[DE][Flashback 153]Les illusions d'enfant [Iréa](fini)

Siobhan s'éveilla en sursaut. La transpiration perlait sur son front et sa respiration était erratique. Encore le même rêve, ce cauchemar qu'elle faisait depuis des années, depuis la fin de la bataille finale, en fait. La jeune fille n'était plus que l'ombre d'elle même. Son sourire s'était fané et le vert de son regard avait perdu de son pétillant. Le monde dans lequel elle vivait maintenant n'était plus rose comme avant. Ses rêves utopiques d'enfant avaient fait place à une réalité bien trop noire qu'elle n'arrivait pas à affronter. Sa joie de vivre avait disparu ; c'est la culpabilité qui rongeait aujourd'hui son âme. La demoiselle inspira profondément, essayant d'effacer les souvenirs douloureux, mais c'était peine perdue. Ils étaient bien là, tenaces, la brisant chaque jour un peu plus. Alors elle blâmait, elle blâmait ce cœur trop mince. Pourquoi ne pouvait-il pas juste geler ? Si c'était pour souffrir, elle n'en avait pas besoin. Elle voulait juste oublier, tout gommer de sa mémoire.

La jeune fille se recroquevilla sur sa couche, serrant les genoux contre sa poitrine, cherchant à stopper les battements affolés au fond de sa poitrine et ses tremblements. Siobhan avait peur. Elle avait peur de ce monde ; peur d'elle même, de ce qu'elle avait été capable de faire sans la moindre hésitation. Ses mains étaient maintenant souillées par le sang et ce n'est pas faute de les avoir lavées encore et encore, à s'en écorcher la peau. La trace de ses crimes ne disparut pas. Meurtrière ! Meurtrière, lui criait sa lame. Et Sio n'arrivait même plus à se justifier. Dans les premiers temps elle avait essayé de lutter contre cette sourde accusation. Elle n'avait pas eu le choix. C'était son devoir. Elle avait fait comme les autres, se battant pour un future meilleur, pour la survie de la petite Princesse Amazone. Mais aujourd'hui, elle ne voyait plus tout cela, seul l'écarlate sur ses paumes restait.

Il aurait fallut que Siobhan se lève et qu'elle avance, mais elle en était incapable. Elle n'était pas assez forte. On lui avait un jour dit qu'elle était trop gentille pour survivre en ce monde. Ce quelqu'un n'avait pas eu tord. Nessa aussi avait vu clair en elle, choisissant le cauchemar qui allait hanter l'enfant chaque nuit. La mort, la désolation, la solitudes, c'était ses plus grandes peurs. Mort lui avait montré ses faiblesses, que ses échecs pourraient avoir des conséquences atroces. La phrase de son Maître raisonnait encore « Tu as échoué. ». Et c'était ça, le plus horrible. Nessa s'était arrangée pour que la jeune fille perde toute confiance en elle, en ses capacités et ses forces, créant en elle une fissure qu'il serait difficile de combler.

Siobhan s'était retrouvée seule après la fin de la bataille. Son Maître Kyle avait décidé d'entrer chez les Zelotes, l'occasion s'étant présentée. Ça n'aida pas la jeune fille. Elle ne savait pas quoi faire, ayant toujours vécu avec son Maître. Elle était perdue et blessée, mais a cependant continué. A voyager, à s'entrainer, se trouvant des petits boulots à droite à gauche pour pouvoir vivre. La demoiselle s'était refermée sur elle même, ne se liant plus aux autres de peur de faire les choses de travers ou affronter les conséquences d'un échec quelconque. Même Hilina ne semblait plus l'entendre depuis des années, comme si ses prières étaient vaines, que du fait de son incompétence elle ne méritait pas l'attention de la Déesse.

L'aube venait juste de pointer le bout de son nez lorsque Siobhan quitta l'Auberge. Comme souvent, elle vint se poser près du Temple de l'Ankdor. C'est là que se trouvait Asora, cette Templière au tempérament fort et assuré. La jeune fille aurait voulu lui ressembler, pouvoir être aussi confiante, mais non. Aujourd'hui elle n'était plus que l'ombre d'elle même, incapable de franchir ces quelques mètres et demander de l'aide. Alors elle se contentait de fixer l'endroit de son regard éteint.

Les illusions d'enfant étaient brisées, les faiblesses dévoilées. Il aurait fallu qu'elle se lève et marche, mais le cauchemar qui hante ses nuits l'en empêche. Il ne lui reste plus que son petit coeur qui saigne.

Il était encore tôt ce matin-là quand Iréa quitta le Temple, mais la course qu’elle avait à faire perdit bien vite tout intérêt à ses yeux. Il n’y avait pas encore grand-monde dans les rues, aussi la remarqua-t-elle à peine la porte franchie.
Une jeune fille, les genoux remontés sous son menton et entourés de ses bras, assise en face l’entrée du Temple, la fixait de ses yeux verts éteints.
Ce n’était pas la première fois.
La jeune femme l’avait déjà remarquée, avec ses cheveux blonds en bataille et sa tenue plus que légère qui la faisait frissonner, elle qui avait grandi sous le soleil de plomb de Ptot Tàh.
Mais c’était surtout son attitude qui avait alerté la Templière. Elle restait là, assise toujours au même endroit, à fixer la porte du Temple pendant des heures.
Il fallait encore ajouter à cela les sentiments sombres qui émanaient d’elle, une douleur sourde, une peur dévorante, qui avaient le goût amer de la solitude et du désespoir.
Pourquoi ce matin-là plus qu’un autre ? Iréa n’aurait su le dire.
Simplement, elle avait l’impression que c’était ce qu’elle devait faire. Au lieu de disparaître dans les rues de Tamawa, elle alla s’asseoir à côté de l’inconnue, sans expression particulière, sans geste de pitié. Comme si c’était la chose la plus évidente et la plus normale du monde.
Cela sautait aux yeux, pourtant l’Almer ne s’en aperçut qu’une fois installée. La gamine était Sensible ! Mais elle ne venait pas de découvrir ses dons, non, elle avait déjà reçu une éducation.
Elle avait même déjà une arme ; la garde d’un sabre incrustée d’une pierre runique blanche pendait à son côté. Elle était encore un peu jeune pour prétendre au rang de Templière, mais il ne s’en fallait pas de beaucoup.
Sauf qu’Iréa était sûre de ne jamais l’avoir vue au Temple.
La jeune fille eut l’air un peu étonnée mais elle continua à regarder devant elle sans rien dire.
Sa blessure, quelle qu’elle soit, la poussait à l’isolement mais elle n’irait probablement pas jusqu’à refuser la main qu’on lui tendrait, pour peu qu’on le fasse avec un peu de délicatesse.
La Templière retint un sourire ; cette demoiselle lui ressemblait, d’une certaine façon. C’était peut-être ça qui l’avait poussée à venir la voir.
Eh bien, elle n’avait plus qu’à essayer de l’aider maintenant. En espérant que ses mots toucheraient juste.

« Ce n’est pas un mauvais endroit, tu sais, dit-elle en fixant à son tour ses yeux bruns sur le Temple. Bon, il faut apprécier la vie en communauté, et on ne peut pas s’entendre avec tout le monde, mais je suis sûre que tu t’y ferais des amis. Que tu aies déjà appris auprès d’un maître qui ne faisait pas partie du Temple n’est pas un problème. Tu peux achever ta formation ici, si tu veux. »

Elle ne serait pas la première apprentie d’un Templier du Crépuscule à rejoindre l’Aube. Ils avaient été plus nombreux que d’ordinaire après la bataille d’Erathia, mais deux ans s’étaient déjà écoulés depuis. Iréa se demandait ce qui pouvait bien la pousser à vouloir changer de maître maintenant, mais elle gardait la question pour plus tard.
Surtout, ne pas la brusquer.

Siobhan regardait le Temple sans vraiment le voir. Elle s'obstinait à venir ici chaque jour, comme si l'endroit allait lui apporter les réponses à toutes ses questions ; comme si sa peur allait s'effacer dans sa contemplation. Ce n'était qu'illusion, mais la jeune fille s'y accrochait de toutes ses forces, parce qu'il lui fallait un repère pour pouvoir ne serait-ce que tenir debout. S'avancer et marcher, c'était trop dur, mais ça... Ça c'était suffisant. Ici, les gens semblaient forts et courageux, comme Asora. Ils ne devaient pas se laisser déborder par leurs sentiments et par l'incertitude. Sio n'avait pas sa place ici, elle en était persuadée, parce qu'elle ne pourrait pas aider les autres ; elle n'était pas assez forte pour ça. La jeune fille était certaine d'aller d'échec en échec et perdre à la fin ce nouvel endroit où aller.
En fait, elle même ne comprenait pas sa propre présence en ce lieu. Elle avait mal et se sentait tellement seule. Siobhan n'était plus capable de joie de vivre et de détermination, elle se fondait dans la masse, n'était plus que le décore du tableau. Le premier plan ce n'était plus pour elle.

Depuis qu'elle était arrivée à Tamawa, l'apprentie se sentait idiote de réagir de la sorte. Les habitants de la ville avaient vécu des choses horribles. La cité elle même était en reconstruction. Et malgré ça, tous allaient de l'avant, cherchant à rendre à la cité sa beauté d'antan. C'était idiot de se laisser aller de la sorte, mais Siobhan n'y pouvait rien. Quelque chose s'était brisé en elle il y a deux ans et elle n'avait pas réussi à recoller les morceaux.

La porte du Temple s'ouvrit et une femme à la peau mate et aux cheveux de jais apparut. Une Templière certainement. Son regard tomba sur la blondinette assise un peu plus loin. Siobhan pensait que, comme tous les autres, après l'avoir observée curieusement, l'inconnue allait passer son chemin. Elle l'espérait vraiment, parce que de la pitié, Sio n'en avait pas besoin, elle se sentait bien assez misérable comme ça, sans les « Ma pauvre petite ». Cependant le regard chocolat ne l'a quitta pas, et voilà que demoiselle s'avançait vers elle. L'étonnement se peignit ses les traits de l'apprentie un instant, puis elle reporta son attention sur la battisse. Ça n'avait pas d'importance que la femme l'approche. Quelque soit son but, elle allait certainement être déçue.
Un froissement de tissu à sa droite et voilà l'inconnue assise à côté d'elle. Siobhan ne perçu pas de pitié et cela la rassura quelque peu, elle n'en porta pas l'attention sur la demoiselle pour autant, s'obstinant à fixer du regard le Temple.

La voix de la Templière à ses côté s'éleva. Elle lui parla de cet endroit, qu'elle pourrait achever sa formation ici, se faire des amis, ne plus être seule. Sio aurait voulu croire à tout ça, mais sa confiance en elle avait foutu le camps depuis bien trop longtemps. L'apprentie avait bien trop peur de ne pas y arriver, de décevoir les gens. Elle ne voulait plus jamais entendre ces mots « Tu as échoué » et voir la désolation qu'elle avait causé. Ça lui fit mal, d'entendre ces mots, parce qu'elle voulait être là, parce que l'isolement était la pire des torture qu'elle s'infligeait elle même depuis deux ans. Le courage lui manquait, la blondinette serait incapable de franchir le pas de cette porte, alors elle secoua la tête avec force.

« Je ne peux pas. »

L'apprentie répéta la phrase une seconde fois, presque désespérée, comme si elle essayait de se convaincre elle-même plus que l'inconnue. Pourtant, c'était une évidence, un fait. Elle ne méritait pas cette proposition. L'inconnue n'avait pas le droit de faire battre son cœur de la sorte, en lui laissant imaginer une vie qu'elle ne méritait plus.

« Je ne suis pas assez forte. Je ne pourrait pas y arriver. Et si... Et si par ma faute, parce que j'aurais tout fait de travers, des choses horribles venaient à se produire ? Je ne suis pas assez forte. Je ne mérite pas d'être ici. »

Siobhan se recroquevilla un peu plus, refusant obstinément de poser ses yeux sur son interlocutrice.

« Regarder c'est suffisant. »

Iréa vit la jeune fille se crisper, se replier sur elle-même encore un peu plus. Les yeux verts l’évitaient, et elle sentait la douleur qui lui vrillait le cœur, le désespoir qui l’oppressait davantage en réponse à sa proposition.

« Je ne peux pas, je ne peux pas. Je ne suis pas assez forte. Je ne pourrait pas y arriver. Et si... Et si par ma faute, parce que j'aurais tout fait de travers, des choses horribles venaient à se produire ? Je ne suis pas assez forte. Je ne mérite pas d'être ici. Regarder c’est suffisant, conclut-elle, entêtée mais comme à contrecoeur. »

C’était un début d’explication à son état…
Elle était rongée par le doute, au point d’avoir perdu toute confiance en elle. C’était peut-être une conséquence des évènements sanglants de 150 qui en avaient ébranlé plus d’un, à moins qu’il ne se soit passé quelque chose de plus personnel. Voire les deux.
Longtemps, la Templière avait manqué d’assurance, un mal que son maître avait tenté de soigner sans y arriver tout à fait – la guerre s’était chargée de finir cet apprentissage. Alors dans ce registre, elle s’y connaissait.

« Quand il se passe des choses horribles comme il y a quelques années, beaucoup de gens se sentent responsables. On se dit qu’on aurait pu faire mieux, qu’on aurait du faire mieux. Mais si on a déjà fait de son mieux, on ne peut pas être tenu pour responsable, même si ce n’était pas suffisant.
Et ce n’est pas une question de force. Tout le monde doute, seulement certains arrivent mieux à cacher leurs doutes que d’autres, à les mettre de côté. Cela s’apprend. Mais personne n'est infaillible et les plus forts aussi s'effondrent parfois. »

Elle parlait de sa voix douce mais pas monotone, le regard fixé sur le vide droit devant elle - ainsi la jeune fille pourrait l'observer à loisir sans risquer que leurs yeux se croisent. Iréa n’avait pas vraiment la confidence facile, pourtant, poussée par une impulsion, elle poursuivit. Si elle voulait amener l’inconnue à se confier un peu, quel meilleur moyen que de commencer par se dévoiler elle-même ? Et si elle voulait la convaincre de ce qu’elle venait de dire, quel meilleur exemple lui donner ?

« Je suis au Temple depuis des années, mais je suis née à Ptot Tàh. Ce n’est pas vraiment un secret, ironisa-t-elle en levant son bras brun à hauteur de ses yeux. Je n’étais pas très attachée ni à ma famille ni à mon foyer, mais c’est quand même la ville qui m’a vue grandir, c’est dans ses rues que j’ai joué, avec des enfants almers. Pendant l’hiver 150…Je ne savais pas qu’un Cavalier de l’Apocalypse était là-bas, nous ne savions pas. Quand il a attaqué…j’étais en route vers Cydonia avec les autres pour servir de renfort contre les Erathiens. Je ne suis même pas soigneuse, je n’aurais rien pu faire…Mais je m’en suis quand même voulu. J'étais partie du jour au lendemain, pour intégrer un groupe qui devait maintenir la paix et venir en aide aux peuples qui en avait besoin. Mais je n'étais pas là pour protéger ceux qui m'avaient élevée quand il l'aurait fallu. Seulement, j'ai fini par comprendre que je n'étais pas responsable pour autant. J'ai agi au mieux, avec les connaissances que j'avais. Et si je regrette de ne pas les avoir aidés, je sais aussi qu'en l'état des choses je ne pouvais pas le faire. »

La douleur s’était estompée à présent, et l’amertume avait quitté sa voix, mais elle n’avait pas oublié. Simplement, tout était à sa place désormais, et la culpabilité ne la dévorait plus.
Son histoire semblait avoir retenu l’attention de la gamine, qui sentait peut-être que ce n’étaient pas que des mots et que l’Almer connaissait un peu les sentiments sombres qui l’habitaient.

« Je ne sais pas ce qui t’est arrivé, mais il est peut-être temps de te pardonner, tu ne crois pas ? Rester hors du monde, à le regarder défiler…c’est une punition sévère. »

Et elle chercha cette fois à croiser le regard émeraude qui la fuyait.

[Disolée, j'ai eu vraiment du mal. J'ferais mieux pour le prochain. Si ça t'inspire pas, dis le moi éè]

Siobhan n'avait pas fait spécialement quelque chose de mal. Elle avait fait comme les autres en fait, de son mieux, espérant que ça irait, que les choses finiraient bien. La victoire avait été leur, c'est vrai. Mais à quel prix ? La gamine n'avait, à l'époque, que quinze ans, elle n'avait pas été préparée à vivre tout cela. Elle s'était lancée dans une aventure qui ne lui correspondait pas, à elle qui rêvait en rose et blanc. La jeune apprentie s'était retrouvée plongée dans ce truc sans réellement savoir ce qui allait se passer. Cette bataille, elle l'avait vécu en dehors de son corps, simple spectatrice de ses actes.

Les mots que prononçait la Templière lui faisait du bien, en un sens. Elle s'identifiait légèrement à cette femme, sauf qu'elle avait vécu des choses bien pires. Perdre sa famille, ses amis, sa cité, Sio' n'osait imaginer ce que l'Almer pouvait ressentir ; elle n'osait imaginer ce qu'elle-même aurait pu ressentir. Il est vrai qu'elle non plus, n'avait jamais été proche de sa famille et trop farouche pour se faire des amis, mais les savoir en danger, à la merci d'un Cavalier de l'Apocalypse et être impuissante... C'était pire que tout.

Siobhan posa ses yeux sur l'inconnue, observant son profil droit et ses traits doux. Elle était plus forte que la jeune apprentie ne le serait jamais. Il n'y avait qu'à la voir, à terre, abattue, ayant peur d'un simple cauchemar, de son impuissance de tenir debout. Sio se trouvait idiote d'agir comme une gamine pleurnicheuse, mais qu'y pouvait-elle ? Chaque nuit ce cauchemar peuplé de morts la hantait, sans qu'elle ne puisse rien y faire. Subir, c'est tout ce qui lui était permit. Sa punition d'avoir échoué dans la tache qui lui avait été confiée.

« Mais moi j'aurais pu ! J'aurais pu arriver à temps ! Je devais la protéger, mais j'ai trop tardé à la rejoindre et quand je suis arrivée, il était déjà trop tard. Jelenna avait été enlevée alors que j'avais fait le sermons à Hilina de la protéger coûte que coûte. »

Cet épisode non plus, elle n'arrivait à se le pardonner. Oui, elle avait, par la suite, retrouvé la petite princesse. Oui, Siobhan s'était battue pour la libérer, mais au fond... Si la jeune apprentie était arrivée un peu plus tôt, les choses auraient pu se passer autrement, elle en avait la conviction. Chaque action engendre des conséquences. Un pas de travers et les choses pouvaient très mal finir. Sio ne pourrait assumer ça.

« Hé puis, il y a eu Mort. Je n'ai rien pu faire contre elle. J'ai été une cible facile, tellement prévisible. Mes faiblesses, elle les devina en quelques instants et.. et... »

Sa respiration se bloqua au souvenir de cet horrible rêve, un frisson parcourant ses membres. Cette peur idiote qui ne la quittait jamais. Ce qu'elle avait vécu dans le labyrinthe n'avait pas été réel, mais tellement effrayant. Expérimenter son pire cauchemar, sa plus grande peur, ne laissait jamais indemne et, Sio ne cessait de se le répéter, elle n'était pas assez forte.

« Vous devez me trouver ridicule... Comparé à vous, je n'ai perdu personne, Jelenna est rentrée chez elle, les choses auraient pu finir de façon plus horrible pour moi. Je sais tout ça, mais je n'y arrive pas. Chaque action à des conséquences, et si les miennes conduisaient à la perte de quelqu'un ? »

Les yeux verts rencontrèrent les chocolats de l'inconnue. On pouvait y lire peur, incertitude, culpabilité.

« Comment vous avez fait pour surmonter ça ? Se dire que ce n'est pas ma faute et que rien de tout ce que Mort m'a montré ne s'est réalisé, c'est pas suffisant. »

« Mais moi j'aurais pu ! se récria la jeune fille. J'aurais pu arriver à temps ! Je devais la protéger, mais j'ai trop tardé à la rejoindre et quand je suis arrivée, il était déjà trop tard. Jelenna avait été enlevée alors que j'avais fait le serment à Hilina de la protéger coûte que coûte. Hé puis, il y a eu Mort. Je n'ai rien pu faire contre elle. J'ai été une cible facile, tellement prévisible. Mes faiblesses, elle les devina en quelques instants et.. et... »

La phrase mourut dans sa gorge. Rien que d’évoquer ces souvenirs, elle suffoquait et frissonnait. Iréa tendit son Esprit et fit de son mieux pour la calmer. La jeune femme commençait à comprendre ce qui pouvait la mettre dans un tel état. L’enlèvement de la princesse Jelenna avait été un coup dur, tant parce que cela signifiait qu’un artéfact se trouvait aux mains d’Azael que parce que cet artéfact n’était qu’une enfant. Forte et courageuse, semblait-il, mais une enfant tout de même.
Et elle avait juré de la protéger…La Templière comprenait mieux pourquoi elle s’en voulait tant, et d’autant plus qu’elle l’avait manquée de peu.
Ensuite, il y avait le Cavalier Noir…Par chance pour l’Almer, leurs routes ne s’étaient pas croisées, mais elle avait entendu parler de Mort, de sa cruauté et de son labyrinthe cauchemardesque, quoiqu’elle en sache peu de choses – ceux qui l’avaient rencontrée n’était pas très enclins à le raconter. Mais si la gamine s’était retrouvée piégée là-dedans, rien d’étonnant à ce qu’elle en ait gardé des traces !
Les yeux d’Iréa rencontrèrent enfin un regard d’un vert intense mais tout aussi intensément troublé.
Elle savait que rien de tout cela ne s’était vraiment passé, lui dit-elle, seulement elle n’arrivait plus à avancer, paralysée par la peur, la peur de ce qu’on lui avait montré, la peur qu’à nouveau, ses actes aient des conséquences désastreuses. Avant de lui poser une question à laquelle la Templière n’était même pas sûre de savoir répondre…Comment avait-elle fait pour surmonter ça ?

« Non, ce n’est pas ridicule. Tu as été peut-être été plus épargnée que d’autres mais ce n’est pas pour autant que tu ne souffres pas. Quant aux conséquences de tes actes…Nos actions ont tellement de conséquences ; les envisager toutes, c’est impossible. Et puis, on n’a pas toujours le temps de réfléchir…Il n’y a pas de solution miracle, tu sais. On peut juste agir de notre mieux, avec les éléments qu’on a, et se dire que c’est toujours mieux que de ne rien faire, de rester les bras croisés que le destin fasse tout à notre place.
Comment j’ai surmonté ça…reprit-elle après une pause. Je ne suis pas bien sûre de le savoir moi-même. Quant j’ai su, j’ai demandé à être envoyée en mission dans le désert, tout de suite. Je voulais aller voir sur place, savoir s’il y avait des proches parmi les survivants. Le directeur du Temple m’a tenue à l’écart, il m’a envoyée ailleurs. Il y avait tellement à faire…Je me suis noyée dans le travail, en quelque sorte. Je me suis dit et répété que ce n’était pas le moment de s’effondrer, qu’il y avait des gens qui avaient besoin d’aide et que je pouvais aider, pour oublier ceux que je n’avais pas pu secourir. Je me suis entraînée encore et encore pour pouvoir les défendre.
Et puis…Je suis partie en mission à Ptot Tàh, finalement. Presque trois mois après l’attaque, juste avant la dernière bataille. J’ai vu ce qu’il restait de la ville, ce que la maladie avait fait à ses habitants.
C’était dur, mais ça m’a aidé à accepter, en quelque sorte. Pour la cité, il n’y avait plus rien à faire. Mais je pouvais encore essayer de sauver ceux qui restaient, et c’est ce que j’ai fait.
Finalement, ce qui te manque, c’est peut-être un sens à tout ça ? Tu t’es battue parce qu’il le fallait, pour défendre ta vie et ton monde. Maintenant que tu as le temps d’y réfléchir, que tu n’es plus contrainte, que veux-tu vraiment faire ? »

La jeune femme parlait beaucoup ; ce n’était guère dans ses habitudes. Mais elle trouvait attachante cette jeune fille tellement perdue, et si lui raconter son histoire pouvait l’aider à aller de l’avant, elle le faisait avec plaisir. Depuis tout ce temps qu’elles parlaient, le soleil avait continué à s’élever au-dessus du Temple, dardant ses premiers rayons sur leurs visages. Bientôt, ce monde dont l’enfant avait décidé de s’exclure recommencerait à tourner à plein régime, sans elle. Mais qui sait, après lui avoir parlé, peut-être accepterait-elle d’entrer à nouveau dans la danse ?

Ce que Siobhan voulait réellement faire ? La jeune fille ne s'était jamais posée la question. Cela faisait tellement de temps qu'elle s'était enlisée dans ce désespoir inutile et injustifié. Cela faisait tellement de temps qu'elle tremblait à chaque fois qu'elle faisait quelque chose, de peur de voir de la déception se peindre sur les traits des gens. Que voulait-elle faire, en fin de compte ? Quels étaient donc ses rêves avant que Mort ne vienne les briser un à un ? Elle ne s'en souvenait déjà plus, parce qu'au fond d'elle c'était le vide, c'était le noir.
La jeune apprentie regardait la Templière assise à côté d'elle et admirait son courage. Elle avait su trouver la force de ne pas baisser le bras et aller de l'avant. Les mots de l'Almer raisonnaient au fond de sa tête. C'était douloureux à entendre et en même temps, ça faisait tellement de bien. Tout espoir ne s'était peut être pas encore éteint. Peut être Sio aussi pouvait marcher et réaliser des choses. Peut être que si elle se montrait forte, elle arriverait à attirer de nouveau l'attention d'Hilina sur elle.

« Est-ce que je pourrais devenir comme vous ? Comme Asora ? Est-ce que je pourrais aider les autres ? Ne plus faire de mal à personne ? Pensez-vous vraiment que je suis assez forte ? »

C'était ça, la grande question. En était-elle seulement capable. Oui, elle croisait les bras et attendait que le temps passe, parce que c'était plus simple. Jusqu'à là, elle avait été seule, il n'y avait eu personne pour le tendre le bras, pour lui sourire et lui dire qu'elle en était capable, qu'il suffisait juste qu'elle se lève et marche. Jamais personne ne s'était intéressé à elle durant ces quatre années. Livrée à elle-même, la petite ne pouvait que dépérir. Ce n'était pas de sa faute. Siobhan n'avait jamais voulu ça, cette vie de lamentations et de peurs, mais n'avait rien pu faire pour lutter contre ça. Si seulement quelqu'un s'était penché sur elle et lui avait dit "ça ira"... Mais elle n'avait personne, sa vie n'avait été faite que de cache-cache à Cydonia et de combats qui hantaient aujourd'hui toutes ses nuits.

« Je voudrais pouvoir servir à quelque chose. J'ai toujours cru n'avoir aucune place particulière en ce monde jusqu'à ce que Hilina vienne à moi. Elle m'avait confié une tache si grande, je me sentais honorée et importante. J'avais cru être à la hauteur d'un honneur pareil, mais j'ai échoué. Je n'étais pas préparée. Je voudrais devenir assez forte pour que plus jamais on ne puisse me blesser. Je voudrait que ma Déesse reconnaisse enfin ma valeur et se tourne de nouveau vers moi. Je voudrais... je voudrais... »

Les larmes inondèrent de visage grave de la jeune fille. Elle s'accrocha au bras de l'almer, serrant fort la tunique prisonnière de ses poings. Elle déversait toute sa douleur en de rivières salées, ses sanglots résonnant dans l'air. Siobhan voulait tellement de choses. Elle voulait retrouver ses illusions et sa vision d'un monde tout rose. Elle voulait de nouveau croire en l'humain et en elle même. Était-ce trop demandé ? Si seulement quelqu'un pouvait apaiser ses peurs et rendre paisibles ses nuits. Ce cauchemar avait trop duré. Sio était trop fatiguée.

« Je veux vivre de nouveau, sans que mes peurs ne me réveillent chaque nuit. »

Sio releva sur l'inconnu son regard humide, les larmes coulant toujours le long de ses joues. Cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas pleuré.

« Dites moi ce que je dois faire ? Est-ce que vous allez m'y aider ? »

Un regard brulant d'un nouvel espoir sondait celui chocolat de la Templière.

« Est-ce que je pourrais devenir comme vous ? Comme Asora ? Est-ce que je pourrais aider les autres ? Ne plus faire de mal à personne ? Pensez-vous vraiment que je suis assez forte ? »

Elle posait les questions les unes à la suite des autres, avec un mélange d’espoir et de crainte.
L’espoir et la crainte de la réponse.
Les paroles d’Iréa avaient réveillé le peu d’espoir qui dormait encore tout au fond de la jeune fille, elles avaient rallumé l’étincelle qui peut-être redeviendrait une flamme de vie.
Tout dépendait de ce qu’elle allait dire, et elle n’avait pas le droit de décevoir cet espoir maintenant qu’elle l’avait éveillé.
Elle le savait, et cela pesait lourd sur ses épaules.
Au fond, ce n’était encore qu’une enfant. Une enfant choquée et apeurée, brisée, qui a besoin d’être rassurée.
L’espace d’un instant, les pensées de l’Almer se tournèrent vers Asora. Si elle servait de référence à cette apprentie inconnue, il n’était pas si étonnant qu’elle se trouve faible. L’ancienne élève de maître Jacen semblait forte à tous points de vue, en effet ; cela ne l’empêchait pas d’avoir ses failles, comme tout le monde, mais c’était moins perceptible chez elle que chez d’autres.
La jeune fille à ses côtés continua sur sa lancée. Elle avait l’impression de ne servir à rien, elle voulait être utile. Hilina l’avait choisie mais elle était trop jeune, mal préparée, et elle avait failli, alors qu’elle aurait tant voulu mener sa mission à bien.
Après les mots, ce furent les larmes qui jaillirent. Une fine main blanche se referma sur son bras et serra, serra, comme si cela pouvait empêcher les sanglots de monter.

« Je veux vivre de nouveau, sans que mes peurs ne me réveillent chaque nuit. »

Elle croisa à nouveau les yeux émeraude. Peur, doute, désespoir, solitude, mais aussi, tout au fond, une petite étoile ; elle ne brillait que faiblement, mais elle était bien là.

« Dites moi ce que je dois faire ? Est-ce que vous allez m'y aider ? »

Ce n’était rien d’autre qu’un appel au secours.
Iréa prit quelques secondes pour rassembler ses pensées avant de lui répondre.

« Il n’y a pas de voie toute tracée ; il te faut une occupation qui te plaise, qui te donne envie de te lever tous les matins, et peut-être des gens pour t’aider à combattre tes peurs. Tu pourrais entrer au Temple. Du point de vue de tes capacités, je ne pense pas que ce soit un problème, et apparemment, c’est ce que tu aimerais. On peut dire que nous aidons les autres oui, seulement, comme je te l’ai raconté, on ne peut pas aider tout le monde. Ne plus faire de mal à personne, c’est difficile, mais nous essayons le plus possible de ne pas faire souffrir les gens, en effet. Si cela te convient, je parlerais de toi au directeur ; c’est lui qui décidera qui sera ton maître, alors je ne peux pas te garantir absolument que c’est moi qui te prendrai en charge. Mais ce sera sûrement le cas et je t’aiderai, même si tu n’es pas mon élève. Nous habitons tous ici ; tu n’auras qu’à venir me voir quand tu voudras. »

La jeune femme prit délicatement la main qui enserrait son bras et la serra doucement à son tour. Elle convoqua les souvenirs de son apprentissage, des longues discussions avec son maître lorsque quelque chose n’allait pas, et l’apaisement que cela lui procurait, pour le transmettre à l’adolescente.

« Ça va aller, lui dit-elle avec un sourire. Je suis sûre que tu peux y arriver. Au fait, je m’appelle Iréa. Iréa Halin. Et toi ?

Siobhan buvait chaque parole, s'accrochant désespérément à tous ces mots si rassurants. Elle voulait croire que la vie ne s'était pas arrêtée lors de la bataille, que Nessa ne lui avait pas prit les dernières étincelles qui guidaient son existence. La jeune fille pouvait recommencer, reprendre là où elle s'était arrêtée avec Kyle. Juste comme ça, sans peur ou presque. Sio ne voulait plus être seule, tapie dans son coin, incapable de se relever et d'affronter ses cauchemars. Il ne lui fallait que ça, une voix rassurante et des mots.

Tant de temps à se cacher, à regarder les gens passer sans oser s'approcher. Quatre ans à se cacher comme une gamine peureuse, à pleurer dans son oreiller, pétrifier par l'idée de faire quelque chose de mal. Quel gâchis ! Elle n'avait pas besoin de sauver tout le monde, juste faire de son mieux, à hauteur de ses capacités. La jeune fille allait se relever peu à peu, il fallait y croire. Avec du temps son sourire perdu reviendra éclairer son visage d'enfant, comme avant.

Iréa lui offrait là une chance – que Siobhan pensait ne plus avoir – de se reprendre et se mettre à croire en ses rêves, en ses envies. Le monde n'était peut être pas aussi noir, c'est elle qui fermait les yeux pour ne plus voir et atténuer un peu sa souffrance en refusant de contempler celle des autres. La jeune fille hocha la tête, comprenant ce que la Templière essayait de lui transmettre.

Sio avait encore du mal à croire que c'était vrai, qu'elle allait pouvoir rentrer au Temple et vivre de nouveau. Elle avait toujours peur de faire mal les choses, mais l'étincelle de détermination qui venait de naître au fond de son regard présageait une évolution. Il faudra du temps avant que la jeune apprentie retrouve confiance en elle, qu'elle accepte l'idée que la vie ne peut pas toujours être rose, mais qu'abandonner à la moindre difficulté serait lâcheté.

« Merci. »

Un murmure empli de sincérité. Avec ses confidences, Iréa avait su réveiller les émeraudes éteintes depuis bien trop longtemps. Sio passa une main sur ses joues, effaçant les dernières traces laissées par les rivières salées et se releva.

« Je suis Siobhan. Est-ce que je peux... Est-ce que je peux entrer ? »

La jeune fille pointa le Temple du doigt, encore incertaine de posséder ce droit. Iréa s'empressa de rassurer la demoiselle, se levant à son tour pour la guider jusqu'à la porte que Sio redoutait tant de pousser. La Templière le fit pour elle, l'invitant à la suivre.

C'est le cœur battant, encore incertaine, mais emplie d'un nouvel espoir, que Siobhan franchit le pas.

[Iréa et Siobhan désengagées]

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