Simple Plan ~ Last one standing || Me against the world || Take my hand

Un rayon de soleil filtra dans ma chambre et vint créer une tache de lumière à travers la peau fine de ma paupière. Je levai la main pour protéger mes yeux, geste machinal qui, chaque matin, marquait le début d'une nouvelle journée. Je repoussai ma couverture et ouvrit mes volets tout en contemplant le crépuscule qui faisait ressortir ce roux si doux dans mes cheveux. A ma plus grande joie, le ciel était dégagé, chose qui n'arrivait qu'en été à Storghein, et encore. J'avais encore un peu de mal à m'habituer au rythme de la cité, tout autant qu'aux hivers rudes et glacials. L'hiver n'était vraiment pas ma saison favorite, et pour cause, le froid et la neige ne m'allait pas au teint; je préférais de loin l'été et ses journées ensoleillées.

Je lissai ma chemise de nuit blanche à motifs bleus, une création de ma mère qui datait pas mal mais semblait encore sortie du métier à tisser, puis descendis pieds nus l'escalier qui menait aux cuisines, tout en m'attachant mes longs cheveux en un demi-chignon. Comme chaque matin, j'entreprit d'allumer le feu de mon fourneau, puis travaillai la pâte pour confectionner de nouveaux pains au chocolat, qui partaient... eh bien comme des petits pains!! Lorsque j'eus mis le tout au four, j'arrangeai le présentoir à viennoiseries en chipant un croissant au passage (ben quoi, je ne pouvais pas passer la journée à vendre de la nourriture le ventre vide!) puis sortis du frais une crème pâtissière qui... oui, qui méritait bien d'être encore un peu sucrée. La pâte à chou étant déjà préparée la veille, je n'eus plus qu'à la remplir de cet onctueux chocolat qui me donnait encore plus faim, bien que j'eus terminé mon croissant. Si quelqu'un aurait regardé par la fenêtre à cet instant, il aurait vu une jeune fille de 18 ans qui en paraissait 20, pieds nus et en chemise de nuit préparait des éclairs en se léchant les babines...
Oui, dit comme ça je renvoie toujours un image de prédatrice. Pourtant, depuis que j'avais ouvert la Feuille d'Or, je ne pensais plus aux garçons lorsque la faim me tentait. Autre particularité dont j'avais eu du mal à m'habituer. Et pas qu'un peu!
C'est fou comme égorger votre oncle peut vous changer en peu de temps...

Une odeur de soleil vint chatouiller mes narines. Sans plus attendre, je fis glisser l'assiette remplie d'éclairs le long du comptoir, puis me hâtai vers le four. Je saisis un gant pour ouvrir le battant de bois, puis à l'aide d'une longue spatule, sortis la plaque où fumaient dessus des pains dorés comme ils devaient l'être pour que je les considère comme réussis. Je les saupoudrai d'un peu d'huile de fleur d'oranger, mon ingrédient secret pour des viennoiseries gourmandes, puis les disposai à côté des éclairs. La salle était propre comme un sous-neuf, ce qui m'enlevait la funeste tâche ménagère. J'ouvris les volets, puis refermai les fenêtres pour que le soleil chauffe la pièce à travers le verre. Je mis chaque chaise à sa table, réajustai quelques coussins, puis montai échanger ma chemise de nuit contre un haut bustier orange et un pantacourt assorti, chaussai en même temps des sandales, puis ensuite j'attachai mon tablier jaune brodé d'une feuille orangée, crée par ma mère spécialement pour l'ouverture de la Feuille d'Or. Grâce à elle, je n'avais jamais manqué de rien lors de mes débuts dans la cité de Storghein, mais même alors que mon établissement se faisait bien connaître, autant pour sa nourriture que pour son unique et charmante employée (pas la peine de me regarder comme ça, ce n'est que pure vérité!), elle continuait toujours de m'envoyer des ingrédients, dont des huiles de fruits (heureusement que je lui avais précisé que j'avais MON propre mini-potager!), et cela sans compter le chocolat qu'elle me faisait livrer presque chaque semaine! Franchement, elle voulait que je devienne obèse, ou quoi? ("Cela ne risque pas vu que tu ne prends jamais de petit déjeuner tranquillement sans pouvoir t'empêcher de décorer ton présentoir ou faire cuire une fournée de petits pains alors que tu en as plein ta réserve", disait-elle. C'est quand même pas ma faute si je peux faire plusieurs choses en même temps!).

Je dévalai de nouveau les escaliers, puis déverrouillai la porte d'entrée, sortis dans la rue du Port puis tournai le panneau Ouvert/Fermé devant la vitrine. J'étais prête à temps pour l'ouverture! Evidemment, les clients n'allaient pas arriver sitôt le panneau tourné, je pris donc un peu de mon temps pour me siffler un grand verre de lait, affalée sur ma chaise haute. J'entendis encore quelques instants, que je passai à noter sur mon carnet ce que je devais racheter, et j'étais en train de lâcher mes longs cheveux pour me coiffer d'un bandeau brodé par ma petite soeur lorsque je vis quelqu'un dehors s'arrêter devant ma vitrine.

''Dieux merci, tu m'as sauvé!''

Je relevai la tête et avisai le jeune garçon qui venait de se laisser tomber sur la chaise la plus proche, produisant ainsi un bang! sonore qui m'aurait faite sursauter quelques mois plus tôt, lorsque je n'était pas encore habituée à arpenter les rues sombres en pleine nuit. Sûr qu'au bout d'un moment, on ne s'attend plus à ce que quelqu'un vous saute dessus à chaque grincement ou porte qui claque.
Le garçon, donc, semblait épuisé et affamé. Surtout affamé en fait. Il n'était pas très étonnant qu'il soit entré dans ma boulangerie quand on y pense, car peut d'établissement ouvraient si tôt le matin pour vous proposer un petit déjeuner. Il avait dû sûrement me voir dans la rue quand j'étais allée retourner le panneau.
Tout en attrapant mon bloc-note et en m'avançant vers lui, je pris quelques secondes de mon temps pour le détailler. Il avait des yeux étonnants, d'une teinte violet qui me rappelait à quel point les gens étaient différents et étonnants dans ce monde. Ses cheveux blonds en bataille me faisaient penser à ceux de mon père. J'avais peu de souvenirs de lui, mais je savais que si j'étais toujours aussi maniaque sur le soin de mes cheveux, c'était parce qu'il ne soignait jamais les siens et disait qu'il n'avait pas besoin de ça pour charmer une jolie femme, la preuve, il vivait avec ma mère. Il avait toujours tendance à oublier que c'était LUI qui avait suivi ma mère à Silmarie. Enfin, le garçon qui se trouvait devant moi n'était qu'un adolescent, il avait encore tout son temps pour trouver sa dulcinée.

"C'est toujours une joie de sauver l'estomac d'un client, surtout s'il est aussi charmant que toi, plaisantai-je en lui adressant un clin d'oeil malicieux. Que-ce que je te sers? J'ai des croissants tout chauds si tu veux."

A cet instant, je vis une jeune fille un peu plus âgée que le garçon mais plus jeune que moi aux longs cheveux noirs lorgner mes viennoiseries à travers la vitrine, et je ne pus m'empêcher de penser que si une jeune femme aussi bien habillée et donc certainement fortunée venait goûter ma nourriture, c'était sûrement un bon signe pour moi et la Feuille d'Or. Je la vis adresser quelques mots à une personne que je ne pouvais pas voir, puis je réprimait un sourire de victoire en entendant la clochette tinter lorsqu'elle poussa la porte. Je lui adressai un sourire aimable pour lui montrer que je m'occupai d'elle juste après le garçon. Je ne pris d'ailleurs pas la peine de lui demander si c'était pour emporter, car le pauvre avait l'air plutôt content d'avoir trouvé un refuge où passer un peu de temps. Et je ne fichait jamais des clients à la porte lorsqu'ils restaient longtemps. D'ailleurs, je ne fichait jamais de clients à la porte tout court, sauf si la situation dégénérait, mais cela n'était jamais arrivé dans mon établissement. Déjà les bourins alcoolos se tournaient plus volontiers vers les bars où l'on servait de la bière à flots et où une soirée sans bataille était une soirée d'un autre monde. Ensuite, même si mon charme légendaire dissuadait presque toujours de potentiels perturbateurs, il me restaient toujours les poings pour mieux les convaincre. Et ceux-là, je les utilisais aussi bien que le reste.

''Tout ce qui rentre dans le budget de ca!''

Je baissai les yeux sur la bourse que le jeune garçon venait de déposer sur la table. Au bruit qu'elle fit en heurtant le bois, je devinai que cela relevait de ses derniers moyens financiers. Je me rappelais encore mes débuts dans la cité de Storghein, seule et sans refuge, devant travailler dur pour payer un petit hôtel qui me logeait. Sans mon talent pour la cuisine (et ma mère, il faut bien le reconnaître...), je n'en serais sûrement pas là. Malheureusement, ce garçon ne semblait pas posséder la même chance que moi, et il avait l'air de mourir de faim. Le moins que je pouvais faire, c'était de lui donner ce qu'il désirait: autrement dit, à manger. Je lui adressai un sourire compatissant, celui qui veut souvent dire *Ne t'inquiète pas, je comprends j'étais dans la même galère*, à condition que l'on sache repérer ces messages silencieux que l'on tentait de cacher mais qui étaient trahis par nos expressions. A force de mentir comme je respire sans me faire prendre, je savais reconnaître quelqu'un qui ne disait pas la vérité, qui était mal à l'aise, et surtout les hypocrites qui pensent que jamais personne ne les percera à jour. Expérience oblige.
Je me dirigeai vers le comptoir pour lui préparer un assortiment de viennoiseries accompagnées d'un bon verre de lait; le garçon avait quand un peu de chance, le tout était moins cher que ce qu'il "proposait". Etant donné que j'étais encore nouvelle sur la route des commerçants de Storghein, bien que la Feuille d'Or acquiert peu à peu sa réputation, je ne pouvais pas me permettre de vendre trop cher.
J'allais parachever le tout d'un croissant aux amandes, lorsqu'un je-ne-sais-quoi me fit relever la tête. Ce genre de pressentiment n'était pas rare, quelque chose d'étrange se tramait, je le sentais. Comme pour me donner raison, la jeune femme se leva et fit une proposition qui me coupa le souffle.

"Bonjour à vous mesdames et messieurs. Pussiez vous excuser mon indiscrétion, mais si ce jeune garçon me le permet, j'ai une proposition à lui faire. En effet, j'ai cru remarqué que tu étais saltimbanque, pourrais-tu me montrer tes talents ? Bien sûr je te dédommagerai pour ta prestation."

Étonnant. Jamais je n'aurait cru que pareille chose pouvait se faire. Vous y aurez cru, vous?
Franchement, d'où est-ce qu'on sort que la fille propose de payer pour le garçon? C'est tout l'inverse! Cette jeune femme était peut-être d'un milieu aisé, mais elle manquait cruellement de romantisme. Cependant, ses paroles me troublèrent. Le garçon était un saltimbanque? A vue de nez, j'aurais dit un garçon un peu paumé, cherchant du travail à la rigueur. Mais un saltimbanque?! Où était son groupe, alors? Il voyageait seul?? Sa réputation l'avait précédé de telle façon que la jolie fille le connaissait déjà? Quelle farce!

"Votre altesse, n'oubliez pas de commander quelques mets à déguster pendant cette représentation. Votre estomac crie famine."

Ah parce qu'en plus elle était princesse. Eh bien, voilà qui était davantage surprenant encore. Enfin, il fallait encore servir le garçon; pas de favoritisme chez moi, elle aurait pu être la fille de l'Oblat ou encore la soeur d'Azael que je ne me serais pas occupée d'elle en première. Quoi que si. Si elle était la soeur d'Azael, elle serait déjà dehors. En retenant un soupir, j'allai poser l'assiette garnie sur la table du jeune garçon, qui visiblement ne savait plus où se mettre, le pauvre. J'étais curieuse de le voir à l'oeuvre, mais en même temps j'en voulait un peu à la princesse de ce qu'elle lui demandait. Il voulait juste se rassasier le plus qu'il pouvait, et il se retrouvait à devoir faire un spectacle devant une Altesse. Je le plaignais. Sincèrement. D'ailleurs, je passais mon temps à plaindre les gens, en ce moment.

"Que puis-je vous servir... mademoiselle?" demandais-je en hésitant mais poliment à la jeune femme.

"Bonjour madame. Vous avez de nombreux mets succulents mais j'ai toujours rêvé de goûter à ces gateaux de lunes, ce que vous appelez plus communéments des... croissants?"
Je fus surprise par le vocabulaire de la jeune fille. Pour moi qui avait l'habitude de parler à tout le monde comme si on se connaissait depuis 30 ans (façon de parler, bien sûr), elle avait une manière de parler si... diplomate que je pensais tout de suite qu'elle venait d'une famille aisée. D'ailleurs, la précense de l'étrange femme qui l'accompagnait, une garde du corps sans aucun doute, tentait à prouver cette hypothèse. Et elle n'avait jamais mangé de croissants! Non mais est-ce que vous vous rendez compte?! Il était de mon devoir de satisfaire sa faim de connaissances, et je ne pouvais pas me permettre de la laisser partir toujours aussi inculte.
Je retournais au comptoir pour lui servir les pâtisseries sortant du four, et les lui servis sur sa table alors qu'elle félicitait le jeune garçon pour sa prestation. Elle ne pouvait pas cacher son admiration, charmée par le saltimbanque. Personnellement, il était trop jeune pour moi, je le lui laissais sans rancune! La jeune fille et la mystérieuse Luné finirent par se lever et quittèrent la Feuille d'Or après avoir remercié le garçon. Le pauvre semblait essouflé et j'eus du mal à rester impassible alors que tant de bonnes choses à manger trônait derrière ma vitrine.
"Est-ce que tu en veux encore? Tu as vraiment l'air crevé, je peux te resservir une tournée. Cadeau de la maison!"
En général je laissais le soin à chaque client de payer la moindre part de tarte (après tout je ne demandais pas grand-chose...), mais la situation était si cocasse que je ne pus pas m'en empêcher. Déjà il arrivait quasiment à l'aube pour pouvoir se réchauffer et manger ce qu'il pouvait avec le peu d'argent qu'il lui restait, et il se retrouvait à faire un spectacle pour une cliente de noblesse qui, je le répète, NE CONNAISSAIT PAS LES CROISSANTS!!! Franchement, il me faisait pitié... et ça croyez-moi c'était rare.