Cela faisait bien deux jours que Reyan n’était pas sorti de chez lui, ruminant de bien sombres pensées. Même les Archiprêtres du temple d’Abyss n’avaient pas compris les raisons du soudain retour d’un de leurs prêtres favoris, et surtout sa demande de ne pas s’occuper de ses tâches pendant quelques jours. Il faut dire que le Cydien s’était montré bien avare en explications. A qui aurait-il pu parler de son chagrin ? Malgré ses années d’exercice en tant que prêtre, il n’avait forgé aucun lien qui puisse être qualifié d’amitié avec l’un de ses collègues ou même les novices qu’il devait former. Qui, alors ? Le fleuriste mystérieux, Hannah ? Sa mère ? Toutes ces personnes étaient absentes, il ne les avait pas revues depuis des années, et rien ne disait qu’elles se souvenaient ne serait-ce que de son nom. C’est donc seul, en compagnie de sa fidèle plume et de son encrier, noircissant des dizaines de parchemins de poèmes aussi sombres les uns que les autres, qu’il tenta de purger toute cette énergie négative. Si la magie des mots lui avait permis d’appeler à lui les forces obscures, peut-être le magicien eut-il pu invoquer une nuit éternelle sur le Joyau Cydien.

Reyan se sentait plus faible et insignifiant que jamais. Etait-ce le prix à payer pour avoir échoué dans sa folle entreprise ? Abyss tentait-il de lui transmettre un message ? Peut-être le jeune prêtre avait-il tout simplement eut tort de vouloir plus que ce que sa misérable vie avait à lui offrir. Cependant, il ne pouvait croire son Seigneur aussi impitoyable. Puisqu’Il prônait la paix, ne pouvait-Il pas comprendre que cette vie monotone et ennuyeuse rendait troubles les eaux dormantes du cœur de Reyan ? Le fils d’Amazone, même s’il aimait profondément Abyss ainsi que Ses préceptes, restait néanmoins convaincu qu’un prêtre se devait de se mettre au service des fidèles, et non de son Dieu. C’était peut-être là son tort : son départ pour Erathia partait d’un désir très égoïste d’aventures et de retrouver sa cité d’origine, Muria. Il en oubliait du même coup tous les habitants de Cydonia qui avaient besoin de lui, de ses bénédictions, de ses talents d’écrivain et de guérisseur. Il fallait certainement se faire à l’idée : en choisissant de vouer sa vie entière aux autres, Reyan devait faire une croix sur ses propres souhaits. La majorité des prêtres se plaisait certainement dans cette idée. Pas Reyan. Etait-ce parce que son cœur ne présentait pas la même générosité que celui de ses collègues ? Rien n’était moins sûr, mais ça, le fils d’Amazone avait bien de la peine à s’en convaincre.

Alors qu’il allait entamer son troisième jour d’isolement, Reyan eut une certaine nostalgie pour son héros, Tidas. Le personnage principal de sa chanson de geste, né de sa plume, n’avait pas à souffrir le même sort que son créateur. Lui était un aventurier, un guerrier du bien, qui méritait de vivre des aventures extraordinaires. L’écrivain pouvait au moins faire cet effort que de continuer à relater ses différents exploits. Mais lorsqu’il voulut mettre son projet à exécution, Reyan ne retrouva pas le manuscrit de la chanson de geste. Quelque peu paniqué les premières minutes, il se rappela après avoir balayé les meubles de son salon en employant un parchemin de vent qu’il avait choisi de laisser son volume à Danaë, la fleuriste en qui il avait une entière confiance. Pesant le pour et le contre, le prêtre finit par enfiler sa cape en soupirant et sortir de la prison qu’il s’était lui-même créée.

Pas de chance : ce jour-là était à la pluie. C’est en marchant plus vite que d’habitude que le Cydien se dirigea vers le Bouquet Final, où travaillait Danaë. Impossible pour Reyan de se rappeler depuis quand il n’avait pas revu la jeune elfe, mais nul doute qu’elle serait aussi surprise par le retour précipité de son client qu’elle n’avait dû l’être à la lecture de sa lettre. *Je récupère le manuscrit, puis je rentre* se dit-il lorsqu’il pénétra enfin dans la boutique.

Lorsqu’il baissa sa capuche, mouillant quelque peu le sol du Bouquet, Reyan chercha Danaë du regard. Elle était là, fidèle au poste, toujours aussi élégante. Le prêtre, trempé comme il l’était, avait perdu toute dignité, et paraissait presque misérable en comparaison avec la belle fleuriste. L’expression du Cydien était néanmoins la même que la plupart du temps, à savoir un air d’une neutralité la plus totale. Pas question de montrer la moindre parcelle de son trouble, même à Danaë en qui il avait une entière confiance !

« Bonjour Danaë, finit-il par dire, la voix d’abord un peu rauque tant elle n'avait pas servi ces derniers jours. Navré de vous déranger… Vous avez trouvé ma lettre ? »

Reyan n’avait pas pensé à la possibilité inverse, que la jeune femme n’ait pas trouvé le précieux manuscrit, et que celui-ci soit entre les mains d’un quelconque malandrin passant par là. Mais après tout, qu’avaient à faire les voleurs d’une montagne de papier relatant les faits héroïques d’un guerrier imaginaire ?

« Je vous confesse que moi non plus, je ne pensais pas revenir aussi tôt… »

Danaë regarda Reyan avec un étonnement de plus en plus grand.

« De mauvais ? Non, non, rassurez-vous. Un simple projet un peu fou qui n’a pas abouti. »

Apparemment, il n'avait pas envie de s'étendre sur le projet. Et la façon dont il baissa les yeux intrigua la sublime jeune femme. Avait-il honte ? Mais de quoi ? Quel était ce projet fou dont il parlait ?
Un projet fou. C'était presque comique. Danaë était aussi le genre à projet fou. Sauf qu'elle, les menait à bien. Les meurtres et l'éternelle jeunesse ne se faisaient pas tous seuls après tout ! Et niveau aventures, elle en avait eu, oh oui ! Elle avait eu plus de conquêtes masculines que n'importe quelles femmes, elle avait tué, vidé de leur sang, voir torturé plus d'une de ces fameuses conquêtes... Mais elle n'aurait jamais cru que le prêtre était du genre à s'aventurer en terre inconnue. La belle aimait beaucoup la lecture (surtout les documentaires sur le culte d'Azael, les tortures... M'enfin, passons ce léger détail), et les romans d'aventure. Ben tous les moines ou prêtre de tous les livres passaient leur temps à prier, étudier... Et prier. Reyan était-il une exception ? Un serviteur d'Abyss (oui, c'était sûrement ça) avaient-ils droit à ce genre de folies ? Passagères ou non ?

« Vous me voyez heureuse que ce ne soit rien de méchant. »

Oui, elle était sincèrement heureuse qu'il soit revenu. Après tout, ce Cydien était le premier à être entré dans sa boutique. Sa première proie potentielle. Et puis, elle n'avait jamais eu de prêtre dans son lit. Ni de leur sang dans ses veines... Reyan était un homme séduisant, réellement. Elle le voulait. Comme elle voulait tous les hommes qui entraient dans sa boutique, tous les hommes qui lui jetaient des regards appuyés. Elle le voulait. Elle en avait besoin. Pour sa jeunesse. Pas pour son coeur. Oh non ! Danaë n'avait jamais aimé un homme au grand jamais. Pour les plus faibles, cet étrange sentiment n'était pas une force, aux yeux de la belle. La preuve, tous ceux qui l'avaient aimé étaient morts. Ou pas loin d'avoir un destin tragique. Ou un truc dans ces gouts-là. Elle n'avait jamais voulu aimer, et s'y était tenue.
Elena avait eu un véritable amour. Jilano, le beau, le tendre, Jilano. Elle l'aimait, il l'aimait, ils s'aimaient. Elle avait de nombreuses fois partagé son lit. Et pourtant, elle n'avait pas hésité à le tuer.

«  Je me doute que vous n'avez pas envie d'en parler. Mais je ne vous poserez qu'une question : Pourquoi avoir confié ce que je devine un objet si précieux à vos yeux à une femme que vous connaissez à peine, si je ne suis pas indiscrète ? »

En réalité, elle se doutait de la réponse, et était habituée à inspirer la confiance aux autres, bien qu'au fond, elle ne la méritait pas. Mais c'était pour poursuivre son rôle, et le sourire peu assuré qu'elle ajouta à sa remarque était parfaitement convaincant.

[Désolée, pas génial, mais bon, pas le temps de faire mieux.]

Danaë intercepta le regard noir de son interlocuteur, et elle n'eut aucun mal à prendre un air étonné et confus. Car elle ne comprenait vraiment pas. Pourquoi Reyan lui en voulait-il ? Sa remarque était tout à fait anodine ! Elle n'avait pas voulu le blesser ! Et pourtant, il semblait réellement contrarié. Comme si elle l'avait insulté ouvertement. Voilà ce qui arrivait quand on était sincère ! Fallait pas s'étonner après qu'elle ne dise jamais ce qu'elle pense (ou presque jamais). Première raison : si on s'approchait d'un gars en disant « Salut, tu peux venir chez moi, j'ai besoin de ton sang pour rester jeune. Bon, tu risques de mourir, mais ce n'est qu'un détail ! », ça risquait légèrement de faire fuir les éventuels « clients ». Deuxième raison : quand on elle était sincère, ça finissait en cacahouètes. Avec de la sauce. Rouge la sauce.
Heureusement pour elle, le Cydien sembla se radoucir. Et il finit par répondre :

« Vous êtes en effet bien prompte à me juger, ma chère Danaë. »

Elle ne jugeait personne ! Que racontait-il ? Avait-elle déclaré : « Z'êtes un lâche abruti » ou un truc dans le genre ? Non ! Elle avait juste dit qu'elle s'étonnait. Pourquoi prenait-il la mouche ? Voilà où ça menait la sincérité. Elle allait être obligée de récupérer la confiance de Reyan. Et vu sa réaction et sa phrase qui n'avait pas l'air très amène, ça n'allait pas être fastoche.
La belle afficha un air confus et désolé. Parfaitement crédible.

« Je suis désolée si je vous aies blessé, je... »

Elle se coupa, ne sachant pas vraiment ce qu'elle pouvait ajouter... Non, elle savait quoi ajouter. L'improvisation, ce n'était pas ce qu'elle préférait, mais elle savait faire avec. Mais Danaë voulait vraiment paraître désorientée aux yeux de son interlocuteur, pour lui prouver qu'elle ne voulait pas le blesser.
Reyan leva les yeux et pinça les lèvres, semblant réfléchir. L'Elfe le laissa reprendre le parole.

« Les belles aventures sont faites pour les personnages fictifs. Même s’il m’est difficile de l’accepter, nous vivons dans la réalité, et celle-ci ne laisse que peu de place pour les chimères. Franchement Danaë, comment voulez-vous que quelqu’un comme moi accomplisse quoique ce soit ? Les mots me permettent d’imposer mes désirs à la réalité, mais il ne s’agit pas ici de magie. Il s’agit du juste équilibre entre ce que je veux et ce que je dois faire de ma vie. »

La belle ne comprenait pas vraiment. Pourquoi cette résignation ?

« Je ne voulais pas vous reprocher quoi que se soit... Puis, comment vous pouvez dire que quelqu'un comme vous ne peut rien accomplir ?! Je veux dire... »

L'Elfe fit une nouvelle pause, cherchant visiblement ses mots.

« La première fois que vous êtes venu dans ma boutique, vous cherchiez des plantes, pour des cataplasmes. Je me souviens parfaitement que vous avez dit que certains disciples venaient au temple pour recevoir des soins. Et vous avez la volonté de servir Abyss. Reyan, je trouve au contraire que vous êtes un homme remarquable. Beaucoup d'hommes consacrent leurs vies à boire dans des tavernes. Vous, vous avez un but. Servir votre dieu. Certes, la réalité est parfois moins palpitante que la fiction, mais votre vie au moins, n'est pas vouée à l'échec. Et, réussir à écrire une chanson de geste, ce n'est pas commun non plus. Je sais que ce n'est pas mes affaires, mais je pense que vous pouvez être fier de ce que vous faîtes. Vous êtes un homme bien, Reyan Aïdher. C'est aussi pour cela que j'ai réagi... Comme j'ai réagi. Je pensais sincèrement qu'un homme aussi remarquable accomplirait des exploits. »

Elle savait ce que c'était que de servir un dieu. Elle-même vouait une grande passion à Azael. Bon, le culte entre ce dieu un peu spécial et le seigneur des Mers n'avait absolument rien à voir. Aussi, quelle idée inutile que de prier un dieu des océans, si on n'allait jamais sur des bateaux ! La belle aimait bien la terre ferme, de ce côté-là.

« Ma place est ici, des gens ont besoin de moi, et Abyss a certainement mis cet échec douloureux sur ma route pour me le rappeler. J'ai été bien égoïste de faire passer mes envies avant mon devoir. Avez-vous des rêves, Danaë ? »

Des rêves ? Oh oui, elle en avait. Faire revenir Azael. Rester éternellement jeune. Mais ces deux cas étaient surtout des projets. Vu qu'elle comptait bien y parvenir. Non. Le rêve, c'était de sauver sa mère. Oh, ça se serait un immense plaisir. Danaë se sentait souvent coupable, car, trop occupée par sa quête, elle n'avait jamais vu sa mère décroître, peu à peu, sortant de moins en moins, n'ouvrant presque plus sa boutique de fleurs, qui pourtant lui tenait tant à cœur, n'emmenant plus ses deux filles en voyage. Jamais l'Elfe ne s'était posée de questions. Jusqu'au jour où sa mère ne bougea plus. Elle était vivante, car sa poitrine se soulevait à intervalles réguliers. Mais elle était... aussi raide morte qu'un mort. C'était une maladie inconnue qu'elle ne connaissait pas, ni Elena d'ailleurs. Pourtant, toutes deux avaient cherché des médecins, avaient fouillé des livres (Azael savait à quel point cela avait coûté à la Nùa). Et rien n'avait résulté de ces frénétiques recherches. Avec sa soeur, Ambre était la seule personne qui comptait aux yeux de Danaë, et elle savait qu'elle ne trahirait jamais ni l'une ni l'autre...

« Si c'est ce que vous dit votre coeur, alors, ce doit être forcément vrai. Mais je vous trouve vraiment courageux de garder la tête haute. Et de vouloir aider les autres. »

La belle inspira profondément avant de poursuivre.

«  Oui, Reyan, j'ai un rêve. Sauver ma mère. »

Danaë fit une pause, comme si en parler lui coûtait. Y penser la rendait certes profondément triste, elle n'hésitait jamais à utiliser cet argument pour séduire. La plupart des hommes s'attendrissaient devant ce but si honorable, et devant ses petites larmes de crocodile qui pointaient leur museau dans ses yeux. Et c'était souvent en partie grâce à ça qu'elle se trouvait dans les bras d'un hommes musclé qui cherchait à lui faire oublier son chagrin. Ce genre de paroles émouvaient souvent beaucoup de monde, surtout, quand ses yeux se recouvraient d'un voile de profonde tristesse. Elle n'avait pas à se forcer beaucoup. Utiliser la maladie de sa mère ne lui laisser aucun remord, même si elle aurait préféré qu'Ambre ne soit pas dans cet état de vie morte... Ou de mort vivante, selon le point de vue. Si seulement elle pouvait la sauver...

« Elle est très malade. En fait, elle est vivante, mais... Je ne sais pas, elle ne réagit pas, ne bouge pas. Tout ce qui prouve que ce n'est pas un cadavre c'est qu'elle respire... Oui, c'est cela mon rêve. La voir marcher, parler et rire à nouveau. Voilà mon rêve, Reyan. »

« Je… Je ne sais pas quoi dire. »

Ah ! Touché. Elle avait remporté la première manche, de justesse, certes, mais elle avait gagné. Encore une ou deux passes, et le but serait atteint :
Coulé.
Reyan ne savait apparemment pas quoi dire. Bien, il lui avait apparemment pardonné sa petite pique non intentionnel. Le jeune prêtre était-il habitué à recevoir des compliments ? Peut-être bien que non, mais la simple hésitation dans sa voix montrait qu'il appréciait en tous cas. Normal. Qui n'aimait pas les compliments, soyons sérieux ?!
Danaë lui lança un sourire. Elle n'attendait pas de réponse. Il n'y en avait nul besoin. Message reçu.

L'Elfe n'avait eu aucune scrupule de parler d'Ambre, pourquoi en aurait-elle eu ? Ce n'était pas elle qui allait se lever de son lit pour la gronder ! D'ailleurs, même si elle n'était pas... Malade, elle n'aurait sûrement pas fait grand chose, à part arborer un sourire compréhensif en disant « Ah les enfants ! ». Elle était si douce, si tendre, ses colères si rares... Si elle commençait à lever le ton, Danaë comme Elena comprenait qu'elle dépassait les bornes. Il en fallait beaucoup pour faire sortir Ambre de ses gongs, et leurs disputes étaient mémorables.
Pourtant, malgré le mauvais souvenir que laissait les fureurs de sa mère, l'Elfe aurait tout donné pour la revoir. Même de se faire gronder ainsi tous les jours. Qu'est-ce qu'elle lui manquait !
Même sans cet argument, elle se savait apte à séduire tout ce qui avait des muscles, la « mort » d'Ambre ne l'arrangeait en rien. Même si parfois, elle était heureuse du résultat.

« Malade dites-vous ? Je ne suis pas médecin, et ces symptômes ne m’évoquent rien, mais… Si c’est une maladie, cela devrait être à ma portée. »

Le coulé n'était pas loin. Comme elle l'avait escompté, la remarque sur sa mère semblait avoir joué son rôle. Comme à chaque fois. Le malheur des uns fait le bonheur des autres (même si le malheur en question concernait Ambre...). Seule chose qu'elle était loin d'avoir prévu : Reyan lui proposait son aide. Mais après tout, pourquoi pas. Ça lui permettrait de faire entrer le prêtre dans sa chamb... dans son manoir (ne pas sauter d'étapes) et de passer un peu plus de temps avec lui, pour mieux le connaître. Pour l'amadouer. Et pour le faire succomber à son charme. Et si en plus il réussissait à accomplir ce qu'aucun médecin n'avait réussi jusque-là, Danaë n'avait rien à perdre. Bien sûr, elle en doutait. Sa mère n'était pas dans cet état depuis longtemps, mais les deux soeurs s'étaient habituées à sa non présence, à pouvoir ce qu'elles voulaient, à héberger tous les hommes qu'elles avaient séduits.

« Danaë, j’aimerais vous remercier. Votre confiance, cette foi que vous avez en moi… Je ne crois pas que quelqu’un m’ait un jour dit de telles choses. Je vous suis redevable, je veux vous aider à accomplir votre rêve. Laissez-moi essayer ! »

Jamais ? On lui avait jamais dit qu'il ne faisait pas que des conneries ? C'était un prêtre, il ne se doutait pas un peu qu'il oeuvrait pour le « bien » ? Mais c'était parfait ! Elle était la première à lui dire ! Danaë comprenait un peu mieux qu'il n'ait pas trouvé les mots pour dire ce qu'il ressentait, quand elle lui avait dit ce qu'elle pensait de lui. Reyan était vraiment un homme hors du commun. Beaucoup de la gent masculine (et elle en connaissait en rayon sur le sexe opposé !) sont arrogants et vaniteux, le genre à répondre « je sais », quand on leur dit qu'ils sont beaux et musclés, le genre qui peut avoir toutes les filles à ses pieds. Le genre que Danaë n'avait eu aucun mal à embobiner. Alors que le jeune prêtre se dénigrait, pensait qu'il ne valait rien et qu'il ne servait à rien. Et qui était touché quand on lui déballait qu'il était quelqu'un de bon. Et qui voulait l'aider en plus de ça ! Ses proies cherchaient souvent à « secourir son coeur en déroute » à leur façon : dans le lit, et tout le monde rit ! Bien sûr, c'était aussi ce que voulait Danaë (en plus de leur sang). Mais elle n'aurait jamais pensé que qui que se soit puisse l'aider ainsi. Reyan était une exception. Malheureusement, il n'était pas question qu'il entre dans la chambre de sa mère. C'est le seul lieu encore sacré dans leur maison, entre Ardeth qui habitait au manoir et les nombreux soupirants des deux soeurs peu de lieux restaient secrets. Et Ambre était une personne trop importante pour qu'on bafoue son intimité ainsi.
Un sourire coquin apparut sur les lèvres de la belle. Elle devait détourner la conversation. Elle avait fait une bourde.

"Voyons Reyan, nous nous connaissons à peine et vous essayez déjà de venir chez moi ! Ce n'est pas raisonnable !"

Danaë gloussa très bêtement pendant un instant, avant de se calmer, et de reprendre :

« Reyan, sachez que vous ne me devez rien. Je n'ai fait qu'être sincère, je ne vous aies rien offert, à part la vérité. Et pour ma mère... Les chances sont minces vous savez. Vous ne connaissez pas le nombre de médecins que ma soeur et moi avons sollicité pour la sauver, et aucun n'a su que faire. Je ne veux pas avoir de faux espoirs. C'est gentil de vouloir m'aider, mais je ne préfère pas."

« Voyons, vous savez bien que ce n’est pas là où je voulais en venir ! »

Evidemment. Ce gars-là ne connaissait pas l'humour ? Il semblait si sérieux, si... Trop... Danaë commençait à désespérer de l'attirer un jour dans sa chambre. Habituellement, au bout de la deuxième rencontre, elle était plus avancée. Malheureusement, ce petit malentendu ridicule avait un peu refroidi la belle, et elle avait peur qu'il en soit de même pour le prêtre. Il s'était vexé alors qu'elle avait seulement fait une remarque anodine. Il avait confiance en elle, d'accord, mais ils étaient loin du résultat que recherchait Danaë. Trop loin. Ce gars sérieux ne comprenait même pas qu'elle n'était pas sérieuse !... Non, elle ne l'était pas, elle ne pensait pas du tout qu'elle ne le voulait pas chez elle !

« La vérité est déjà beaucoup. Permettez-moi un conseil d’ami : ne sous-estimez jamais le pouvoir des mots. »

La belle faillit sourire. Si il savait... Elle était l'une des personne qui pouvait comprendre le mieux ce pouvoir. Après tout, ne l'utilisait-elle pas en permanence ? Elle passait son temps à mentir, à dire une chose et en penser une autre. Elle pouvait insuffler la fierté dans le coeur d'un homme, l'amour, la confiance, l'affection, la pitié, le désir... Mais elle savait aussi énerver les dames par exemple. Bien sûr, il n'y avait pas que les mots, son physique de rêve et ses sourires envoûtants aidaient.
Et Elena... Ah Elena ! Son chant atteignait beaucoup de coeur, tout comme sa danse... Il n'y avait pas que les mots qui avaient un grand pouvoir.

« Non, Reyan, je ne sous-estime aucun pouvoir, celui des mots ou quoi que se soit d'autres... »

Peut-être qu'il succomberait à son pouvoir à elle... Ce n'était pas à lui de lui donner des avertissements, car le plus en danger, ce n'était pas la frêle Elfe...

« Je comprends parfaitement, et vous demande pardon d’avoir voulu me mêler de votre vie privée. »

* Oh, je t'excuse, mon chou !*

Il comprenait ? Non, il ne comprenait pas. Il ne savait pas. Danaë et Elena avaient visité tant de médecins qu'elles avaient arrêté de compter. Elles étaient riches, et avaient utilisé cet argent pour essayer diverses méthodes pour la soigner. C'était aussi pour Ambre que le belle avait repris la boutique. Pour ne pas perdre les clients que sa mère avait gagné à la sueur de son front, grâce à sa ponctualité et à sa persévérance. Etudier les plantes avait aussi été bénéfique à la belle pour trouver celles qui étaient bonnes pour la santé, et pour éviter qu'un charlatan se disant guérisseur donne des fleurs vénéneuses à leur pauvre mère, déjà en sale état.
Il ne savait pas le temps que la belle avait passé à la bibliothèque, partageant son temps entre chercher des remèdes et sa quête de la jeunesse. D'ailleurs, elle avait aussi voulu essayer d'utiliser le culte d'Azael pour rendre la vie à Ambre, mais elle avait échoué. Mais ce n'était pas faute d'avoir essayé. Les bains de sang ne marchaient pas sur sa mère...

« Merci encore Danaë, pour tout. Et sachez que…enfin…sache que tu pourras toujours compter sur moi. »

Ah non non non ! Il n'allait pas partir maintenant ! Impossible ! Alors qu'elle commençait à se rapprocher de lui...
D'ailleurs... Il ne venait pas de la tutoyer ?
Reyan se détourna et posa sa mains sur la poignée. Oh non, elle n'allait pas le laisser s'enfuir comme ça. Elle posa sa main sur l'épaule de Reyan.

«  Reyan... Je ne veux pas que vous... Que tu partes sur un malentendu. Je ne t'en veux absolument pas pour ma mère. Tu es une personne de confiance, pour qui j'ai beaucoup de respect. Mais je ne veux pas encore éprouver de déception. C'est trop dur. Pas encore. J'espère que tu me pardonneras de cette impolitesse. Ne m'en tiens pas rigueur, je t'en prie. Je ne veux pas que cet incident soit une frontière entre nous... »

Dans tous les sens du terme... Danaë lui jeta un regard implorant. Si Reyan partait ainsi, elle avait peur de perdre ses chances de le séduire un jour. Ce qui bien sûr, n'était pas une hypothèse envisageable.

[Merci d'avoir édité ton post pour moi, je pensais que c'était utile, et que Danaë avait encore des choses à dire ]

[HJ : Toutes mes excuses pour ce retard. Et aucun problème pour l’édition, c’est avec plaisir !]

Coupé dans son élan, Reyan fut extrêmement surpris de sentir la main de Danaë sur son épaule, dans un geste visant probablement à le retenir. Pendant une demi-seconde, le jeune prêtre lorgna sur la jolie main avant de lever les yeux vers le minois, lui aussi fort joli, de la belle elfe. Visiblement, elle avait remarqué qu’il l’avait tutoyée, et puisqu’elle lui rendait le même traitement, cela signifiait probablement, et Reyan était charmé par cette idée, qu’ils étaient amis. Une telle proximité langagière était on ne peut plus révélatrice et certainement pas vide de sens.

Mais ce regard… Celui-là était étrange. Est-ce qu’elle était en train de le supplier ? Il écouta à peine les compliments qu’elle lui fit, tant il restait coi devant cette attitude que la fleuriste n’avait encore jamais eue envers lui. Reyan n’était pas réfractaire aux contacts physiques. D’ailleurs, s’il avait eu un ami suffisamment proche pour se permettre ce genre de rapport, celui-ci aurait découvert que le prêtre était plus tactile que son apparente froideur ne le laissait supposer. Mais quand bien même : qu’est-ce que Danaë voulait dire ? Tenait-elle à lui tant que ça ? Etait-il possible que lui, humble serviteur d’Abyss, puisse irradier une telle sympathie ? La belle elfe avait vécu de difficiles épreuves avec sa mère, c’était incontestable, et ce même si elle ne l’avait pas formulé clairement. Il était tout à fait compréhensible que, malgré la confiance qu’elle semblait avoir pour le fils de Muria, elle ne souhaite pas subir d’autres souffrances liées à ce thème. Reyan aurait été bien cruel de lui en vouloir. Une étrange chaleur naquit dans le ventre du jeune prêtre, tant il était touché, plus que touché, par les sentiments affectueux de Danaë. Il en était presque dérouté, tant il avait senti ce refus qu’il tente quoique ce soit comme une barrière dressée par quelqu’un qui voulait conserver certains secrets. Non seulement une telle frontière n’existait pas, mais cela semblait aller plus loin. A quel point ?

« J’ai…peur de ne pas comprendre. » répondit Reyan d’un air calme.

Mais lui-même devait reconnaître que le trouble et la gêne qu’il ressentait auraient pu, en d’autres circonstances, lui faire perdre ses moyens. Heureusement qu’il maîtrisait assez bien ses émotions, depuis le temps. Pour autant, peut-être que certains sentiments, d’une force qu’il ne soupçonnait pas, lui avait échappés.

« J’ai…peur de ne pas comprendre. »

De ne pas comprendre ? Qu'est-ce qu'il ne comprenait pas ? Qu'y avait-il de dur à comprendre ? Que voulait-il dire ?
Ah moins qu'il n'ait saisi sa petite remarque... C'était assez peu probable. Comment aurait-il pu savoir, alors qu'elle ne montrait qu'un doux minois, une partie de sa personnalité. Celle inquiète, douce, hésitante. Un de ses innombrable caractère. Elle en avait tant... Pour tant de personnes... Et elle savait cacher tout ce qu'elle ressentait avec tout ce beau monde, tant qu'elle ne se montrait pas directe. Cette allusion avait avant tout un côté amical. Reyan était un jeune homme intelligent, mais il ne pouvait pas l'avoir démasquée. Personne ne l'avait jamais fait, ce prêtre ne ferait pas le différence, et finirait vidé de son sang, comme tous les autres.

« Qu'est-ce que tu ne comprends pas ? Que je tienne à ce qu'on reste amis ? Que je ne laisse pas un malentendu briser briser notre amitié ? Moi je trouve cela plutôt normal ! »

Finalement, il était un peu long à la comprenette. Et lui, que ressentait-il ? Danaë en avait connu des plus rapides. Reyan n'entrait pas dans cette catégorie. Hésitait-il ? Non, en tous cas, il n'ne laissait rien paraître. Peut-être était-il effrayé ? Là non plus, il ne le semblait pas. Ou alors, tellement dur de la feuille qu'il n'avait pas compris. Bien sûr, Danaë n'allait pas lui mâcher le travail. Le premier pas ne lui était pas réservé. Reyan finirait par cesser de tergiverser.

« Peu d'amitiés semblent avoir une chance de résister au premier abord. Si on ne se bat pas pour... »

La belle fit une petite pause, comme si elle cherchait ses mots. Elle avait après tout installé un personnage hésitant et peu sûr de lui, personnage qu'elle avait continué d'incarner quand il était entré dans sa boutique pour récupérer son manuscrit. Elle ne pouvait pas le lâcher comme ça. Puis, ça lui plaisait de jouer à la petite mijorée de service, qui ne sait jamais quoi faire, quoi dire pour se donner une contenance. Ca devait rassurer Reyan, non ? Après tout, si il était le plus assuré des deux, peut-être se montrerait-il de plus en plus hardi. Peut-être que cette fois-ci, ils finiraient tous deux enlacés, l'un contre l'autre, sur le luxueux lit de sa chambre....
Reyan n'avait pas la tête d'un gars qui se laissait aller avec les femmes. Peut-être même n'avait-il jamais eu une réelle aventure avec quelqu'une.... Mais ça changerait. Il était séduisant, et son côté respectueux et humble commençait à plaire à Danaë...

« Ma mère et ma soeur ne sont pas ma famille, plus des parties de moi-même. La maladie d'Ambre me brise le coeur, mais ce ne doit pas être un rempart entre nous. C'est aussi simple que ça. »

[Ce post est vraiment pourri, désolée, mais bon...]

Ce tutoiement nouveau paraissait très naturel, Reyan en était très satisfait. Définitivement, Danaë et lui avaient dépassé le stade de la relation entre un vendeur et son client. D’ailleurs, la fleuriste prononça le mot magique : amitié. Le sentiment étrange qu’avait ressenti le jeune Cydien s’envola aussitôt, car cette fois, les choses étaient claires. Agréablement claires. Reyan aurait été incapable de considérer la belle Danaë comme son amie si cette considération n’était pas réciproque, il aurait eu l’impression de lui imposer une relation dont elle ne voulait pas. Il sourit. C’était beaucoup.

Cependant, Reyan sentit comme un éclair dans sa tête à la deuxième phrase de son amie elfe. Se battre… Oui, Danaë avait tout à fait raison. Pour maintenir une bonne relation avec elle, le jeune prêtre devrait forcément passer par certains moments difficiles et outre quelques difficultés, il devrait peut-être sacrifier partie de sa personne ou de ses principes. Mais, toujours, il devrait garder à l’esprit que ces quelques instants noirs n’étaient rien à côté de l’or que représentait pour lui l’amitié de sa fleuriste. Et en ce sens, on pouvait effectivement parler de combat, pour maintenir vivants les souvenirs du meilleur et ne pas les laisser se faire submerger par le pire. L’amitié entre Danaë et lui valait la peine que l’on se batte pour elle.

Et qu’en était-il alors des rêves ? La surprise de son amie était assez révélatrice de ce qu’elle pensait de son abandon soudain. Il avait beau s’être résigné au fait que sa place était ici, à Cydonia, auprès des fidèles qu’il devait servir, le désir de revoir sa mère n’était-il pas assez fort pour qu’il fasse ne serait-ce qu’un petit effort encore ? Difficile de savoir quel était le bon chemin. Mais il ne serait pas passif : certains préféraient se cantonner à l’idée d’un destin prédéfini qui ne laissait aucune possibilité de choisir aux humains comme aux elfes. Reyan était contre cette conception : de même qu’il était le maître du destin de son personnage, c’était lui l’écrivain du roman de sa propre vie, assisté par les divins conseils d’Abyss. Et ce droit, personne ne pouvait lui ôter, pas même lui-même. Ce nouvel engouement fut si brusque que le regard du fils d’Amazone s’illumina petit à petit, et c’est à peine s’il entendit Danaë parler à nouveau de sa famille.

« Se battre… »dit-il l’air absent.

Et soudain, Reyan déposa un baiser sur la joue de Danaë.

« Merci mon amie. Merci pour tout. Je dois partir, il me reste une chose à faire. Mais je reviendrai, je te le promets. »

Et Abyss savait que l’écrivain prenait très à cœur ses engagements. S’il ne respectait pas sa promesse, ce serait faire perdre du crédit à son langage, et cela n’était pas concevable pour lui. Ses yeux sombres brillant comme jamais, Reyan communiqua cette flamme nouvelle à Danaë par un regard furtif, avant de quitter le Bouquet Final. Une fois qu’il eut traversé la pluie et qu’il fut rentré chez lui, Reyan se précipita dans sa chambre. Sur sa commode, la dague d’Hannah reposait, comme toujours. La prenant entre ses mains, la lame luisant tandis qu’elle reflétait la lumière d’une bougie, le Cydien la contempla pendant quelques instants, se remémorant les conditions dans lesquelles il avait reçu cette arme, dont il n’avait jamais eu à se servir, ou tout du moins pas dans la vie réelle. Danaë avait raison. Bientôt, Reyan partirait pour Muria. A pied.

[Désolé pour le retard et la médiocrité de ce post, et merci pour ce RP. Terminé pour Danaë et moi !]