir à cela ? Il allait accepter, bien sûr, c'était évident. Mais comment agir par la suite ? Prendre son temps, ralentir les progrès de la magnifique danseuse pour rester plus longtemps près d'elle? Mais cette attitude risquait de faire croire à Elena qu'il était incompétent à lui apprendre son art.
Les idées se bousculaient dans sa tête, comme les émotions dans son être. Elle lui avouait des débuts de sentiments naissants, une volonté de se rapprocher de lui, de l'emmener un peu plus dans son monde, chez elle !

"Votre demande n'est en rien cavalière, elle m'honore plus que je ne semble le mériter. Permettez-moi alors de régler ce que nous devons au tenancier."

Après un sourire poli, il se hâta avec une certaine maladresse auprès de l'aubergiste pour régler la note du soir. Fier, il regarda autour de lui les autres hommes qui devaient l'envier. Ce soir, il dinerait avec elle, chez elle, et accepterait la nouvelle proposition qu'elle lui avait fait. Sa vie prenait ainsi un nouveau départ !


[PNJ Ardeth Farah que tu as gagné: Tacticien, Maitrise de l'épée, Charisme, connaissance des langues, Ambidextrie, dévouement. Ca te va ?].