Calme.
Je reprenais mes investigations calmement, il était tôt, si tôt que l’aube n’était pas encore arrivée, cependant je ne pouvais perdre plus de temps et tâcher de savoir si quelqu’un avait aperçu mon frère dans les parages. Malheureusement cela faisait déjà un moment que je tournais en rond et je me demandais maintenant pourquoi je tournais en rond comme une idiote à cette heure. Personne n’allait gentiment m’indiquer s’ils avaient vu passer un jinmen… Ils devaient avoir leurs propres problèmes à résoudre. J’errai dans la campagne entourant Cydonia, ne sachant ou j’allais j’approchais de la lisière d’un petit bois avant d’être interpellée par une voix connue en elfique. Je n’y prêtai d’abord pas attention, trop songeuse pour me souvenir d’où et de quand je l’avais entendue pour la première fois. Peut être ne voulais-je simplement pas répondre, j’étais occupée par quelque chose d’important, il me semblait futile de prêter attention à cette voix. Aussi je pouvais feindre de ne pas comprendre cette langue, pour me concentrer sur mes problèmes. J’avais perdu du temps considérable, bien qu’il fût très agréable de passer la soirée en compagnie de la princesse et de Luné, si on peut appeler ça une soirée tranquille.
La voix se fit à nouveau entendre, plus forte, plus désobligeante, maussade, vindicative. Je la reconnaissais à présent, c’était celle du crétin qui avait posé les yeux sur la princesse, l’autre soir à la taverne. Qu’est-ce qu’il pouvait bien me vouloir ? Avais-je offensé les divinités pour qu’elles me fassent à nouveau croiser le chemin de cet elfe ? D’autant que le peuple elfe était sacré pour nous autres jinmens, je ne savais trop quoi faire, d’un sens il m’était étrange de devoir me battre contre l’un des membres du peuple elfe, d’un autre, je savais que celui-ci était un salopard de première. Le bouquet dans l’affaire, c’est qu’il n’était pas seul, il avait amené ses petits copains avec lui, la poisse. Tous étaient armés, d’un glaive, un autre avait même un arc en bandoulière, génial, ils ne venaient pas me rendre une visite de courtoisie. Une troisième interpellation de l’elfe attira finalement toute mon intention sur sa personne, il n’avait pas vraiment l’air énervé, il paraissait même satisfait que je sois ici. Il m’adressa un sourire aussi malsain que la veille avant de lancer :

« Nous te tenons enfin la jaune ! »

Ah, je reconnais bien là l’éloquence mythique des boulets. Des mots finement choisis, destinés à piquer sa cible au vif, d’attiser une forme quelconque de colère ou d’irritation. Chose que je ne connaissais que trop bien, j’avais beau être encore jeune j’avais déjà croisé ce genre de maroufle. C’en était presque cliché et m’ennuyait particulièrement, ses quatre coéquipiers me regardaient comme un chien affamé regarderait un jambon. Les hommes de ce pays étaient particulièrement bestiaux, ou j’avais juste le malheur qui refusait de me quitter ?
Quoi qu’il en soi, je ne pouvais pas non plus rester insensible à cette remarque désobligeante, le tout était de répondre avec sérénité. Un murmure se fit ouïr non loin de moi, j’entendais du jinmen, une petit voix, celle d’une fille ou d’un garçon vraiment très jeune, je ne pouvais l’affirmer, mais cette voix me fit clairement comprendre que je n’étais pas seule, ce qui ne me réconfortait pas, loin de là. L’interlocuteur mystère était caché dans les buissons non loin, je ne voulais pas l’impliquer dans cette querelle sans intérêt. Je finis par ouvrir la bouche, dans ma langue natale, à l’intention de cette mystérieuse personne.

« - Inquiète ? Pas le moins du monde… »

Les voyous m’avaient regardé d’un air surpris, ils devaient penser que je ne parlais pas de langue qu’ils connaissaient, voir aucune langue d’Azthia, sans doute. Enfin, l’elfe savait que je parlais elfique, il me lança donc une autre brimade.

« - Pas la peine de faire genre, je sais très bien que tu me comprends espèce de traînée ! »

J’étais patiente et compréhensive, je pouvais entrevoir le fait que certains êtres vivants étaient passablement débiles, mais je ne laissais jamais passer une insulte qui pouvait toucher mon honneur et tout ce pour lequel ma famille s’est battue depuis des générations. Je fixai l’elfe d’un air hostile avant de lui demander dans un soupir :

« - Que me voulez vous, exactement ? Vous venger de la correction reçue après avoir froissé mes compagnons la nuit dernière ? Vous dirigez votre stupidité dans le mauvais sens, encore une fois.
- Ce que je voulais, c’était apprendre à la gosse les joies de la vie, pour le coup je t’ai toi là maintenant, et mes copains et moi, bah on va te faire comprendre qu’on n’est pas des rigolos. Prépare-toi ma belle, parce que je peux t’assurer que tu vas apprendre ce que c’est que de me chier dans les bottes ! »

Il s’était approché de moi, si près que je pouvais l’entendre chuchoter des propos déplacés qui en disaient long sur ses problèmes et sa frustration psychologique qui le poussaient droit vers la pire erreur de sa vie. Il se tenait assez prêt pour que je puisse lui briser la nuque si l’envie m’en prenait. Il était prêt à dégainer son arme en ricanant, d’un geste sec j’appuyai ma main droite sur le pommeau de son arme, l’empêchant de la sortir rapidement avant de lui asséner un coup typique de l’art martial jinmen, un coup basique et redoutable : le teisho-uchi. Cela consistait simplement à placer la main, pliée au maximum vers le haut, faisant jaillir la partie inférieure de la paume afin de porter un coup, généralement au visage ou au bas-ventre. La surprise et la rapidité du coup le déstabilisa et il lâcha prise de son arme, en reculant d’un ou deux pas. Je ne lui laissai pas le temps de se remettre du premier coup que le deuxième, plus puissant se déchaina, un autre coup basique du combat à mains nues, le shuto-uchi. Un coup particulièrement efficace s’il était placé avec précision, il consistait à armer la main qui frappe à la hauteur de l'oreille, paume vers l'avant, bras fléchi, coude dans l'alignement des épaules. Par une rotation sèche des hanches, on propulse le bras fléchi vers l'avant, puis on l'allonge en tournant le poignet juste avant l'impact. Le coup est généralement porté à la carotide ou la tempe. Dans mon cas, j’avais visé la carotide, espérant que mon coup affecterai ses cordes vocales et qu’il ne soit plus en mesure de débiter des âneries. Ce deuxième mouvement lui fit perdre l’équilibre, il s’étala de tout son long comme un vulgaire sac de patate. Il venait de perdre son souffle, suffoquant légèrement, mais aucune lésion grave ne serait normalement à déplorer, il était d’une constitution suffisante pour survivre à une frappe directe de ce style. Le chef étant neutralisé, ses compères restèrent bouche bée un instant, la plupart d’entre eux ne devait pas encore avoir compris ce qu’il venait d’arriver. Tandis que les benêts étaient confus, je formulai à voix basse, mais suffisamment audible, pour moi-même.

« - J’y suis peut être allée un peu fort, mine de rien… »

Impulsive.
C’est ainsi que m’apparaissait la jeune fille qui venait de jaillir du buisson d’où elle me murmurait plus tôt. Elle avait sauté là, au milieu du tas sans même savoir qui j’étais, la voila qui commençais déjà à frapper l’un des voyous après avoir crié quelque chose dont j’ignorais totalement la signification, néanmoins je pouvais affirmer qu’il s’agissait de la langue cydienne et à en juger par la jeune fille, ça devait être sa langue natale. Elle maitrisait aussi la magie, c’était assez étonnant, elle pouvait contrôler le même élément que la princesse Ayane, l’eau. Elle était cependant très très excitée par le combat, si bien qu’elle se laissa aller au point d’arroser l’intégralité des brigands, attirant ainsi tout l’attention sur elle. Elle put défaire aisément deux adversaires. Le premier d’un violent coup de poing, le second par l’usure, elle était vraisemblablement très athlétique. Elle le lamina aussi facilement que le premier. Cependant il en restait deux et l’un d’entre eux la visait déjà de son arc, prêt à décocher, j’eus heureusement le temps de l’empêcher de tirer sur elle, la flèche passa au loin d’elle. L’archer brandit maladroitement son poing pour tenter de me repousser, il n’eut pour réponse qu’un coup sec et bref au plexus assorti d’un second, plus puissant encore à la mâchoire. Le dernier ennemi qui s’était dors et déjà emparé de sa lame fonçait sur moi pour me porter une frappe verticale. Un mouvement plein d’ouvertures, si évidente qu’un enfant aurait aisément pu riposter. Cette riposte se passa en trois temps, j’avais premièrement esquivé la frappe en faisant un mouvement brusque sur le côté, pendant lequel j’avais pu saisir le bras de l’homme. Dans un deuxième temps j’avais entrainé son bras dans son mouvement, décuplant sa frappe au point de faire passer son bras dans son dos avant de l’y bloquer. Dans un troisième temps, l’homme avait, par reflexe tenté de ramener son bras bloqué en avant, s’infligeant une douleur passablement insupportable, j’eut juste à taper d’un léger coup de pied derrière son genou afin de faire fléchir sa jambe et lui faire poser le genou au sol. Seulement, je n’avais pu prévoir qu’il tentait encore de dégager son bras aussi un craquement ignoble se fit entendre lorsqu’il força une énième fois avant que son effort laissa place à un hurlement de douleur assez intense pour réveiller un mort. Il geignit comme un enfant en se roulant au sol tandis que leur leader, l’elfe déplaisant, regarda alternativement la jeune cydienne et moi-même.


« - On s’est fait avoir, on s’casse les gars, vite ! »

Ceux qui n’étaient pas inconscient s’enfuirent bien vite, ceux qui ne tenaient pas debout imploraient notre clémence, de peur que nous les maltraitions et ceux qui étaient inconscient n’étaient pas sortis de leur torpeur. L’infirme hurlait encore de la douleur qui émanait de son bras, et plus il tentait de bouger, plus la douleur était intense. Je n’avais pas voulu l’handicaper, juste le neutraliser, je n’aurais jamais pensé voir un homme si entêté au point de vouloir se libérer d’une prise pareille. Enfin toute cette agitation inutile était terminée, ce n’était pas plus mal. Je ne retournai vers la jeune femme qui était arrivée pour m’aider, elle était jeune, énergique et son style de combat était plutôt original, bien qu’elle eut agi avec imprudence. Me demandant comment je me portais je m’inclinai humblement pour la saluer avant de lui adresser quelques mots dans ma langue natale qu’elle semblait comprendre.

« - Tout va pour le mieux. Merci de votre aide… »

J’aurai voulu ajouter une formule de politesse, mais j’ignorais tout d’elle et il m’était difficile de le deviner car je ne connaissais pas toute les subtilités de la culture cydienne. Néanmoins il me semblait peu probable qu’il s’agisse d’une simple paysanne et il semblait peu probable qu’elle soit également une fille de haute noblesse, ou alors était-ce dans la culture cydienne d’apprendre aux jeunes filles à se battre ? Après tout cette idée n’était pas si étrange, j’avais moi-même emprunté ce chemin. A défaut de pouvoir la remercier convenablement, j’optais alors pour la présentation.

« - Je me nomme Karaleth. »

J’étais troublée, elle comprenait et parlait le jinmen, je n’avais encore pas vu de personnes maitrisant cette langue en dehors d’Oyashima. Son style de combat me laissait également perplexe, elle maitrisait la magie et combattais au corps à corps, quel genre de lien pouvait-il y avoir ? De plus sa manière de se battre, bien qu’extrêmement imprudente était redoutable, elle reposait sur la force physique, des coups portés de manière précise et avec toute la force que son corps pouvait lui fournir. En définitive très différent de la manière que j’avais de combattre, moi qui favorisais des coups moins puissants mais plus rapides. J’espérais qu’elle se présenterait également et que nous puissions discuter, cette jeune fille était particulièrement intéressante…
L'homme lâcha un autre vague soupir de douleur en essayant de se relever malgré son bras sévèrement blessé.

Stupeur.
Tandis que la dénommée Rosa se présentait à moi, j’avais encore en tête son apparition soudaine en plein milieu du combat. Elle affirmait être une apprentie, ce qui excusait en partie son imprudence. Cependant son âge n’excusait pas pour autant cette conduite suicidaire. Indirectement, elle me ressemblait, j’avais la même conduite impulsive lorsque j’étais plus jeune, surtout lorsque j’avais développé mon propre style de combat. Je pouvais facilement comprendre ce qu’elle avait pu ressentir au moment, de l’excitation, une poussée d’adrénaline irrésistible. Ce qu’il lui fallait, c’était apprendre à se contrôler, à canaliser ses émotions et ses sentiments. Elle deviendrait assurément une redoutable guerrière ainsi. Elle semblait sur la défensive à présent, c’était compréhensible, la fin de sa phrase était brusque pour ne pas dire insultante, cependant je pouvais deviner à son air qu’elle ne le pensait pas réellement tel que sa langue l’avait articulé. Ce n’était qu’une preuve de plus de sa fougue. La jeune Rosa avait encore beaucoup de chemin à faire, c’en était sur, pourtant elle flamboyait d’une ardeur et d’une soif d’apprentissage, une curiosité qui devait être l’un de ses plus grands atouts si elle cherchait à tout prix à s’améliorer. Sachant qu’elle était sur la défensive, je tendais mon bras vers elle, ce qu’elle aurait pu interpréter comme un geste d’intimidation et de danger imminent. Juste avant qu’elle ne se décide du moindre mouvement, je terminai mon geste en posant mon index sur son front avant de lui sourire.

« - Votre franc parler reflète une certaine impulsivité jeune fille. Tout comme votre irruption irréfléchie dans le combat plus tôt, c’est un très gros risque non sans conséquences irréversibles qui vous attendait. Je vous suis redevable de votre précieuse aide, laissez moi vous donner ce conseil : Dans mon pays, nos soldats sont formés afin de pouvoir évaluer la situation en un temps record et d’agir en conséquences. Cette manière d’analyser votre environnement est aussi le meilleur moyen de réduire tous les risques qui pourraient vous porter préjudice dans ces précieuses minutes qui constitueront votre combat. Actuellement, cette réaction que vous avez eue, bien que motivée par un noble geste aurait pu vous couter la vie et vous savez comme moi, que vous êtes trop jeune pour que votre vie s’achève maintenant. »

J’espérais qu’elle ne le prendrait pas mal, cela pouvait ressembler à une réprimande mais ce n’en était pas une, je voulais juste qu’elle prenne conscience de la gravité et la portée des actions qu’elle pourrait prendre en tant que combattant. J’étais plus aguerrie qu’elle, elle le savait après tout. Elle avait beau être une fonceuse, elle n’était pas idiote, loin de là donc il me semblait logique qu’elle comprendrait le sens de mes mots. La maitrise de notre art était ce qui nous gardaient en vie lors des combats, mais pas seulement, la parfaite maitrise de nos émotions nous permettait de prendre des décisions critiques en un temps record. C’était pour cela que l’enseignement samouraï était intransigeant, cet enseignement long et douloureux formait une élite de guerriers. D’ailleurs, les zélotes n’étaient-ils pas une élite eux-aussi ? Le style de combat de Rosa était parfait en apparence, bien que légèrement problématique dans certaines situations. Combien de postures, combien de types de coups les Cydiens apprenaient-ils ? J’étais curieuse de le savoir.

« - Malgré ceci je dois avouer que cette maitrise du combat est impressionnante, le combat jinmen est assez similaire à votre style de combat, nous varions juste la puissance de nos coups avec la forme que nous faisons adopter à nos mains. Le poing fermé n’est pas la forme la plus redoutable que la main puisse adopter. Je n’ai pas pu vous remercier autrement que par des mots vides de sens, si vous le souhaitez, je peux toujours rattraper cette lacune par une petite mêlée amicale, qu’en pensez-vous ? Le combat est la plus pure expression du corps, une ouverture de notre âme qui s’exprime librement à son travers.»

C’était peut être un peu gonflé de ma part, j’avais presque l’impression de l’avoir prise de haut, et je n’y avais aucunement pensé et encore moins voulu. Enfin je comptais encore sur sa réflexion pour comprendre que je ne lui voulais aucun mal et que je ne la méprisait pas le moins du monde, bien au contraire, cette jeune fille avait gagné un certain respect de ma part. Je voyais plus ce petit combat comme un échange culturel de nos deux styles.

La précipitation.
Le premier facteur d’ouvertures dans une garde. La jeune Rosa était agile, rapide et devait être assez difficile à toucher. Néanmoins elle était impulsive et un peu tête brûlée, cela lui porterai préjudice. J’avais un autre avantage sur elle, c’est que je n’avais pas vraiment dévoilé mon art au combat, je m’étais contenté de coups simple et offensifs, ce qui n’était pas du tout mon style de combat à main nues. J’avais observé chez elle des coups forts, bien plus lents que les miens et un très fort appui sur ses jambes au moment de porter un coup. Elle acceptait le défi, comme je m’y attendais, elle s’était précipitée pour porter un coup dans un point peu protégé, elle avait choisi le ventre. N’étant pas en posture, je n’avais effectivement aucune protection à cet endroit, néanmoins j’avais assez d’espace pour esquiver de justesse ce coup rapide et précis qu’elle m’envoyait.
J’en profitais pour étudier son mouvement, un ferme appui sur sa jambe, le bras fléchi, élancé vers l’adversaire dans un punch vraisemblablement destructeur. Je trouvais cela intéressant que cette jeune fille d’apparence si frêle utilise un style de combat si brutal. Elle s’était désengagée de la zone de contact juste après pour se placer en défense, elle attendait surement ma riposte. Je décidai de commencer léger, un simple coup de paume visant l’épaule droite, coup qu’elle bloqua avec aisance, elle bloqua tout aussi bien les quatre frappes suivantes, deux près du menton, une autre au bas ventre et la dernière au cou.
J’étais certaine d’avoir affaire à une jeune très douée, réactive, et zélée. De plus mes techniques offensives ne sont généralement utiles que lorsque j’ai paré ou bloqué mon adversaire, ce qui n’était pas son cas ici, elle m’avait attendue. Son endurance était au top, elle était une vraie athlète. Je ne comptais pas lui dévoiler toute ma technique, j’adoptais cependant ma posture de combat basique, plaçant le bras gauche en avant, la main ouverte, comme si elle était posée à plat et la deuxième, dans le même genre mais avec les doigts repliés vers l’intérieur, semblant à une patte de chat, placée retournée plus en retrait au niveau du ventre. Je ne pus décrire sa réaction, tant elle m’était impossible à cerner. Elle se lança dans une nouvelle série de coups, plus légers, plus rapides. Je bloquais aisément le premier, déviant le deuxième mais le troisième me toucha au bas ventre, l’impact était cependant moindre car elle avait usé de pas mal d’énergie avant, je parvins à contrer son quatrième coup et lui retourna un premier coup entre les deux séries de côtes, un coup porté nettement mais peu violent, bloquant un instant sa respiration. Elle fut prise au dépourvu et son appui faiblissait, je n’eus aucun mal à la faire tomber en poussant sa jambe sur le côté, elle glissa sur le sol encore mouillé par sa magie utilisée plus tôt. Elle avait fait preuve de tellement d’entêtement qu’elle se retrouvait dans la même position que les voyous plus tôt. Elle devait être quelque peu vexée, elle se releva en hâte et reprenais sa posture de combat. Elle était persévérante, encore un bon point pour elle. A première vue, son seul gros défaut était son manque de self-control, elle agissait imprudemment et laissait des ouvertures évidentes dans sa garde, de plus un style aussi offensif n’étais probablement pas l’idéal pour une jeune femme si agile. Elle en voulait encore, j’allais lui en donner, après tout quel duel amical cela aurait-il été si je n’avais pas combattu comme il se devait ? Elle fonçait de nouveau, pensant que j’allais effectuer le même genre de parade. J’avais modifié très légèrement ma posture, privilégiant le point faible de son mode de combat : Ses jambes. J’esquivai de nouveau ses multiples coups, quitte à ne pouvoir en esquiver certain, je harcelais de petites frappes ses jambes afin de la déstabiliser. Le moment opportun arriva, un ultime petit coup de pied au niveau du genou et elle perdit encore une fois l’équilibre, elle se prit un coup dans le bas ventre d’une force légèrement supérieure au précédent qui l’envoya au tapis.

La mêlée était finie. J’avais du subir une bonne dizaine de coups avant de pouvoir la mettre hors circuit, elle était impressionnante et étonnamment résistante. Voyant qu’elle mettait un peu de temps à se rétablir, j’approchai d’elle pour m’enquérir de son état. Ce fut un choc, je pris un violent coup au visage, inattendu et direct imparable, instoppable, inesquivable. Le coup fut tel que je tombais sur les fesses. Elle m’avait eue, elle m’avait fait baisser ma garde en encaissant tout ces coups afin de me porter ce coup. Qu’il ait été calculé ou juste motivé par sa colère, je n’en savais rien mais je devais bien reconnaitre qu’elle m’avait eue. Elle se releva difficilement mais elle y parvint, le souffle court, prenant quelques instants pour se remettre de ces émotions. Je la regardais avant de me relever, avant de m’incliner, marquant la fin du combat avant de lui annoncer :

« - J’ai bien peur d’avoir perdu cette petite joute amicale, j’ai baissé ma garde pensant ma victoire acquise et je me suis faite piéger. Néanmoins ce style de combat est vraiment redoutable, j’admire votre maitrise. »

Vexée.
C’est ainsi que Rosa réagissait, elle n’avait donc pas compris ce que je tentais de lui dire. Certes j’avais déclaré sa victoire sachant bien malgré tout qu’elle n’aurait probablement pas remporté ce combat, mais la véritable victoire d’un combat ne devait pas être la recherche d’un écrasement de son adversaire, une véritable victoire résidait dans notre façon de nous battre. Rosa se battait avec hargne et brutalité, ce qui était sans doute efficace pour défaire ses adversaires, mais elle se battait imprudemment. Si nous avions eu à faire face en combat réel, je n’aurais eu aucun mal à lui briser le cou, sa garde étant axée sur le haut de son corps, négligeant totalement ses jambes. Elle n’avait vu le point faible de cet art martial que je pratiquais, qui ne possédait aucune forme offensive. Obtenir une véritable victoire pour elle aurait du se résumer à me pousser dans mes retranchements, ma défense étant impeccable pour ses coups, elle aurait pu prolonger le combat en se repliant temporairement au lieu de foncer tête baissée. En me forçant à l’attaque, elle aurait aisément pu voir les failles de mon style et poser des coups décisifs tout autres que ce coup de poing reçu en plein visage. Elle fulminait, c’était voyant, elle était tellement vexée qu’elle allait jusqu'à avancer des propos assez outrageants que je préférai ne pas retenir, les fixant sur sa colère.

«- Euh… Et bien merci du compliment. Mais sachez que je ne suis pas dupe ! Encore un piège des mangeurs de riz ça non ? Vous m'avez laissé gagner. Oui oui, foi de Rosa Swad j'ai bien remarqué votre manège ! Vous êtes une samouraï et vous vous faites battre par une apprentie, ironie du sort ? Non je ne pense pas mais vous semblez cacher vos capacités, mon maître m'a toujours dit de procéder ainsi. Et mon style de combat, il n'a rien de redoutable comparé au vôtre, peau jaune.
- Je sais très bien que vous n’êtes pas dupe, la vérité est que physiquement, vous remportez ce duel, mais sur le plan technique, c’est moi qui l’emporte. Cessez donc de penser que seul la violence alimente chaque combat, même le plus fort des hommes perdra contre une faible femme si celle-ci possède une technique. La vérité est que j’ai pu voir la faiblesse essentielle de votre style de combat : Vos jambes. Avez-vous un seul instant entrevu le fonctionnement de ma méthode de combat ? Non, si cela avait été le cas, vous n’auriez pas foncée tête baissée ainsi, c’est pour cela que je vous le redis, Rosa Swad, que le combat n’est pas une expression de violence pure, mais de maitrise de soi, chose que vous ne possédez pas encore. »

J’avais laissé transparaître un peu de sévérité telle que Feng le faisait pour moi à l’époque de ma formation, le ton était néanmoins juste et veillait parfaitement à faire comprendre à mon interlocutrice que malgré ses propos, je ne lui en voulais pas.

« Je vais vous laisser étrangère, essayez de ne pas vous faire prendre encore une fois par des bandits, l'armée ne sera pas toujours là pour vous protéger. A bientôt ou à jamais ! Bonne route pour... pour le pays... pour le pays du riz mangeant ! Voilà c'est ça, bon retour !
- Une dernière chose, surveillez votre langue, je ne suis pas de ceux qui prendraient la tête d’une enfant pour de simples jurons lâchés dans un élan de colère, sachez cependant que face à d’autres samouraïs, vous n’auriez probablement pas eu le temps de finir votre phrase que votre sang aurait déjà tâché le sol. »

En espérant qu’elle devienne la grande guerrière qu’elle souhaitait devenir, je dois dire qu’indirectement cette enfant me faisait penser à moi, il y a quelques années, jeune, idiote, impulsive et insubordonnée…
Nos chemins se séparaient et tandis qu’elle partait en direction de la ville, mes pensées furent interrompues par l’homme dont le bras avait craqué un peu plus tôt. Il souffrait toujours le martyr, ce qui, malgré moi, provoquait une certaine pitié pour lui. Enfin peut-être allait-il être enclin à me céder quelques informations, je m’approchais donc de lui, le bloquant au sol, l’empêchant de tenter de mouvoir son bras pour ne pas lui provoquer plus de souffrances. Il parlait elfique, une aubaine. Il me fixait d’un regard suppliant, il pensait probablement que j’allais mettre fin à ses jours ici et maintenant, mais il n’en était rien. Tuer un adversaire blessé et incapable de se défendre était contre les principes du bushido, il me serait donc impossible de faire une telle chose, d’autant que j’avais quelques informations à récupérer.

« - Pourquoi me suiviez vous, dis-moi qui vous envoie ?
- Je… Ne te dirai… Rien, trainée !
- Parle avant que je regrette de ne pas t’avoir ouvert la gorge.
- Je ne le trahirais, il nous dit de piétiner la fleur insolente, nous le faisons. Je ne te dirai rien de plus femme, tue moi si tu le souhaites, je donnerai ma vie pour le dragon. »

Mon cœur ne fit qu’un tour, cette appellation étrange avait fait ressurgir un tas de souvenirs de mon frère ainé, Kazuo Shuzen, l’homme qui m’appelait la « fleur insolente » lorsque nous étions enfants. Ce sobriquet m’avait collé à ravir pendant plusieurs années tant je me soustrayais à l’autorité de mon frère lorsque notre père lui donnait pour consigne de m’emmener voir les exécutions publiques ou les personnes que j’aimais le moins. Et ce surnom de « dragon », que signifiait-il ? Mes craintes d’apprendre un noir secret sur mon frère me faisaient mal, mais je devais en apprendre encore plus. Inutile de torturer cet homme, il ne dirait rien de plus et je n’avais pas d’autres choix que de le laisser ici, il était assez robuste pour aller jusqu'à la ville trouver un guérisseur, de mon côté j’avais un « dragon » à chasser.