[Ce sujet se déroule début été 151. Il est privé, seul Volesprit est autorisé à répondre. Le titre est extrait d'une musique de Nougaro "Je crois".]

Comme endormi après un très long sommeil, Azthia se réveillait, doucement, à regrets. Et quel douloureux réveil… Le passage d’Azael, de ses Cavaliers de la mort et de son armée de l’Outre-Monde n’avait pas laissé les Cités indemnes. Ni sa population. La Troupe avait entrepris de faire le tour des villes pour apporter son aide à la reconstruction ou tout simplement pour faire profiter les plus démunis de sa bonne humeur. Ils avaient quitté Tamawa le matin même, après avoir offert aux Templiers le soutien et le réconfort qu’ils pouvaient, et Jillian avait fait ses adieux à son frère. Depuis la bataille au pied de la Lumineuse, Garet ne l’avait pas quittée. Les événements récents lui avaient durement rappelé que la vie n’est pas éternelle et il avait eu tout à coup l’angoisse de ne plus revoir sa sœur. Leur séparation avai été réellement difficile. C’est qu’ils avaient tous deux déjà perdu un frère. Faudrait pas que ça devienne une habitude…

Silmarie en vue, Jillian avait réduit l’allure. Les collines brumeuses n’étaient pas bien dangereuses, mais elle craignait que l’irrégularité du terrain leur fasse perdre une roue ou deux en route. Ils passèrent les murs de la Cité sans encombre. Privés de son armée dans d’affreuses circonstances, les Elfes faisaient partie de ceux qui avaient le plus souffert de cette guerre. Jillian n’avait d’abord pas su comment aborder ce peuple, si humble, si réservé. Peut-être que débarquer ici avec les étendards colorés, les jongleurs, les cracheurs de feu, et toute la joie de vivre de la Troupe pouvait paraître déplacé. Mais c’était ce pour quoi ils étaient ici. Pourquoi cacher leur vraie nature ?

C’est pourquoi Jillian se tenait droite et fière sur son banc de cochet, toute de couleurs vêtues, criant au tigre gigantesque qui tirait les roulottes de s’arrêter. Hans s’exécuta et les Saltimbanques se mirent en effervescence, plantant les tentes, allumant les feux, tandis que d’autres déjà installaient des tables et sortaient des jeux de cartes ou s’entrainaient à faire des tours de magie. De vrais clowns, ne put s’empêcher de penser Jillian. Cependant, elle les regardait s’activer avec un sourire attendrit, rappelant celui d’une mère amusée de voir ses enfants jouer. Non sans avoir crié quelques ordres concernant l’organisation, elle s’éloigna des baraquements. Ils avaient voyagé toute la journée et la soirée était déjà bien entamée mais peu lui importait. Elle n’avait pas fait tout ce trajet pour arriver et se prélasser dans sa roulotte. Il fallait à tout prix qu’elle voit Nalween.

La Meneuse traversa la ville sans cessée d’être surprise par le calme qui régnait ici. Les Elfes étaient décidément un peuple qu’elle ne comprenait pas. Qu’elle ne connaissait pas en réalité. Il y avait bien Elessar, le violoniste aveugle, mais elle ne savait si son mutisme et sa sagesse venait de sa cécité ou de son sang elfique. Quant à Nalween, elle avait été étonnée de son courage et de son dévouement envers son peuple. Et d’étonnement en étonnement, elle n’en avait cependant pas appris plus sur ces hommes aux longues oreilles.

Jillian demanda où elle pourrait trouver la Grande Prêtresse. L’Elfe qui lui indiqua la direction de l’autel à Silmaria, s’il avait été désappointé par l’accoutrement excentrique de la Saltimbanque n’en laissa rien paraître et elle suivit son itinéraire après l’avoir remercié. En revanche, quand elle finit par gagner l’autel et pénétrer en son sein, elle se sentit pour la première fois franchement déplacée. Alors oui, elle était trop peu habillée, avec sa robe rayée de bleu et de blanc, qui avait beau descendre jusqu’au sol, qui laissait nu son dos, son cou et une bonne partie de sa poitrine. Les grelots à ses chevilles faisaient soudain un bruit d’enfer, les coquillages qui parsemaient ses cheveux prune et qui ceignaient sa ceinture lui donnaient un air encore plus décalé que d’accoutumé. Ajoutez à ça Sam, l’immense tigre aux dents de sabre qui faisait office d’escorte et Paco, le perroquet qui volait bas à ses côtés…

Non, la Meneuse ne se sentait pas à sa place dans ce lieu marqué par la spiritualité, par des siècles de dévouement envers une entité extraordinaire. Non, elle faisait tâche dans ce calme, dans cette sérénité… Mais ce n’était pas pour ses atours colorés, ni pour sa ménagerie ambulante. Jillian se sentait décalée parce qu’elle ne croyait pas. Elle n’avait pas cette foi qui semblait palpable pourtant en ces lieux. Et face à cet autel, elle regretta pour la première fois de ne pas croire. Un peu bouleversée elle mit quelques instants à encaisser le choc. Et ce n’est qu’au bout de quelques minutes qu’elle interpela une femme qui la dépassait en lui demandant :

« Dis-moi ! Où est-ce que je pourrais trouver la Grande Prêtresse ? »

[Pour l’ambiance… Cell Block Tango – BO Chicago !]

Impossible de stopper cette furie à la langue bien pendue, bien trop pendue. Jillian arqua un sourcil narquois. Ah, elle lui reprochait son manque de politesse ? Elle se foutait d’elle ou quoi ? Sa démonstration de bonnes manières était très largement erronée. A moins que traiter une invitée comme une moins que rien, de descendre en flèche la Troupe dont elle était la Meneuse et de l’infantiliser comme une vulgaire inculte fassent partie des fameuses règles de politesse élémentaire. Pour qui elle se prenait cette mégère à la tête surdimensionnée ? Ah oui, une Ministre excusez ce manquement d’une extrême gravité.

Ses sourcils se froncèrent. Envolé l’air ironique et narquois. On n’insulte pas Jillian Torrez impunément. On n’insulte pas Jillian Torrez tout court. La dernière phrase de l’Elfe resta en suspens. Ah elle était désolée car contrariée ? Eh bien elle n’allait pas être au bout de ses peines ! L’ara rouge sur l’épaule de la Meneuse battit des ailes dans un tourbillon de couleurs.

« Qu’on en finisse, qu’on en finisse ! reprit-il en écho. »

Toujours d’un à propos déconcertant ce Paco. Oh oui, elles allaient en finir. Sa voix nasillarde sonna comme une sentence tandis que Jillian dévisageait le monstre de prétention qui lui faisait face. Elle croisa ses bras sous sa poitrine, et lui lança un regard de défi.

« J’ai aucun compte à te rendre. Je vois pas pourquoi je devrais raconter ma vie à chaque fois que je demande mon chemin. »

Si son ton était froid et tranchant, elle n’avait pas élevé la voix. Ce qui n’était pas bon signe, car Jillian s’énervait et criait pour un rien. Cette tension contenue était plus dangereuse qu’une bonne gueulante.

Consciente de la pression qui venait de naître entre les deux femmes, Sam s’avança. Un feulement sourd monta du creux de sa gorge tandis qu’elle tassait son impressionnante musculature et dévoilait ses immenses crocs. Effrayante de sauvagerie. Sa maîtresse leva légèrement la main pour lui ordonner de se contenir. Elle aurait volontiers laissé cette pimbêche arrogante entre les crocs de la tigresse, mais elle ne pouvait pas se permettre de déclencher un tel scandale.

« J’ai pas non plus de leçon de courtoisie à recevoir de ta part, enchaîna-t-elle en appuyant ses mots. Oui, parce que, puisque ça t’intéresse tellement de le savoir, je suis la Meneuse de la Troupe. Tu sais, la bande de guignols qui va foutre le bordel dans ta petite vie bien réglée. »

Ses yeux verts lançaient des éclairs, l’Elfe aurait été très mal inspiré d’essayer d’interrompre Jillian et son charisme écrasant. La Meneuse conclut donc sa démonstration :

« Donc vu l’accueil que tu fais à tes invités, je la ramènerais pas sur ce qui est poli de faire ou pas faire. Je suis peut-être inculte et grossière, mais je sais qu’insulter un hôte c’est pas une référence de courtoisie, si ? »

Elle avait singé le mot courtoisie, pour reprendre les termes de la Ministre.

« Maintenant t’es prié de décoincer tes jolies petites fesses et me dire où je peux trouver la Grande Prêtresse, ou plutôt l’ancienne Grande Prêtresse ? »

Non parce que se contenir et choisir ses mots avec précaution ça allait bien cinq minutes. Qu'elle s'adresse à une Ministre ou une paysanne, elle n'en avait rien à faire. Il n'y a que la Reine Amazone qui peut faire peur à Jillian Torrez.

Le temps passe et jamais ne s'arrête.

Le changement de saison s'annonce et bientôt, le doux soleil qui réchauffait ce monde laissera place aux brunes couleurs de l'automne. La vie flétrira et s'endormira petit à petit et doucement, la nature entamera son répit, bien lovée dans son cocon de sommeil. Dans ce décor que le temps semble vouloir figer, le moment est venu de s'éclipser, de laisser la nature reprendre ses droits et le cours des choses se faire.

[ Désengagées : Jillian, Volesprit ]