La journée avait été longue, fatigante, et alors que le soleil approchait de l’horizon, elle avait été tenaillée par une soif de solitude que le jardin du Temple n’avait pas suffi à apaiser. Quittant le Temple, elle avait franchi les portes de la cité neutre pour aller arpenter les plaines environnantes. Elle portait son arme et n’avait pas songé à s’en séparer en sortant, même si elle ne courait pas de réel danger.
Iréa émergea de sous les arbres et retrouva la lumière vive, la chaleur de la fin de l’été. Ici à Tamawa, c’était sa saison préférée, la seule durant laquelle elle ne se plaignait jamais du temps.
Il lui semblait avoir entendu des éclats de voix dans cette direction et, effectivement, plusieurs personnes s’affairaient un peu plus loin, montant des tentes.
La jeune femme en fut surprise. Il faisait beau et chaud, certes, mais pourquoi vouloir dormir dehors alors que la cité était toute proche ?
Elle n’eut pas le loisir de s’interroger davantage. On la héla soudain et l’un des campeurs délaissa son ouvrage pour courir vers elle ; elle n’avait pas eu le temps de prononcer un mot que déjà elle se retrouvait blottie dans les bras d’une jeune femme qui la dépassait de dix bons centimètres. Tout s’était passé si vite qu’elle ne l’aurait sans doute pas reconnue, n’eût été sa longue chevelure verte flottant au vent telle une bannière.
Une seule personne dans son entourage arborait cette couleur de cheveux si étonnante. Et étonnante, cette rencontre ne l’était pas moins !
La lancière s’écarta un peu d’elle et lui servit un sourire resplendissant.

« Ca fait si longtemps ! Je suis tellement contente de te revoir !
- Moi aussi je suis contente de te voir, Elyncia, ça fait une éternité en effet…Mais qu’est-ce que tu fais là ? En dehors de la ville en plus ? »

Maintenant que la surprise était passée et qu’Elyncia avait repris un peu de distance, l’Almer en profita pour l’observer plus attentivement. Elle pressentait que, si le temps leur en laissait l’occasion, la Cydienne aurait beaucoup de choses à lui dire. Bien sûr, elles se voyaient peu – leur dernière rencontre remontait déjà à près d’un an et demi – mais Iréa la trouvait particulièrement changée, plus qu’à l’habitude.
Derrière l’épaule de la lancière, elle voyait les compagnons de celle-ci ouvrir des yeux ronds, se demandant sûrement qui était cette femme sur laquelle leur amie venait littéralement de se jeter. Ayant d’ailleurs fini de lui expliquer qu’elle faisait halte ici sur le chemin de Jafa, et qu’elle avait préféré rester en dehors de la ville pour fêter ce jour un peu spécial, son amie entreprit de faire les présentations.
C’est ainsi qu’elle fit la connaissance de Rose, une autre lancière aux longs cheveux châtains et de Léane, une jeune femme a l’air sympathique bien qu’elle soit sans aucun doute une combattante aguerrie. Le seul homme de la compagnie répondait au nom de Zihark et ses cheveux étaient d’un gris étonnant, foncé, et non pas que le gris blanchissant de la vieillesse. Iréa trouva que son air calme incitait à lui faire confiance, elle qui était pourtant un peu méfiante de nature.
Elyncia la présenta rapidement à son tour.

« Enchantée, leur dit-elle simplement avec un sourire. »

Il n’y avait pas grand-chose à ajouter et les compagnons retournèrent rapidement à l’installation du camp, tandis qu’Elyncia restait avec elle. Iréa se sentait un peu stupide de n’avoir trouvé rien d’autre à leur dire et que les présentations se soient achevées si vite, mais elle n’eut guère le temps de s’appesantir là-dessus, car déjà son amie reprenait la parole.

« Dis, ça te dirais de rester pour la fête ? C'est qu'un an et demi c'est long et j'imagine qu'on a pas mal de chose à se dire... et puis... Gabrielle et moi ne sommes plus ensembles, et... ba je ne sais pas trop à qui en parler vraiment. J'ai peur de les inquiéter tu vois... Il y a Zihark, mais il ne s'impose pas trop sur le sujet. Et puis ça te permettrait de faire connaissance avec les autres aussi. Ils sont adorables.

La lancière avait dit tout ça à la suite, sans vraiment changer d’expression ni de ton – à part ses hésitations – mais Iréa savait qu’elle souffrait, elle le percevait, et le devinait dans son attitude. La nouvelle l’étonnait ; son amie ne lui avait jamais parlé de désaccords entre sa petite amie et elle. La dernière fois qu’elles s’étaient quittées – ça ne datait pas de la veille, certes – les deux jeunes femmes filaient encore le parfait amour, et leur relation durait depuis plus de deux ans déjà. Qu’avait-il bien pu se passer ?

« Oh Elyn’, je suis désolée. »

La Templière jeta un œil au soleil qui descendait vers l’horizon. Il ne s’écoulerait pas longtemps avant qu’elle ne doive repartir si elle ne voulait pas trouver les portes de la cité closes. Mais qu’elle ne passe pas la nuit à Ankdor n’était pas un problème.

« Je resterai volontiers. Vous avez une petite place pour moi ? Si je rentre dormir au Temple, il faudra que je sois aux portes de Tamawa avant la tombée de la nuit, ça ne nous laisse pas beaucoup de temps. Enfin, ce sera toujours mieux que rien hein, ne t’en fais pas si vous ne pouvez pas. »

Elyncia lui asura qu’il n’y avait aucun souci et qu’on trouverait bien de la place pour elle, aussi elle continua.

« On rejoint les autres ? On ne va quand même pas les laisser tout installer tous seuls…sauf si tu veux qu’on parle un peu d’abord ? »

Finalement, elles s’éloignèrent toutes deux de l’ombre des arbres pour retrouver la petite compagnie qui finissait d’installer les tentes. Elles étaient à peine arrivées que les deux autres jeunes femmes, Rose et Léane, déclarèrent qu’elles allaient chercher du bois pour le feu et partirent à leur tour vers le bosquet proche, laissant Iréa et Elyncia seules avec Zihark.
Au début, il régna une certaine gêne, le jeune homme et la Templière ne se connaissant pas, et aucun des deux ne voulant interférer dans la relation de l’autre avec Elyncia. D’autant plus que l’Almer n’était pas spécialement loquace et que, visiblement, ce n’était pas le cas du guide non plus. A trois, il ne leur fallut pas longtemps pour dénicher quelques grosses pierres et les disposer en cercle pour délimiter le foyer.
Après une brève concertation, il leur apparut que la seule chose qu’il restait à faire était de préparer le repas. Seulement, aucun d’eux n’avait de dispositions particulières pour la cuisine, aussi Elyncia suggéra d’attendre que Rose revienne avec Léane, affirmant qu’elle se débrouillerait bien mieux qu’eux.
Iréa s’assit dans l’herbe, ses jambes étalées devant elle, le buste légèrement en arrière, appuyée sur ses mains. Elyncia s’installa en face d’elle et Zihark sur le côté, de sorte qu’il voyait les deux jeunes femmes de profil. La jeune Cydienne la questionna sur elle, sur ce qu’elle avait fait depuis leur dernière rencontre.

« Oh, ces derniers temps, c’était assez tranquille. Enfin, aussi tranquille que ça peut l’être…Au fait, tu te souviens de ce que je te disais, sur le fait que j’avais le chic pour me retrouver avec tout un tas de complications sur les bras ? Il y a deux mois, on m’a envoyée en mission à Jafa ; je devais assurer la sécurité pour l’inauguration du temple de Diane. Je me suis retrouvée à poursuivre une secte de fanatiques cherchant à invoquer une déesse maléfique…Comme quoi, j’ai vraiment pas de bol ! Même si on a réussi à s’en débrouiller.
Sinon, les jeunes progressent bien, je suis contente d’eux. Ewan avait un peu de mal avec le fait que j’aie un autre élève, je crois, en tout cas il n’aimait pas trop Siobhan, mais ça a fini par s’arranger. Ils sont plus ouverts aux autres, tous les deux, ça me fait plaisir. »

Ce n’était pas la première fois qu’Iréa évoquait ses élèves devant Elyncia. En revenant de leur baignade près d’Erathia, après l’entraînement impitoyable de Miki, elle lui avait un peu parlé d’Ewan, puis d’autres fois ensuite. Lors de leur précédente rencontre, l’année 153 touchait à sa fin et elle lui avait raconté sa rencontre avec Siobhan, sa détresse qui l’avait tellement touchée et son envie de lui venir en aide.
La jeune femme allait enchaîner sur son voyage en terres jinmen quand un oiseau fondit soudain sur Zihark et se posa sur son bras. Le Cydien ne parut en rien étonné ou impressionné, il se contenta de sourire – il ne souriait pas beaucoup, de ce qu’Iréa avait pu voir jusque là, mais cela illuminait son visage, peut-être justement parce que ses sourires étaient rares – et de dire quelques mots à l’épervier en caressant son plumage gris.
L’Almer, elle, le dévorait des yeux : elle n’avait jamais vu un tel oiseau d’aussi près.

« Il est…Il t’obéit ? »

Elle avait failli lui demander si l’oiseau était à lui, mais elle savait que la formule ne convenait pas. « Obéir » n’était guère mieux, seulement elle n’avait pas réussi à poser la question autrement.

« Je ne dirais pas qu'il m'obéit... bien que j'aie dû l'apprivoiser, c'est une jolie relation qui s'est installée entre nous. Je dirai plutôt qu'il me rend service quand j'ai besoin de lui et vice versa... comme un ami, en fait. »

Oui, cela sonnait juste. Le rapace la regardait, pas vraiment effrayé, plutôt intrigué. La présence d’Elyncia ne semblait ni l’inquiéter ni le déranger ; mais si Zihark voyageait avec elle, sans doute l’oiseau y était-il habitué.
Maintenant assise en tailleur, la Templière tendit une main hésitante vers les plumes gris acier – elle se demandait quelle sensation leur toucher pouvait procurer.

« Je peux ? s’enquit-elle. »

Le guide acquiesça et elle effleura le plumage de l’épervier. C’était doux et lisse, plus froid qu’un pelage, mais elle sentait tout de même la chaleur et la vie qui palpitait dessous. Tandis qu’elle suivait du bout des doigts la courbure de son dos, Zihark lui apprit que l’oiseau s’appelait Storm, puis elle reprit sa place.

Un timide sourire illumina le visage de la lancière quand la templière accepta de rester. Elle avait déjà anticipé l'idée de devoir demander à l'une de ses amies de partager leur tente et elle ne doutait pas que Rose ou Léane accepteraient facilement. Léane et elle s'entendait plus que bien et Elyncia était le modèle de Rose qui était fascinée à chaque fois qu'Elyncia lui racontait une de ses patrouilles un peu atypique ou alors son entrainement avec son père. Rose avait pu rencontrer le vieil homme le jour de leur retour à Cydonia suite à la rupture avec Gabrielle. Elyncia avait demandé à ce qu'il les observe durant un entrainement pour qu'il se fasse une idée du potentiel de l'ex-fermière et finalement, lui aussi avait émit une recommandation auprès de ses anciens collègues, surpris de l'aisance de la jeune femme. Il avait même dit à Elyncia qu'il avait l'impression de la revoir plus jeune, ce qui n'avait pas manqué de la faire rougir, sentant un lourd sous-entendu. Après tout, il la connaissait mieux que quiconque.

- Ne t'en fais pas. Pour la nuit, je suis sûr que l'une des deux filles te feront de la place. A mon avis, ce sera Rose qui se proposera en première. C'est une vraie pipelette et comme je ne lui ai encore rien raconté sur la bataille d'Erathia, je pense qu'elle va essayer de t'amener sur le sujet.

La Templière sembla acquiescer avant de demander à rejoindre les autres, à moins qu'elle ne veuille lui parler seule à seule. Mais Elyncia n'avait pas envie de se montrer égoïste et d'être la seule à profiter de la présence de son amie. Elle l'invita alors à aller discuter en continuant de préparer le campement, ce qui leur permettrait surement d'intégrer la nouvelle venue. Mais à peine étaient-elles arrivées à leur hauteur que Rose et Léane leur firent un grand coucou, leur expliquant qu'elles allaient s'absenter :

- On va devoir vous laisser seuls. Le feu ne brûle pas tout seul donc j'ai embauché Rose pour aller chercher du bois. J'espère que ça ne vous dérange pas. Et puis, je ne pense pas que Zihark se plaigne de la compagnie de deux charmantes jeunes femmes.

- Non en effet, je ne pense pas. Ne tardez pas trop. Le soleil commence à disparaître.

- Oui maman, répondit Rose avec un sourire espiègle et sur le ton de la plaisanterie que son idole accueillit avec un petit rire. Elle avait en effet parfois l'impression d'être une mère à force de s'occuper des membres des Traqueurs.

Elyncia pris l'initiative avec Iréa de ramasser de grosses pierres pour contenir le feu et rapidement, Zihark se joignit à l'effort, silencieusement et un peu gêné, une gêne qu'Elyncia ne lui connaissait pas vraiment. Elle se souvint alors du jour de leur rencontre, où il n'avait pas hésité à prendre les devants pour l'aider à retrouver son chemin. Mais quelque chose lui disait que son jolie minois n'était pas étranger à cet élan de sociabilité finalement. Après tout, il devait avoir des idées derrières la tête maintenant qu'elle y repensait.
Une fois le foyer fait, il ne manquait plus que le feu pour pouvoir faire cuir ce qu'ils avaient ramené du marché de Tamawa. C'est pourquoi Elyncia leur proposa d'attendre le retour de leurs compagnes de voyage pour commencer à faire quelque chose. De toute manière, Elyncia n'était pas une fameuse cuisinière et elle doutait que Zihark soit un cordon bleu lui aussi. Quant à Iréa, Elyncia ne savait pas si elle était capable de leur préparer quelque chose, mais ce qui était sûr, c'est qu'elle avait accepté sa proposition d'attendre les filles.
Elles s'étaient donc assise, l'une en face de l'autre comme elles avaient l'habitude de le faire quand elles se retrouvaient et le jeune homme s'assit tout près d'elles, écoutant ce qu'elles avaient à ce raconter.

- Alors dis-moi ? J'imagine que le Temple ne t'as pas laissé le temps de te reposer ?

- Oh, ces derniers temps, c’était assez tranquille. Enfin, aussi tranquille que ça peut l’être…Au fait, tu te souviens de ce que je te disais, sur le fait que j’avais le chic pour me retrouver avec tout un tas de complications sur les bras ? Il y a deux mois, on m’a envoyée en mission à Jafa ; je devais assurer la sécurité pour l’inauguration du temple de Diane. Je me suis retrouvée à poursuivre une secte de fanatiques cherchant à invoquer une déesse maléfique…Comme quoi, j’ai vraiment pas de bol ! Même si on a réussi à s’en débrouiller.
Sinon, les jeunes progressent bien, je suis contente d’eux. Ewan avait un peu de mal avec le fait que j’aie un autre élève, je crois, en tout cas il n’aimait pas trop Siobhan, mais ça a fini par s’arranger. Ils sont plus ouverts aux autres, tous les deux, ça me fait plaisir.

- Décidément, j'ai l'impression que les sectes pullulent en ce moment. Les histoires de fanatiques ne manquent pas à Cydonia non plus. Et puis... je ne sais pas si tu te souviens de ce que je t'avais raconter sur ma cousine. Et bien, on a retrouver sa trace, et c'est pourquoi je voyage avec Zihark, Léane et Rose. Je ne sais pas si tu te souviens de Jarod. Il nous accompagne lui aussi. D'ailleurs, il a arrêté de courir après moi grâce à Léane. D'ailleurs on se rend à Jafa pour retrouver un de nos indicateurs. Il aurait trouvé la piste d'un de ses enfoirés de dégénérés. Mais honnêtement... cette chasse commence à me lasser. Si je n'étais pas partie à la poursuite de Kaïlla... peut-être que Gabrielle et moi. Elle secoua la tête pour éviter d'y penser. Ce n'était pas le moment de plomber l'ambiance. Elle continua donc : Mais bon... je ne peux pas la laisser s'échapper cette fois cette garce. Je ne retournerai à Cydonia que lorsque je pourrais planter sa tête sur une pique. Après tout ce qu'elle a fait subir à notre famille, je ne peux pas abandonner.
En tout cas, je suis contente d'entendre que tes apprentis s'épanouissent auprès de toi, même si ça ne m'étonnes qu'à moitié. J'espère que je pourrais les rencontrer un jour.

Elle ne s'imaginait alors pas que ce serait le cas pour Siobhan, mais que la situation n'aurait rien d'idyllique, bien au contraire. Bien loin de soupçonner ce qui allait se passer, Elyncia s'était mise à penser qu'elle comprenait mieux le travail d'Iréa avec ses apprenti depuis qu'elle menait les Traqueurs. Elle avait parfois l'impression que cette aventure améliorait son côté pédagogue et nécessité vraiment de réapprendre à vivre et retrouver un nouveau sens de la vie, de l'amour et du sacrifice. Elle pourrait mourir pour eux, et elle savait que le même sentiment habitait chacun des membres de la compagnie et c'était sans doute les valeurs que partageait Iréa avec ses apprentis.
L'almer voulut continuer son récit mais elle fut interrompu par l'impétueux atterrissage de Storm qui revenait surement de sa petite chasse. Elyncia s'était habitué à la présence du rapace, même si elle n'avait pas encore vraiment pu l'approcher. Cet oiseau avait vraiment un étrange caractère. C'était comme-ci l'oiseau de proies était jaloux de la jeune femme qui passait beaucoup de temps avec son maître. Avait-il peur qu'elle le lui enlève ? Aucun risque là-dessus... quoique. Mais elle savait que Storm comptait beaucoup pour Zihark, comme il l'expliquait de façon un peu détournée à Iréa qui semblait fascinée par cet animal. Le charme resta même durant son envole, et il ne fut brisé que par le guide :

- J’ai hâte d’apprendre à voler, moi aussi...

Cette phrase décrocha un sourire à la lancière. Elle imaginait à quel point tout ça pouvait être fantastique et elle se demandait qu'elle genre de sentiments allaient habiter le guide une fois qu'il parcourrait les cieux avec Storm. Ce devait surement être comme dans un rêve.
Le guide, s'empressa d'apporter des précisions à la Templière alors que Léane et Rose revenait, les bras chargées de buche et de petit bois.

- J’aimerais voir ça un jour, Zihark !

Elyncia fit la moue en captant le ton aguicheur de la jeune femme. Elle aurait espéré qu'il lui soit destiné à elle et pas à Zihark. Heureusement qu'il y avait Faelin sinon Zihark aurait surement déjà concrétisé avec Rose, privant ainsi Elyncia de tout espoir de l'avoir pour elle... seulement, le voulait-elle vraiment ? C'était sans doute un des rares caprices de la lancière qui se faisait des idées suite à l'épisode sur l'Orage Sanglant. Rose en était d'ailleurs très troublée et rougissait à chaque fois qu'elle y repensait, oubliant parfois son cher demi-elfe et repensant à Cassandra et sa proximité avec Elyncia.
Léane, quant à elle, déposa son fardeau et s'assit près d'Iréa en lui demandant :

- Vous avez été côtes-à-côtes durant la bataille d'Erathia. Elyncia ne nous parle pas beaucoup de période alors je me disait que vous pourriez nous raconter comment se battait notre belle lancière à cette époque. J'imagine qu'elle ne devait pas avoir me même niveau ?

Rose n'attendit pas que l'almer réponde et demanda elle aussi un récit :

- Vous pourriez aussi nous raconter comment vous êtes devenue Templière ? Ca doit être quelque chose de passionnant ? S'il-vous-plait !

Elyncia se mit à rire discrètement. Elle s'attendait à ce qu'elle soit harcelée de questions au retour des deux jeunes femmes. Mais il fallait aussi de s'occuper du camps :

- Je propose qu'on allume d'abord le feu. Et je suis sûr qu'Iréa vous racontera ça quand on préparera le repas.

Iréa enregistra avec un léger temps de retard mais non sans gravité ce qu’Elyncia venait de lui apprendre. Effectivement, la jeune femme semblait lasse de son voyage et éprouvée par sa longue chasse, mais la Templière la connaissait suffisamment pour savoir qu’elle ne renoncerait pas tant qu’elle n’aurait pas la peau Kaïlla. Elle voyait encore la Cydienne aux cheveux verts se jeter devant elle, stoppant net la charge de Pâle Platine, en larmes et irradiant de fureur. Non, personne ne s’en prenait à sa famille impunément, elle était bien placée pour le savoir.
Une phrase de Zihark la ramena à des pensées moins sombres.

« J’ai hâte d’apprendre à voler, moi aussi... »

Remarquant le regard perplexe d’Iréa, il lui expliqua qu’il avait la capacité de se transformer en animal et pouvait déjà prendre la forme d’un loup. Pour l’Almer, qui n’avait aucun autre don que celui de l’Esprit, cela semblait extraordinaire.

« J’aimerais voir ça un jour, Zihark ! s’exclama Rose, revenue du bosquet avec Léane. »

Celle-ci s’installa à côté d’Iréa, déposant son chargement de petit bois sur le sol.

« Vous avez été côtes-à-côtes durant la bataille d'Erathia. Elyncia ne nous parle pas beaucoup de période alors je me disait que vous pourriez nous raconter comment se battait notre belle lancière à cette époque. J'imagine qu'elle ne devait pas avoir me même niveau ? s’enquit-elle auprès de la Templière.
-Vous pourriez aussi nous raconter comment vous êtes devenue Templière ? Ca doit être quelque chose de passionnant ? S'il-vous-plait ! renchérit Rose avant que l’Almer ait pu ouvrir la bouche. »

Elyncia ne put se retenir de rire un peu en voyant son amie ainsi assaillie de questions. Elle y mit un peu le holà en leur rappelant qu’il fallait s’occuper du feu et qu’elles auraient tout le temps de cuisiner la Templière…tout en faisant la cuisine, justement.
Vu la chaleur qui régnait depuis plusieurs jours sur Tamawa, le bois était bien sec et il ne leur fallut guère longtemps pour allumer le feu. Rose avait sorti toutes les provisions qu’elle avait achetées et avait déjà commencé à préparer le repas, maniant le couteau d’une main experte.
Une fois le feu allumé, elle réquisitionna tout le monde pour l’aider.
Ce fut une double épreuve pour Iréa car, si elle pouvait subvenir à ses propres besoins, elle n’était pas spécialement douée en cuisine, mais en plus, Rose et Léane n’avaient pas oublié qu’elle leur devait des réponses.

« Eh bien, ça fait un moment que je n’ai plus vu Elyncia à l’œuvre, alors je peux difficilement comparer avec son niveau actuel, les prévint-elle tout en s’appliquant à découper des légumes en dés. La bataille d’Erathia…ça commence à faire longtemps, mais on ne risque pas d’oublier, je crois. J’avais été entraînée à l’écart des rangs des Templiers par les combats…C’était assez particulier de se battre contre les Erathiens, ils étaient très bien équipés, mais cela les ralentissait. Enfin, j’ai fini du côté des rangs cydiens, et j’ai vu un Erathien qui s’apprêtait à attaquer Elyncia par derrière alors qu’elle était déjà en train de se battre avec d’autres adversaires ; j’étais trop loin pour l’empêcher, mais j’ai averti Elyncia par l’Esprit et elle a pu déjouer l’attaque. »

Aidée parfois par la lancière aux cheveux verts, elle leur raconta le combat qu’elles avaient mené ensemble, avec Kyle, Thémis et Soren, plus de quatre ans auparavant. La jeune femme ne tint cependant pas à s’attarder sur l’attaque de Pâle Platine, sachant que l’épisode devait demeurer douloureux pour Elyncia. Elle le narra avec le moins de détails possible, ce qui n’était guère évident puisque des détails, les deux compagnes de voyage de son amie ne cessaient d’en demander.

« Ensuite, j’ai été séparée d’Elyncia. J’ai encore réussi à me faire entraîner loin de mes alliés ! Je ne suis pas vraiment à l’aise sur les champs de bataille.

La Templière comptait arrêter là son récit – il y avait déjà dix bonnes minutes qu’elle monopolisait l’attention générale – mais Léane ne semblait pas en avoir fini avec elle et lui demanda ce qui lui était arrivé ensuite. Elyncia elle-même tourna vers sa sœur d’armes un regard à la fois intrigué et intéressé et Iréa réalisa soudain qu’elle ne savait rien de son combat contre Guerre. Elles avaient toutes deux évité d’évoquer la bataille des rois lors de leurs rencontres et la jeune Almer n’avait quasiment jamais raconté sa confrontation avec le Cavalier. Elle n’avait d’ailleurs que moyennement envie de le faire ce soir, mais la présence d’Elyn’ la rendait plus encline à parler, sans compter que son silence avait déjà piqué la curiosité de son auditoire.

« Je me suis retrouvée presque seule au milieu des Erathiens, cette fois, et j’étais déjà fatiguée par la bataille, reprit-elle d’une voix plus lente, perdue dans ses souvenirs. Enfin, grâce à Thémis, je n’étais presque pas blessée. J’étais tellement occupée à rester en vie et à essayer de rejoindre nos lignes que j’ai mis du temps à le remarquer…Il maniait une épée presque aussi grande que moi d’une seule main et il portait une armure complète, très bien ajustée. Guerre. Je l’avais déjà aperçu de loin, à Cydonia. Et puis, il y avait cette Amazone face à lui, qui l’avait déjà défié et qui portait la Rose de Saphir à sa ceinture. »

Cette fois, elle ne chercha pas à occulter de détails et raconta tout, l’arrivée successive des représentants de tous les peuples, leurs assauts combinés et le coup qui avait volé au Cavalier sa tête et sa vie.
Rose et Léane parurent impressionnées de savoir qu’elle était ressortie vainqueur de l’affrontement contre Bors et qu’elle avait combattu aux côtés de tant de personnages influents d’Azthia – Joris, le nouveau Consort, Anarel, le capitaine de la garde elfique, Kiera, le bras droit de la reine Philéa, rien que ça ! L’enthousiasme et l’admiration de Rose lui pesaient un peu – elle n’avait pas l’impression d’avoir fait quelque chose d’exceptionnel. Quant à Joris, Kiera, Anarel et les autres, ce qui les liait était bien au-delà de leurs positions sociales.

« Euh…dites, vous n’auriez pas un peu d’eau ? demanda la jeune femme, rompant le bref silence qui s’était installé – elle avait la gorge sèche d’avoir tant parlé. »

Rose s’empressa d’aller lui en chercher et lui rappela, en lui tendant un verre, qu’elle aussi attendait la réponse à sa question.
La Templière retint un soupir – cela dit, les compagnons d’Elyncia ne pourraient jamais dépasser Cherif, le poète au service de Yazîd Ibn Yucef Abd-al-Salif qui, ce soir-là sur le Croissant de Lune, l’avait soumise à un véritable interrogatoire sur ses faits d’armes passés ; du moins, elle l’espérait !

« Devenir Templier…c’est long, tu sais. Pour commencer, il faut que tu sois détecté Sensible. Le don se manifeste en général autour de dix ans, parfois plus tôt, parfois beaucoup plus tard. L’Esprit a commencé à se manifester chez moi quand j’avais onze ans, mais je ne suis entrée au Temple qu’à treize ans, après avoir rencontré un Templier qui m’a expliqué ce qui m’arrivait. Ensuite, c’est un long entraînement qui t’attend…On apprend à maîtriser l’Esprit, à se battre, mais aussi les lettres, la diplomatie, le calcul, la philosophie. En général, on se débrouille également pour te trouver des maîtres pour les autres compétences que nous pourrions avoir, qu’ils soient Templiers ou non. Après tes quinze ans, quand on te juge suffisamment mature, on commence à t’affecter à de petites missions, toujours avec d’autres Templiers, souvent des Maîtres, pour que tu apprennes sur le terrain. Et, quand on t’en juge digne, on te donne le rang de Templier. Contrairement à la plupart des formations qui existent sur Azthia, on ne devient pas forcément Templier à dix-huit ans. En fait, c’est même réservé aux meilleurs ; on acquiert ce rang entre dix-huit et vingt ans. Je suis devenue Templière à dix-neuf ans et quelques mois. »

Cette fois, la jeune femme ne se fit pas avoir : elle ne laissa pas le silence s’installer. Il y avait maintenant plus d’une demi-heure qu’elle monopolisait la parole, il était temps de passer le flambeau.

« Je ne suis sûrement pas la seule à avoir des choses intéressantes à raconter, reprit-elle avec un léger sourire. Parlez-moi donc un peu de vous, lança Iréa à la cantonade. »

En les entendant déballer leur passé et leurs blessures un à un, Iréa sentit une pointe de culpabilité se vriller dans son cœur. Ils avaient certes un peu de mal à parler mais l’intention était sincère ; quand elle leur avait demandé de parler d’eux, elle ne s’attendait pas à ce qu’ils abordent des sujets aussi intimes.
Pas alors qu’elle-même avait volontairement détourné la question de Rose, qui ne lui avait pas demandé comment on devenait Templier, mais comment elle était devenue Templière.
Et cela, c’était une autre histoire, qu’elle n’avait pas voulu raconter.
Ses combats à Erathia étaient une chose, son enfance en était une autre. Même Elyn’ ne savait pas grand-chose ; juste qu’elle ne s’entendait pas très bien avec ses parents, et peut-être aussi l’âge auquel elle les avait quittés pour entrer au Temple.
Même sur la formation, elle était finalement restée assez vague, s’en tenant aux grandes lignes ; cela avait paru leur convenir, toutefois, et la jeune femme n’avait pas eu envie d’entrer dans les détails.
La lancière en savait un peu plus que ses compagnons sur la formation générale, parce que son amie lui avait parlé de ses apprentis, mais elle ne mentionnait que rarement son propre apprentissage.
Oh, il n’avait pas été malheureux ; elle était entre de bonnes mains.
Seulement plein de doutes.
Elyncia avait eu besoin que Léane l’interpelle pour se mettre à parler, mais à présent, elle semblait intarissable. Ce fut sans doute elle qui en dit le plus.
En l’entendant évoquer, d’une voix un peu enrouée, sa rencontre avec Gabrielle, l’Almer songea aussi qu’elle ne lui avait jamais parlé d’Elio. Là encore, elle n’en avait pas eu envie.
Inutile, et trop douloureux.
Elles étaient amies, indéniablement, malgré leurs retrouvailles toujours plus aléatoires. Ce qu’elles avaient vécu – la bataille des rois, puis l’entraînement impitoyable de Miki et quelques autres – les avaient rapprochées. Mais elles avaient beau parler tout leur soûl chaque fois qu’elles se voyaient, ils restaient encore bien des choses qu’elles ignoraient l’une de l’autre, réalisa Iréa.
Enfin…La Cydienne venait de lui apprendre un bon nombre de choses sur elle. La Templière se fit, sans le savoir, la même réflexion que son amie en découvrant qu’elle faisait partie du groupe qui avait combattu Maladie. Ainsi, chacune avait combattu pour la cité de l’autre…Parce qu’en plus, alors qu’Elyncia était dans le désert, Iréa se portait avec les autres Templiers et les Amazones au secours de Cydonia. Quelque part, elle se sentait moins coupable de n’avoir pas été là.
Lorsqu’elle parla de ses compagnons d’armes pour ce combat, l’Almer étouffa une exclamation.
Même si l’homme avait donné un autre nom que celui sous lequel ils avaient été présentés, les Cydiens aux cheveux bleus ayant une larme tatouée sous l’œil gauche ne devaient pas courir les rues ! Et Volesprit Tawaren était là, elle aussi…
Alors qu’elle avait cherché à s’en débarrasser, la jeune femme aurait voulu reprendre la parole, se raconter aussi, ne serait-ce qu’un peu, mais déjà la lancière enchaînait.

« Bon assez parlé du passé. Revenons un peu au présent. Je crois que tout est prêt pour qu'on dîne comme des rois ! »

Là-dessus, elle tira de son sac une bouteille de vin et entreprit de faire le service tandis que Rose se chargeait de remplir leurs assiettes, du moins, façon de parler. Au début, personne ne parla beaucoup, trop occupés qu’ils étaient à savourer la délicieuse cuisine de l’ancienne fermière et le vin apporté par Elyncia. Puis Rose et sa curiosité apparemment insatiable relancèrent la conversation, sur un sujet qu’elle pensait plus léger, bien qu’en réalité il ne le soit pas du tout.

« Dis Iréa, Elyncia et toi vous couchez ensemble ? »

Elle avait demandé cela d’un air naturel et tout à fait innocent, mais sa question suscita de vives réactions autour du feu de camp. Iréa s’étrangla avec son morceau de viande tandis qu’Elyncia, avalant de travers sa gorgée de vin, en recracha la moitié dans son verre. Zihark manqua de s’étouffer avec sa bouchée de pain et fut pris d’une quinte de toux. Léane, quant à elle, avait baissé la tête vers son repas, tentant en vain de dissimuler son fou rire.
La jeune lancière n’était pas du genre à prendre des pincettes…

« Euuuuh non, répondit la Templière, complètement prise au dépourvu. »

Elle ne savait pas trop quoi ajouter d’autre mais la jeune fille vint plus ou moins à son secours, car sa curiosité n’était toujours pas satisfaite.

« Ah ? fit-elle sur un ton vaguement déçu. Tu as quelqu’un d’autre ? »

Rose avait, sans le savoir, touché où ça faisait mal, et même si Iréa faisait des efforts pour ne pas le montrer, cela dut transparaître.

« Je suis désolée… dit la lancière châtain en voyant l’Almer se rembrunir, son visage se fermer. J’ai dit quelque chose qu’il ne fallait pas ? »

Elyncia suivait la scène la tête légèrement penchée sur le côté, l’air intéressé, même si la conversation ne prenait pas un tour qu’elle appréciait. Il était vrai que son amie ne lui avait que peu parlé de ses histoires de cœur. Léane avait cessé de rire, et Zihark de tousser. Eux aussi semblaient curieux, mais ne voulaient pas trop le montrer, sans doute de peur de la blesser.
Iréa leur adressa un sourire un peu faible mais rassurant. Elle qui voulait se raconter, elle était servie…Et puis après tout, c’était Elio lui-même qui lui avait recommandé de se fier aux autres.

« Ce n’est rien, Rose, tu ne pouvais pas savoir. Pour répondre à ta question, en ce moment, il n’y a personne, non. Mais il y avait quelqu’un avant que…avant que la maladie ne me le prenne. Enfin, on était séparés…temporairement, mais j’avais bon espoir de le retrouver. »

Elle avait soulevé des regards interrogateurs dans son auditoire et préféra devancer les questions en leur parlant un peu plus du jeune homme qu’elle avait aimé.

« Je l’ai connu à Ptot Tàh, il y a longtemps. Quand nous étions enfants…Et puis quand j’avais treize ans, je suis partie pour entrer au Temple. J’ai retrouvé Elio deux ans plus tard, il était venu achever son apprentissage à Tamawa. On pensait tous les deux qu’une fois que j’avais quitté le désert, on ne se reverrait pas, ou à peine, alors on est très vite devenus inséparables. A l’époque je fréquentais assez peu de gens en dehors des Templiers. Il voulait travailler à Tamawa, peut-être monter sa propre boutique, mais quand on avait dix-neuf ans, sa famille l’a rappelé. Son père allait bientôt mourir, et Elio était l’aîné, vous comprenez…On s’est dit au revoir ; c’était plus ou moins une séparation. On ne savait pas combien de temps ça allait durer, on a donc convenu que chacun pouvait aller voir ailleurs, s’il le souhaitait. Mais on n’a pas non plus renoncé à tout espoir de se retrouver…Toute sa famille est morte, finalement. Et lui aussi. »

Son histoire avait jeté un froid dans l’assistance, ce n’était rien de le dire. Il régnait un profond silence, empli de compassion, alors que quelques minutes auparavant, la bonne humeur pointait le bout de son nez.

« Ca va, ne vous en faites pas, voulut-elle les rassurer. Ce n’est plus si récent, et il faut bien continuer à vivre…Elio serait le premier à me dire que je ne dois pas me replier sur moi-même. »

Tandis qu’elle cherchait rapidement un autre sujet de conversation, sachant pertinemment qu’Elyncia n’avait aucune envie de passer à son tour à la casserole, l’Almer eut toutefois la vague impression, en passant sa vie en revue, de contempler un champ de ruines…
Si on parlait famille, mauvaise pioche.
Si on parlait amours, mauvaise pioche, pour le moment du moins.
D’accord, du côté des amis, elle n’était pas trop à plaindre. Pas trop.
Et côté travail…Cela dépendait. Elle aimait ce qu’elle faisait, mais comme beaucoup d’autres elle avait été dernièrement confrontée à des situations difficiles – les évènements de 150 et quelques autres.
Finalement, ce fut encore une fois Rose qui relança la conversation, interprétant probablement son silence comme de la tristesse et voulant la tirer de ce mauvais pas où elle l’avait elle-même mise.

« Et le bal de la victoire, tu y étais ? Moi oui, mais je ne crois pas t’avoir vue…Mais il y avait tellement de monde ! Le spectacle de la Troupe était époustouflant, c’était la première fois que j’assistai à une de leurs représentations. »

Iréa songea un instant à leur raconter son expérience du bal, mais elle s’aperçut qu’elle était entourée exclusivement de Cydiens et que, même s’ils étaient tolérants, essayer de leur expliquer les règles du Cul-de-Chouette et leur parler de la partie qui s’était jouée ce soir-là n’était pas la meilleure idée qu’elle ait eue.
Heureusement encore, ce fut le moment que choisit Rose, qui n’avait pas cessé de parler, pour s’exclamer :

« …Et leur Meneuse, Jillian, c’est une sacrée bonne femme ! Je n’ai jamais vu un animal comme le sien, je me demande comment elle arrive à s’en faire obéir, il est sûrement très féroce…

A la surprise générale, Iréa éclata de rire. Pas un rire moqueur, mais doux et franchement amusé.

« Tu te trompes de danger, dit-elle à Rose avec un sourire. Sam est impressionnante, c’est vrai, mais elle obéit à Jillian au doigt et à l’œil. C’est elle qu’il ne faut pas contrarier ! Quant au bal, oui, j’y étais, même si je ne me souviens pas t’avoir vue. Cela dit, ce soir-là, je ne portais pas ma tenue de tous les jours mais une robe violette. »

Ces quelques phrases n’ayant pas réussi à dissiper la surprise de ses compagnons, elle leur parla de Jillian et de leur rencontre, d’Aerin aussi, tandis que Rose, buvant ses paroles, les resservait.
La soirée suivait tranquillement son cours.

Quand Rose se tourna vers Iréa, les yeux un peu perdue, Elyncia ne pu redouter la question. Et quand elle arriva, elle ne put s'empêcher de recracher ce qu'elle avait tenté de boire. Coucher avec Iréa ? L'idée ne lui était jamais venue à l'esprit, même si elle trouvait un certain charme à l'almer. Elle n'avait même pas envisager Iréa comme une compagne éventuelle.
Rose, n'étant pas satisfaite de la réponse à sa question en posa d'autres. Seulement, elle avait mis le doigt sur ce qui était apparemment un point sensible. La lancière ne put s'empêcher de voir une pointe de tristesse décomposer le sourire de son amie. Elle ne l'avait jamais vu dans un tel état et l'inquiétude la poussa à pencher la tête de côté. Finalement, la Templière leur raconta une partie de son histoire qu'elle n'avait encore jamais partagée avec elle. Quand elle eut terminé, Elyncia se sentit assez mal. Elle savait que trop bien ce que signifiait perdre un être proche mais elle n'avait jamais su ce que c'était de perdre la personne aimée. Rien que d'essayer d'imaginer, elle en avait l'estomac en vrac, et l'idée lui serrait le coeur au point qu'elle sentit quelques larmes monter.
Elle n'était apparemment pas la seule à être en proie à cette intense compassion, un silence de mort s'étant abattu sur le petit groupe.

"Ca va. Ce n’est plus si récent, et il faut bien continuer à vivre…Elio serait le premier à me dire que je ne dois pas me replier sur moi-même."

Même si elle le disait avec conviction, Elyncia voyait bien qu'elle était encore touchée par tout ça. Comment ne pas l'être ? Elle même avait encore du mal à parler de la mort de son frère et l'idée de devoir le faire ce soir ne la réjouissait pas loin de là. Heureusement, Rose lui épargna cette peine. La connaissant, c'était sans doute pour essayer de se rattraper de sa bourde, mais ce n'était pas Elyncia qui allait lui en vouloir.
La discussion tourna rapidement sur le bal pour fêter la victoire contre Azael et Erathia. La lancière n'écouta d'une oreille peu attentive, ne souhaitant pas savoir ce qu'elle avait loupé. Ce jour-là, elle n'avait pas eu le coeur à la fête. La blessure de la perte de son frère était encore vive. Comment pouvait-elle s'amuser dans de telles circonstances ?
Elle soupira après avoir bu une gorgée de vin et se rendit compte que son gobelet de bois était vide, complètement vide. Elle se resservit alors, encore et encore.
La soirée était maintenant bien avancée, et la tête lui tournait un peu. Elle ne se rendit même pas compte de l'absence de Rose et Zihark bien trop occupée à bégayer quelques petites anecdotes sur son enfance à Léane et Iréa.
Et quand elle toucha à sa fin pour la jeune femme, elle ne put s'empêcher de sursauter quand la tête de Zihark heurta ces genoux. Tout d'abord elle pensa que le jeune homme aurait pu se faire mal mais le guide était bien trop ahurit par l'alcool pour pouvoir ressentir une vive douleur. *Heureusement* se dit-elle pour elle-même. Se sentant d'humeur joueuse, elle lui appliqua une bonne tape sur le front avant de se mettre un peu à rire, et si elle avait déjà été ivre, mais cette fois-ci, un sentiment bizarre l'envahissait. Elle se surprit à frissonner quand la main du guide glissa sur sa joue, et sa voix tel un murmure lointain, lui parvint pourtant dans un tintement cristallin, lui souhaitant un joyeux anniversaire. Elle se mit alors à rougir et quand il quitta ses jambes, trainé par Rose, ce fut un peu à regret. Elle tenta de reprendre ses esprits en secouant la tête, puis elle annonça au reste du groupe qu'elle n'allait pas tarder à aller se coucher.
Avant de le faire, elle s'approcha d'Iréa et la serra dans ses bras. Elle savait que ses discussions avec la jeune femme allaient lui manquer jusqu'à leur prochaine rencontre. Elle lui murmura donc :

- Je suis contente que tu aies pu rester ce soir. Malheureusement, je vais vous laisser. Je meurs de fatigue. Et... je suis désolé pour les questions de Rose. Elle est parfois trop curieuse.

Sans attendre de réponse, le jeune femme la relâcha, puis se dirigea en titubant vers sa tente, lui lançant un bonne nuit de loin. Il ne fallut pas longtemps pour que les autres fassent de même, la fatigue l'emportant sur le groupe.

(Nous sommes tous trois désengagés)